Œuvres poétiques de Chénier (Moland, 1889)/Les cyclopes littéraires
LES CYCLOPES LITTÉRAIRES[1]
Ce n’est plus un sommet serein, couvert de fleurs,
Qu’habitent aujourd’hui les poétiques sœurs ;
C’est l’antre de Lemnos, sombre et sinistre asile,
Où vingt Cyclopes noirs et d’envie et de bile,
Prompts à souffler des feux par la haine allumés,
Trempent aux eaux du Styx leurs traits envenimés ;
Et d’outrage, de fiel, de calomnie amère,
Forgent sous le marteau l’Ïambe sanguinaire.
Toi donc, ô dieu des vers, qui nourris de tes eaux
Ton interprète heureux, le sage Despréaux,
Et Voltaire, et Corneille, et l’âme de Racine,
Et Malherbe, et Lebrun à la lyre divine,
Et ce rêveur charmant chez qui, jusqu’aux poissons,
Tout parle, tout, pour l’homme, a d’utiles leçons ;
Et deux ou trois encor, honneur de ton empire,
Que la France a vus naître et que l’Europe admire,
Donne-moi de pouvoir sous leurs riches palmiers
Faire germer aussi mes timides lauriers !
Donne-moi, d’un poète, esprit, gloire, génie,
Tout, excepté pourtant l’enfantine manie
De tel, qui, possédé de son docte travers,
Inepte et bête à tout ce qui n’est pas des vers.
Ridicule jouet d’une verve inquiète,
À toute heure est poète et n’est rien que poète.
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Pour tout esprit bien fait les lettres ont des charmes.
À ce penchant si doux on voudrait obéir ;
Les lettrés ont pris soin de les faire haïr.
Elles n’ont point ici d’ennemis plus contraires
Que ces brigands pompeux, ministres littéraires.
Dont la ligue, formée en corps tumultueux,
Repousse l’homme simple, et droit, et vertueux.
Ah ! de quelque laurier que leur main nous honore,
Il faut les bien aimer pour les aimer encore,
Quand d’un œil studieux on a vu tour à tour
Quels indignes humains commandent dans leur cour.
Mais il fait beau les voir s’écriant tous ensemble,
Tels qu’en un carrefour où la meute s’assemble.
Des dogues, l’œil ardent et luttant à grands cris.
D’un festin nuptial s’arrachant les débris.
D’une triste assemblée, immolée à leurs veilles,
Se disputer entre eux les yeux et les oreilles.
L’un au loin dans Strabon voyage et s’applaudit ;
L’autre un calcul en main l’arrête et l’interdit ;
Mais l’autre au milieu d’eux, toujours, toujours poète,
Improvise, extravague, embouche la trompette,
Répond en hémistiche et cite de grands mots
Qu’au théâtre le soir mugit quelque héros.
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De la société tyrans présomptueux ;
Haïssant, dédaignant tout ce qui n’est pas eux,
Chacun, dans son esprit, se couronnant d’avance.
Épouse avidement un art, une science,
Ne voit, ne connaît qu’elle, et la tient dans ses bras,
Et répudie au loin tout ce qu’il ne sait pas.
La prose humble et tremblante, à l’orateur laissée,
N’est au rimeur altier qu’un objet de risée.
Mais tous deux ils font voir par preuves et bons mots
Que de parler suffit, et qu’il n’est que des sots
Qui jusques à Newton puissent vouloir descendre.
Ou des siècles éteints ressusciter la cendre.
Lors un pédant, armé de vers grecs et romains,
Nous dit, non en français, que nos efforts sont vains ;
Que la mémoire est tout ; qu’il ne faut plus écrire
Rien qu’autrefois Auguste ou Platon n’ait dû lire ;
Mais un chiffreur pensif, de tels discours blessé,
Lève un front triste et sec d’algèbre hérissé.
Il calcule, et conclut que, de ces mots profanes,
Il résulte que Grecs et Romains sont des ânes ;
Mesure en quel rapport Homère, près de lui,
N’est qu’un rêveur pétri de sottise et d’ennui.
Et ne sait pas (hélas ! il s’ignore lui-même)
Qu’on peut être aussi sot à résoudre un problème
Qu’à rimer un chef-d’œuvre au journal admiré,
Ou rétablir dans Pline un mot défiguré.
Tout blesse leur oreille active et soupçonneuse ;
Leur vanité colère, inquiète, épineuse,
Veille autour d’eux, et va, sans choix et sans raison,
Distillant au hasard le miel ou le poison.
Leur vie est un amas d’amitiés incertaines,
De riens sonnés bien haut, de scandaleuses haines.
Ils les prêchent au monde, ils en parlent aux rois.
Pour eux la renommée a trop peu de cent voix.
De leurs moindres pensers, qu’ils aiment, qu’ils haïssent.
Il faut que les marchés, que les toits retentissent.
Vains amis d’un moment, ennemis imprévus ;
Sages en cela seul que, d’eux-mêmes connus,
De leur propre suffrage ils ne tiennent nul compte.
D’affronts capricieux ils accablent sans houle
Ceux même qu’autrefois d’éloges ampoulés
Sans honte et sans scrupule ils avaient accablés.
