À formater

Aïda

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Aïda (1876)
Opéra en quatre actes
Traduction par C. du Locle et Ch. Nuitter.
Calmann-Lévy.
Page:Verdi-Aïda.djvu/9 Page:Verdi-Aïda.djvu/10 Page:Verdi-Aïda.djvu/11 Page:Verdi-Aïda.djvu/12

ACTE I


Tableau 1


Scène I

Salle dans le palais du roi, à Memphis.

A droite et à gauche s’étendent d’immenses colonnades, au milieu desquelles se dressent les statues des dieux. — Au fond, à travers de vastes pylônes, on aperçoit les temples, les palais de Memphis et les Pyramides.

Ramphis entre suivi de Radamès

RAD

Oui, l’on prétend que l’Éthiopie entière
Sur les rives du Nil ose porter la guerre
Thèbes est menacée ! — Avant peu, je saurai
Si ce qu’on dit est vrai.

RAD
Avez-vous consulté les dieux ?

RAM


C’est Isis même
Qui de nos défenseurs nomma le chef suprême.

RAD
Ah ! quelle gloire !…

RAM [regardant fixement Radamès]
Il est jeune ! il est valeureux !
Je vais porter au roi l’arrête des cieux ! [il sort]

RAD
<poem>Si j’étais ce soldat ! O sort auquel j’aspire !
Si je pouvais conduire
Au combat nos guerriers !
Être vainqueur ! rentre à Memphis dans ma gloire,
A toi, chère Aïda, consacrer mes lauriers…
Disant : « Tu m’inspira ! je te dois la victoire ! »
O céleste Aïda ! toi dont la grâce
Que rien n’efface
Sait tout charmer,
A toi mon âme est enchaînée,
Ma destinée
Est de t’aimer !
Qu’Isis m’entende,
Que je te rende
Ton beau pays, tes jours heureux.
Que je te donne
Une couronne,
Un sceptre d’or digne des dieux !


Radamès — Amneris

AMN

Dans tes regards quelle ivresse nouvelle ! Quelle noble fierté sur ton front étincelle ! Combien serait heureux Le destin d’une femme, Dont l’aspect dans tes yeux Saurait faire briller tant de joie et de flamme.

RAD D’un vain rêve le charme avait séduit mon âme Isis a désigné le chef que nos soldats Pour triompher, bientôt, suivront dans les combats !… Ah ! quel honneur !… si j’y pouvais prétendre !…


AMN Quelque autre rêve encore et plus doux et plus tendre Ne te charme-t-il pas ?… N’as-tu donc pas de désirs… d’espérance ?…

RAD [à part] O dieux ! quelle souffrance ! Que dit-elle ?… malheur !… Malheur ! si de mon âme Elle a surprit la flamme, Oui, c’est une autre femme, Qui règne dans mon cœur !

AMN [à part] Malheur ! si dans son âme S’allume une autre flamme ! Si j’ai pu lire dans son cœur Sur eux trois fois malheur !


LES MÊMES et AÏDA

RAD [apercevant Aïda]

Elle !

AMN [l’observant] Il se trouble ! et, le front pâle, Comme il la regarde ! AÏDA ! Peut-être ma rivale, C’est elle !… la voilà ? [Haut, s’approchant d’Aïda] Viens ! Aïda ! viens sans effroi ! Tu n’es pas ma captive. Parle ! d’où viens que je te vois Auprès de moi craintive ? Tu pleures !… dis-moi tes secrets : Dis-moi d’où naissent tes regrets ?

AÏDA Hélas ! déjà l’heure a sonné !… Un peuple armé s’assemble. Pour mon pays infortuné, Pour moi, pour vous, je tremble.

AMN Ne cache rien ! n’est-il pour toi D’autre sujet d’effroi ?… [Aïda baissant les yeux, cherche a dissimuler son trouble.]

RAD [à part, regardant Amneris] Je crains d’une âme altière La haine et la colère, Si ce profond mystère Doit paraître au grand jour !

AMN {{didas calie|[à part, regardant Aïda]}} Tremble, cœur faux et traître ! Que mon œil ne pénètre Un secret qui peut-être Va paraître au grand jour !

AÏDA [à part] Oh ! non ! non ! la patrie N’est pas seule chérie Dans mon âme meurtrie Par un fatal amour !


Les Mêmes, Le Roi, précédé de ses Gardes, et suivi de Ramphis ; puis des Ministres, des Prêtres, des Officier, un Officier du Palais, puis un Messager.

LE ROI A l’heure du danger Votre roi fait appel à ses sujets fidèles. De l’Éthiopie arrive un messager, Il nous apprend d’importantes nouvelles. Vous l’entendrez.[A un officier] Qu’il vienne devant moi.

