Œuvres posthumes (Verlaine)/Souvenirs/A propos du dernier livre posthume de Victor Hugo

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Œuvres posthumesMesseinPremier volume (p. 294-301).

À PROPOS DU DERNIER LIVRE POSTHUME DE VICTOR HUGO


MM. Vacquerie et Meurice ont-ils eu raison de publier Amy Robsard, une « bêtise » du Maître comme dit nettement le « témoin de sa vie », et Les Jumeaux, ce fragment abandonné depuis des années ? Les avis ne manqueront pas d’être partagés. Pour ce qui me concerne, je ne goûte que mal ces secrets comme d’alcôve, mis au grand jour de la librairie.

Amy Robsard a des « qualités » de mélodrame à outrance et une mise en scène et en œuvre qui rappelle de très près les absurdes mais si divertissantes péripéties de Han d’Islande, péché aussi d’extrême jeunesse.

Les Jumeaux, leur plan qui n’est qu’un projet en l’air, d’ailleurs assez amusamment jeté sur une feuille volante, et leur millier de vers écrits de ci, de là, sans second travail apparent, sans nulle de ces variantes, de ces leçons, immanquables témoins d’une œuvre tenue par son auteur pour viable, Les Jumeaux sont loin, je l’avoue, d’avoir fait sur moi l’impression grande, même émouvante et parfois haletante d’admiration que m’a donnée la Lecture de la colossale épopée, par malheur presque inachevée : La fin de Satan, pourtant bien lâchée, bien faiblement esquissée par endroits. J’y relève, dans cet embryon de drame, des tirades d’un romantisme un peu connu, banal, bien que sorti, c’est le cas de le dire, de source, en tous cas ennuyeux au possible, surtout pour les occurrences mélancoliques qui ne manquent pas assez dans cette histoire à dormir debout d’un Masque-de-fer (encore !) capable de geintes du goût de ceci :

Je ne suis pas un homme
Allant, venant, parlant, plein de joie et d’orgueil,

Je suis un mort pensif qui vis dans un cercueil,
C’est horrible. Jadis — j’étais enfant encore,
J’avais un grand jardin…
Je rayais des oiseaux…
Et des papillons…
Quoi donc il s’est trouvé des tigres pour se dire :

. . . . . . . . . . . . . . . . . . .

« Pâle il regardera de sa prison lointaine

Les femmes aux pieds sûrs qui passent dans la plaine. »


Il n’y manque plus, n’est-ce pas, que le refrain d’une « romance » intitulée : Le masque de fer (toujours !) que ma petite enfance subit combien de fois ! pour mes péchés à venir :


« Moi, je n’ai pas connu les baisers d’une mère. »


Il est vrai que j’y trouve également quelques couplets du bon faiseur, et même du grand faiseur, mais passablement connus aussi. Quant à la facture, à la tournure et presque à la matière, comme ce débris de boniment placé dans la bouche d’un grand seigneur cru, bien entendu le saltimbanque Guillot-Gorju :

. . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Je viens de Portugal encore ! Ils ont un roi
Tout jeune. Il a seize ans et joyeux, sur ma foi !
Quand l’Alcade Obregon, maintenant en disgrâce,
Lui demanda : Comment délivrer Votre Grâce
Du comte de Valverde ? il dit ; « En l’assommant ! »
Avec la gaité propre à cet âge charmant.


Les éphèbes, entre parenthèses, portent toujours bonheur à Victor Hugo, un féminin, en somme.

Rappelez-vous Jehan Frollo, le petit roi de Galice, Aymerillot, l’Aigle du Casque — et ce combien désirable Sophocle à Salamine, — tandis que, ô quelles petites horreurs fadasses et bébêtes que toutes ses jeunes filles. Esmeralda peut-être et la sordide maia vivante Eponine exceptées, — cette Cosette presque aussi insupportable que son pion de Marius, cette à bon droit protestante Deruchette toute d’ennui, cette prodigieusement stupide Déa l’aveugle, hélas ! point muette, et la jeune première de Torquemada !

Donc, à mon sens, ce dernier, ou avant-dernier, ou, peut-être, qui sait ? cet antépénultième livre posthume d’Hugo, n’ajoutera, comme on dit, rien à sa gloire et sans doute j’en viens d’assez parler. Je ne profiterai pas moins, vu mon ancien enthousiasme point tout entier évanoui, de l’occasion offerte, pour, en quelque manière, revoir l’ensemble de l’œuvre, reviser de vieux jugements intimes, enfin m’assurer moi-même, par une sorte de confession, de profession de foi publique équitable contre, d’une part, d’immédiates boutades irréfléchies, naguère lâchées, d’autre part, contre de possibles séniles retours.