Admirer le premier, et sur l’autre, en silence,
Fermer l’œil de la sage et bénigne indulgence.
En effet, plat orgueil, folle prétention.
Puériles détours de leur ambition
Que l’éloge d’un autre assassiné et déchire.
Leur mérite se plaît et se choie et s’admire.
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Du seul nom de rival leur gloire est alarmée.
Tout succès est un vol fait à leur renommée.
Envieux et jaloux même dans l’avenir,
Des beaux-arts, pour eux seuls, la route a dû s’ouvrir.
Tout ce qu’ils n’ont point fait, ce qu’un autre peut faire,
Ce que des jours humains la rapide carrière
Ne leur a point permis eux-mêmes de tenter,
Ils s’indignent qu’un autre ose l’exécuter.
Ils voudraient, après eux, seuls remplir la mémoire ;
Éteindre en expirant le germe de la gloire ;
Emporter avec eux arts, muses et lauriers,
Comme au jour de leur mort, cadavres meurtriers,
Des monarques d’Asie, en leurs tombes jalouses,
Entraînent avec eux tout leur peuple d’épouses,
De peur qu’un autre hymen, prompt à les engager,
Les fit mères encore en un fit étranger.
Ainsi, tel qui, souvent aveugle à se connaître,
D’injustice envers lui nous accuse peut-être,
Vit et meurt justement à lui-même réduit,
Seul, loin du monde entier qui le loue et le fuit.
C’est se faire à soi-même un bien cruel martyre !
Leur cœur, leur intérêt ne pourraient-ils leur dire
Qu’il est bon de savoir, par d’illustres écrits,
Disputer dans les arts et remporter des prix,
Mais qu’il faudrait encor s’appliquer à bien vivre ;
Être grand dans son âme et non pas dans un livre ;
D’une égale amitié savoir chérir les nœuds ;
Laisser à ses amis, en mourant auprès d’eux.
Par de douces vertus, meilleures que la gloire.
Les larmes, les regrets d’une longue mémoire ?
Il faut mettre deux vers pour commencer et attacher ce morceau à celui des cyclopes littéraires.
Ce commencement est :
Ô retraite, ô mon cabinet, ô… toi qui consoles, toi qui… salut…
Ah ! j’atteste les cieux que j’ai voulu le croire
J’ai voulu démentir et mes yeux et l’histoire.
Mais non ! Il n’est pas vrai que des cœurs excellents
Soient les seuls, en effet, où germent les talents.
Un mortel peut toucher une lyre sublime,
Et n’avoir qu’un cœur faible, étroit, pusillanime ;
Inhabile aux vertus qu’il snit si bien chaiilci-.
Ne les imiter point et les faire imiter.
Se louant dans autrui, tout poète le nomme
Le premier des mortels, un héros, un grand homme.
On prodigue aux talents ce qu’on doit aux vertus.
Mais ces titres pompeux ne m’abuseront plus.
Son génie est fécond, il pénètre, il enflamme.
D’accord. Sa voix émeut, ses chants élèvent l’âme,
Soit. C’est beaucoup, sans doute, et ce n’est point assez.
Sait-il voir ses talents par d’autres effacés ?
Est-il fort à se vaincre, à pardonner l’offense ?
Aux sages méconnus, qu’opprime l’ignorance,
Prête-t-il de sa voix le courageux appui ?
Vrai, constant, toujours juste, et même contre lui,
Homme droit, ami sûr, doux, modeste, sincère.
Ne verra-t-on Jamais l’espoir d’un beau salaire.
Les caresses des grands, l’or, ni l’adversité
Abaisser de son cœur l’indomptable fierté ?
Il est grand homme alors. Mais nous, peuple inutile.
Grands hommes pour savoir avec un art facile,
Des syllabes, des mots, arbitres souverains.
En un sonore amas de vers alexandrins.
Des rimes aux deux voix, famille ingénieuse,
Promener deux à deux la file harmonieuse !…[2]
Pour être traité de grand homme à son tour, il donne hardiment ce beau titre à celui qui n’est rien que poète comme lui. Que Phœbus en ait fait un grand poète, j’y consens ; mais est-il…
D’où vient que les poètes… et que, les montrant aux passants, d’enfants malins un nombreux cortège
Partout d’un doigt railleur le poursuit et l’assiège…
C’est dommage, peut-on rien voir de plus complaisant ? Un Midas, une fille l’a toujours à ses ordres pour amuser son souper…
D’imbéciles valets, peuple singe du maître,
L’amènent en riant dès qu’il vient à paraître.
Des plus larges festins dévastateur ardent,
Il s’assied, et le vin au délire impudent
Lui dicte un long amas d’équivoques obscènes ;
Puis, d’un proverbe impur ajustant quelques scènes,
Il court, saute, s’agite, en son accès bouffon,
Mieux que n’eût fait un singe élève du bâton ;
Mais désormais à peine il suffit à sa gloire.
On se l’arrache. Il court de victoire en victoire.
Chacun de ses refrains fait des recueils fort beaux ;
Il attache une tête aux bouts rimes nouveaux,
Aux droits litigieux de plusieurs synonymes
Il sait même assigner leurs bornes légitimes.
