… Ni moi sans vous

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Gérard-Gailly
… Ni moi sans vous
Revue des Deux Mondes7e période, tome 9 (p. 42-74).
...NI MOI SANS VOUS


D’eux deux fut-il exactement
Comme du chèvrefeuille était
Qui à la coudre se prenait...
Belle amie, ainsi est de nous :
Ni vous sans moi, ni moi sans vous.
MARIE DE FRANCE : Le lai du chèvrefeuille.


I. — 1867


Renaud Dangennes à Mlle Anne-Marie Cabours


Paris, février 1867.

Tu me quittes. Tu n’es pas au bas de l’escalier. Et je t’écris. Disparue, tu me restes encore, puisque je t’écris, et que je supprime par là ton absence soudaine et mon affolement. Je les retarde d’une heure. Je ne veux pas que mes bras soient déjà vides de toi. Je ne veux pas la mort comme foudroyante de notre toute pure rencontre. Je lui procure le prolongement d’une agonie douce, où l’on savoure encore la vie qui s’échappe. Et je t’écris. Et mes mois te ressaisissent. Les voici qui se répandent. Je les murmure en les écrivant, pour qu’ils se mêlent sur mes lèvres à tes baisers encore flottants, à tes lèvres elles-mêmes. Ah ! bien-aimée, mes mots que tu n’entends plus, joints à tes lèvres qui sont parties !...

Et le premier de tous, le plus anxieux de tous : reviens, reviens ! Je sais que tu reviendras. Je sais le jour. Ta voix et la mienne l’ont prononcé, tour à tour et ensemble. Mais reviens, reviens ! Je te le demande. Tu pourrais l’oublier. Non non, je ne dis pas cela parce que je doute de toi. Je le dis parce que je souffrirais trop, si tu ne venais pas. Je le dis parce que notre amour, si profond soit-il, n’est encore qu’une espérance sans tache, et que, devant les obstacles, il semble qu’une espérance soit moins solide qu’une réalité. Mais tu ne crois pas aux obstacles. Tu me l’affirmes. Je bois ce philtre souverain. Et chaque fois, l’attente commencée, je tremble que l’obstacle ne se rie de tes promesses, ne t’oblige à remettre d’un seul jour le bonheur escompté de ta visite. Un seul jour !... On croit aussitôt que ce sera toujours. Je songe à cette puissance redoutable : ta famille, à ses ambitions pour toi. Eux-mêmes, inconsciemment cruels, me les ont dites, parce qu’ils m’estiment assez pour me confier leurs rêves à ton propos. Mais moi, mon chéri, moi que tu aimes, ne dois-je pas être un obstacle plus grand à leur loi, que leur loi à notre irréprochable amour ?

Je t’afflige ? Ces mots-là sont inutiles ? Ils répondent à une question qui ne se pose pas ? que du moins tu ne te poses pas ? Tu m’as souvent supplié de ne plus les écrire, de ne plus les penser, puisque nous sommes d’accord et sûrs de nous. Pardonne-moi. J’essaierai. Je n’y pense presque plus, tu le sais, quand tu es ici. C’est que ta présence supprime l’avenir, si ton absence le crée. Ta présence supprime les conseils de la tristesse. Elle ne nous inspire que le besoin de nous sourire. Tu voudrais entendre alors mes mots heureux. Tu me reproches de parler à peine. Comment te parlerais-je ? Le langage de nos lèvres jointes est le plus précieux, le seul valable. Et si elles se désunissent une minute, c’est pour que nous puissions contempler leur double et identique sourire où toutes les paroles sont dites.

Mais quand le dehors, quand ta maison, quand la vie des tiens t’ont reprise, tout ce qu’il me semblait essentiel de te dire et que j’avais oublié, reparaît, s’élance, te cherche au loin, tendresses, folies, fantaisies, mille nuances d’adoration. Peut-être ne les avais-je pas oubliées toutes. Ou leur forme, soudain, s’évanouissait-elle devant ta forme, qui les absorbait dans son éblouissement. Ou peut-être n’osais-je pas, craintif et retenu au seuil du temple.

Je suis seul. J’ose. Je te donne mes mille adorations, et mille autres qui s’y ajoutent, parce que tu es venue en toute confiance une fois de plus chez moi. Toi qui n’es plus seule dans cette minute, toi à qui s’adressent des voix amies, entends-tu ? tout ce que je ne t’ai pas dit tout à l’heure ? Me le retournes-tu ? Le peux-tu seulement ? N’es-tu pas distraite, sollicitée ? ,.. Ah ! tu te plains de ne pas avoir ma solitude ! Je me plains, moi, de l’avoir. Et chacun se persuade que son ennui est le plus grand. Il est divers et semblable, chérie, puisqu’il est notre amour. Aimer dans une séparation continuelle à peine interrompue çà et là délice et supplice, supplice surtout. Tu le sais ? Non, tu ne le sais pas, ni combien je t’aime, plus que tu ne m’aimes. Et tu protestes encore, car toi aussi tu m’aimes plus que je ne t’aime. Croyons-le tous deux. Notre amour serait en péril de mort, si nous n’avions pas cette croyance.

Anne-Marie, ma bien-aimée, reviens. Reviens, pour me donner le bonheur de te dire : « Anne-Marie, ma bien-aimée, » et surtout de te dire : « toi. » « Toi, » c’est ton plus beau nom. Je t’appelle aussi Anne-Marie, chez toi, devant les tiens, et ce double prénom m’émeut et m’attendrit : il me fait rêver à des rosées et au ciel frais du grand matin. Mais « toi, » plus bref et plus profond, ce sont les quatre murs et la lampe allumée. Et il me semble que je ne te nomme parfaitement bien que par ce mot : toi. Il renferme toute ma certitude et toute mon inquiétude. Je l’aspire, et j’aspire l’espérance. Je l’expire, et ma crainte renaît. Il est toute ma lumière aussi. Toutes choses me paraissent grises, dès que tu n’es plus là : et la lampe s’éteint, dont tu étais la flamme.

Reviens, toi que je n’aime pas encore de tout ce que je dois t’aimer dans l’avenir, toi qui es celle qui peut-être ne sera jamais, et que pourtant j’enlacerai à jamais de mon amour comme le chèvrefeuille enlaçait la branche du coudrier. Reviens, Anne-Marie, au jour promis, pour enchanter mon espérance, et que je puisse joindre encore mes mots à tes lèvres qui étaient parties.

RENAUD.


Renaud Dangennes à Mlle Anne-Marie Cibours.


Paris, juin 1867.

Tu me quittes. Et ta voix, qui a fixé le jour de ta prochaine visite, persiste dans mon oreille... Ainsi, pour toi du moins, notre suprême rencontre se sera déroulée selon les habitudes de notre apparent bonheur. Tu auras eu, comme dernière image de moi, un sourire. Malgré la douleur où va te précipiter cette lettre, tu ne pourras empêcher que ta mémoire à jamais n’aperçoive ce sourire, terminant et couronnant notre amour.

Car je te dis adieu. Tu ne viendras plus ici, ni nulle part où je serai. Ne m’abuse plus, ma bien-aimée. Nous sommes perdus l’un pour l’autre. Je le sais. Quelques semaines encore, quelques jours, et c’est toi qui te trouvais contrainte de m’en faire l’aveu. J’ai préféré t’épargner cette torture. Notre dernier baiser eût été trop déchirant. Il ne l’aura été que pour moi tout à l’heure. Et je m’assure ainsi le droit de t’écrire cette longue lettre. Le simple honneur me l’aurait-il permis, dès l’instant que tes lèvres auraient scellé le passé en me révélant ton nouvel état de fiancée avec M. Dancy ou M. Varages ?

Ne t’indigne pas que je sache. Je trace ces deux noms, je ne dis pas avec calme, du moins sans colère ni mépris pour les hommes qu’ils désignent. Ces messieurs sont à peine en cause. Et tu vois : je ne sais même pas au juste qui des deux est l’élu de ta famille. Il n’importe guère. Le vague renseignement a une précision symbolique. L’un ou l’autre, c’est le même verdict contre ce que je suis, le même triomphe d’un idéal qui est la négation de l’Idée.

Oh ! ce ne sont pas mes vingt-cinq ans qui me sont reprochés (M. Dancy et M. Varages sont-ils beaucoup plus âgés que moi ?) ni l’obscurité de mon nom, déjà tout aussi répandu dans un certain monde que ceux de MM. Varages et Dancy dans le monde. Tes parents m’ont même témoigné une sympathie singulière pour mes mœurs studieuses et mes premiers travaux. Mais ils me reprochent précisément cela qu’ils respectent en moi, de loin : le choix d’un état noble qui ne courra jamais les chemins de la fortune, et qui est incompatible avec l’état de leur fille. Ils disent : avec le bonheur de leur fille. Les deux expressions n’en font qu’une pour eux, sous le signe de la richesse. Ils pratiquent cette impérieuse morale de l’argent qui impressionne jusqu’aux plus rebelles. Tu haussais les épaules au moindre aveu de mon inquiétude. Tu me prétendais qu’ils t’adorent, qu’ils ne désiraient que ton bonheur, qu’ils ne forceraient jamais ton cœur ni ta liberté, qu’ils ont des opinions larges, modernes, et que je les méconnaissais. Et tu refoulais mes craintes sous tes baisers. Tu semblais si bien ne rien craindre, que j’ai glissé à l’espoir, et que, sur tes instances, mon père n’a plus remis à quitter sa province pour venir tenter auprès des liens cette folle démarche. Ton amour illuminé la couronnait déjà de succès. Eux ont dû se demander si mon père et moi nous avions notre bon sens.