LE MESSAGER [introduit par l’officier] L’Égypte a vu profaner ses frontières Par des tribus barbares !… Sur nos terres Leur main porta le meurtre et l’incendie, et fières De leurs premiers succès, semant l’effroi, Elles marchent déjà sur Thèbes !

TOUS Quelle audace !

LE MESSAGER Un chef vaillant qui ne fit jamais grâce Est à leur tête : Amonasro !

TOUS Le Roi !

AÏDA [à part] Mon père !

LE MESSAGER Thèbes s’arme, et bientôt ses cent portes Vont lancer nos soldats Pour arrêter ces barbares cohortes !

LE ROI Oui ! guerre à mort ! courons tous aux combats !

TOUS Guerre ! guerre implacable ! Guerre terrible ! inexorable !…

LE ROI [s’approchant de Radamès] Que ta volonté salute, Isis soit proclamée !… Ta voix nomma le chef de notre armée : Radamès !

TOUS Radamès !

RAD Je rende grâce aux dieux !

AÏDA [à part] Je tremble !

AMN [à part] Il part !

RAD Le ciel comble mes vœux !

LE ROI [à Radamès] Au temple de Vulcain, viens chercher sous la crypte L’armure consacrée et cours venger l’Égypte ! O guerriers, sur ce rivage [Aux soldats] Déployez votre courage, Que résonne un cri de rage Guerre et mort à l’étranger !

RAM O déesses fortunées ! Nos fragiles destinées Dans vos mains sont enchaînées. Aidez-nous à nous venger !

LES OFFICIERS et LES MINISTRES On verra sur ce rivage Éclater notre courage, Que résonne un cri de rage, Guerre et mort à l’étranger !

AÏDA [à part] Je ne sais pour qui je pleure… Faut-il qu’il vive ou qu’il meure ? Moi, l’aimer… quand à cette heure C’est l’ennemi, l’étranger !

RAD A mon âme se révèle La victoire la plus belle, Quand la gloire nous appelle Guerre et mort à l’étranger !

AMN [présentant une bannière à Radamès] De ma main, ô chef suprême, Du pouvoir reçois l’emblème, D’un héros que chacun aime, Qu’il détourne le danger.

LE PRÊTRE Gloire aux dieux dont la puissance Va guider votre vaillance, Quelle soit notre espérance Et nous aide à nous venger !

TOUS Guerre implacable et mort à l’agresseur !

AMN [à Radamès] Pars et reviens vainqueur !

TOUS Vers nous reviens vainqueur ! [Ils sortent tous, moins Aida]


AÏDA Vers nous reviens vainqueur ! Ma lèvre a prononcé cette parole impie ! Quoi ! lui, vainqueur d’un père armé pour m’arracher A mes tyrans ! me rendre une patrie, Un trône, et le grand nom qu’ici je dois cacher ! Quoi ! vainqueur de mes frères !… Le verrai-je, les mains teintes d’un sang chéri, Triomphant, acclamé par nos fiers adversaires, Traînant après son char mon père… un roi !… flétri. Du poids des fers meurtri ! Que cette parole Loin de moi s’envole. Qu’Aïda console Un père adoré ! Périsse la race D’un peuple abhorré !

Ah dieux ! Est-ce moi qui menace !… Et mon amour !… Oh ! non !… Puis-je oublier cette vive tendresse, Qui de l’esclave, ainsi qu’un gai rayon, Charmait la détresse !… Moi ! demander la mort de Radamès !… De celui que j’adore !… Ah ! fut-il donc jamais Tourment semblable au feu qui me dévore ?

Ces noms sacrés et d’époux et de père, Ne puis-je donc, hélas ! les murmurer ? Pour l’un, pour l’autre, en ma douleur amère, Je ne voudrais que prier et pleurer. Mais la prière est, hélas ! un blasphème, Mais les soupirs, les pleurs sont criminels, Et je n’ai plus qu’un refuge suprême, La froide mort et ses dons éternels !

Grâce ! grands dieux ! c’est trop souffrir ! Dans ma douleur plus d’espérance, Fatal amour, triste démence !… Brise mon cœur, fais-moi mourir.[Elle s’éloigne.]



Tableau 2


Scène II

L’intérieur du temple de Vulcain à Memphis

Une lumière mystérieuse vient d’en haut. Une longue file de colonnes se perd dans les ténèbres. Au milieu de la scène s’élève l’autel, surmonté des emblèmes sacrés. ans les trépieds d’or brûlent des parfums.

Prêtres et Prêtresses, Ramphis, puis Radamès. Radamès est au pied de l’autel. On entend dans l’intérieur du temple, le chant des prêtresses accompagné par les harpes.