Bientôt chez tous les sots on sait de toute part
Jusqu’où vont ses talents ; que lui seul avec art
ISoue une obscure énigme au regard louche et fade ;
Hache et disloque un mot en absurde charade ;
Construit, tordant les mots vers un sens gauche et lourd,
Le Janus à deux fronts, l’hébété calembour[3].
Il prédit un chef-d’œuvre. En huit jours il entasse
De songes monstrueux une effroyable masse ;
De grands mots l’un à l’autre unis avec horreur ;
Et d’un vers forcené la sauvage fureur.
Partout, comme au théâtre Oreste parricide,
Il tourne sous le fouet de l’ardente Euménide ;
Comme Penthée, il voit le sinistre appareil,
Et d’une double Thèbe et d’un double soleil[4].
Il ne tient pas à lui, dans ses barbares veilles.
Que, de peur de l’ouïr se bouchant les oreilles,
Phœbus n’aille bien loin, nous quittant pour jamais,
Oublier de parler la langue des Français.
Et déjà sur sa foi se fatiguant d’avance,
La renommée annonce un prodige à la France,
Et nous fait, par ses cris, à l’attendre venir,
Perdre haleine et sécher d’un curieux désir.
Au silence bientôt il saura la réduire.
Son livre avec orgueil au jour vient se produire :
Tout se tait. Son grand nom soudain est effacé.
Dans son style âpre et lourd, de ronces hérissé.
Il roule tout fangeux, il s’agite, il se traîne.
Je le quitte vingt fois ; je le reprends à peine.
Et j’admire et je ris, si d’un tour plus heureux
Parmi tout ce chaos surnage un vers ou deux ;
Et nous en rions tous. Et lui-même, peut-être,
Rit d’un siècle ignorant qui peut le méconnaître.
Ah ! le sage craintif, que l’avertir attend,
Est de ses grands succès moins sûr et moins content.
Sa retraite longtemps le voit dans le silence,
À bien faire, épuiser sa docte vigilance.
Tout roseau, tout caillou, tout chaume est écarté
Qui troublerait un peu le cristal argenté
De son style riant de grâce et de nature,
Doux, liquide, et semblable à l’onde la plus pure.
Il amollit ce mot qui devenait trop dur ;
Il éclaircit la nuit de ce passage obscur.
Ce vers faible chancelle, il accourt, il l’étaie ;
Il voit tout son poème. Il le tâte, il l’essaie.
S’il est sévère et doux ; s’il n’y faut rien changer ;
S’il coule sur un fil délicat et léger.
À force d’effacer et d’effacer encore,
D’avoir en travaillant joint le soir à l’aurore.
Quand son ouvrage mûr sans broncher, sans périr.
Sur un pied ferme et droit peut enfin se tenir,
Il tente le hasard, et sa modeste plume
Laisse échapper au jour un timide volume.
Alors un juge expert, dans un prudent écrit
Que le jour, la semaine ou le mois a produit.
S’assied, prend sa balance inflexible et subtile :
Nous pensons, nous croyons. — Juge vain et débile,
Si votre cœur s’embrase au vrai souffle des arts.
Eh bien ! que tardez-vous d’offrir à nos regards.
Dans quelque noble essai, leur empreinte suprême ?
Nul n’est juge des arts que l’artiste lui-même.
L’étranger n’entre point dans leurs secrets jaloux.
Sur un art qui vous fuit et se cache de vous,
De quel droit pensez-vous, croyez-vous quelque chose ?
Le sourd va-t-il à Naple, aux chants du Cimarose,
Marquer d’un doigt savant la mesure et le ton ?
L’aveugle, se fiant aux pas de son bâton.
Dans les temples de Rome, au palais de Florence,
Vient-il trouver cent fois, contempler en silence
La toile où Raphaël, ivre d’âme et de feu.
A fait sur le Thabor étinceler un Dieu ?
Celle où du Titien la main suave et fine
A fait couler le sang sous une peau divine ?
Certes, pour un auteur, c’est un fardeau bien lourd.
Que d’avoir à souffrir un juge aveugle et sourd,
Son ignare gaîté, ses ineptes censures.
Ses éloges honteux, pires que ses injures.
Que dis-je ? il voit partout lui fondre sur les bras
Mille ennemis nouveaux qu’il ne connaissait pas :
Des tartufes haineux que sa liberté blesse ;
Des grands seigneurs altiers, leurs valets, leur maîtresse ;
Tel corps obscur et vain qu’il n’aura point vanté
Maint sourcilleux auteur qu’il n’aura point cité ;
Et l’exil, les douleurs, les mépris, l’indigence ;
Et d’un plat Cicéron l’outrageuse éloquence,
Calomniateur grave, oracle du palais,
D’embonpoint et d’hermine et d’ignorance épais.
Voilà ce que l’on trouve où l’on cherche la gloire.
Tels sont les doux sentiers du temple de mémoire.
Mais encore est-ce tout ? N’a-t-il pas quelque appui
Qui soutienne ses pas et marche devant lui ?
