Œuvres poétiques de Chénier (Moland, 1889)/Mon frère, que jamais la tristesse

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Œuvres poétiques, Texte établi par Louis MolandGarnierVolume 2 (p. 281-282).

XIV[1]


ÉCRIT À SAINT-LAZARE

 
Mon frère, que jamais la tristesse importune
Ne trouble ses prospérités !
Qu’il remplisse à la fois la scène et la tribune :
Que les grandeurs et la fortune
Le comblent de leurs biens qu’il a tant souhaités !

Que les muses, les arts toujours d’un nouveau lustre,
Embellissent tous ses travaux ;
Et que cédant à peine à ton vingtième lustre,
De son tombeau la pierre illustre
S’élève radieuse entre tous les tombeaux !

Mais.................
Infortune, honnêtes douleurs,
Souffrance, des vertus superbes et chaste fille,
Salut. Mes frères, ma famille,
Sont tous les opprimés, ceux qui versent des pleurs ;

Ceux que livre à la hache un féroce caprice ;
Ceux qui brûlent un noble encens
Aux pieds de la vertu que l’on traîne au supplice,

Et bravent le sceptre du vice,
Ses caresses, ses dons, ses regards menaçants ;

Ceux qui devant le crime, idole ensanglantée,
N’ont jamais fléchi les genoux,
Et soudain, à sa vue impie et détestée,
Sentent leur poitrine agitée,
Et s’enflammer leur front d’un généreux courroux.

  1. Les deux premières strophes sont dans l’édition de 1819, mais à la deuxième personne, non à la troisième : tes prospérités,… te comblent…, etc. Les strophes suivantes ont été données pour la première fois par M. G. de Chénier. Elles changent bien le caractère du morceau.