Œuvres de la citoyenne de Gouges (prospectus)
PHILIPPE, mes jours sont menacés. Je m’adresse à toi pour les protéger… Et cependant je ne crains pas la mort ; tu le sais : mais je veux mourir glorieusement ; et si je le puis, je servirai ma patrie encore dans mes derniers momens.
En 1789, dans le mois de juillet, j’eus le courage de t’avertir des conspirations qu’on tramoit sous ton nom. On t’imputoit de ne servir le peuple que pour tes seuls intérêts, et non pour la patrie et pour les Français, qui avoient juré de mourir libres. Dieu m’est témoin que mon dessein n’étoit pas de t’offenser ; mais de t’éclairer sur l’abîme que des scélérats te creusent depuis long-temps.
Le 5 octobre 1789, des émissaires vinrent en foule chez moi, affectant de dire des horreurs sur ton compte ; mais mes réponses furent si énergiques en ta faveur, et j’étois si bien entourée dans ce moment, que ces assassins sortirent sans que je pusse deviner la cause qui les avoit amenés. Mes soupçons se partagèrent entre ta faction et celle de la cour. J’avois conseillé à Louis XVI, dans un ouvrage intitulé : la Séance Royale, d’abdiquer sa couronne, s’il vouloit la conserver à ses enfans. En un mot, je lui disois de demander un conseil à l’assemblée constituante, et d’abandonner le fardeau de la royauté. La cour alors me crut de concert avec toi, et alternativement je me suis trouvée en bute aux deux partis homicides qui ont fait couler tant de sang, sans compter celui qui coulera encore. Ô Bourbons ! les Français sont-ils donc nés pour être vos victimes et le jouet de votre ambition ! Va, Philippe, si je dois périr par vos poignards, je vous vendrai cher mes derniers momens.
Je suis née avec un caractère républicain, et je mourrai avec ce caractère. Si dans quelqu’un de mes écrits patriotiques, j’ai paru défendre la monarchie constitutionnelle, c’est que j’ai redouté tous les malheurs qu’entraîneroit la chûte de cette monarchie. La faction Cromveliste qui se cache depuis si long-temps sous le masque du plus brûlant patriotisme, cherche, par la voie de tous les crimes, à nous réduire au plus affreux esclavage ; cette faction incendiaire, féroce et désorganisatrice, on la met sous ton nom : elle a fait massacrer les royalistes ; elle veut à présent massacrer les républicains. Ce n’est plus un fantôme que ce parti ; tous les yeux sont ouverts. Frémis, Philippe, si tu coopères à ces odieux projets ! Dusses-tu me préparer mille morts, je t’avertirai. Si tu n’as rien à te reprocher, tu me sauras gré de ce que je vais mettre sous tes yeux. Je suis loin de te croire coupable des crimes qu’on te prête. Tant de perversité dans un homme bien élevé, ne me paroît pas vraisemblable. Un brigand, un assassin, digne du plus cruel supplice, n’auroit pu commettre la moitié des atrocités dont la renommée t’a déclaré l’auteur. Mais si je remontois à ton glorieux exil, combien je reconnoîtrois mon erreur, je te retrouverois alors tel que je t’avois vu ayant, et tel que je te vois aujourd’hui ! Je t’ai vu alternativement flatter la cour et le peuple ; je te vis abandonner ton respectable exil pour courir au milieu d’une cour dépravée, qui te donnoit l’espérance d’un mariage qui flattoit ton ambition ; je te vis rempli de ces espérances, voler en Angleterre et abandonner la cause du peuple. Et enfin, ton ambition détrompée laissa à ta vengeance une libre carrière. Je ne puis y réfléchir sans en frémir d’horreur ; que de forfaits l’histoire amasse sur ta vie ! Et ce qui paroîtra plus étonnant, c’est que ton parti même affecte de te mépriser en te servant. C’est sous le masque spécieux du républicanisme que ces odieux Cromvelistes jettent la terreur et parlent d’assassiner tous ceux qui ont voté pour l’exil de Louis Capet. Cependant depuis quelques temps, j’étois revenue sur ton compte ; j’ai même fait l’éloge de ton fils dans l’Entrée de Dumouriez à Bruxelles ; et d’après cet éloge, tu dois sentir combien je suis impartiale à ton égard.