Des appuis !… En est-il qui s’offrent au mérite ?
Il se tait, il se cache, il est seul dans sa fuite.
Ou bien pour compagnons il a quelques amis
Comme lui studieux, doux, modestes, soumis.
La médiocrité souple, adroite et subtile,
Va sous des bras puissants se chercher un asile,
Les encense, leur plaît, les dispose à loisir.
Eux qui pensent bien faire, ivres d’un sot plaisir,
Pour tuer le bon grain que leur présence effraie.
Prêtent partout un aide à la stérile ivraie.
Oui, cela était vrai quand les gens puissants étaient des ignorants ; mais aujourd’hui que tous les grands seigneurs s’instruisent et font des cours de chaque science…
Ils aiment tous les arts.
D’autre part à la cour,
Ils aiment tous les arts ; ils en font leur étude.
Trois heures chaque jour laissés en solitude.
Ils pensent. D’un système ils dictent des leçons ;
Ils font de grands discours, de petites chansons ;
Ils attendent l’instant qu’une illustre couronne
Doit les asseoir au Louvre au quarantième trône.
Et quand ils dormiront d’un sommeil éternel,
Leur successeur viendra, dans un jour solennel.
Pleurer un si grand homme aux arts si favorable ;
Perte, hélas ! qui sans lui serait irréparable.
Que s’ils n’égalent point ces hommes excellents
Qui font métier de l’art, professeur des talents…
— Qui font métier de l’art ! Oui, le génie en France
Est un poste, une charge, un bureau de finance.
Certes, je le veux croire ; et je vois que le roi
Ne les a point nommés à ce sublime emploi.
Ils ne professent point les arts ni le génie.
De rimer, de penser, leur inepte manie.
Soit ignorance entière ou soit zèle pour eux,
Les fait du premier sot admirateurs pompeux.
Que de vrais fils du ciel, s’offrant à la lumière,
Viennent, sans y songer, les rendre à leur poussière,
Soudain le trouble est mis dans leurs petits travaux,
Leur insolent orgueil les regarde en rivaux.
Bientôt sots protecteurs vont semer les alarmes ;
Courent, volent partout ; partout lèvent les armes ;
Pour leurs chers idiots criant, prêchant, plaidant ;
Outrés contre un esprit sublime, indépendant,
Qui sous leurs plats regards a refusé de naître :
Qu’eux-mêmes prôneraient s’il daignait les connaître,
Mais qui, d’un juste orgueil armant son noble front,
De leur appui burlesque a rejeté l’affront.
Ah ! je plains bien les arts quand un sot qui les aime
Ose les protéger, les cultiver lui-même ;
Et que pour ennemis ils ont de sots auteurs,
Et de sots protecteurs et de sols amateurs !
Que les arts cessent donc de mendier l’appui du grand seigneur, que celui-ci les laisse tranquilles.
Le bien qu’il peut leur faire est de ne pas leur nuire.
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Sans doute j’aimerais, puisque tels sont leurs vœux,
Que, de leurs beaux talents noblement amoureux,
D’une main clairvoyante, aux poètes sublimes,
Les grands sussent offrir des faveurs magnanimes.
J’aimerais mieux qu’en eux bornant tous leurs désirs,
Trouvant en eux leur prix, leur gloire, leurs plaisirs,
Les talents plus altiers n’eussent d’autre pensée,
Que de suivre à grands pas leur route commencée,
Sans jamais s’informer, mendiant leurs regards,
S’il est des grands au monde ou s’ils aiment les arts.
Car, au moins, plût au ciel que des sots sans génie,
Seuls, eussent fait des arts l’injuste ignominie !
Mais si de grands esprits, par des travers grossiers,
Presque au niveau des sots s’abaissent les premiers ;
Si l’on voit des mortels longtemps simples, modestes,
Étaler en un jour des changements funestes ;
Chez un roi, chez un prince en un jour installés.
Soudain ouvrir leurs cœurs si longtemps recelés.
Leur front, de ses bontés que leur génie encense,
Emprunter une abjecte et risible insolence ;
Méconnaître, du sein de ces brillants tréteaux
Où l’étaient aux yeux ses Mécènes nouveaux.
Des amis dont jadis la tendresse empressée
A consolé longtemps sa muse délaissée,
On peut juger très-mal et de prose et de vers ;
Mais l’honnête homme est juste, il voit tous ces travers :
De tes décisions l’arrogant laconisme.
Tes éclats ricaneurs, appuis d’un froid sophisme ;
D’un silence affecté l’importante hauteur,
À quelque ouvrage lu par un confrère auteur ;
Une froideur haineuse en tes regards écrite ;
D’un éloge fardé la contrainte hypocrite.
Et si, du moins, encor des juges délicats.
En méprisant ton cœur dont tu fais peu de cas,
Admiraient, comme toi, tes talents, ton ouvrage.
Tu souscrirais sans peine à cet heureux partage.
Mais peu savent assez distinguer leurs mépris.
Et n’y point avec toi confondre tes écrits ;
Et ne point mesurer par toi, par ta faiblesse.
De tes productions la force et la noblesse.