LES CHŒUR DES PRÊTRESSES [au dehors] Suprême Phtà ! du monde, Toi, l’esprit créateur, Ma voix t’implore ! — Immense Phta, du monde, Toi, l’esprit protecteur, Ma voix t’implore ! — O toi, source féconde Du feu pur et brillant Nous t’implorons ! — Toi qui tiras la terre, L’eau, le ciel, du néant Nous t’implorons ! — Toi le fils et le père De ton être divin, Nous t’implorons, de la nature entière Toi la vie et la fin.


[Radamès est introduit sans armes. Pendant qu’il se dirige vers l’autel, les prêtresses exécutent la danse sacrée. On tend un voile d’argent sur la tête de Radamès]

RAM

Mortel aimé des dieux, notre patrie Remet à toi ton sort, Ce glaive saint que le ciel te confie Pour l’ennemi pliant sous ton effort Est l’effroi, la foudre, la mort ! [Se tournant vers la statue du dieu] O toi, dieu tutélaire De cette noble terre, Daigne étendre la main d’un père Sur ce sol adoré.

RAD Toi, l’arbitre sévère Du sort de toute guerre, Rends puissante et prospère La noble Égypte au sol sacré.

[Pendant que Radamès reçoit les armes consacrées, les prêtresses et les prêtres reprennent l’hymne religieux et la danse mystique.]

ACTE II


Tableau 3


Scène I

Une salle dans l’appartement d’Amneris.

Amneris est entourée d’esclaves qui la parent pour la fête triomphale. De jeunes esclaves maures agitent des éventails de plumes.

CHŒUR Au son des chants de guerre Il vient, le chef vaillant. Moins prompt est le tonnerre. Le jour est moins brillant. Tressons pour sa couronne Les roses, le laurier. Qu’un chant d’amour résonne Écho d’un chant guerrier !

AMN Ah ! viens ! toi que j’adore ! Tu vis, je te revois !

CHŒUR Où donc est cette armée Qui semait la terreur ? Tout fuit, vaine fumée, Au souffle du vainqueur. Le prix de la victoire Est prêt à ton retour. A qui sourit la gloire Bientôt sourit l’amour.

AMN Viens ! que j’entende encore Le doux son de ton voix. [Danses des petits esclaves maures] Mais silence ! Aïda s’avance ; la voilà. Les siens ont succombé ; sa douleur m’est sacrée. [sur un signe d’Amneris, les esclaves s’éloignent] A son aspect un doute affreux m’a déchirée !…[l’observant] Ce mystère fatal bientôt s’éclaircira.


Amneris — Aida.

AMN [à Aïda] La fortune te traite en ennemie. Pauvre Aïda ! Le poids d’un destin rigoureux Je le partage ! A toi ma seule amie, Parle sans contrainte ; — je veux Te voir heureuse !

AÏDA Heureuse !… ah ! puis-je l’être Loin du pays natal, seule et sans rien connaître Du destin de mon père et des miens.

AMN

Je te plains Mais à tous nos chagrins Dieu laissa l’espérance. Seul, quelque jour le temps calmera ta souffrance, Et plus encore… un dieu puissant ! l’amour !

AÏDA [à part, vivement émue] L’amour ! l’amour ! il tue, enivre, Bonheur divin, tourment cruel, Dans ces douleurs je me sens vivre, Un seul regard m’ouvre le ciel !

AMN [regardant fixement Aïda] Quelle pâleur ! quel trouble extrême ! Et quelle fièvre dans son cœur ! Je connaîtrai celui qu’elle aime, Je saurais d’où vient sa douleur ! Dis-moi quelle tristesse, [à Aida] Chère Aïda, t’oppresse. Que toute crainte cesse, Ouvre ton âme à ma tendresse, A quelqu’un des soldats De cette lutte ardente Ton âme impatiente, Dis-moi, ne rêvait-elle pas ?

AÏDA Qu’entends-je ?…

AMN A tous le sort N’a pas été contraire, Si notre chef est mort, Frappé dans cette guerre…

AÏDA Que veux-tu dire ? jour d’horreur !

AMN Oui ! Radamès perdit la vie.

AÏDA Sort affreux !…

AMN Toi ! son ennemie…

AÏDA O jour d’éternelle douleur !

AMN Les dieux t’ont bien vengée !

AÏDA Ah ! leur colère Me poursuit sans repos !

AMN Tremble ! car dans ton cœur J’ai lu ! tu l’aimes !… sois sincère ! Un mot encore, un seul mot désormais Regarde-moi ! je t’ai trompée, et Radamès… Il vit…

AÏDA [avec exaltation et tombant à genoux] Ah ! dieux suprêmes !…

AMN [avec fureur] Peux-tu mentir encore !… oh ! oui ! tu l’aimes ! Je l’aime aussi ! n’ignore rien ! Je suis ta rivale ! Fille des Pharaons !