C’en était fini de notre espoir. Notre intimité s’est faite plus grande. Je ne pouvais désormais reparaître chez toi. C’est dans ma retraite seule que nous nous sommes revus. C’est toi qui l’as voulu. Tu me restais. Tu te sentais pure. Tu as tout bravé. Et si je te dis tout cela, mon aimée, que tu sais bien, c’est pour t’en exprimer ma gratitude comme je le dois, mais c’est aussi parce que j’écris une sorte de testament. Voilà ce qui me reste : t’écrire encore quelques mots, t’écrire ma peine qui n’existe tout entière que depuis tout à l’heure, ou mieux, qui ne va exister tout entière qu’à partir de cette minute-ci, de cette confession de ces deux derniers mois, dont le mystère ne doit pas demeurer séparément enfoui en chacun de nous. Nous nous sommes menti héroïquement. Sachons-le. Accroissons notre intimité par l’échange de ce que nous en avions retenu au plus profond de nous, chacun de son côté.

Ces deux derniers mois ! Notre amour, quel calvaire, où nous avons feint de ne ressentir que les communions du Paradis !

Les moments qui ont suivi le refus de ta famille, tu t’insurgeais, tu briserais leurs résistances, tu m’affirmais que tu étais à moi de toute ton âme et ne serais jamais qu’à moi. Je ne te demandais pas de m’affirmer cela. Mais tu me l’affirmais, protestais, jurais. Ah ! ce que tu m’as fait de peine ! Si tu étais à moi, ne devenait-il pas superflu de me le dire, à moi surtout, et de me le dire avec cette sorte d’angoisse ? Est-ce moi que tu voulais persuader ?...

Brusquement tu as fait le silence là-dessus, et sur tout ce que tu laissais derrière toi pour venir me rejoindre. Tu m’as prié de ne plus t’interroger. Tu semblais m’arriver d’un pays irréel, du Néant, et n’avoir pas existé depuis la minute où tu m’avais quitté jusqu’à celle où tu le retrouvais dans mes bras. Nous n’avons plus échangé que des paroles tendres, enivrées, nombreuses, qui supprimaient le monde et tout ce qui n’était pas nous. Nos voix étaient comme .soudées l’une à l’autre : nos vies, suspendues au-dessus de la vie, sans contact avec rien ni personne. Mais nos deux silences intérieurs étaient-ils encore à l’unisson comme nos voix et nos lèvres ? N’avaient-ils pas un secret plus affreux que tes précédentes promesses de n’être qu’à moi ? Ne se passait-il donc, là-bas, plus rien de nouveau, jamais ? Tes tendres paroles espéraient-elles me convaincre que les choses étaient restées au même point ? Au moment où des parents dénient à leur fille le bonheur de son choix, ont-ils un autre désir que de lui en imposer un tout de raison, bien plus vite qu’ils ne l’eussent fait si la malheureuse avait encore eu le cœur disponible ? Ah ! je le savais ! Je suivais au fond de toi la marche du malheur, sur quoi tu prétendais me fermer les yeux, et fermer les tiens d’abord.

Et tes tendres paroles sont devenues plus rares. Tes baisers, plus âpres. Ton chaste amour, plus voluptueux. J’ai compris que le terme approchait. Tu m’arrivais, sans doute, d’une discussion plus pressante avec les tiens. Tu avais lutté, déjà moins forte. Et pour ne pas succomber, tu m’étreignais davantage. Non, tu ne m’étreignais pas. Tu t’accrochais à moi comme à une épave. Car je n’étais plus que cela : une épave dans ton naufrage. Et cette volupté inconnue qui noyait ton regard, c’était l’angoisse des Océans.

Effrayée de te trahir, parfois tu te ressaisissais. Dès mon seuil, tu fixais avec une hâte plus fébrile que joyeuse l’instant de notre prochain rendez-vous, alors que notre rendez-vous actuel ne faisait que commencer. Tu t’efforçais de plaisanter un peu. Ta volonté ramenait sur tes lèvres le cadavre d’un charmant sourire. Je t’imitais. Mais moi non plus je ne devais pas t’abuser. Je crois même que je te dirais le jour où tu m’es venue après avoir enfin prononcé devant tes parents le « oui » exténué, ou un « peut-être » qui le contenait déjà un « je ne sais plus », un souffle, — songeant à part toi : « Mais rien n’est encore fait », tandis qu’ils songeaient : « On peut considérer l’affaire comme conclue. »

Je te fais trop mal, n’est-ce pas ? Tu me cries « grâce ? » Je voudrais crier aussi à la vie mauvaise : « grâce ! » C’est elle qui te déchire. Ce n’est pas moi, pauvre homme aux manies d’historien qui t’impose et qui m’impose ici le récit de notre fin d’amour. Mais sans ces explications affreusement méthodiques, n’aurais-tu pas été tentée de voir dans mon initiative de rupture une défection par coup de tête, humeur, amour-propre muet ? de me reprocher même un manque de courage ? Il est indispensable que tu saches que j’ai compris toute ta souffrance. que tu saches tout ce que j’ai moi-même souffert pour en arriver à anticiper sur la date fatale.

Il y a huit jours, un hasard, suivi d’un second qui le confirmait, m’apprit ce que tu t’étais fait une loi de me dérober, et que tu aurais peut-être nié comme un faux bruit si je t’en avais parlé. Je t’ai rapporté les noms de M. Dancy et de M. Varages. Par leur double piste, ils pouvaient m’induire en un scepticisme confiant. Quand le malheur menace, est-ce qu’on doute de son annonce ? Mais s’il y avait confusion sur les noms, il n’y en avait plus sur la réalité prochaine de la cérémonie où tu paraîtrais aux yeux du monde comme fiancée, selon les vœux de tes parents.

Ah ! j’avais percé le sens juste de ton amour chaque jour plus passionnel Et j’ai assisté, muet, au suprême duel qui s’est livré en toi contre toi ces huit derniers jours. Suprême espoir qu’un prodige surviendrait à temps, pour décommander a jamais cette cérémonie des accordailles. Suprême espoir que l’on découvrit l’opiniâtreté de notre accord, à nous, et le but de tes courses secrètes. Suprême entêtement aussi de te garder auprès de moi jusqu’à la dernière minute permise, parce que tu considérais que tu le pouvais et que tu me le devais.

J’ai envisagé alors tous les possibles, même le danger attirant et funèbre de cette dernière minute, même la fuite avec toi. Sur le coup, tu aurais accepté. Je me suis tu. C’est par amour que je me suis tu. Fuir ? Ah ! mon aimée, nous ne vivons pas dans un roman. Tu m’aimes, parce que tu m’aimes, et aussi parce que tu m’estimes, parce que tu comptais être fière de moi un jour. Fuir ? Je renonçais par là à devenir cet homme qui te méritait. Ne pouvant plus développer ma valeur, je la perdais toute. Tu m’aimais moins, peu à peu, à cause de cette déchéance intellectuelle qui restituait à l’autre pauvreté sa puissance destructrice. Tu regrettais. Pas tout de suite. Mais tu regrettais. Et tu ne m’aimais plus, si je t’aimais encore.

Toi-même, pour avoir accepté les désirs de ta famille, fût-ce en pleurant et dans un murmure à moitié négatif encore, c’est que tu comprenais que toute fuite était impossible à notre amour. Sinon, aurais-tu cédé ? Ta conscience en ceci n’a pas été moins claire que la mienne. Mais pourquoi, mon Dieu ?...

Laisse-moi te dire cette chose affreuse, qui est un dernier rêve, et non pas un reproche : pourquoi as-tu cédé si vite, après six semaines ? Tu n’as pas vingt ans. Ne pouvais-tu attendre ? ne pouvais-tu obtenir que l’on respectât une certaine durée de deuil et de silence entre notre amour enseveli et ce froid devoir étranger ? ou craignais-tu qu’après ce délai, que nous aurions respecté, nous aussi, en ne nous voyant plus, les choses ne se fussent pas retrouvées dans leur première fraîcheur, — comme cela est faux ! — ou qu’elles se fussent trouvées encore incapables, par mon insuffisance, de réduire les objections de ta famille ? Crois-tu que je ne l’aurais pas mis à profit, ce délai de grâce, pour faire excuser la modestie de ma situation matérielle par la vertu déjà mieux reconnue de mon nom ?

Je me dis cela. C’est un sursaut vain, une folie de vaincu qui nie sa défaite. Et je te torture. Mais toi aussi, tu as dû penser cela un instant, puis laisser retomber les paupières sur la vision impossible. Alors, tu as cédé. Tu n’as cédé si tôt que pour souffrir moins longtemps, cédé en faisant « non, non, non » cédé, quand même...

Mais je veux oublier ce long débat qui nous a agités, sans que nous ne nous en soyons jamais fait part au milieu de nos baisers si doux. Nous avons eu raison de nous cacher ainsi l’un à l’autre. Nous nous sommes fait mutuellement le cadeau d’un sacrifice silencieux. Nous avons aidé notre bonheur à mourir bien. Tu m’aimais, et je t’aime, et tu m’aimes encore. Ah ! maintenant, pour l’adieu, laissons couler hors de nous ce sang longtemps retenu ! Il m’enivre, ce sang. Il exaspère, il brûle ma plaie. Il la rend presque sauvage. Et qu’il mêle en moi, ce sang, la colère à la tendresse, pardonne-moi, mon aimée, puisque je t’aime et que tu m’aimes.

