... le Cœur populaire (1920)/La Frousse
Apparence
- La Frousse
- (Onze ans, six ans)
- — « Hé ! tu dors pus ?... Caus’ moi, Mémaine...
- Toi aussi t’ as h’entendu l’ coup ?
- C’est h’encor Pepa qui rentr’ saoul :
- y n’a dû claquer sa quinzaine !
- Serr’-moi fort,... boug’ pas,... écoutons.
- (Ah ! ton p’tit cœur fait du tapage !
- Y saut’ comme Fifi dans sa cage
- quand y voit l’ petit chat Miton.)
- Aie pas peur,... j’ suis là,... j’ suis ta « Grande »,
- tu sais ben cell’ qu’ est quasiment
- comm’ qui dirait ta p’tit’ moman ?
- Ben voyons, la cell’ qui t’ commande,
- qui t’ brabouill’, qui t’habill’, qui t’ peigne,
- qui t’ mouch’, qui t’ serch’ tes petits poux,
- cell’ qui ramass’ pour toi les beignes,
- cell’ qui t’aime à plein-cœur-d’amour !
- Bon sang ! Quoi c’est qu’y s’ passe en bas ?
- M’man est encore à sa couture....
- P’pa l’appell’ : — « Putain, pourriture ! »
- Vrai ! Pourvu qu’a n’y répond’ pas !
- Quand qu’y n’est bu y d’vient méchant :
- M’man dit toujours qu’all’ le plaqu’ra
- mais avant, y l’estourbira,
- pis nous... y nous en f’ra autant.
- Hier,... t’as vu ? Pour sercher querelle
- et tâcher d’y mette eun’ pâtée,
- y n’a craché dans nos écuelles,
- mais Moman a pas rouspété !
- T’ entends ? Y va, y vient, y rogne.....
- Pan ! Ça c’est nos joujoux qu’y cogne.....
- (Pourvu qu’avec ses gros souïers
- y n’aill’ pas les écrabouiller !)
- Pleur’ pas, Mémain’, c’est pour de rire ;
- laiss’ fair’, j’ fouill’rai dans son fann’zar ;
- ça et c’ qu’y m’ rest’ dans ma tir’-lire,
- j’ t’en ach’t’rai des aut’s au bazar.
- Mais surtout qu’y grimp’ pas nous voir,
- j’ai la frouss’ quand l’est dans la chambe,
- y pos’ son gros cul su’ nos jambes
- et y rest’ comm’ ça dans le noir....
- Y ricane, y caus’, ses dents grincent
- pis y nous chopp’, nous tât’, nous pince
- et nous farfouille où faurait pas.....
- Mais on peut rien dir’ : c’est Pepa !
- On s’ gare, on s’ noue, on s’ met en boule ;
- crier !... on prendrait l’ mauvais paing,
- c’est du coup qu’y perdrait la boule
- et nous f’rait passer l’ goût du pain !
- Tout ça vient de c’ que près d’ l’usine
- où tout’ la journaille y turbine,
- d’un Sam’di à l’autre Sam’di,
- y a plein d’ bistrots qui font crédit !
- Pis M’mam aussi a pas d’ toupet,
- pass’que moi, quand j’ s’rai pour m’ marier,
- sûr, j’ prendrai pas un ovréier
- ou c’est moi que j’ touch’rai sa paie !
- . . . . . . . . . . . . . . . . . .
- Mémaine ! Ej’ crois que l’ v’là, bon Dieu !
- voui voui,... enfonçons-nous au pieu ;
- tais-toi,... f’sons min’ de roupiller,
- n’os’ra p’t-êt’ pas nous réveiller.....
- Patatras, boum ! Minc’ de potin !
- Y bûche !... Y doit n’ête en cabosse.....
- Oh ! à preusent, y a pus d’émosse,
- y planqu’ra là jusqu’au matin !
- Preusent... on peut rabattre el’ drap
- on peut s’allonger à sa guise.
- Bonn’ nuit, ma gross’, fais-moi eun’ bise,
- serr’-moi ben fort dans tes p’tits bras. »