AÏDA Toi ! ma rivale ! Eh bien… Je suis aussi…[s’arrêtant] Que dis-je ! ô parole fatale, Pour moi pardon ! ah ! prends pitié de ma douleur ! C’est vrai !… je l’aime avec ardeur. Tu règnes fière Dans cette cour, Je n’ai sur terre Que mon amour.

AMN Ah ! tremble, esclave Crains mon courroux ! Si ton cœur brave Mon cœur jaloux, A ma puissance Tout doit céder, Et la vengeance Ne peut tarder ! [On entend au dehors des chants de guerre] A me suivre, allons, sois prête, Qu’on nous voie à cette fête Toi, courbant bien bas la tête Moi, sur le trône des rois !

AÏDA Ah ! pitié ! sois moins sévère, Pitié ! tu vois L’excès de ma misère ! Vis et règne ! la colère Dans ton cœur se calmera, Car la flamme qui t’offense Dans la tombe s’éteindra. AMN

Viens ! suis-moi !… je sais d’avance Qui des deux l’emportera. [Elle sort]

CHŒUR On a vu sur ce rivage [au dehors] Éclater notre courage, Que résonne un cri de rage…

AÏDA[seule] Grâce, grand dieux ! c’est trop souffrir : Pitié ! pitié !… plutôt mourir.



Tableau 4


Scène II

Une des entrées de la ville de Thèbes.

Groupes de palmiers — A droite le temple d’Ammon ; à gauche un trône surmonté d’un dais de pourpre. Au fond une porte triomphale.


Le roi entre, suivi des prêtres, capitaines, etc., puis entre Amneris avec Aïda et les esclaves. Le roi va s’asseoir sur le trône. Amneris prend place à la gauche du roi.


LE PEUPLE Gloire à l’Égypte, au noble roi Que le Delta révère ! Isis, que la prière S’élève jusqu’à toi ! Vois en tous lieux, triomphateur, Ta gloire proclamée… Que de fleurs soit semée La route du vainqueur.

LES FEMMES Aux palmes triomphantes, Aux roses odorantes Mêlez les fleurs brillantes Du lotus sans pareil ; Que s’enlacent nos rondes En mystères fécondes Comme tournent les mondes Autour du chaud soleil.

LES PRÊTRES Isis sourit aux cœurs pieux. Que vos hymnes résonnent Et des biens qu’ils nous donnent Rendez grâce aux dieux.

[Les troupes égyptiennes précédées de fanfares défilent devant le roi. Viennent ensuite les chars de guerre, les insignes, les images des dieux ; une troupe de danseuses apporte les trésors des vaincus ; enfin apparaît Radamès sous un dais, porté par douze officiers.]

LE ROI [descendant de son trône pour embrasser Radamès] Sauveur de ton pays, salut à toi ! Ma fille de ses mains royales Te vient offrir les palmes triomphales. [Radamès s’incline devant Amneris, qui lui offre la couronne] Parle ! demande-moi Ce que tu veux ; je te le donne. Il n’est rien en ce jour qu’on n’accorde à tes vœux, Je le jure par ma couronne, J’en jure par les dieux.

RAD

Permets d’abord, ô prince, qu’à tes yeux Paraissent mes captives.

LES PRÊTRES Rendons grâces aux dieux.


AÏDA [apercevant Amonasro] Que vois-je !… toi !… mon père !

TOUS Son père !…

AMN En nos mains !…


AÏDA Prisonnier ! toi !…

AMON [bas] Ne me trahis pas !

LE ROI [à Amonasro] Approche ! Tu serais…

AMON. Son père ! un adversaire Vaincu par vous ! En vain j’ai cherché le trépas Pour mon roi, ma patrie alarmée, J’ai lutté, j’ai guidé notre armée. Mais l’effort d’une race opprimée Fut trahi par le dieu des combats. Devant moi notre roi magnanime Expire triste et noble victime. Si chérir sa patrie est un crime, C’est le nôtre, et j’attends le trépas. [au roi, en suppliant] O grand roi, quand le sort nous accable Viens nous tendre une main secourable, La fortune aujourd’hui favorable, Peut demain vous montrer sa rigueur !

LES CAPTIFS Décimés et privés d’espérance Nous venons implorer ta clémence. Que le ciel d’une telle souffrance Vous épargne à jamais la rigueur !

RAMPHIS et LES PRÊTRES Il le faut, que leur race périsse ! De nos dieux que l’arrêt s’accomplisse, Quand le ciel a dicté leur supplice, O grand roi, pourrais-tu pardonner ?