« Je t’aime » et « tu m’aimes, » deux mots désormais dissemblables. L’un retentit dans une solitude close qui multiplie les échos. L’autre n’est déjà plus qu’un murmure évanoui dans une foule. Ils ne se rejoindront plus. Tes lèvres sont parties. Alors, je t’en supplie, ne m’oublie pas trop vite. C’est une offense que je t’adresse là ? Que m’importe ! Il m’est doux d’écrire cela, un peu lâchement : ne m’oublie pas trop vite. Tu es si jeune ! Quelques saisons. Je puis bien te le demander sans manquer à ce que je te dois, et que je ne te dois pas encore, pas avant la fin prochaine, hélas ! de cette lettre. Il y a tant de choses que je ne t’ai pas dites, qui t’appartiennent, qui me reviendront ce soir, qui m’étoufferont, bonnes, mauvaises. Il y a mon amour entier qui tend les mains vers son rêve qui recule, et qui te voue une reconnaissance infinie, et qui ne réussit pas à comprimer sa révolte instinctive. Ne m’oublie pas, ne m’oublie pas. Et souffres-en, comme je souffre. Que mon amer souvenir soit ton seul bonheur ! Que l’Autre... Ah ! oui, songer que cet amour dont j’ai orné ton être, que cette sensibilité dont j’aurai été l’aurore, tu en réserveras l’épanouissement à un inconnu, au sortir même de mes bras, tes bras encore tout frissonnants et illusionnés par notre amour. Tu seras heureuse malgré toi, par moi, pour lui. Le peux-tu ? N’ai-je pas le droit de souhaiter que tu sois...

Malheureuse ? toi, malheureuse ? Je t’aime, Anne-Marie. Je t’aime. Pardonne-moi ce blasphème que te crie ma chair et que mon cœur renie. Je n’ai rien dit. Je t’aime. Sois heureuse. Je ne compte plus. J’ai refermé la porte sur toi. Sois heureuse. Et si je souffre, qu’importe, si tu souffres moins que moi. Entretiens nos souvenirs. Je répète le mot avec piété : nos souvenirs. Il n’est plus un blasphème. Ta vraie souffrance, ce ne seront point mes souvenirs, mais la privation de ma présence. Et cette privation sera peu à peu comblée par le bienfait d’une présence nouvelle, chaque jour moins étrangère, puis un jour toute régnante. Et tu te souviendras encore alors, mais sans plus souffrir de mon absence, dans le calme venu, de temps en temps, comme on se souvient de son enfance, avec un doux regret qui n’est même plus un désir.

Quant à moi, j’enchaîne ma vie entière à cette promesse : tu resteras mon seul amour, je n’aurai d’autre famille que ton souvenir. Je serai avec toi incessamment, où que tu ailles, quoi que tu fasses, sans qu’il me soit nécessaire de savoir où tu te trouves ni ce que tu fais. Je veillerai sur toi. Et quand toutes les lumières, épuisées, s’éteindront, je veillerai encore au sommet de la tour, sur le sommeil qui aura envahi ta mémoire.

Ne m’invoque pas le devoir humain. Ne me dis pas que je déserte. Ne me demande pas de me créer un foyer, parce que cela te consolerait. Mon foyer ne sera que la petite lampe perpétuelle allumée devant le tabernacle. Ce retranchement n’est pas une désertion. Une femme ne peut vivre seule utilement. Un homme le peut. Il se voue à des tâches qui l’excusent de n’être pas un citoyen utile selon le destin ordinaire. Je vaudrai par la vie que ma pensée créera. Je travaillerai. N’entends-tu pas avec quelle sombre volupté je prononce : je travaillerai ? Et je me dirai : « Il y a un an, je la voyais... Il y a cinq ans, je la voyais. » Tout ce qui tient dans ces mots : « Je la voyais ! » Puis dix ans, puis toujours. Je travaillerai toujours, à la clarté de ma petite lampe perpétuelle. Je veux que tu te sentes, par mon travail, entourée et aimée. Il sera ma façon de te mériter à mes propres yeux, et de t’attendre, — en dehors de toute espérance terrestre.

Oh ! je sais : je ne puis préjuger ce que je deviendrai. Du moins je sais ce que je souhaite devenir pour toi, malgré l’ingrate carrière où je m’engage. On ne remue pas les foules avec des études sur le vieux français et sur les romans du moyen-âge. Peut-être finit-on par toucher une élite autre que celle de ses confrères. Mon cœur nourrira mon intelligence, et je serai mieux qu’un savant. Ma flamme se propagera jusqu’à toi. Bon gré mal gré, un jour imprévu, tu viendras au rendez-vous de mon labeur solitaire. Ce ne sera ni demain, ni après-demain, ni sans doute avant mon crépuscule. Il faut des années à la goutte d’eau pour creuser la roche. Mais quelque lointain que soit ce jour, te serais-tu lassée d’y croire, tu seras ramenée vers moi, et tu te feras honneur de mon nom au plus profond de tes souvenirs.

Ne pense pas que je me drape ici dans un provocant orgueil. Ma rude tâche ne sera pas si rude. La foi n’est pas l’orgueil. Ne pense pas non plus que ce serment d’une solitude parfaite soit d’un poète ni d’un jeune homme irrité. C’est un serment de vaincu sans reproche. C’est un pacte que je signe avec une victoire future et juste.

Mais aujourd’hui, je ne suis qu’un vaincu. Aujourd’hui, je suis désespéré. Ce n’est pas tout à l’heure que je t’ai donné ma dernière poignée de main, lorsque tu m’as quitté dans l’ignorance de notre adieu. C’est maintenant que je te la donne, de loin, en terminant cette lettre, et que je te donne mes derniers mots, et mes derniers baisers, dans l’affreuse conscience que ce sont les derniers, dans l’affreux bonheur aussi de songer que tu les reçois encore. Demain, hélas ! je te les donnerai encore, plus déchirants, incapables de rejoindre tes lèvres qui seront à jamais parties.

Mais il est un mot qu’il faudra que tu te redises chaque jour, jusqu’au jour où tu n’auras plus besoin de te le redire pour fortifier ton courage. Et le voici : « De tout mon cœur, chérie, Anne-Marie, de tout mon cœur atroce et qui t’aime, je te souhaite d’être heureuse. Heureuse avec ou sans ma présence en toi. » Et si tu crois que je n’ai déjà plus le droit à l’intimité dans l’expression d’un tel vœu, je t’aime assez pour te dire simplement : « Soyez heureuse. »

RENAUD D.


Renaud Dangennes à Philippe Pageyran.


Paris, juin 1867.

Mon ami, je suis le plus malheureux des hommes. Je viens de perdre un unique amour. Je succomberais à vouloir porter seul le poids de cette catastrophe. Accorde-moi ton soutien, Philippe. Écoute-moi. Je ne te demande pas d’autre consolation que celle-là : écoute-moi. Laquelle te demanderais-je ? Et ne te froisse pas si j’ai attendu la minute affreuse pour te faire ma confidence. Ne me blâme pas non plus de manquer tout à coup, après l’avoir observée si longtemps, à la plus élémentaire discrétion envers une femme, une jeune fille qui m’a aimé et qui s’éloigne de moi pour devenir épouse. Un homme n’aime pas, s’il publie qu’il a été aimé. Mais ce n’est pas vrai ici. Je ne trahis pas mon respect envers elle en avouant à l’ami le plus cher l’amour le plus pur. Ne suis-je pas aussi certain de toi que de moi ? Ce secret sort-il de moi parce que je te le communique ? Et d’ailleurs, est-ce que je t’apprends quelque chose ? Ton silence ne me prouve-t-il pas que tu avais deviné ?

Viens me voir. Je te raconterai tout, nos commencements, le cœur délicieux d’Anne-Marie, la démarche de mon père qui est venu demander sa main pour moi, le désastre qui s’en est suivi, et comment M. et Mme Cibours marient incontinent leur fille à M. Dancy ou à M. Varages, j’ignore lequel, dont la fortune vaut la leur. Mais cela aussi, ne le savais-tu pas, et mieux que moi-même ?

Viens me voir, ne fût-ce que pour me guérir d’espérer encore je ne sais quoi : la grâce du condamné. Malgré mon geste qui précipite la solution, je ne puis croire que tout soit fini et perdu. Est-il sûr que je n’ai pas obéi à un calcul secret, en devançant volontairement l’heure inévitable ? Il n’est pas douteux qu’Anne-Marie se fût gardée auprès de moi jusqu’à l’extrême limite, et je viens, semble-t-il, de lui rendre plus facile l’acceptation de notre malheur. L’acceptation de fait, seulement. L’autre, toute morale, la vraie, je l’oblige à en mieux connaître l’amertume inadmissible durant les quelques instants de solitude qui lui restent. Ma présence, continuée jusqu’au jour fatal, l’aurait aidée à me quitter, en engourdissant sa pensée dans l’enchantement même douloureux de nos dernières caresses. Ma présence lui eût masqué le gouffre, et permis de s’y jeter sans transition, sans le voir, de dos pour ainsi dire, et du haut d’une ivresse si riche que la nécessité d’un effort quelconque et la conscience même du malheur en étaient supprimées, — tandis que mon absence lui découvre dès maintenant le gouffre et lui laisse tout le loisir de le contempler, la face déjà tournée vers lui, les bras déjà vides de notre bonheur, déjà convaincus de leur vide, déjà glacés, déjà sans force pour l’adhésion, sinon pour la révolte. Mon absence lui rend la possibilité de réfléchir, c’est-à-dire d’hésiter, c’est-à-dire de refuser cet homme étranger.