Peu savent en deux parts diviser l’écrivain :
Grand et sublime auteur, homme petit et vain.
Reperies qui, ob similitudinem morum, aliena malefacta sibi objectari putent. — Tacit., Annal., lib. IV, cap. 33. — Si irascare, adgnita videntur, ibid., 35.
Il n’est que d’être roi pour être heureux au monde.
Bénis soient tes décrets, ô sagesse profonde !
Qui me voulus heureux, et, prodigue envers moi,
M’as fait dans mon asile et mon maître et mon roi.
Mon Louvre est sous le toit, sur ma tête il s’abaisse.
De ses premiers regards l’orient le caresse.
Lit, sièges, table y sont portant de toutes parts
Livres, dessins, crayons, confusément épars.
Là, je dors, chante, lis, pleure, étudie et pense.
Là, dans un calme pur, je médite en silence
Ce qu’un jour je veux être ; et, seul à m’applaudir,
Je sème la moisson que je veux recueillir.
Là, je reviens toujours, et toujours les mains pleines,
Amasser le butin de mes courses lointaines ;
Soit qu’en un livre antique à loisir engagé,
Dans ses doctes feuillets j’aie au loin voyagé ;
Soit plutôt que, passant et vallons et rivières,
J’aie au loin parcouru les terres étrangères.
D’un vaste champ de fleurs je tire un peu de miel.
Tout m’enrichit et tout m’appelle ; et, chaque ciel
M’offrant quelque dépouille utile et précieuse.
Je remplis lentement ma ruche industrieuse[5].
Une pauvreté mâle est mon unique bien.
Je ne suis rien, n’ai rien, n’attends rien, ne veux rien.
Quel prince est libéral, et quel est méchant homme,
Est un soin qui jamais ne troublera mon somme.
Pour moi, sans vouloir proposer mon exemple pour modèle, je ne suis jamais plus content que lorsqu’un ami me rapporte qu’une société de ces grands qui protègent a entendu mon nom avec étonnement, s’en est informé ; que jamais ils n’ont entendu mon nom ;
Que jamais à leur table on ne m’ouït rien lire ;
Que les journaux fameux n’ont point connu ma lyre.
Ils demandent, ils interrogent, ils s’étonnent qu’il ait osé avoir de l’esprit loin d’eux ;
Que les muses jamais, pour plaire à l’univers,
N’ont dans leur almanach enregistré mes vers.
Non que je veuille rire aux dépens de la naissance unie aux talents, mais ceux qui ont de vrais talents ne protègent point…
Haïssant également de la part de ceux qui m’écouteraient lire :
Les éloges pompeux d’hyperbole échauffés ;
Les bâillements muets en silence étouffés ;
L’orgueil distrait et morne et l’oblique satire
À la louange amère, au perfide sourire ;
L’ignorance capable au ton grave et prudent ;
L’envie à l’œil pervers, qui, d’une noire dent,
Se mord, en écoutant, sa lèvre empoisonnée ;
L’engoüment aux gros yeux, à la bouche étonnée :
Puis, bel esprit nouveau, cent beaux esprits soudain
Vous tâteront le flanc, l’épigramme à la main.
Je ne suis point armé ; je présente l’olive :
La paix, messieurs, la paix ; je crains et je m’esquive
Dès que sur un visage éclatent à mes yeux.
D’un nez railleur et fin les plis malicieux.
Rien n’égale la morgue d’un homme revêtu de quelque magistrature littéraire,
Quoique souvent, hélas ! à ses tristes enfants,
Il ait, comme Priam, survécu trop longtemps.
Que ses yeux tout en pleurs aient, devers l’ombre noire,
Vu passer dès longtemps le convoi de sa gloire ;
Que, son obscurité le cachant aux affronts.
Lui seul de ses écrits ait retenu les noms.
De ce sublime orgueil la burlesque démence
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Loke, Hume, Shaft’sbury, ni Pope, ni Rousseau,
Platon que pas à pas Cicéron accompagne,
Le vertueux Charron, ni le sage Montagne,
N’ont point connu d’Alcide assez grand, assez fort,
Etc...................
.... dans le sein d’un assembleur de rimes
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Car les auteurs fameux, d’envie inquiétés,
Ne se livrent point tous à ce plaisant délire
D’orgueil colère et franc dont l’excès nous fait rire.
Il en est, et plus d’un, qui craignant les mépris,
Met à nuire tout l’art qu’il met dans ses écrits ;
S’observe, écoute, voit, jamais ne se déchaîne ;
Ménage son honneur et satisfait sa haine ;
Qui, de tout sot vénal industrieux ami,
Et de tout noble esprit soupçonneux ennemi.
Jaloux de régner seul, tremblant pour sa couronne,
Vrai sultan, ne veut point de frère auprès du trône[6] ;
Sous vos pas, en riant, sème un piège inconnu ;
Tue et ne s’arme point, frappe sans être vu ;
Et, dans ses vils succès d’hypocrite vengeance,
Vous plaint tout haut du mal qu’il vous fait en silence.
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Mais d’envie et de fiel si ses vers sont livides,
Mais s’il vend sans pudeur aux tyrans homicides.