Lorsque je t’ai vu, en votant la mort de Louis XVI, faire le serment d’immoler de ta main celui qui voudroit nous assujétir de nouveau, et de mourir en défendant le gouvernement républicain, j’ai cru, quelle que fût l’horreur que ton vote eût produit dans mon âme, que je m’étois trompée sur ton compte. Je crois que j’aurois pris ta défense, lorsque par une de ses rencontres bizarres, je me trouve aller loger dans la même maison d’un homme qui a été dix ans ton lecteur. Dans plusieurs conversations que j’ai eue avec lui, il a été question de toi. Suivant lui, tu dois monter sur le trône, ou arriver à la dictature. Me trouvant moins indisposée contre toi, il a essayé de me mettre dans tes intérêts. Il m’a assuré même que lorsque tu serois tout-puissant, je te verrois d’un autre œil. Cette injure grossière m’a révoltée, je te l’avoue : mais j’ai voulu l’entendre jusqu’à la fin. J’ai voulu connoître les moyens qui pouvoient te conduire au rang suprême de roi ou de dictateur ou de régent, et comment il te seroit possible de changer les esprits et les opinions. Que vous êtes simple, m’a dit cet homme ! Les grands meneurs de ce projet n’ont aucun doute sur la réussite, et celui qui est à la tête a une expérience profonde des révolutions. Il sait comme on conduit les hommes, et depuis quatre ans il m’a instruit d’avance de tout ce qui s’est passé. Cet homme m’a tenu cette conversation avant la disette du pain, et ce qu’il appelle la promenade civique qui s’est faite chez les épiciers, est arrivée au moment précis où il me l’avoit annoncée. Il m’avoit prédit aussi le massacre du 9 au 10 Mars, qui heureusement n’a pas été consommé : mais il m’assure que cette affaire n’est qu’ajournée.
Enfin tu dois régner, Philippe, par le crime ; Laclos le veut. Et l’on sait si l’auteur des Liaisons dangereuses, est un odieux machiaveliste. Tout ce que je t’avance, je puis le prouver ; mais, s’il est vrai que la soif de régner te domine, pourquoi ne présenterois-tu pas plutôt aux Français la nécessité d’un gouvernement monarchique, s’ils sont nés pour servir sous les tyrans, que de vouloir monter sur le trône par la plus sanglante des révolutions ? Crois-moi Philippe, les scélérats ne réussissent pas toujours, et quand ils croyent triompher, ils sont souvent massacrés à la tête de leur parti ; voilà la catastrophe que je t’ai prédite il y a long-temps.
Ces conversations vagues, quelle que fût ma défiance à ton sujet, ne m’avoient point encore persuadée ; mais, quelle fut ma surprise, lorsque je te vis garder le silence sur la dénonciation du sieur Lajousky ! il n’étoit connu que sous la désignation d’un Polonnois : qui pouvoit mieux que toi, rendre compte de cet homme à la convention ? C’est ton ingénieur, un de ceux qui ont ta confiance. En rentrant chez moi, je parle de cette dénonciation à celui qui m’avoit fait l’éloge pompeux de tes moyens pour égarer le peuple, et pour te placer à la tête du gouvernement. Le citoyen d’Arbesse, député à la convention, a été souvent témoin de ces conversations, et je lui rends la justice de croire qu’il est assez bon citoyen pour ne pas démentir ces faits. Au reste, j’ai d’autres témoins qui pourroient venir à l’appui de ce que j’avance. Je reviens à cet homme et au sieur Lajousky.