Voilà le miracle que j’espère de ce délai de deux ou trois semaines. Comme si je ne savais pas qu’il est impossible ! Décommander un fiancé, passe encore ! Mais est-ce que la meilleure des jeunes filles peut décommander des couturières, des maîtres d’hôtel, des prêtres, des officiers d’état-civil, les tapissiers de l’appartement déjà choisi, les meubles, les cadeaux, tout cet appareil de l’argent qui vous enchaîne et vous meurtrit, et au prix duquel la pensée ne pèse pas plus qu’une alouette égarée et expirante en plein ciel. L’alouette retombe. Cela fait moins de bruit qu’un bris de meuble ou de vaisselle. Cela n’est rien.

Ah ! mon ami, que sommes-nous, toi et moi, par ce temps d’Exposition Universelle et de matérialisme ? Quelle chimérique industrie est la nôtre ! Mais ne crains pas que j’abandonne. Tu me connais. Je reste à tes côtés. Quand tu m’auras relevé de mes ruines, Philippe, j’entreprendrai ces grands travaux sur les vieux textes romans, sur le cycle de la Table ronde, et sur Tristan et Yseut. Lorsque je répéterai les paroles du douloureux poème à propos du chèvrefeuille et du coudre enlacés : « Si est de nous : ni vous sans moi, ni moi sans vous, » surtout : « ni moi sans vous, » tu sauras, toi, à qui je songerai. Tu sauras pour quoi et pour qui j’ai juré de vivre solitaire.

El toi qui la verras encore, ma petite Anne-Marie, toi qu’elle estime, qu’elle sait mon ami le plus intime, tu me parleras quelquefois d’elle : tu me diras les occasions où elle t’aura donné pour moi un regard éloquent dans un visage sans sourire. Mais un jour viendra peut-être où elle ne résistera plus à l’entraînante tyrannie des obligations mondaines, même vis-à-vis de toi. Elle oubliera qui tu es. Elle n’éprouvera plus que le plaisir de ta visite mêlée aux autres visites. Alors tu cesseras de me dire que tu l’as rencontrée, et je ne te questionnerai plus.

A demain, n’est-ce pas, dès que tu auras reçu ce mot.


RENAUD D.


II. — 1890


Georges Tréval à Edmond Larmechin.


Paris, février 1890.

Vous n’êtes pas un inconnu pour moi, monsieur, et je vous recevrai bien volontiers. Ces messieurs ont déjà distingué votre jeune mérite. Et l’un d’eux, dans une réunion récente, — pourquoi ne pas le nommer ? c’est M. Philippe Pageyran, — affirmait que vous honoreriez avant longtemps la science philologique. Au surplus, je n’étais pas sans avoir remarqué dans la Revue médiévale et dans la Romania une signature nouvelle au bas de quelques notes intéressantes.

Le fait même de vous adresser à moi, dont vous savez que les théories sont en désaccord avec celles de votre maître M. Renaud Dangennes, prouve assez la liberté et la qualité de votre esprit. Vous voulez pratiquer sur les hommes cette méthode critique, indispensable à la bonne conduite de nos études, que vous pratiquez déjà sur les textes ou sur les monuments de diverses natures. La modestie devrait m’interdire de vous décerner un éloge dont je suis l’occasion. Mais la vérité m’oblige à reconnaître, dans la rareté de votre démarche, un trait qui signale votre mérite et gage votre avenir. Car il n’est rien de plus rare que l’indépendance du jugement chez les disciples d’un grand maître, et rien de plus stérile qu’une admiration exclusive. Vous évitez cet écueil. Vous ne donnerez pas contre un autre, qui serait de vous imaginer que mes différends scientifiques avec M. Renaud Dangennes m’empêchent d’apprécier ses travaux, même si je n’en partage pas l’esprit.

Toutefois, monsieur, je ne veux pas attendre le moment de votre visite, où nous discuterons à loisir de vos projets sous le signe de Minerve, pour répondre à certain point de votre lettre qui me semble se placer sous le signe d’une déesse moins sage. N’allez pas croire que je vous soupçonne d’avoir écrit le subtil alinéa que je vise ici, avec la pensée que je dusse y faire une réponse quelconque : mais je prétends vous y en faire une, ne fût-ce que pour écarter, de l’entretien que nous aurons sous peu, la surprise toujours possible d’un débat aussi vain qu’irritant. Je sais que le chapitre est délicat entre tous. Me trouverez-vous plus indiscret de vous y contredire, que vous n’avez cru l’être en l’évoquant ?

Ce m’est un sujet perpétuel d’étonnement que la confusion de louanges dont on auréole M. Renaud Dangennes. Vous du moins, monsieur, vous avez la charmante excuse d’une jeunesse généreuse et sentimentale. Mais je n’en suis pas moins fâché pour cela, et même je le suis davantage, parce que cette jeunesse généreuse et sentimentale donne un regain de force à une légende, ou plutôt à une équivoque dont on pouvait croire l’usure consommée.

La gloire de M. Renaud Dangennes ne devrait lui venir que de ses travaux. Sous le prétexte qu’il les nourrit de son cœur et d’une flamme secrète autant que de son esprit, — comme si ce n’était pas une loi commune à ceux qui écrivent ! — on veut qu’il soit non seulement l’auteur, mais le héros de son œuvre, un héros douloureux et ascétique, tout embelli d’un sacrifice déjà lointain et volontairement entretenu.

Mais qui n’a pas souffert dans sa vie un sacrifice de ce genre ? et qui ne l’a point oublié, ou réduit, avec la complaisance du temps, à l’état de souvenir sans poids ? Il me fâche que l’on continue à vivre au regard des autres comme si on le ressentait encore, ce sacrifice lointain, alors que toute votre vie s’est renouvelée en son fond, malgré les apparences d’une inflexible continuité.

En admettant le contraire, comme vous le sous-entendez pieusement à propos de M. Dangennes, que vaut un sacrifice dont on tire un profit aussi considérable ? Je ne dis pas que M. Dangennes exploite lui-même sa légende. Je reconnais qu’il observe depuis toujours un mutisme absolu sur son cas, à supposer une fois encore que le cas subsiste. Mais il est déjà trop qu’à la faveur de ce mutisme absolu il ait permis à ses amis et permette aujourd’hui à ses élèves, comme je vois, d’exploiter pour lui et pour son œuvre cette légende d’un sacrifice que lui-même a peut-être oublié. Il n’est pas sans le savoir. Il a comme intime ami M. Philippe Pageyran, auquel aboutit tout ce qui le concerne. Et il jouit d’une autorité assez grande sur M. Pageyran, sur tous ses fidèles, vieux ou jeunes, pour supprimer, s’il le voulait, cette situation ambiguë.

Vous m’objecterez la beauté de son silence et l’indiscrétion dont il se chargerait en parlant plutôt qu’en continuant de se taire.

Je vous répondrai qu’il y a des silences plus indiscrets que certaines paroles. Songez que M. Dangennes n’est pas le seul intéressé dans cette affaire. Une femme existe, infiniment digne, qui peut souffrir de ces murmures. Elle a un fils de votre âge ou à peu près, monsieur. Elle appartient à un monde qui n’est pas sans contact avec le nôtre. Et il lui arrive de rencontrer M. Dangennes, très rarement, soit, au milieu d’assemblées nombreuses, je le veux bien, du regard seulement, je le veux encore, en dehors de toute préméditation, je le veux toujours. Mais ces rapprochements fortuits et en quelque sorte distants réveillent la langue de certains témoins, sans intention mauvaise. Au contraire, on croit bien faire et flatter les deux héros en signalant la constance si belle et si haute de l’un d’eux. La légende continue de fleurir jusque dans le monde, d’autant plus impressionnante et justifiée que M. Dangennes s’en tient à l’écart par ce silence volontaire. Que savons-nous s’il n’y va pas de la paix d’un ménage ? De petites choses la troublent souvent plus que les grandes. Et M. Dangennes, par galanterie, serait bien inspiré d’ordonner la fin de tous ces chuchotements.

Mais laissons ce point qui nous éloigne de vous. Laissons aussi la question du profit momentané que l’œuvre de M. Dangennes peut retirer de circonstances étrangères à elle-même. Si je me suis engagé sur ce terrain glissant, c’est à votre suite, et dans votre intérêt. Il y a danger pour vous, pour votre esprit critique, et jusque pour l’admiration dont vous honorez votre maître, à voir ce maître sous un jour autre que celui de la science pure. Un temps arriverait où, plus mûr, vous vous étonneriez de ne plus trouver en lui, je veux dire dans ses travaux, ce que vos yeux plus jeunes y avaient primitivement vu. Combien de monuments littéraires jouissent d’un crédit où n’interviennent pas que des raisons intrinsèques ! Ils sont menacés de corrections et de réductions qui les laissent moins grands qu’ils ne l’eussent d’abord été, et qu’ils ne le fussent restés, sans ces embellissements caducs du dehors. Craignez donc de rendre un mauvais service à votre idole en la parant d’un charme qui n’a point de rapport avec son charme propre, et de vous rendre un mauvais service à vous-même, créateur d’une œuvre prochaine, en confondant deux ordres de choses qui se doivent exclure.

Nous nous entretiendrons de cette œuvre prochaine dans un esprit net et confiant, puisque voici notre rencontre débarrassée de toute équivoque. Vous saviez déjà qui j’étais, et vous n’avez pas craint de solliciter les conseils libres de quelqu’un dont le labeur ne progresse guère dans les sillages officiels. Vous savez maintenant un peu plus quel je suis. J’espère que bientôt vous le saurez mieux encore, en constatant que vous pouvez compter sur moi.

GEORGES TREVAL.