Lui, sa dignité d’homme, et le sort des humains.
Son livre pour jamais est tombé de mes mains.
D’un style ingénieux que sa fertile adresse
Répande autour de lui la grâce enchanteresse.
Ce fleuve pur et clair décèle et trahit mieux
Un fond noir de poisons qui repousse les yeux[7].
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.......... la raison à nos yeux
Montrant la vérité, mais comme dans un songe,
Nous réveille asservis sous les nœuds du mensonge.
Qu’elle nous laisse au moins, sans fiel et sans aigreur,
Nous chatouiller en paix d’une flatteuse erreur,
Puisqu’en nous prescrivant ce que nous devons faire,
Elle ne donne point, impuissante et sévère,
La force d’obéir à ses pénibles lois.
La folie a du bon. Dans Athène, autrefois,
Certain fou, chaque jour, descendait au Pirée ;
Nul vaisseau, dans le port, ne faisait son entrée,
Qu’il ne s’en crût le maître ; et, rendant grâce aux cieux,
Il allait, il courait. «. Ah ! c’est toi ? Par les Dieux,
Je n’espérais plus voir ta poupe couronnée.
Quoi ! les blés en Égypte ont manqué cette année ?
Vins de Crète ? fort bien. C’est de l’argent comptant.
Bon ! mes draps de Milet sont beaux. J’en suis content.
Oh ! si l’on me reprend sur ces mers de Sicile !…
Çà, je ne garde plus ce pilote inhabile. »
Ses amis, effrayés d’un mal aussi nouveau,
Épuisent Anticyre à purger son cerveau.
Plein enfin d’ellébore, et redevenu sage,
11 pleure : « Ô mes amis ! vantez bien votre ouvrage,
Dit-il, vous me tuez. Votre art empoisonneur
Guérissant ma folie, a détruit mon bonheur. »
....................
Est-ce la main d’Achille ou celle de Thersite
Qui, du sage Centaure exerçant les leçons,
D’Orphée aux Grecs oisifs fait entendre les sons ?
Phœbus près d’Alexandre a respiré la guerre ;
César peut négliger le sceptre de la terre,
Au trône des talents sans crime il sera roi.
Aux Gaulois belliqueux les muses font la loi.
Par l’espoir de leurs chants Athène est transportée.
Sparte suit aux combats la lyre de Tyrtée.
Eschyle, dans le sein de son docte repos,
Entend frémir Bellone et le cri des héros,
Il part ; et quand Neptune a chassé.....
Ces flots de bataillons que vomissait l’Euphrate.
....................
Toujours de gloire avide et d’honneur amoureux.
Il vole, il offre aux Grecs, que rassemblent leurs jeux.
Sa jeune Melpomène éclatante de charmes.
Elle pleure ; on admire, et la Grèce est en larmes ;
Et sur ce front blanchi sous les casques guerriers,
De la docte victoire attache les lauriers.
Les tyrans sont vainqueurs ; leur audace hautaine
Va, sous des jougs de fer, accabler Mitylène :
Que fais-tu, fier Alcée ? Elle attend ton secours.
Il a vu sa détresse ; il quitte ses amours.
Ses muses et ses bois et ses fraîches naïades ;
Son bras secoue au loin le thyrse des Ménades ;
Le bouclier, l’épée, et la lance et le dard,
Éclatent dans ses mains et servent d’étendard.
Déjà tout est vaincu ; déjà la tyrannie
Sous un glaive pieux meurt honteuse et punie.
Tout trempé de sueurs et tout poudreux encor,
Couvert de son armure, il prend sa lyre d’or :
Il dit ces fiers Titans, leurs fureurs orgueilleuses.
Leurs meurtres, le carnage et les morts glorieuses ;
Aux citoyens tombés les justes cieux ouverts,
Et l’ardent Phlégéton dévorant les pervers ;
Et l’avenir fameux promis à la vaillance.
On se presse, on accourt. Tout Lesbos, en silence.
Admire son génie égal à sa vertu,
Et l’écoute chanter comme il a combattu.
- Un jeune poète soi-disant.
....................
D’abord d’un pied timide il tente le chemin.
Un petit cercle ami déjà lui tend la main.
Il badine, et l’on rit ; il disserte, il censure ;
Son nom sous un quatrain brille dans le Mercure ;
Dès lors il est poète, et comme tel cité.
Et bientôt, comme tel, en tous lieux présenté.
Il se vante, on le berne ; il se plaît à son rôle ;
Il se dit un grand homme, on en croit sa parole ;
On protège sa pièce, on y bâille, on y dort ;
On court à sa rencontre au moment qu’il en sort ;
On l’embrasse. À souper retenu dès la veille,
Ses couplets impromptus au dessert font merveille.
Tous, même avant qu’il parle, admirent chaque mot ;
Et tous, en l’admirant, savent qu’il n’est qu’un sot.
D’un épais Turcaret la vanité stupide
Au Phœbus affamé vend un appui sordide,
Digne et sot protecteur d’un plus sot protégé.
De là, plus d’un faquin en Mécène érigé.
