Œuvres poétiques de Chénier (Moland, 1889)/Sur les flatteurs du peuple

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Œuvres poétiques, Texte établi par Louis MolandGarnierVolume 2 (p. 331-332).


VIII[1]

SUR LES FLATTEURS DU PEUPLE.


J’ai aussi, pour descendre à de moindres objets, visité tous nos spectacles ; et dans la plupart des nouveaux chefs-d’œuvre qui nous inondent, drames, chansons, pot-pourris, facéties, atrocités souterraines et monacales, j’ai reconnu, sinon le style et les talents, au moins l’esprit de flagornerie qui remplissait les comédies, opéras, ballets, dont Louis XIV, dit le Grand, s’enivrait sur ses théâtres de Versailles et de Marly. Les Naïades, les Neptunes, les Apollons de ces beaux ouvrages qui avaient soin de diriger tout cet encens poétique vers le monarque qui les payait, ne feraient aujourd’hui que changer de costume et donner à leurs adulations un ton plus sentencieux et plus philosophique. Le parterre, qui est à la fois le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif de ces sortes d’assemblées, saisit toutes les applications qui le flattent d’une manière vraiment royale ; il les applaudit avec une indulgence admirable ; il les fait même ordinairement répéter, et cette naïveté m’a rappelé souvent celle du même Louis XIV, qui fredonnait bonnement les prologues de Quinault pendant qu’on lui mettait ses souliers et sa perruque.

  1. Publié dans l’édition de 1840.