P.-S. — Notre science a besoin d’être vétilleuse. Et là comme en tout, le solfège doit précéder les grandes exécutions. Une étourderie de plume, que je préfère vous signaler par lettre que de vive voix, vous a fait écrire filtre au lieu de philtre. Vous êtes presque mieux placé que moi pour savoir que la double orthographe du mot, ou plutôt que les deux mots correspondent à deux significations, et que filtre désigne tout appareil à purifier l’eau, tandis que philtre désigne un breuvage magique, en l’espèce le « lovendranc, » dont l’absorption a rendu pour la vie Tristan et Yseut amoureux l’un de l’autre.

G. T.


III. — 1892


Philippe Pageyran à Renaud Dangennes.


Ce jeudi soir, avril 1892.

Ta vieille bête de compagnon d’armes a tremblé tout à l’heure, en lisant dans les journaux l’annonce de ton élection à l’Académie française. Tu n’y attachais pas une extrême importance, et mon admiration pour toi se passait des suffrages de l’Académie. Aussi, je laisse à tes autres amis, à tes ennemis mêmes, voire à M. Georges Tréval, le soin de célébrer ta gloire officielle. Me réservant la meilleure part, je veux fêter dans ton succès nos vingt-cinq ans, et plus, d’intimité, ton cœur admirable, ta jeunesse enfin récompensée. Et c’est parce que je suis ton plus intime ami que je ne viendrai pas me mêler à la foule de ce soir, chez toi.

Mais demain, nous deux, toutes portes closes, nous remuerons des cendres. Il y a tant d’années que nous étions muets sur certaines choses. Tu m’autoriseras bien à rompre enfin ce silence. Car c’est pour le fantôme toujours aimé et parfois entr’aperçu dans le monde, mais comme à travers un silence infranchissable, sans qu’un mot ait jamais descellé vos lèvres l’un vis-à-vis de l’autre en ces rencontres, c’est pour le fantôme toujours aimé que tu as travaillé, que tu as triomphé. C’est à ta petite Anne-Marie que tu offres de loin, et par-dessus un monceau d’années, cette couronne. Tu as tenu ta promesse. Tu célèbres aujourd’hui dans ton cœur tes noces d’argent. Quelle consolation de te dire : « Aujourd’hui, à cette même heure, après un quart de siècle, une femme s’est retirée au fond d’elle-même. Elle choie, elle fleurit, elle encense mon nom. Elle célèbre en soi les noces d’argent de mon souvenir. »

N’en doute pas, mon ami. Elle ne te l’écrira pas, malgré l’occasion unique et légitime, et fût-ce sous une forme très atténuée. Mais n’en doute pas. Comment pourrais-tu en douter, toi qui fus la constance même ? Voilà ce qu’elle se dit maintenant. Voilà ta récompense. Savoure-la, même au prix d’une larme que moi seul connaîtrai. On a bien le droit de pleurer sur un rêve de jeunesse dont on n’a jamais démérité, qui s’était éloigné de vous un malin de printemps, et qui, un soir de neige, vous rapporte sa palme mystique.

A demain. Je t’embrasse. Ma femme l’embrasse aussi, et mes enfants leur grand ami.

PHILIPPE P.


Georges Tréval à Renaud Dangennes.


Georges Tréval exprime à Renaud Dangennes, son collègue et ami, ses plus vives félicitations à l’occasion de son élection à l’Académie française.


Edmond Larmechin à Renaud Dangennes.


Ce vendredi matin.

Monsieur et cher maître,

Si je n’avais écouté quo mon cœur, je serais allé vous présenter mes félicitations hier soir, dès que j’eus lu dans le Temps l’annonce d’ailleurs escomptée de votre élection a l’Académie française. Mais j’aurais craint de déranger une fête où il est normal que les enfants ne paraissent qu’au dessert.

Les enfants, ce sont vos disciples et toute cette jeunesse des écoles, pour qui votre nom représente tant de beautés confondues. La joie est parmi nous. Elle viendra bientôt battre votre porte, toujours si obligeamment entr’ouverte. Ce n’est pas que nous applaudissions au choix de l’Académie comme à une inspiration généreuse. L’Académie n’a fait que suivre les conseils et l’ordre de la justice, en consacrant aux yeux du monde la science philologique française dont vous avez été à la fois la source toute neuve et le large fleuve fécondant. Mais ce que le choix d’aujourd’hui nous offre, à nous qui vous avions élu depuis longtemps, c’est l’occasion de faire éclater sans fausse retenue nos sentiments à votre égard. Certes, vous les connaissiez, et vous les deviniez si bien ! Quelquefois vous vous accordiez, et plus encore vous nous accordiez le souriant plaisir de nous les confesser à nous-mêmes, en notre place, nos sentiments, et par là de les augmenter. Et nous qui vous les donnions, nous n’osions vous les traduire, ni franchir les barrières d’un respect que l’exemple de toute votre vie maintenait sacrées entre vous et nous. Mais la circonstance actuelle, bien loin d’accroître les distances, ne vous mêle-t-elle pas plus étroitement à votre famille d’élèves ? Est-ce qu’elle ne nous autorise pas à écarter les barrières ? Votre amitié pour nous se froissera-t-elle de connaître enfin la raison pressentie de la nôtre ?

Mon cher maître, puisque j’ai souvent discerné dans vos encouragements un autre sourire que celui de l’esprit, me permettrez-vous, à moi que vous vous plaisez à nommer votre disciple préféré, de répandre aujourd’hui un peu du secret de mon contentement ? Me blâmerez-vous, si, à la faveur de mon plus grand bonheur, j’ose écrire à l’auteur de si nombreuses, si fortes, si belles études sur les romans du moyen-âge et principalement sur Tristan et Yseut, que son triomphe d’hier me parait aussi chargé de sens intime que de sanctification publique ?

Toute votre vie a réalisé cette miraculeuse équation du caractère et de l’intelligence. L’un a été le collaborateur de l’autre. Alliance si rare, qu’elle doit être proclamée, si l’on veut vous comprendre.

Est-ce un choix de votre seul esprit qui a déterminé l’objet de vos travaux ? Vous avez apporté à la recherche scrupuleuse, je ne dis pas la simple conscience professionnelle, ni la simple vertu d’une intelligence aiguë, mais une piété passionnée, de source plus lointaine, qui tout ensemble échauffe et rafraîchit votre œuvre, et la hausse au-dessus des niveaux ordinaires. Il est constant que le public, et mainte fois à tort, égale les poètes aux figures de leurs poèmes. Dans ma pensée, dans celle de tous, même de ceux qui vous boudent, une identification semblable et toute justifiée ici, dont vous ne vous formaliserez pas, s’est faite entre vous et les héros que vous faisiez revivre. Car votre œuvre est un long poème. Car ces poèmes du moyen-âge ne semblent si beaux que parce que vous avez créé ou recréé leur beauté par votre flamme, — proposition qui paraîtrait hérétique, si vous ne fournissiez en même temps les assurances d’une exactitude aussi parfaite que possible dans l’état actuel de la science et accrue par vous au profit de tous. Vous dépassez la mesure habituelle du savant, grâce à une humanité supérieure qui vous dresse comme une tour émouvante et attirante aux regards de la plaine. Une tour est toujours solitaire au milieu d’une foule. Elle fournit aussi l’image d’une mystique servitude. Votre œuvre est le fruit de cette solitude et de cette servitude volontaire. Tout grand œuvre est monacal. Et qui ne sait que servitude volontaire devient à la longue liberté complète ? Un bonheur initial, qu’on s’imagine libre, n’aboutit souvent qu’à une lamentable détresse, tandis qu’une grande peine est souvent la condition première du bonheur et de la sérénité...

Mon cher maître, je parlais plus haut, en plaisantant, d’enfants et de dessert. L’image avait plus de justesse et de gravité qu’elle n’en paraissait avoir. Vos élèves, vos fils spirituels, ont décidé de vous offrir un livre d’or sous la forme d’un recueil de Mélanges. Tous n’y paraîtront pas. Pour la plupart, ce sont des maîtres que nous convierons à nourrir notre entreprise, pour qu’elle soit digne de vous. Mais nous avons voulu , que ce fût la jeunesse qui en eût d’abord l’idée et qui vous l’annonçât. J’ai consulté M. Pageyran à ce sujet. Il m’a approuvé, et il a accepté d’être le président du Comité, dont il a trouvé bon, comme mes camarades, que je fusse le secrétaire.

Veuillez agréer, etc..

EDMOND LARMECHIN.


IV. — 1894-1897


Renaud Dangennes à Madame Anne-Marie Varages.


Paris, février 1894.

Madame,

Un grand malheur vient de vous arracher le compagnon de toute votre vie. Il n’est aucun de vos amis qui ne l’ait ressenti avec l’émotion la plus vive. Souffrez, Madame, que je m’approche d’eux et de vous, pour vous témoigner combien la pensée de votre affliction me touche. En vous le cachant, j’aurais cru manquer au devoir que la vérité impose, et je ne doute pas un instant que vous n’agréiez, comme je l’éprouve, l’aveu que je vous en fais, et qui est sincère.

M. Varages était un homme de bien et un galant homme. Il s’est montré digne du bonheur qu’il a trouvé en vous. Il vous l’a rendu. Il vous a donné presque trente ans de sa vie Et tout être humain, écoutant la voix intérieure, ne peut que s’incliner avec respect devant l’exemple de M. Varages, dont le côté naturel n’exclut pas la beauté grave. Aussi, Madame, je ne puis dissocier de la pensée de votre malheur si soudain celle de votre long bonheur qui s’y trouve enclose. Et plus que de simples condoléances, c’est un hommage général que je vous prie d’agréer ici, à l’occasion de la mort de M. Varages, et en son souvenir. Je mêle, à tout ce que je vous exprime, la pensée de M. Varages votre fils.

