Ἀγαμέμνων

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Texte établi par (Charles Bally ; Léopold Gautier), Payot/Droz (p. 403).


ΑΓΑΜΕΜΝΩΝ.
(Mémoires de la Société de Linguistique, IV, p. 432. — 1881.)

Je doute que l’analyse qu’on donne ordinairement de ce nom propre ait jamais satisfait complètement ceux qui l’ont faite et répétée. On entrevoit assurément ce que le mot signifie, mais il n’en demeure pas moins, grammaticalement, une chose informe. Tel qu’il est devant nous, et en dépit du génitif en -ονος, le second élément du composé ne peut être qu’un participe présent ; or il n’existe pas de verbe μέμνω, et le redoublement du présent prend rarement un ε à la place de l’ι. De plus, il n’est pas commun de voir un participe actif former le second membre d’un composé tatpurusha. Il faut naturellement ranger avec Ἀγαμέμνων l’adjectif θρασυμέμνων, épithète d’Hercule, Iliade, V, 639, et Odyssée, XI, 267. Pour éclaircir l’un et l’autre mot, il suffit d’admettre que -μέμνων est une transposition de *-μένμων. Ils entrent alors dans la classe des composés possessifs tels que πολυκύμων de κῦμα, εὐείμων de εἴμα. On aura ainsi restitué au grec l’ancien neutre *μένμα, identique avec le sanskrit man-ma « esprit, pensée ». L’irlandais menme ne doit pas se comparer directement à ces mots, car la conservation du groupe -nm- fait supposer une voyelle disparue entre la racine et le suffixe (Windisch).

Habituellement, il est vrai, le groupe hellénique -νμ- se change en -μμ-, exemples : σύμμαχος, ἀμμίξας, ἐμ μέσῳ (inscr.). Mais ces cas rentrent dans le chapitre du sandhi et datent d’ailleurs, selon toute apparence, d’une époque assez récente. On n’accordera pas non plus une haute antiquité à la formation ἠσχυμμένος, quoiqu’elle apparaisse dans le texte homérique (Iliade, XVIII, 180). Mais alors même qu’on élèverait au rang de loi phonétique la mutation de -νμ- en -μμ-, il est impossible de ne pas tenir compte des conditions spéciales où se trouvait le mot qui nous occupe. Cette forme ΜεΝΜοΝ- obligeait d’articuler deux fois alternativement la nasale labiale et la nasale dentale. Dans cette position, l’n et l’m médiaux étaient sollicités l’un et l’autre d’échanger leurs places pour se rapprocher du son de même organe qui les attirait. Il serait facile de citer d’autres exemples connus de transpositions pareilles dans des cas qui y prêtaient cependant beaucoup moins.

Quant à la forme Μέμνων, dont l’origine hellénique est du reste douteuse, elle peut se ramener de même à *Μέν-μων et se mettre en parallèle avec les mots γνώμων, ἐπιστήμων, etc.