Le Bec en l’air/Aérostation

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Le Bec en l’airPaul Ollendorff. (p. 247-253).

AÉROSTATION


La question de la navigation aérienne vient, si j’en crois le dernier compte rendu de l’Académie des Sciences, de faire un nouveau pas.

M. Langley, Américain déjà connu pour quelques idées ingénieuses, et secrétaire de la Smithsonian Institution, a communiqué à la savante compagnie le résultat de ses expériences.

Un oiseau à vapeur construit par lui, et pesant 12 kilogrammes, s’envola de lui-même et parcourut près d’un kilomètre en une minute et demie ; après quoi, il se décida à regagner le sol.

Voilà un résultat coquet et un début plein de promesses.

Travaillez, monsieur Langley, perfectionnez votre engin et revenez-nous à l’Exposition de 1900 avec un aérodrome (c’est ainsi que M. Langley dénomme sa machine) capable d’enlever M. Sarcey et de le trimballer sur l’aile des zéphyrs, telle une plume de tourterelle.

(Un joli spectacle, dites, mesdames !)

Ce problème de la navigation aérienne m’a toujours passionné.

À peine au sortir de l’enfance, j’expérimentais des parachutes.

Un jour, entre autres, il me souvient d’avoir attaché à un vieux parapluie un panier dans lequel j’avais délicatement posé le chat d’un jeune ami à moi.

Nous étions au grenier.

Tout à coup, vient à s’élever une jolie brise N.-N.-O., à qui je confiai mon aérostat.

Le tout alla se heurter contre le clocher de l’église voisine, au coq duquel le chat, non sans terreur, s’empressa de s’agripper, en attendant qu’un intrépide pompier vint le quérir.

Plus jamais je ne fus réinvité dans la famille de mon jeune ami.

Quelques années plus tard, j’eus l’occasion de faire un nouvel essai d’aérostation animale.

C’était au quartier Latin, en la chaude après-midi d’un dimanche d’été.

Nous nous trouvions, quelques amis et moi, dans une brasserie de la rue de Médicis, transformée depuis, mais alors servie par un petit lot de jeunes femmes dont les noms en diront plus que d’épais discours.

Ces créatures s’appelaient Totote, Titine, Tata et autres.

Une horrible vieille bonne femme dont le nez et le sens très vif des transactions révélaient l’origine hébraïque (ne s’appelait-elle pas, d’ailleurs, Rebecca Lévy ?), entra dans l’établissement.

Cette personne était de celles qui trafiquent de tout, dans le quartier des Écoles, de tout, depuis le collier à huit rangs de perles jusqu’au modeste bâton de rouge à dix centimes.

Toujours accompagnée d’un affreux et ridicule petit chien, cette retorse créature me dégoûtait abondamment.

Pendant qu’elle essayait de vendre un corset à Titine ou à Tata (je ne me souviens plus bien), j’aperçus à travers les vitres un marchand de ballons rouges qui passait.

Vous devinez le reste.

En moins de temps qu’il n’en faut pour l’écrire, j’avais débarrassé le bonhomme de sa légère marchandise.

Avec la rapidité de l’éclair, la subtile Totote m’avait remis, sous couleur de le caresser, l’odieux roquet.

Une lanière passée sous le ventre de la bête vint s’accrocher à la corde des ballons rouges, et vogue la nacelle !

Je le répète, il faisait terriblement chaud, ce jour-là, et les ballons, dilatés au maximum, jouissaient d’une force ascensionnelle peu commune.

— Mame Rebecca ! mame Rebecca ! Votre cabot qui s’envole.

La mère Rebecca, affolée, sort à la hâte.

Trop tard, hélas !

Notre aérostat, déjà à la hauteur d’un bon deuxième étage, file dans la direction de la rue Soufflot.

— Suivez-le en voiture, mame Rebecca ; il finira bien par retomber à terre !

La mère Rebecca sauta dans un sapin.

Fous de joie, nous sautons dans une autre voiture, Tata, Totote, Titine, deux amis et moi.

Et nous voilà partis, les yeux et les bras en l’air, galopant à la suite de la hurlante vieille.

— Cocher, par ici ! Non, par là ! Le voilà qui tourne à gauche ! Non, à droite !

Les ballons continuaient à filer, à filer vers des destinations mystérieuses.

Le pauvre chien, qui d’abord avait aboyé comme un putois, semblait se faire une raison.

Nous arrivâmes ainsi avenue des Gobelins, où se tenait, ce jour-là, une sorte de fête foraine.

Un camarade eut une excellente idée.

Il saisit un de ces fusils qui servent à tirer les faux pigeons dans les foires, et creva un ballon.

Alors, tout le système dégringola, pas trop fort, heureusement, car l’infortuné cabot en fut quitte pour la peur.

La mère Rebecca en fit une maladie, et ne me pardonna jamais les cinquante sous de voiture que lui coûtait ma si curieuse expérience.