RENAUD DANGENNES.


Philippe Pageyran à Renaud Dangennes.


Paris, février 1894.

Mon cher ami, le journal m’est tombé des mains. Je ne sais ce que j’ai ressenti d’abord. Je t’écris dans la première violence de mon émotion. Il m’est impossible de ne pas t’écrire, quitte à te paraître insensé. Je souffre pour toi. Car tu dois souffrir étrangement, d’une aussi grande douleur s’abattant sur des épaules aussi chères. Il est certain que si tu étais Dieu, tu ressusciterais cet homme, et que tu restaurerais aussitôt en sa paix habituelle un foyer dont le bonheur t’est plus cher que toute autre chose. Mais as-tu même le droit d’exprimer, à celle qu’il intéresse, l’inutile souhait de ta généreuse souffrance ?

Mon pauvre ami, l’angoisse m’étreint. Comprends-tu ? Angoisse de m’imaginer tes sentiments. Angoisse de ce vide soudain, créé par la chute de ce bloc de près de trente années. Il me semble que tu viens de perdre à nouveau ton rêve d’autrefois, puisqu’Anne-Marie vient de perdre le résultat heureux forgé alors par le sacrifice de ton rêve. Et tu pleures devant cette perte renouvelée, devant cette pensée que l’événement d’aujourd’hui rend en quelque manière stérile ton arrachement lointain, et qu’en même temps, à cause de cela, cette tombe scelle à jamais...

Ah ! je préfère retenir ces nuances d’une méditation aussi confuse à formuler que j’en ressens avec acuité le thème et les termes. J’irai te voir. Cela vaut mieux. Excuse cette lettre un peu folle. Mais elle est d’un ami qui ne permettrait à personne de se dire aussi complètement que moi ton ami.

PHILIPPE P.


Philippe Pageyran à Renaud Dangennes.


Thiviers, septembre 1896.

Je boucle mes valises. Je partirai demain. Je serai le soir à Paris. Et tu me verras après-demain dans la matinée.

Je ne sais d’ailleurs pas pourquoi je te donne ces vaines précisions. Tu connais déjà l’heure certaine de mon arrivée, sans qu’il soit besoin de confirmation nouvelle. Et la circonstance m’eût fait revenir du bout du monde, à la minute nécessaire. Ce n’est pas un tableau de mon temps que je voulais l’écrire. Je veux t’écrire. Voilà tout. Je veux que tu reçoives, avant mon arrivée, ce qu’il me serait peut-être moins facile de te présenter tête-à-tête, malgré l’intimité de toute notre vie.

Par ce crépuscule de septembre admirable, dans le recueillement de la province, et avec des mots banals puisqu’il n’en existe point d’autres, je t’envoie mes félicitations et mes souhaits à l’occasion de ton mariage avec Anne-Marie.

Ce sont des souhaits vieux de trente ans. Ils n’avaient pu servir. Ils ont gardé toute leur fraîcheur, malgré les années. Et ils ont accru leur force d’année en année. Sois heureux. Tu l’as toujours été, puisque tu as toujours aimé, puisque tu sais maintenant que tu n’as jamais cessé d’être aimé. Et ce que l’âge a pu vous ôter de sourires visibles à l’un et à l’autre, il vous le remplace par l’illumination intérieure, par un sentiment de confiance indestructible qui sauve de toute crainte le présent et l’avenir. Vous avez tous deux la jeunesse éternelle, celle de vos vingt ans retrouvés intacts en vos cœurs, celle qui couronne le front des sublimes amants.

Je te jure, mon ami, qu’il n’est personne qui ne s’incline. Les plus difficiles sont obligés de reconnaître la pureté de votre décision, en songeant à vos attitudes antérieures, alors que M. Varages était de ce monde. Les délais que vous avez observés ne prêtent à aucune critique. Remettre davantage ne répondait désormais à aucun scrupule, quelque noble qu’il fût. Cela aussi, on le sent. Et comme vous avez bien fait de choisir la date des vacances qui vous permet la stricte intimité de vos quatre témoins et de M. Varages fils ! Deux mois plus tôt ou deux mois plus tard vous contraignait à ouvrir vos portes. Mais ceux-là mêmes qui vous en eussent voulu, si vous ne les aviez pas invités alors, ne vous eussent pas moins reproché de rompre en leur faveur le caractère austère de votre réunion, et en quelque sorte la solitude qui lui est indispensable.

Il est pourtant quelques cœurs très chers qui regretteront d’être loin. Tu devines qu’il s’agit de ma femme et de nos enfants. Ils le regrettent et ils t’approuvent. Et leur cœur est en moi qui serai auprès de toi.

Mais si je les excepte et si je m’excepte, le plus heureux de tous est Edmond Larmechin. Quelle délicate pensée tu as eue de le choisir pour ton second témoin, lui jeune homme de trente ans, s’il les a, de préférence aux cinquante ans de tout autre ami de notre génération ! Le brave garçon m’en écrit une lettre touchante. Comme il n’ose, en dépit du poste de confiance où tu l’appelles, te confesser toute l’étendue de son affection et de sa reconnaissance, il me supplie de me faire son avocat. Ah ! celui-là t’est dévoué au delà de toute expression : et tu l’as senti, puisque tu l’as choisi.

Quant à moi, mon ami, je rends grâces aux dieux de m’avoir fait vivre.

PHILIPPE PAGEYRAN.


Georges Tréval à Renaud Dangennes.


Fontainebleau, septembre 1896.

Monsieur et cher collègue,

Veuillez agréer toutes mes félicitations à l’occasion de votre mariage avec Mme Varages. Elles ne sont pas de simple convenance. Comment le seraient-elles, quand je puise dans le souvenir de notre commune et lointaine jeunesse au moins quelques raisons qui vous peuvent et vous doivent persuader le contraire, sans qu’il me soit nécessaire d’insister davantage ?

Recevez, Mme Dangennes et vous, tous mes vœux. Présentez à Mme Dangennes mes hommages. Et croyez, mon cher collègue, que je ne désire rien tant que la réponse de votre estime à celle, très respectueuse, que j’affirme que j’ai pour vous.

GEORGES TREVAL.


Philippe Pageyran à Renaud Dangennes.


Thiviers, septembre 1897.

Ta lettre m’inquiète par son imprécision plus encore que par la nouvelle qu’elle m’apporte. Anne-Marie est malade ? Mais comme nous le sommes tous, n’est-ce pas, de temps en temps ? Les bonnes gens de mon enfance racontaient que septembre, de même que mars, se plaît à nous gratifier d’indisposition passagères. Ecris-moi vite que l’indisposition d’Anne-Marie n’est pas autre chose, qu’elle est même chose terminée au moment où tu lis ces lignes, et que tu fêtes dans une intimité bien quiète le premier anniversaire de votre réunion.

PHILIPPE PAGEYRAN.

P -S. — Ton télégramme m’a fait rouvrir cette lettre vaine. Je suis atterré. Je me demande, malgré ton télégramme, si je ne rêve pas quelque affreux cauchemar d’une fatalité antique. Nous arrivons tous. Morte !… Ah ! mon pauvre ami ! mon pauvre ami !

P.


Georges Tréval à Renaud Dangennes.


Fontainebleau, septembre 1897.

Cher monsieur et ami,

J’ai éprouvé la plus douloureuse surprise à l’annonce du malheur qui vous accable. Il est sans consolation. Il retentit dans tous ceux qui vous connaissent et qui ont connu Mme Dangennes. Nous sommes tous en deuil, mon cher Dangennes, et réunis autour de votre deuil, qui absorbe dans sa grande ombre les nuances par où certains ont pu s’opposer à vous. J’espère que vous ne doutez pas de ma sincérité, et que vous me croyez, comme je suis, profondément vôtre.

GEORGES TREVAL.


V. — 1899


Philippe Pageyran à Edmond Larmechin.


Paris, juin 1899.

Votre lettre, Larmechin, m’a simplement indigné. Malgré certains murmures annonciateurs, je me refusais à croire que vous vous étiez rangé, vous aussi, dans la troupe des pharisiens brusquement déchainée contre votre maître et ami M. Renaud Dangennes. Les murmures ne mentaient pas. Ils ne mentaient que par insuffisance. Votre lettre les dépasse. Et vous leur apportez, à ces messieurs, la plus grosse pierre dont ils pensent assommer le grand homme.

Oh ! je sais ! Vous vous défendez d’agir par haine, ou entraînement, ou calcul, ou par quelque autre raison venue du dehors. Vous souffrez d’agir ainsi, vous en êtes désespéré. C’est votre culte pour M. Dangennes qui se révolte contre M. Dangennes lui-même, coupable de trahir son propre culte. Et si vous n’aimiez pas M. Dangennes, dites-vous, vous ne lui donneriez pas tant d’insultes. Ce dernier mot n’est pas de vous. Mais ce sont bel et bien là des insultes sous le couvert d’étonnement douloureux et d’idéal blessé.

Eh bien ! c’est vous, Larmechin, le plus coupable, et non les confrères intéressés ni les disciples impatients. C’est vous, parce que vous vous prétendez inspiré par le seul amour dans cette campagne odieuse. Mais je vous estime encore assez, pour tenter de vous arracher aux nuées où s’égare votre vieille affections pour le maître impeccable.

Oui, deux ans à peine après avoir perdu sa femme, — et vous n’avez pas à m’apprendre les mérites de cette femme, — oui, M. Dangennes va contracter un nouveau mariage. Ne feignez pas d’accorder à M. Dangennes le bénéfice d’un doute ultime sur ses intentions, ni de trouver que M. Dangennes « témoignerait » à tout le moins d’une hâte critiquable.