Et tant de vil rimeurs, tant de fades grimaces ;
Tant d’ineptes écrits, lettres, vers ou préfaces,
Dégoûtant par leur style et par leurs lâchetés,
Jusques aux plats Midas qui les ont achetés.
Ah ! ce manège obscur aux palmes poétiques
Ne guida point les pas de nos maîtres antiques.
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Dans les bras d’Apollon leur naissance accueillie
Avait été trempée aux eaux de Castalie.
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Les abeilles d’Attique, épiant leur sommeil,
Avaient, en flots de miel sur leur bouche docile.
Fait couler une voix et suave et facile.
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Et d’un vol généreux se fiaient à leurs ailes.
Ils ne furent point vus, clients ambitieux.
Assiéger dès l’aurore un seuil impérieux,
Et des tristes fadeurs d’un hommage servile
Fatiguer les dédains d’un satrape imbécile.
Ils n’allèrent jamais chez un riche hébété
Avilir des talents l’auguste dignité,
Rendre une humble visite à sa table opulente,
Flatter de ses Laïs la bêtise insolente,
Caresser ses discours d’un œil approbateur,
Et vendre à ses bons mots un sourire menteur.
Même à la cour des rois, peu soucieux du tronc.
Le vieillard de Téos de roses se couronne ;
Toujours amant, toujours des grâces entouré.
Et de vin, et de joie, et d’amour enivré,
Porte après le banquet, voluptueux Socrate,
Un front riant et libre aux jeux de Polycrate.
À Rome, il est trop vrai, de sublimes talents
Au second des Césars prodiguèrent l’encens ;
Mais Auguste à leurs yeux fit oublier Octave.
Tous furent ses amis, nul ne fut son esclave.
Horace près de lui d’un emploi fructueux
Sut refuser la pompe et le joug fastueux ;
Virgile sans regret, loin des palais du Tibre,
Se choisit, près de Naple, une retraite libre.
Beaux lieux ! que de ses feux encor dissimulés
Le Vésuve en fureur n’avait point désolés !
Mais attachés aux grands par un lien crédule.
Combien tous deux, pourtant, sont loin de mon Tibulle !
Il ignore les cours ; l’amour et l’amitié
De son cœur, de ses vers, occupent la moitié.
Messala, Némésis et Néère, et Délie,
Sont les rois, sont les dieux qui gouvernent sa vie.
Riche, il jouit sans faste, et non pour éblouir ;
De la pauvreté même il sait encor jouir.
Sans regretter cet or, ni ces vastes richesses,
Ni de ces longs arpents les fécondes largesses,
Auprès de son foyer la molle oisiveté
Endort dans les plaisirs sa douce pauvreté.
Vrai sage, non, jamais tu n’as pu te résoudre
D’aller au Capitole et d’adorer la foudre.
Les césars, ni les dieux n’ont de foudre pour toi.
Sur un lit amoureux, doux témoin de ta foi.
Tu te ris de l’orage et des vents en furie,
Et presses sur ton sein le sein de ton amie.
Seule, de ta carrière elle embellit le cours ;
Son souvenir, loin d’elle, a soutenu les jours ;
Elle-même fila de sa main fortunée
Cette trame si belle et sitôt terminée ;
Elle sut, quand la mort te frappait de ses traits,
Sous d’amoureuses fleurs déguiser tes cyprès ;
Ses baisers suspendaient ton âme chancelante.
Et tu tenais sa main de fa main défaillante.
Hélas ! qu’ainsi ne puis-je obtenir du destin
À cette douce vie une si douce fin !
Toi, que le Pinde admire, et que Sulmo[8] vit naître,
Des leçons de Paphos et l’exemple et le maître.
Quand aux glaces du Pont il éteint ton flambeau,
Oses-tu sur l’autel élever ton bourreau ?
Tes muses à genoux vont t’avouer coupable ;
Elles vont, caressant sa main inexorable,
Trahir ton innocence, et ta gloire, et l’honneur.
Ces Scythes qui t’aimaient, qui plaignaient ton malheur,
À recevoir son joug c’est toi qui les prépares.
Ta lyre apprend les sons de leurs lyres barbares ;
Et, d’un vers étranger au Parnasse romain.
Consacre ta bassesse aux rives de l’Euxin !
Vois Gallus, de la cour comme toi la victime,
Préférer à l’opprobre une mort magnanime.
Vois Catulle, de fiel abreuvant ses pinceaux,
Défier de César la haine et les faisceaux.
Plus qu’eux tous outragé, ton courroux dissimule.
Tu peux contre un tyran armer le ridicule ;
Ou du fier Archiloque exhaler les fureurs,
Et teindre de son sang tes ïambes vengeurs ;
Non, sans pouvoir l’atteindre, il te glace de crainte.
Tu le hais ; et ta haine est bornée à la plainte.
Tu pleures, sans savoir, trop digne de ton sort,
Souffrir, ou te venger, ou te donner la mort !…
Oui, te venger. Je sais que nul ne peut, sans crime,
Braver les justes lois d’un pouvoir légitime ;
Non ; mais il ne faut pas qu’un injuste oppresseur.
