Œuvres poétiques de Chénier (Moland, 1889)/On vit ; on vit infâme

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Œuvres poétiques, Texte établi par Louis MolandGarnierVolume 2 (p. 299-300).


IX[1]


 
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On vit ; on vit infâme. Eh bien ? il fallut l’être ;
L’infâme, après tout, mange et dort.
Ici, même, en ces parcs où la mort nous fait paître,
Où la hache nous tire au sort
Beaux poulets sont écrits ; maris, amants, sont dupes ;
Caquetage, intrigue de sots.
On y chante ; on y joue ; on y lève des jupes ;
On y fait chansons et bons mots ;
L’un pousse et fait bondir sur les toits, sur les vitres,
Un ballon tout gonflé de vent,
Comme sont les discours des sept cents[2] plats bélîtres,
Dont Barère est le plus savant[3].
L’autre court ; l’autre saute ; et braillent, boivent, rient
Politiqueurs et raisonneurs ;
Et sur les gonds de fer soudain les portes crient :
Des juges-tigres, nos seigneurs,

Le pourvoyeur paraît. Quelle sera la proie
Que la hache appelle aujourd’hui ?
Chacun frissonne, écoute ; et chacun avec joie
Voit que ce n’est pas encor lui.
Ce sera toi demain, insensible imbécile.

  1. Édition de G. de Chénier.
  2. L’auteur a écrit heftsad plats bélitres.
  3. L’auteur a désigné le nom de Barère par un caractère oriental. M. Becq de Fouquières a déchiffré avec beaucoup de sagacité les deux énigmes. Voy. Documents nouveaux, etc., p. 360 et suiv. La Convention était, en nombre rond, composée de sept cents membres.