PEUPLE Ah ! calmez cette aveugle colère, Des vaincus écoutez la prière, Roi puissant, ta victoire est entière, Sans pitié pourrais-tu pardonner ?

RAD [regardant Aïda] Je la vois qui frémit, qui chancelle, Son effroi me la montre plus belle ; Oui, l’amour m’a touché de son aile Et mon cœur s’abandonne à ses lois.

AMN {{didascalie|[ à part, regardant Radamès]}} Quels regards il dirige sur elle ! Quelle flamme en ses yeux étincelle ! Faudra-t-il d’une esclave rebelle Supporter tant d’affronts à la fois !

LE ROI La défaite a puni leur offense Ne pourrais-je oublier ma vengeance ! C’est le ciel qui le veut ! la clémence Raffermit la puissance des rois.

RAD O roi !… par le ciel même, Par l’éclat de ton diadème Tu juras d’accomplir mes vœux.

LE ROI Je l’ai promis !

RAD Eh bien, pour ces captifs soumis Qu’un sort cruel menace, Je demande la vie et la liberté.

AMN Quoi ! Pour tous ?

LES PRÊTRES Mort aux vaincus ! point de faiblesse !

LE PEUPLE Pour ces infortunés !…

{{personnage |RAM}} Écoute ! o roi !… [à Radamès] Et toi, jeune héros, Dieu parle ! écoute-moi !… Pleins de haine et de vaillance, La vengeance est dans leur cœur, Enhardis par ta clémence Ils reprendront leur fureur !

RAD Amonasro, leur prince, est tombé sous nos coups, Pour eux plus d’espérance.

RAM Au moins que, parmi nous, Aïda comme otage Demeure avec son père !

LE ROI Oui ! ton conseil est sage. Mais pour nous de la paix Il est le meilleur gage. Radamès ! le pays doit tout à tes haut faits, Sois l’époux d’Amneris ! sois l’espoir de ma race ! Sur l’Égypte tous deux vous régnerez un jour.

AMN [à part] Viens donc, esclave, viens ! si tu l’oses, en face Me ravir son amour !

LE PEUPLE et LES CAPTIFS Gloire à l’Égypte, au noble roi Que le Delta révère, Isis ! que la prière S’élève jusqu’à toi !…

LES PRÊTRES Isis, tes fils reconnaissants Te doivent leur victoire. Sois bénie, ô toi qui défends L’Égypte et ses enfants.

RAD [à part] Dieux ennemis ! ah ! dans ce jour Tout espoir m’abandonne. Aïda, la couronne Ne vaut pas ton amour !

AÏDA [à part] Ah ! tout espoir a fui mon cœur ! A lui puissance et gloire ! A moi la honte et la douleur D’une fatale ardeur !

AMN Les dieux hâtèrent son retour, A peine j’ose y croire Je vois s’accomplir en ce jour Tous mes rêves d’amour.

AMON.[à Aida] Courage ! un peuple ne meurt pas : Renais à l’espérance, Avant peu la vengeance Saura guider nos pas.



ACTE III

Les rives du Nil.

Roches de granit parmi lesquelles croissent des palmiers. — Sur le sommet des roches le temple d’Isis, à demi caché par les arbres. — Il fait nuit. — La lune resplendit.

CHŒUR O toi, l’épouse d’Osiris, [dans le temple] O toi, sa tendre mère, Qui de l’amour, aux cœurs épris Dévoiles le mystère, Écoute ma prière, Toute puissante Isis.

[D’une barque qui s’arrête, on voit descendre Amneris, Ramphis, quelques femmes voilées et des gardes]

RAM Viens implorer Isis, l’heure s’avance ! [à Amneris] L’heure d’hymen ! De la déesse invoquons la puissance, Aucun secret humain N’échappe à sa science Et l’avenir lointain Et s’éclaire et rayonne !

AMN

Je la prierai que Radamès me donne Tout son amour, Comme mon âme est à lui tout entière !

RAM Suis-moi, nous prierons jusqu’au jour. Je t’accompagne. [Ils entrent dans le temple.]

CHŒUR [dans le temple] Exauce ma prière, Toute-puissante Isis, O toi, l’épouse d’Osiris, O toi, sa tendre mère.

AÏDA [couverte d’un voile, s’avance avec précaution] Radamès va venir. Que doit-il m’annoncer ? Je tremble ! Ah ! si tu viens pour prononcer Cruel, l’adieu suprême, Les flots du Nil rapide, pour jamais M’offre la tombe et la paix, Et l’oubli de moi-même. O mon pays, je ne dois plus te voir ! O ciel d’azur, ô rives parfumées ! Adieu grand bois où je venais m’asseoir ! De mon enfance, ô campagnes aimées, O mon pays, je ne dois plus te voir ! O frais vallons, grands bois où dans un rêve, Mon cœur s’était bercé d’un tendre espoir, Quand de l’amour le songe heureux s’achève, O mon pays, je ne dois plus te voir ! Aïda est plongée dans sa douleur — Elle entend marcher et se lève croyant voir Radamès. Elle aperçoit Amonasro.