Ah ! ce « témoignerait » est d’une pudeur superflue, Larmechin. Dites franchement : « Il témoigne. » Dites aussi : « Qui l’aurait cru ? » puisque toute votre lettre étouffe de cette exclamation rentrée.

Il se remarie. Et ce crime, n’est-ce pas, trouve sa mesure dans la mesure même de la fidélité que M. Dangennes avait vouée ou semblé vouer à Mme Varages ? N’allez-vous pas jusqu’à croire in petto que cette fidélité antérieure a pu n’être qu’une comédie ? Je vous entends protester : ce mot-là n’est pas de vous non plus. Ce sera donc moi qui oserai dégager votre pensée profonde, que vos allures véhémentes enveloppent d’une pénombre commode bien loin de les pousser en pleine lumière.

Une comédie, cette fidélité de trente ans, dont vous ne soupçonnez seulement pas le vrai sens, le vrai nom ! Mais d’abord, répondez donc à cette question : croyez-vous que cette comédie de fidélité eût jamais pris fin, si tous deux, M. et Mme Varages, avaient continué de vivre ?... Vous avez répondu. Vous ajoutez peut-être à votre réponse forcée que cela ne change rien à votre étonnement douloureux, que cela même l’augmente.

Et si Renaud Dangennes se fût marié à quelque Mme X. du vivant de M. Varages ? l’eussiez-vous honni ? quelle raison eussiez-vous avancée pour le honnir ? serait-ce la promesse qu’il avait faite à l’âge de vingt-cinq ans ? Mais quel caractère valable conserve aux yeux d’un homme une promesse de ce genre, faite par le jeune homme dans un moment où la douleur obscurcit le jugement ? est-ce à l’abandonné de payer indéfiniment les frais de l’abandon ? est-ce qu’il y a eu dans l’espèce une contre-partie qui liât M. Dangennes ? est-ce qu’Anne-Marie, — pour qui, notez-le, j’ai toujours partagé l’entière vénération de mon ami, — s’était cru liée par son propre amour ? avait-elle demandé l’exécution d’une promesse quelconque ? et quel juge assez rigoureux eût blâmé Renaud Dangennes de céder un jour aux conseils de la vie, à l’appel d’un bonheur réparateur qu’il méritait plus que tout autre et autant que Mme Varages ? est-ce Mme Varages elle-même qui l’en eût blâmé ? Non. Est-ce M. Georges Tréval ? Non. Est-ce vous ?...

Ici aussi, Larmechin, vous ne pouvez répondre que d’une seule manière. Et n’objectez pas que là n’est pas la question, que je me joue dans des hypothèses d’autant plus gratuites qu’elles s’égarent dans un passé périmé. Ces hypothèses comportent des solutions indubitables, qui devraient déjà vous ramener de votre état de passion unilatérale et fausse à un état de réflexion saine. Mais laissons. Et revenons-en au fait brutal, c’est-à-dire à cette fidélité de trente années, aujourd’hui réduite dans votre esprit au calibre bouffon d’une simple comédie.

Qu’est-ce donc que cette fidélité si longue, sinon un veuvage de trente ans ? Cet homme a été veuf trente ans ! Qu’importe s’il l’a été « avant, » au lieu de l’avoir été « après ! » Ou plutôt si. Il importe beaucoup. Car ce veuvage n’en a été que plus atroce, absorbant toute la vie jusqu’en ses perspectives extrêmes, sans compensation préalable, cependant que la femme aimée vivait, connaissait le bien-être d’un foyer avec le charme d’être mère. Ah ! vous n’avez pas été le témoin, vous, des pleurs versés le jour où il l’a perdue, au son des orgues nuptiales ! Vous ignorez aussi ceux que lui arracha, plus cruels encore, la naissance de ce fils qui aurait dû être son fils. Dans la suite, s’il acceptait que son plus intime ami amenât parfois l’entretien sur Mme Varages, il lui ordonnait d’en écarter le chapitre de l’enfant, car c’est la taille croissante de cet enfant qui marquait l’accroissement régulier, irréparable, semblait-il, du malheur de mon vieil ami.

Or, comparé à l’unique année de mariage de Renaud Dangennes, que vous jugez sans doute une récompense suffisante, ce veuvage de trente années ne vous paraît pas une assez bonne mesure de souffrance. Il vous faut tout. Il vous faut son renoncement à l’ultime réconfort de quelques heures, dont il croit pouvoir honorer le souvenir de celle qu’il aime toujours. Il vous faut savourer son désespoir absolu, la désolation de sa mort avant sa mort même. Vous êtes insatiable, et vous prétendez aimer Renaud Dangennes !

Non, vous ne l’aimez pas. Vous avez cru l’aimer. Mais vous ne l’aimiez pas. Vous n’avez pas aimé en lui sa souffrance, vous n’avez aimé en lui que son exemple, — ce qui n’est pas la même chose. Car jamais il n’a voulu se proposer en exemple aux yeux de personne. C’est vous tous qui l’avez créée, cette idée d’un exemple, les uns pour vous en exalter, les autres pour vous en irriter. Et je vais peut-être vous étonner, Larmechin : ce n’est pas Renaud Dangennes que vous admiriez en Renaud Dangennes, c’était vous-même, oui, vous-même, égoïstement. Vous vous saviez gré d’éprouver cette admiration dont il vous fournissait le prétexte. Par orgueil, vous faisiez de lui un demi-dieu, une sorte d’être spécialement voué à un supplice exquis et noble qu’il finissait par ne plus ressentir lui-même, tant il planait haut, — tout cela pour que vous en jouissiez, vous, comme le fidèle jouit des souffrances de Jésus, et comme il s’aime de L’aimer.

Aujourd’hui, vous vous apercevez que Renaud Dangennes est un homme. L’horrible déception ! il est un homme. Et vous le décrétez coupable d’une trahison qui n’est que dans votre pensée, puisque votre pensée seule avait forgé le principe des obligations auxquelles vous enchaîniez arbitrairement Renaud Dangennes.

Il n’est qu’un homme, un homme misérable. Je ne vous accablerai point trop de Pascal en vous rappelant que c’est justement là sa grandeur. Mais si misérable soit-il, un homme n’est point l’esclave des autres hommes, comme un Dieu ou un héros peut l’être de ses adeptes. Et n’opposez pas à mon Pascal votre Plutarque ni votre Corneille. Il est si commode de lire Plutarque et Corneille au coin du feu, quand on a trente ans, une jeune femme charmante, des enfants, et cette somme d’aises qui vous disposent l’esprit à concevoir toutes les exigences de la chimère ! Il est si commode de revendiquer pour les autres le devoir d’être un héros, quand soi-même on savoure le repos des sens et la quiétude des sentiments !

Ah ! vous voulez admirer ! Admirer ! Faites mieux que cela : comprenez. Admirer n’est souvent qu’un exercice acrobatique et vain de notre cervelle, et l’on croit qu’il s’agit du cœur. Comprendre, malgré les apparences du mot, est plus souvent une vertu du cœur qu’un attribut de l’esprit. Cessez donc d’admirer en maudissant, et comprenez, pour aimer. Comprenez, non plus ce qu’a été le veuvage de Renaud Dangennes, mais ce qu’a été l’unique année de sa réunion à Mme Varages.

Y avez-vous jamais songé, ou autrement qu’avec votre bonheur trop jeune ? Lorsque j’y songe, moi, je me demande si, à certains égards, il n’eût pas mieux valu que Renaud Dangennes ignorât ce pauvre bonheur d’un an. Oh ! je n’entends pas qu’il lui ait été une désillusion ! et il a même suffi de cette année exquise pour lui rendre impossible le retour à son ancienne vie. Mais quand même, de quelle mélancolie cet exquis fut fait ! Reprendre sous les cheveux blancs le propos interrompu un matin de jeunesse...

Chacun, bien qu’il se sût changé, savait, certes, l’autre changé aussi, mais il n’y croyait qu’en en doutant, à cause de son désir contraire et du souvenir intact. Vous direz, sous prétexte que la durée de leur séparation avait été jalonnée par des rencontres fortuites assez nombreuses, qu’ils avaient pu suivre sur eux les changements parallèles de leurs âges. Changements physiques, ne comptant guère, n’intéressant pas leurs esprits dont la double clôture pouvait leur faire croire qu’elle abritait des sentiments restés ceux de la première heure. Ces rencontres fortuites, en les empêchant de constater d’une façon soudaine et totale qu’ils avaient vieilli, ont même aidé leur croyance : que leurs cœurs n’avaient pas changé, et que leur amour, ayant cessé de vieillir dès le jour où ils s’étaient dit adieu, sommeillait, dans leurs cœurs inchangés, comme une belle au bois dormant éternisée dans sa jeunesse par son sommeil.

Mais voilà que la clôture tombe. Alors seulement ils comprirent. Ils se sentirent, dans leur étroite réunion, un peu plus loin l’un de l’autre que dans l’éloignement de leur séparation. Ce n’est pas Renaud Dangennes qu’elle retrouvait, mais quelqu’un qui lui rappelait Renaud Dangennes comme aucun autre n’aurait pu le faire. Ce n’est pas Anne-Marie qu’il retrouvait, mais quelqu’un qui lui rappelait Anne-Marie comme aucune autre n’aurait pu le faire. Jusque-là sans communication entre eux que la vue, ils avaient continué de s’aimer dans un présent prolongé. La séparation finie, ils s’aimaient dans un souvenir.