La première fois que ce nom si longtemps prestigieux, Hugo ! retentit à mes oreilles, elles étaient tendres et petites, mes oreilles, des oreilles comme de souris, dressées naïves aux côtés de mon innocente tête, presque toute instinct candide et volonté dans les limbes. Savais-je même lire ? Avais-je sept ans ? lors de mes premières armes scolaires en cette rue reculée des Batignolles, où tant déjà d’années n’ont rien changé de la cour grandelette plantée de quelques acacias — mes petits camarades parisiens prononçaient agacias, et moi venu, ô par le hasard des garnisons paternelles, d’un midi dont je n’étais « bouffre » pas ! je prononçais acacia, — ni de l’humble maison d’école aux volets verts, au perron qui, les jours de distributions de prix, servit d’estrade à mes jeunes essais de déclamations dans les fables de La Fontaine ou les élégies si joliment puériles du bon Giraud… C’était à l’époque du Coup d’État ou peu après. Si bien que tant chez moi qu’à l’école, par la bouche du patron ou du sous-maître, ce vocable Victor Hugo sonnait mal, signifiait rouge, fou aussi et, mon Dieu, parfois saltimbanque. Plus tard, quand je fus en pension, j’écoutais les grands, les rhétoriciens, déjà libérés de la tunique et faisant faux-col, le faux-col en triangle de guillotine de cette époque, qu’affirmaient, d’autre part, de hardis essais de sous-pieds, déclamer des vers du grand homme :

Une surtout, une jeune Espagnole…
…Envolez-vous de ce manteau

… Et s’il n’en reste qu’un..

Mais ce ne fut que bien après, j’avais au moins treize ans, que la révélation par la lecture eut lieu pour ce faible moi et je tombai sur le second tome des Contemplations ; les Mages et la Bouche d’Ombre eurent, je le crains, presque aussi peu de clarté pour mon esprit en miniature d’alors qu’ils en oui trop pour le « décadent » que me voici, suivant des gens.. Par contre, les vers sur la mort de Léopoldine me choquèrent et je trouvai moi, frais émoulu de mon catéchisme, absolument comme je le trouve aujourd’hui, ce père désolé, ce chrétien qui se dit si soumis, bien téméraire de dire au Dieu qu’il fait profession d’adorer dans imites ses manifestations


Considérez que c’est une chose bien triste…


Les Orientales me plurent à quinze ans — (j’y voyais des odalisques) — et me plaisent encore, comme beau travail de bimbelotterie « artistique », comme article de Paris pour la rue de Rivoli, de bon débit parmi la buée vanillée de pastilles batignolaises d’un si vague sérail !

À leur tour, les quatre œuvres de demi-teintes, Feuilles d’automne, Voix intérieures, Chants du Crépuscule, Les Rayons et les Ombres, me prirent et me tiennent encore par leur relative simplicité, un certain accent sincère et, dans le dernier recueil particulièrement, par un tour artistique (je m’exprime mal, avec encore ce mot désagréable), spécial, intrisèque, dirai-je avec Sainte-Beuve, modéré, discret, sourdine et nuance, propitiatoire tout à fait.

Vinrent, pour la suite de mon adolescence, Notre-Dame de Paris, et le théâtre. Je passe sous silence ces essais parfois très intelligents, les Odes et ballades, Bug Jargal, Han d’Islande, Cromwell. Je goûtai moins alors le roman que je ne le prise aujourd’hui. Comme Leconte de Lisle, je pense que Goëthe fut trop sévère envers ceux-là et qu’il y a là une originalité très distincte de Walter Scot et très supérieure aux Anne Radcliff, aux d’Arlinsourt ambiants, et sinon égale à du Chateaubriand, du moins absolument indépendante de lui et d’une intensité toute différente.

Je fus fou du théâtre, je le confesse sans trop de honte, et par instants je le préfère encore immensément à ce qu’on fait, à tout ce qu’on fait, peut faire dans le goût et dans les tendances d’à présent : Ruy Blas est une charmante comédie suffisamment psychologique et que ne me gâte pas trop un sot dénouement. Hernani chante « clair et beau » et si Marion Delorme, sauf le premier acte, et le Roi s’amuse m’assomment franchement, j’incline vers plusieurs scènes des Burgraves. Quant aux drames en prose, ils délectent ce que j’ai, spectateur faubourien, dans mes tréfonds.

Mais je grandissais, je grandissais, et voici qu’il m’est temps d’arriver à mes contemporains — pour ainsi parler, — les livres d’à partir de La Légende des Siècles, en passant, un peu vite, par les Châtiments et si vous voulez bien par un Hugo politique qu’illustrerait avec votre permission quelques mots inédits et anecdotes sur lui.

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