Vous voyez, me dit-il, si on l’a mis en état d’arrestation ; et changeant tout-à-coup de langage, il m’assura qu’il ne connoissoit pas le sieur Lajouski ; qu’à peine il l’avoit entrevu ; que s’il le voyoit, il ne le reconnoîtroit pas. Trois jours après cette explication, il m’engagea à rester chez moi, me disant qu’il avoit beaucoup de choses à me dire. Je le lui promis ; mais je fus obligée de sortir pour une heure, et revenant chez moi je le rencontrai avec le sieur Lajousky, au bas du Pont-Neuf. Quelle fut ma surprise et celle de cet homme ! Le sieur Lajousky, que je connoissois de longue date, puisque mon fils étoit dans ton corps d’ingénieurs qu’il commandoit, détourna le visage. Je laissai cet homme qui m’en avoit si horriblement imposé. Dans sa confusion, je vis le crime, je reconnus tout enfin. Je continuai mon chemin avec assez d’agitation. Je me détourne pour voir leur marche ; je les vis arrêtés avec une troupe de coupe-jarret, à laquelle ils me désignoient ; un entr’autres me suit, vêtu d’une veste et d’un pantalon de couleur de ramoneur, tenant un gros bâton qu’il agitoit dans sa main. Il me suivoit pas-à-pas. Je m’arrêtai trois fois pour le laisser passer : mais suivant tous mes mouvemens, il s’arrêtoit de même. Arrivé sur la place des Quatre-Nations, je pris le parti d’entrer dans une boutique de papetier ; j’instruisis les marchands de la démarche de cet homme ; il eut l’audace de se promener devant la boutique et d’attendre ma sortie. Les marchands me conseillèrent de traverser la boutique et de sortir par une porte de derrière. Je suivis cet avis, et trouvant à la porte une sentinelle, je l’instruisis de cet événement. On me fit entrer dans le corps-de-garde ; les citoyens qui composoient la garde, après avoir examiné cet homme, me proposèrent de me suivre de loin sans armes ; ce qui fut fait. Je sortis par le passage de la rue de Seine sur le quai. Ce quidam, qui ignoroit ma précaution, continua de suivre. Quand je fus en face d’un second corps-de-garde, je m’arrêtai. Je lui demandai, avec un ton ferme, ce qu’il me vouloit pour me suivre ainsi : il me répondit, n’êtes-vous pas de Bordeaux ? Cette question, lui dis-je, est bien tardive. Les citoyens qui m’accompagnoient survinrent, et d’après ses réponses équivoques, je demandai que l’on nous menât à la section ; je fus conduite à celle des Quatre-Nations. On lui demanda sa carte de citoyen, il n’en a jamais eue ; et quoiqu’audacieux dans ses réponses, il dit qu’il étoit assez connu pour n’en avoir pas besoin. On lui demanda s’il n’avoit personne qui pût répondre de lui. Il dit que oui, il nomma la citoyenne et le citoyen Salignac, député à la convention. Quand il fallut aller aux informations, il se rétracta ; il dit qu’on ne le connoisoit pas assez pour répondre de lui. À chaque instant ce furent mensonges sur mensonges. Jusqu’à son extrait de baptême, tout étoit en contradiction avec ses discours. Les membres de la section le confondirent plusieurs fois ; mais le sieur Lajousky étoit connu et avoit des amis dans cette section. On feignoit de me regarder comme aristocrate, m’étant proposée pour défenseur officieux de Louis Capet. Mon assassin fut simplement renvoyé à sa section pour y être reconnu, et tout resta-là. Je joins ici la lettre que j’ai écrire à cette section, et le procès-verbal de cette importants affaire. ClTOYENS, personne n’ignore que j’ai épuisé ma fortune pour la révolution. Je suis femme et j’ai servi ma patrie en grand homme. Ma récompense a été la plus atroce calomnie et la plus noire ingratitude ; les poignards des assassins sont levés sur ma tête. Je n’ai que la loi pour ma sauve-garde, et vous l’avez fait taire à mon égard. Vous avez renvoyé un scélérat équivoque dans toutes ses réponses ; vous en avez reconnu vous-même l’imposture, et j’ignore ce qu’il est devenu. Je me suis présentée deux fois à la section pour prendre le procès-verbal ; et quoique ma position fut délicate, le temps ne vous a pas permis, m’avez-vous dit, de me le remettre. J’ai entendu, de mes propres oreilles, que des membres de votre section me traitoient d’aristocrate et de défenseur de Louis Capet ; cruels et mauvais citoyens ! est-ce ainsi que vous récompensez le plus pur civisme ? Non, vous ne me croyez pas capable de vous imiter, de trahir mon pays. L’humanité est la cause du peuple.