Et il n’empêche qu’il n’y eut rien que de parfait dans leur union si brève. Une duperie, cependant, leur union ? une mutuelle duperie ? Mais non. Ils étaient assez hauts, assez éclairés, pour ne se point dérober des nuances qui, par leur caractère identique, restituaient l’unité entre eux, et créaient à leur amour une atmosphère de délicieuse convalescence.

La convalescence n’est pas un état si déplaisant. Ce peut même être un état charmant. Où, plus qu’en elle, trouve-t-on l’appétit du renouveau et de la vie ? Le convalescent a des sourires qui manquent parfois à l’homme de pleine santé. Le convalescent connaît aussi les plus sensibles pudeurs, — pudeurs cependant avides de ressaisir les roses refusées à la longue mala die. Renaud Dangennes et sa femme se guérissaient l’un l’autre d’avoir été malades toute leur vie. Ce n’est pas tout à fait ce que leur illusion leur avait promis. Ce n’en fut pas moins quelque chose de précieux, et qu’ils savourèrent jusqu’en son grain de secrète amertume. Puis la convalescence a été brusquement interrompue...

Refuserez-vous plus longtemps de comprendre la leçon de ces choses, Larmechin ? et vous obstinant dans l’épaisse éloquence de vos formules, professez-vous encore qu’il est honteux de vouloir la continuation et l’achèvement d’une telle convalescence pour Renaud Dangennes ? Votre idéal exige que la convalescence demeure interrompue, c’est-à-dire qu’on rejette à son ancien mal le malade, moins propre à le supporter désormais.

Mais vous ne savez pas tout. A côté de cet amour souvenir, il y avait quand même eu un présent nouveau. Je sais qu’il va vous paraître mesquin. Vous jetterez les hauts cris. Souhaitez, Larmechin, de n’avoir jamais à provoquer semblablement les hauts cris d’un autre contre vous.

Il y avait quand même eu un présent nouveau : le foyer, l’humble vie ménagère où l’homme abdique toute initiative.

On a vécu seul, en étudiant, et l’on a été soi-même l’ordonnateur de ses soins journaliers. Rappelez-vous, Larmechin, votre Quartier Latin. Voici l’armoire à linge rangée par vous. Voici le placard d’une modeste, mais indispensable vaisselle, et les menues provisions de bouche qui la doivent remplir, le cas échéant. Voici même la petite pharmacie. Et le jour de la blanchisseuse ! et la boutique du stoppeur ! et celles des fournisseurs divers ! toute l’économie de votre studio, toute l’expérience que vous y apportiez ! Rappelez-vous, et combien vite cette expérience-là cette direction-là vous ont été ôtées. Par qui ? Par l’amour, par votre femme, par votre renoncement heureux.

L’homme marié, c’est l’homme qui a retrouvé sa maman. Vous n’êtes plus capable de vous habiller tout seul, Larmechin, ni de vous servir tout seul à table. Vos vêtements, votre linge, votre vaisselle, sont dispersés selon un ordre auquel vous n’avez plus de part, pas plus que vous ne connaissez désormais l’adresse de votre stoppeur ni de votre blanchisseuse. Et même, parfois, vous maugréez un peu, parce qu’il faut bien que l’on maugrée toujours un peu. Au fond, vous êtes lâchement ravi. Vous acceptez d’autant mieux cette dépendance que vous aimez davantage votre femme, tandis qu’à cet égard, lequel est énorme, votre femme n’a nul besoin de votre secours. Surtout ne me faites pas dire que la femme est une abominable calculatrice. Ce calcul fait partie de son amour, de son instinct. Il est obscur et puissant, et même inconscient, comme tout ce qui est maternel.

Et si vous vous retrouviez tout à coup dans l’état ancien, Larmechin, vous seriez une âme en peine, un enfant perdu, beaucoup plus que vous ne le fûtes quand vous avez quitté votre famille vers les dix-huit ou les vingt ans. Vous ne pourriez plus reprendre une espèce de lutte avec les petites difficultés matérielles, où vous avez été ferme cependant, où vous vous doutiez à peine que vous fussiez ferme, ceci grâce à l’habitude. Le courage est un peu une habitude. Mais une main douce est survenue, et vous avez aussitôt perdu l’usage de cette humble et nécessaire énergie. Un an suffit à détruire nos ressorts. Et voyez combien nombreux sont les célibataires qui le restent, mais combien peu il y a d’hommes veufs qui le restent. Ce sont même les plus amoureux de leur première femme qui se remarient le plus promptement, à la stupeur indignée de leur entourage, parce qu’ils s’étaient le plus complètement remis à une tendre vigilance de tous les menus soins qui tissent la vie.

Que la catastrophe s’abatte sur un homme déjà âgé, il n’est plus qu’une épave. Vous avez pu constater ce qu’est devenu Renaud Dangennes depuis dix-huit mois. Oh ! je ne réduis pas son chagrin aux seules proportions de ce facteur ménager, voire mécanique ! Mais soyez sur que ce facteur a agi, a accru la douleur essentielle. Et pourtant, M. Dangennes avait vécu en cénobite depuis combien d’années. Ce long avantage a été ruiné, annulé, sans reprise possible, par l’unique année de soins et de mélancolique bonheur dont il a été entouré.

Vous n’avez certes pas songé à cela, lorsque vous demandiez à votre femme qu’elle vous apportât vos pantoufles, dans le moment que vous vous apprêtiez à m’écrire votre lettre. Vous n’avez songé qu’à votre idéalisme saugrenu, Moloch qui réclame une victime vivante. Cela vous plait donc tant, Renaud Dangennes épave ? C’est cela que vous exigez qui continue ? Peut-être même ne vous serait-il pas déplaisant, quoique pénible, qu’il se suicidât, et sur le tombeau d’Anne-Marie ? Comme vous l’aimez !

Ah ! Larmechin, reconnaissez que ce n’est pas vous qui avez parlé dans cette lettre odieuse, ni même l’aigre M. Tréval, mais un tas de préjugés verbaux et parasites. Ils étouffent votre esprit meilleur, qu’ils font mine de parer d’une végétation luxuriante. Débarrassez-vous-en. Reprenez votre vérité humaine. Et songez à la femme qui va épouser M. Dangennes.

Cette femme vous est connue. Pourquoi donc vous êtes-vous abstenu de la mentionner dans votre diatribe ? C’est que vous ne pouviez la soupçonner d’aucune intrigue. Il vous eût été plus difficile encore de la prendre en pitié. Malgré vous, vous est apparue la pure gravité de son attitude. Et votre silence obligé à son sujet réfute assez bien tous vos griefs au sujet de votre maître.

Cette femme, qui sera Yseut aux blanches mains, tiendra avec piété la place d’Yseut la blonde. Mais, contrairement à celle du poème, elle le sait, elle l’accepte, elle ne se croit pas humiliée de remplir ce rôle écrasant, délicat et noble. Elle empêchera la vie de commettre son crime jusqu’au bout sur Renaud Dangennes. Elle achèvera l’œuvre nécessaire de convalescence commencée par Anne-Marie. Qui sait si elle n’y aura pas plus d’adresse bienfaisante que n’a pu en avoir la pauvre Anne-Marie elle-même ? Et je ne crois pas blasphémer en écrivant cela. Cependant elle ne cherchera pas à obscurcir l’image de l’Autre. Elle l’entretiendra. Elle prendra soin que le chèvrefeuille ne périsse autour du coudrier et ne l’entraîne dans la mort Et c’est elle-même qui ira fleurir le tombeau d’Anne-Marie. Cela vaut mieux qu’un sang romantiquement répandu.

Vous pouvez et vous devez tirer votre chapeau devant cette femme-là Larmechin. Vous qui aimez l’héroïsme, en voilà et d’autant plus émouvant qu’il est plus raisonnable et plus effacé. Quel rare privilège que le cœur d’une femme raisonnable, dans ces circonstances !

Quant à l’Aimée, si la pensée des morts visite celle des vivants, elle ne peut que dire à Renaud Dangennes :

« Tu as raison. Je t’ai pris toute ta jeunesse, toute ta force, toute ta vraie vie, sans rien te donner de la mienne. Je ne veux pas que ma mort replace sur tes épaules les chaînes dont mon trop faible courage les chargea, et dont je n’ai pu alléger le poids qu’un moment et à un âge sans grâce. Non, tu ne me trahis pas, comme on s’imagine. Non, ce n’est pas une étrangère que tu vas installer à ma place vide, puisque tu aurais pu tout aussi bien l’y installer au temps où elle était déjà vide et où tu n’avais aucune raison d’espérer me voir un jour Mais c’est une gardienne de mon souvenir, c’est ma déléguée auprès de toi, et je la remercie. »

Et à vous, Larmechin, si la pensée des morts visite celle des vivants, la pensée d’Anne-Marie doit vous dire :

« Vous avez été le fils d’élection de Renaud Dangennes. Une grande partie de votre valeur et de votre bonheur vous vient de lui. Il était malheureux, et il n’en a pas moins distribué aux autres ses bienfaits et la joie qui lui était refusée. Vous lui devez un léger retour. Vous avez été l’un de ses témoins à son premier mariage. Vous le serez aussi au second. C’est moi qui vous en prie. »

Voilà ce qu’elle vous dit, Larmechin. Vous ne refuserez pas. Je vous attends. Et nous déchirerons ensemble votre lettre, qui n’était pas digne de vous, parce qu’elle n’était pas digne de Renaud Dangennes.

M. Varages fils a lu ma réponse. Il vous adresse la même prière que moi, en souvenir de sa mère.

PHILIPPE PAGEYRAN.


GERARD-GAILLY.