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Œuvres de Saint-Amant/L’Avant-satire, caprice

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Œuvres complètes de Saint-Amant, Texte établi par Charles-Louis LivetP. JannetTome 1 (p. 323-326).

L’AVANT-SATIRE.

caprice.


Apollon, qu’est-ce cy ? qu’a-t’on fait à Pegaze ?
Au diantre l’animal ! Luy qui, plus doux qu’un aze[1],
Se laissait autrefois librement approcher,
Qui d’aise hennissoit me sentant approcher,
Comme un de ses parens alors qu’il sent l’avoine,
Ou comme auprez d’Alis hennit un maistre Antoine,
Ronfle, bat le pavé, ne me peut plus souffrir,

Et si tost qu’à l’estrier mon pied je veux offrir,
Il tremousse, il regimbe, il se cabre, il tempeste,
Il me tourne la crouppe, il fait enfin la beste,
Et je voy, non sans peur, de mes yeux estonnez,
Que de mainte ruade il me frize le nez.
Il faut bien, ô Phebus ! que durant mon absence,
Depuis cinq ou six mois, d’une injuste licence,
Quelque rimeur de bale[2], impertinent et vain,
Quelque enigmatiseur, quelque sot escrivain,
Ait osé le monter, ou qu’en le menant boire
Dans le sacré ruisseau des Filles de memoire,
Quelque anagramatiste, en guise de valet,
L’ait rendu par ses mains plus quinteux qu’un mulet !
Si tu l’avois permis, beau sire, je te jure
Qu’aux coursiers de ton char je ferois quelqu’injure,
Et qu’en les descrivant je les despeindrois tels,
Qu’au lieu d’avoir le nom de chevaux immortels
Qui sur un champ d’azur, faisant leur course ronde,
Promenent l’or qui brille aux yeux de tout le monde,
ll n’est point de mazette entre Paris et Can[3],
De pietre haridelle, opprobre d’un encan,
De traisneur de fumier, de fange et de gadoue,
Qui ne les incagast, qui ne leur fist la moue,
Et ne crust icy-bas leur pouvoir disputer
La gloire que là-haut ils veulent emporter.
Mais je me plains à tort, mon soupçon est un crime :
Tu ne l’as point souffert, grand autheur de la rime !

Ces petits messieurs-là ne grimpent point icy.
Ils ne sont point piquez d’un si noble soucy.
Et quand ils le voudroient, en leur folie extresme,
Plustost ce double mont, s’arrachant de soy-mesme,
Trebucheroit sur eux, et, tombé plat et net,
Feroit à leur caboche un horrible bonnet.
D’où luy peut donc venir cet estrange caprice ?
Ha ! je le reconnoy, c’est manque d’exercice :
Il ne fend plus de l’air le vague précieux,
Et le trop de sejour l’a rendu vicieux ;
Ou bien, fasché de voir que ma verve sacrée
Ne se sert plus de luy quand elle se recrée,
Que je quitte Helicon pour Horeb et Sina,
Où la loy formidable aux Hebreux se donna ;
Que pour la vérité je laisse le mensonge,
Il me veut tesmoigner le despit qui le ronge,
Et me faire connestre en son frémissement
Les bizarres transports d’un vif ressentiment.
Tout beau, Genet[4], tout beau, r’enguaine ta furie ;
Si je t’ay négligé, si de la raillerie
J’ay depuis quelque temps mis en oubly les jeux,
Pour me sentir le chef pesant, froid et neigeux.
Je t’en requiers pardon, et la marote en teste
Je veux, comme l’on dit, remonter sur ma beste,
Dulotizer[5] en diable, et d’un ton libre et gay,
Tout cygne que je suis, faire le papegay[6].
Or sus donc, à cheval ! j’entens le bruit d’un verre
Qui, heurtant contre un pot, me r’anime à la guerre,
Non de la martiale, où le sang est versé,
Où pour l’amour d’autruy, de mille coups percé,

Le malheureux soudart mesure et mord la poudre :
Je luy baise les mains, je n’en veux plus descoudre ;
Mais de la satirique, où l’on mord plaisamment,
Où l’on verse à flots noirs de l’encre seulement,
Où la plume est l’espée avec quoy l’on s’escrime,
Où de joyeux brocards la sottise on reprime,
Bref, où ceux que l’on blesse, au lieu de s’en fascher,
Sont pour leur propre honneur contraints d’en riocher.



  1. Un âne.
  2. Le rimeur de balle, c’est le rimeur de pacotille. Cette locution est très usitée au XVIIe siècle. Scarron, dans une fort belle pièce, sérieuse et digue, intitulée Cent quatre vers contre ceux qui font passer leurs libelles diffamatoires sous le nom d’autruy, l’a employée, ainsi que Molière dans les Femmes savantes :

    Allez, rimeur de balle, opprobre du métier !

  3. Caen.
  4. Genet, cheval d’Espagne. Pégase.
  5. Voy. une note sur Dulot, ci-dessus, p. 323.
  6. Perroquet. — On disoit aussi papegault. On connoît la confrérie des papegaults.