Qu’éleva sous le dais le meurtre et la noirceur,
Puisse à son gré lancer ou l’exil ou les chaînes ;
Du nom sacré des mœurs autoriser ses haines ;
Flétrir la probité, les grâces, les talents ;
D’un faible infortuné proscrire les vieux ans ;
Savourer ses douleurs, ses craintes, son silence,
Et se rire à loisir de sa lâche innocence.
Qui que tu sois, mortel pour l’Olympe formé,
El d’un rayon plus pur en naissant animé.
Souviens-toi qu’un cœur libre est l’ami de la gloire,
La tache d’un opprobre obscurcit sa mémoire[9].
Aux pieds de la fortune et de ses fiers époux
Avilir ses exploits, c’est les effacer tous.
Respecte la vertu, les lois, le diadème ;
Mais sache aussi toujours te respecter toi-même.
Du vulgaire surtout dédaigne la faveur.
Il traite de folie une mule vigueur.
Hibou nocturne, il fuit l’aigle et son vol céleste ;
Tant d’éclat l’importune ; il envie, il déteste,
Et feint de mépriser de sublimes esprits,
Dont il voit que lui-même excite les mépris.
Il adore des dieux dont leur fierté se joue ;
Ils ont fui des écueils où toujours il échoue ;
Il hait de son naufrage un grand homme sauvé,
Trop au-dessus de lui par la gloire élevé.
« Pourquoi, disait le chêne, à mon large feuillage
Imprimer de ta dent le lent et faible outrage,
Insecte ridicule ? Eh ! dis-moi, songes-tu
Que d’un souffle tu meurs, à mes pieds abattu ?
— Oui, dit en écumant la chenille rampante,
Oui ; mais à t’insulter ma haine se contente ;
Ta gloire me déplaît. Ton front impérieux
Méprise ma bassesse, et mon œil envieux ;
Et je voudrais pouvoir, à force de morsures,
Venger de ce mépris les sanglantes injures. »
Ce n’est pas que souvent à l’éloge réduit.
Le peuple ne leur porte un hommage séduit.
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Le fourbe, l’imposteur, l’ambitieux, l’avare
Quelquefois devient juste, et se plaît à vanter
Cette même vertu qu’il prit soin d’éviter.
Il conte à sa famille, au banquet réunie,
Des sages, des héros, et la mort et la vie ;
Aristide, et son nom, et sa noble candeur ;
Socrate, et la ciguë, et le vil délateur.
Au nom de ces Romains, fiers de leur indigence.
Libres de l’or des rois, riches de tempérance,
Il s’écrie, il se plaint qu’à nos jours ténébreux
N’ont point lui de ces temps les astres généreux.
Cependant il intrigue, et sa main clandestine
Flatte un ami tranquille et creuse sa ruine ;
Ou ses hardis vaisseaux, déjà loin de nos ports
Vont de l’Inde à vil prix acheter les trésors ;
Ou pour lui l’Amérique, à nos mœurs façonnée.
Ravit les noirs enfants de la triste Guinée ;
Ou bien un bruit répand que Séjan, près du roi,
À laissé, par sa mort, un précieux emploi.
Tous briguent cet honneur. Mais de l’art, du génie.
L’or, des amis vendus, un peu de calomnie,
Pourront, du temple obscur d’où partent les succès,
Parmi tout ce concours faciliter l’accès.
Rien ne lui coûtera. Nul soin, nul stratagème.
Il part. En un moment redevenu lui-même,
Il oublie à jamais d’importunes chansons.
Fier même d’insulter ces rustiques leçons.
Abandonnant les sots à leurs vertus stériles,
Il se fait un honneur de ses crimes utiles.
Tel l’arbuste pervers, à sa fange attaché,
Croît et glisse en rampant sous la terre caché.
Qu’un enfant le délie, et, d’une main habile,
Redresse avec effort sa tige difficile :
Tant qu’il est retenu, vaincu par son appui,
Il cède, et vers le ciel s’élève malgré lui.
Mais, essayant toujours ses racines esclaves.
Pour peu qu’il ait senti relâcher ses entraves.
Il redouble sa lutte, et, prompt à s’échapper,
Se rend au vil penchant qui le force à ramper.
- ↑ Ce poème a paru en grande partie dans l’édition de G. de Chénier.
- ↑ Ce morceau, depuis Ah ! j’atteste les cieux, a paru dans l’édition de 1833.
- ↑ Ces vers, depuis Mais désormais à peine, ont paru dans l’édition de 1833.
- ↑ Euripide, les Bacchantes, v. 918, 919.
- ↑ Ce morceau, depuis Il n’est que d’être roi, a paru dans l’édition de 1819.
- ↑ L’auteur a mis lui-même en regard de ce vers la note que voici ; Voy. Pope au prol. des Satires, v. 193. (G. de Chénier.)
- ↑ À la suite de ce morceau le poêle a écrit cette note : Les derniers vers sont d’Addisson dans un poème sur les poètes anglais (G. de Chénier.)
- ↑ Salmone, patrie d’Ovide.
- ↑ En marge de ces deux vers, le poète a écrit celui-ci :
Les arts indépendants veulent une âme libre.
(G. de Chénier.)