Amonasro — Aida.

AÏDA Ciel ! mon père !

AMON. Aïda, le moment est suprême ! Rien n’échappe à mes yeux. Ton cœur brûle d’amour pour Radamès ! Il t’aime, Tu l’attends en ces lieux ! Des Pharaons la fille est ta rivale ; Race infâme, abhorrée, à tous les miens fatale !

AÏDA Je suis en leur pouvoir, moi, la fille d’un roi !


AMON. En leur pouvoir ? non, la vengeance Est prochaine, crois-moi ! Oui, tu vaincras ta rivale ! Puissance, Patrie, amour, tout est à toi ! Tu reverras cette terre bénie, Nos frais vallons, les temples de nos dieux.

AÏDA Je reverrai cette terre bénie, Nos frais vallons, les temples de nos dieux.

AMON. Heureuse épouse à ton époux unie, Vôtre bonheur surpassera vos vœux.

AÏDA Pour un seul jour jouir de cette ivresse Un jour, une heure, et puis après mourir !

AMON. Souviens-toi bien de ces jours de détresse Où l’ennemi vint tout anéantir… Puis il partit emmenant ses captives : Femmes, vieillards, enfants, tout a péri.

AÏDA Je crois entendre encore leurs voix plaintives O souvenirs dont mon cœur est meurtri : De jours meilleurs, puisse après tant d’alarmes, Puisse briller l’aurore à nos regards.

AMON. Déjà notre peuple est en armes, Nous les vaincrons et sans retards Il me reste à connaître Par quel chemin l’ennemi doit paraître.

AÏDA Qui saura leurs secrets ?

AMON. Qui donc ? toi-même !…

AÏDA Moi !

AMON. Radamès va venir. Il t’aime ! Il conduit leurs soldats… tu comprends…

AÏDA Quel blasphème ! Que me conseilles-tu ! non ! non ! jamais !

AMON.[avec une impétuosité sauvage] Sortez de vos tentes, Hordes triomphantes, De ruines fumantes Couvrez la cité ! Semez au passage L’effroi, le carnage, Que dans votre rage Tout soit dévasté !

AÏDA Ah ! pitié mon père !

AMON. Toi ! ma fille ?… arrière ! Vois donc rouler ces flots sanglants Au sein de nos murailles Les morts se lèvent frémissants, Privés de funérailles. Entends vers toi monter leurs cris : C’est toi qui nous trahis !

AÏDA Pitié ! pitié, mon père !

{{personnage|A MON.}} Un spectre courroucé dans l’ombre suit tes pas, Tremble ! le vois-tu bien !… il tend vers toi les bras.

AÏDA Non ! grâce !…

AMON. C’est ta mère Qui te maudit !…

AÏDA Non ! non !… grâce ! pitié, mon père,


AMON. Toi, ma fille !… non ! non !… Des Pharaons tu n’est que l’esclave !…

AÏDA Pardon ! Grâce, mon père, ah ! je t’implore ! Sans me maudire écoute-moi. Non ! ta fille n’est pas esclave ! Elle est encore Digne de toi !

AMON. Songe qu’un peuple entier dans sa furie Grâce à toi seule triomphera !…

AÏDA Quel sacrifice ! ô ma patrie !…

AMON. Courage ! il vient ! moi, je suis là ! [il se cache parmi les palmiers]


Aïda — Radamès.

RAD {{dida scalie|[avec transport]}} Je te revois enfin, chère âme !…

AÏDA Qui t’amène ? Qu’espères-tu ? va-t-en !

RAD L’amour m’enchaîne… L’amour vers toi me guide !

AÏDA Un autre amour t’attend. L’autel est prêt, la main d’Amneris…

RAD Dieu m’entend ! C’est toi que j’aime et d’une flamme pure ! J’en fais serment, je veux vivre pour toi.

AÏDA Garde-toi bien d’être parjure ! Pourrais-je aimer qui trahirait sa foi ?

RAD Tu douterais de mon amour !

AÏDA Je doute ! De te soustraire aux projets d’Amneris ; Aux vœux du roi, des ministres d’Isis… Aux vœux de tout un peuple !…

RAD

Eh bien… écoute !… Déjà tout prêt à d’autres guerres L’Éthiopien vole aux combats ! Déjà les tiens s’élancent sur nos terres… De nos guerriers je dois guider les pas. Dans mon triomphe et dans ma gloire Au roi je veux ouvrir mon cœur. A toi l’honneur de ma victoire, L’amour nous promet le bonheur !