J’en appelle à vos consciences, si une erreur aveugle ne les égare pas sur mon compte.
J’en appelle aux bons citoyens qui composent la section, qui ont entendu ces affreux propos, et je leur demande le procès-verbal au nom de la loi et de la patrie.
CE jourd’hui 20 mars, l’an second de la république,
le citoyen Prevôt, caporal de garde au
poste de la rue de Seine, a conduit au comité
un citoyen et une citoyenne, pour lesquels la
force armée a été requise, pour les conduire
pardevant nous, afin d’être statué ce que de
raison, et a signé, PREVOST.
Et à l’instant est comparue la citoyenne Marie Olympe de Gouges, laquelle a dit, que passant sur le Pont-Neuf, elle a rencontré les citoyens Allion et Lajouski, auxquels elle a parlé ; qu’en les quittant, un jeune homme vêtu en matelot, a rejoint ces citoyens et leur a parlé un instant ; qu’ensuite ce jeune homme les a quittés et s’est attaché à la suivre ; qu’elle est entrée dans différentes maisons pour éviter d’être suivie par ce jeune homme ; que par-tout où elle s’est arrêtée, ce particulier s’est aussi arrêté, et l’a constamment suivie. Que cette conduite lui a donné de l’inquiétude, et ce jeune-homme lui paroissant suspect, elle a pris le parti de le faire arrêter par la garde du poste de la rue de Seine, et l’a fait conduire pardevant nous, à l’effet que nous sachions de lui les motifs qui l’ont porté à la suivre et à lui faire la question, si elle n’étoit pas de Bordeaux ; ayant d’ailleurs des sujets d’inquiétudes de la part des sieurs Allion et Lajousky, qu’elle se réserve d’expliquer en temps et lieu, et à signé,
Est aussi comparu Pierre-Étienne Boysse, compagnon orfèvre, demeurant à Paris, chez le citoyen Cordier, rue Saint-Jacques de la Boucherie, natif de Limoges, âgé de vingt-quatre ans.
À lui demandé s’il connoît les sieurs Allion et Lajousky, ainsi que la dame de Gouges ?
A répondu que non.
À lui demandé pour quel motif il a suivi constamment la dame de Gouges, et pourquoi il l’a attaqué pour lui demander si elle n’étoit pas de Bordeaux ?
A répondu qu’ayant cru reconnoître cette citoyenne, et l’avoir vu à Bordeaux, et que venant sur le quai de Voltaire chez le citoyen Salignac, député, et que suivant la même route que cette citoyenne, il l’a suivie et pris la hardiesse de s’informer si elle n’étoit pas de Bordeaux ; que sa conduite envers cette citoyenne n’avoit rien de malhonnête, et n’étoit que pur objet de curiosité.
À lui demandé qu’il nous représente sa carte civique ?
A répondu qu’il n’en a pas.
À lui demandé s’il peut nous indiquer quelqu’un en état de répondre de lui ?
A répondu qu’on peut le reconduire à sa section, ou que le citoyen Salignac répondra de lui.
À lui demandé si ses réponses contiennent vérité, et s’il veut signer ?
A répondu sur le tout, oui, et a signé,
Sur quoi, nous commissaires de police, disons que ledit Étienne Boysse sera conduit, sous bonne et sûre garde, à sa section pour y être reconnu, et néanmoins qu’expédition du présent sera remis à la citoyenne de Gouges pour lui servir ce que de droit. Fait et arrêté les jour et an que dessus.