AÏDA Eh quoi ! tu braves la fureur La haine d’Amneris, haine terrible Comme la foudre, son courroux Va retomber sur mon père, sur nous !

RAD Je vous protégerai !

AÏDA Non ! non ! lutte impossible ! Mais si tu m’aimes, nous aurons D’autre moyens plus sûr encore.

RAD Lesquels ?

AÏDA Fuyons !

RAD Qu’entends-je !…

AÏDA Ah ! viens ! fuyons loin d’un désert stérile ! Là-bas, mon doux pays nous offre un s ûr asile. Là, parmi les bois tout en fleurs, Nous oublierons sans crainte, Dans une extase sainte, La terre et ses douleurs !

RAD [avec transport] Sur la terre étrangère Il faudrait fuir tous deux !… Fuir l’Égypte si chère, Les temples de nos dieux !… Cette cité riante, Berceau de nos amours, De ma gloire naissante La quitter pour toujours !…

AÏDA Viens ! l’amour comblera les vœux De nos âmes sincères ! Dans d’autres sanctuaires, Servons les mêmes dieux. Fuyons !…

RAD [hésitant] Chère Aïda !…

AÏDA Viens ! ah ! si tu m’aimais…

RAD Que dis-tu ?

AÏDA Non !

RAD Quel mortel, quel dieux même Aima jamais de cet amour extrême…

AÏDA Amneris à l’autel t’attend.

RAD Non ! non ! jamais !

AÏDA Jamais, dis-tu ! dès lors à sa colère Tu me livres avec mon père !

RAD Oh ! non ! fuyons ! c’est pour toi que je tremble… Au désert fuyons ensemble. C’est l’amour qui nous rassemble Et nous ouvre d’autres cieux ! Nous aurons, ô ma maîtresse, Pour témoins de notre ivresse La nature enchanteresse Et les astres radieux !

AÏDA Viens ! suis-moi vers la contrée En tout temps de fleurs parée, Où notre âme est enivrée De parfums délicieux ! Pour témoins de ma tendresse Nous aurons dans notre ivresse La nature enchanteresse Et les astres radieux.

TOUS DEUX Viens ! fuyons avant l’aurore Les dangers de cette cour ; Viens ! je t’aime, je t’adore… Notre guide, c’est l’amour ! [Ils vont pour partir, Aïda s’arrête subitement.]

AÏDA

Mais, dis-moi, par quel chemin Pouvons-nous éviter les cohortes fidèles ?

RAD Le chemin désigné pour frapper les rebelles Sera désert jusqu’à demain.

AÏDA Et quelle est cette route ?

RAD Le col de Napata.


Les mêmes, Amonasro, paraissant.

AMON. Le col de Napata ! Là vous verrez les miens !

RAD Qui nous écoute ?

AMON. Le père d’Aïda Et le roi d’Éthiopie.

RAD Eh quoi ! Qu’oses-tu dire !… Amonasro ! toi !… toi ! le roi !… Dieu ! qu’ai-je dit ! ce n’est pas vrai ! c’est un délire…

AÏDA Dans mon amour n’as-tu pas foi ?

AMON.

Qu’Aïda t’appartienne !

AÏDA Ma couronne est la tienne !

AMON. Son amour t’a fait roi !

RAD O honte ineffaçable ! Je livre mon pays !

AÏDA Calme-toi !

AMON. Tu n’es pas coupable, Car Dieu lui-même l’a permis : Viens ! mes amis sur l’autre bord M’attendent au passage. L’amour sur ce rivage Embellira ton sort !


Les Mêmes, Amneris, puis Ramphis, les Prêtres, les Gardes.

AMON.[à Radamès] Viens ! viens !

AMN [sortant du temple] O traître !

AÏDA Dieux ! c’est elle !

AMON. Ah ! tu viens déjouer mes projets… [S’approchant d’elle un poignard à la main] Meurs !

RAD [le retenant] Rebelle ! Arrête.

AMON. O rage !

RAM Hôlà ! gardes ! holà !

RAD [à Aïda et Amonasro] Courez ! fuyez !…

AMON.[entraînant Aïda] Viens, ô ma fille.

RAM [au chef des gardes] Va ! Cours vite !

RAD [à Ramphis] En ton pouvoir, ô prêtre, me voilà.

ACTE IV


Tableau 5


Scène I

Une salle dans le palais du roi.

A gauche, une galerie — Au fond, un vaste portique conduisant à la crypte où se rend les arrêts. — A droite, galerie conduisant à la prison de Radamès.