ES faits ne sont point des visions de femme,
un événement ordinaire ; ce sont les ennemis
de la liberté, les Cromvelistes, les assassins qui me poursuivent ouvertement ; qu’ils viennent
me percer le sein. Que ferois-je actuellement
dans ce monde ? J’ai épuisé infructueusement ma
fortune pour le salut public ; je vois ma patrie
déchirée ; un frère mort sur les frontières, laissant
sa fille sans fortune, sans secours ; mon fils,
mon malheureux fils, mort peut-être dans cette
dernière affaire, puisqu’on s’obstine au bureau
de la guerre à ne m’en point donner des nouvelles ;
enfin, ce dernier coup manquoit à mon infortune,
si le ciel m’a voulu priver de la seule consolation
qui pouvoit me dédommager de tous mes sacrifices.
Je n’ai plus rien sur la terre, plus rien à ménager,
et je demanderai la mort aux assassins,
comme un bienfait qui récompensera mon civisme
d’une couronne éternelle. Ô Philippe ! Ô Bourbons !
noms à jamais exécrables ; puisse la vengeance
de Dieu et des hommes, vous forcer à
vous détruire vous-mêmes les uns par les autres !
Puissiez-vous payer par votre sang, tout celui que
vous avez fait couler ! Puissent les Français, plus
dignes un jour d’un gouvernement républicain,
charger votre mémoire de tous les forfaits qui
ont souillé la révolution, qui, sans les Bourbons,
se seroit opérée sans tache et sans meurtres.
Juste ciel ! et ces Bourbons trouvent encore des
Français pour esclaves ; ces Français divisés en
deux factions, ne veulent qu’un Bourbon pour maître, et la masse imposante des bons citoyens,
timide, indécise, flotte entre ces deux partis
homicides ! On parle ouvertement de la contre-révolution,
et l’on désire déjà un chef. Ô Français !
je l’avois prévu ; je voulois vous épargner la honte
éternelle de votre lâcheté et de vos inconséquences ;
moi seule, je me serois montrée digne
de la révolution d’un peuple vertueux. Si un jour
on me considère comme une seconde Cassandre,
on reconnoîtra que ce n’est point dans une imagination
exaltée que j’ai puisé mes prédictions,
mais plutôt dans la dépravation de vos mœurs.
Oui, dans la dépravation de vos mœurs.
C’est à la suite des excès qui abrutissent le plus
l’espèce humaine, que des hommes ont pris le
nom de législateurs, ont tracé les massacres et
le pillage. Ces massacres ont servi l’aristocratie,
ont fait frémir tous les peuples, et tous les peuples
se sont levés contre la France. Voilà, Philippe,
le résultat de ce parti féroce. Que fera-t-il si
les puissances étrangères sont victorieuses ? Qu’entreprendra-t-il
de nouveau si elles sont vaincues ?
Dans quelle affreuse alternative les bons citoyens
ne se trouvent-ils pas ! Là des chaînes, ici des
poignards. Quel Dieu tutélaire, quel homme
assez grand nous sauvera ! quel génie bienfaisant
veillera sur la France, et quelle force divine
pourra détourner les coups dont elle est menacée de toutes parts ! Si à peine ayant connu le gouvernement
républicain, les Français en sont déjà
fatigués, qu’ils frémissent sur le choix qu’ils vont
faire. Un roi, un dictateur, sont le fléau des
hommes ? Pour moi, qui ai défendu pour vous
seuls la monarchie que vous paroissez désirer
actuellement, j’avois vu arriver avec enthousiasme
la constitution républicaine qui convenoit, dès
mon enfance, à mon caractère fier et indépendant,
je vois avec un profond regret cette constitution
anéantie, avant même sa naissance.
Rentrez sous le joug, foibles Français, puisque
vous n’avez pas le courage de repousser l’étranger
et de vous défaire des traîtres du dedans.
Je finirai, Philippe, par retirer l’hommage
que je t’ai fait, dans ton exil, de mes œuvres.
Ces œuvres renferment mon portrait, et tu sais
que mon portrait n’est pas un hommage ordinaire
de femme. Je n’ai eu rien de particulier
avec toi, c’étoit le talent qui accordoit un tribut
à la demande d’un prince patriote. Le nom de
monseigneur, celui de grandeur, y sont tracés
à ta honte et à la mienne. Rends-moi ces œuvres ;
je veux avant ma mort expier ces erreurs antirépublicaines,
ouvrage du préjugé et de l’habitude.