AMNERIS Ma rivale m’échappe, elle est sauvée. Les prêtres vont venir et Radamès attend. La peine aux traîtres réservée. Un traître ! il ne l’est pas. Pourtant Des secrets de l’État gardien infidèle, il voulait fuir ! fuir avec elle. Ah ! pour tous ces traîtres, la mort ! Ah ! qu’ai-je dit ! je l’aime, hélas ! je l’aime encore ! Pouvoir fatal ! l’amour est le plus fort Dans ce cœur qu’il dévore !… S’il pouvait m’aimer !… je veux le sauver !… mais Comment ! qu’il vienne ! — Garde, amène Radamès.


{{didascalie|Amneris — Radamès. Radamès paraît, amené par les gardes.}}

AMN Pour rendre ta sentence, on va bientôt t’entendre. Parle ! et d’un si grand crime à toi de te défendre. Repousse tout soupçon, J’implorerai mon père, Je serai messagère De grâce et de pardon !

RAD Ne crois pas qu’on m’entende implorer leur clémence C’est le ciel que j’atteste, il sait mon innocence J’écarte avec horreur Tout ombre de parjure, Mon âme est toujours pure Et j’ai gardé l’honneur !

AMN Défends-toi donc ! parle !

RAD Non !

AMN Tu mourras !

RAD Je hais la vie, et toute joie S’est tarie en mon cœur à trop de maux en proie, Je brave le trépas !

{{personnage |AMN}} Qu’entends-je ! oh ! non ! tu vivras ! Tu vivras pour moi qui t’aime ! Déjà de ton trépas mon cœur Souffrit l’angoisse extrême ! J’aime ! fût-il douleur Égale à ma souffrance. Patrie ! honneurs ! puissance… J’aurais tout donné pour toi !

RAD Pour elle n’ai-je pas, moi, Dans l’ardeur qui m’enivre N’ai-je donc pas trahi l’honneur et mon pays ?

AMN Ne parle pas d’elle !

RAD A moi le mépris Et tu me dis de vivre !… Mon Aïda chérie Par toi me fut ravie ! Qu’as-tu fait de sa vie ? Peut-être… ô trahison…

AMN Toi ! m’accuser de sa mort… non !… Elle vit !…

RAD Ah ! vivante !…

AMN Dans la poursuite ardente De nos soldats vainqueurs Son père est mort !

RAD

Mais elle !…

AMN Elle s’enfuit ! depuis, pas de nouvelles.

RAD La main des dieux sauveurs A protégé ses jours ! que rien ne lui révèle Que pour elle je meurs !

AMN Mais, si je te sauve, promets De ne plus la revoir !

RAD Jamais !

AMN A sa tendresse Renonce et tu vivras !…

RAD Jamais !

AMN Pour la dernière fois… tu l’oublieras !

RAD Jamais !…

AMN C’est la mort qui se dresse !

RAD Je l’attends sans frayeur.

{{person nage|AMN}} Qui pourra sauver ta tête Du supplice qui s’apprête ; Cet amour qu l’on rejette Deviendra haine et fureur.

RAD Ah ! combien la mort est belle, Si je dois mourir pour elle ! Sans effroi mon cœur l’appelle C’est ma joie et mon bonheur !

AMN Si tu lasses ma clémence Je te livre à leur fureur !

RAD Ah ! je brave ta vengeance, Ta pitié me fait horreur !… [Radamès sort au milieu des gardes.]

AMN Ah ! je me sens mourir ! comment sauver sa vie ? Et j’ai pu le livrer à ces juges cruels : Ah ! sois maudite atroce jalousie ! Hélas ! sa mort de regrets éternels Pour moi sera suivie. [Les prêtres traversent la galerie pour descendre dans la crypte.] Ah ! voilà du trépas les terribles ministres ! Ah ! loin de moi, fuyez spectres sinistres ! Et c’est moi qui le livre à ces juges cruels !…

LES PRÊTRES Dieu tout-puissant, que ta foi nous éclaire ! Fais éclater ta divine lumière Et par nos voix que parle un Dieu sévère ! [Ils passent.]

AMN Pitié, grands dieux ! Pour ma souffrance, Qu’à tous les yeux Brille son innocence !… Ah ! je succombe à ma douleur immense ! Radamès, entouré de gardes, suit les prêtres dans la crypte.] Comment le sauver ! triste sort !… En moi je sens la froide mort !… [On entend la voix de Ramphis dans la crypte].

RAM Radamès, tu livras à l’étranger impie, Les secrets de notre patrie, Disculpe-toi !

lES PRÊTRES Disculpe-toi !

RAM Il se tait ! c’est un traître.

AMN O dieux ! en vous j’ai foi !… Pitié pour lui ! pitié pour moi !…

RAM Radamès ! Radamès ! tu désertas l’armée Lorsque la guerre allait être allumée, Disculpe-toi !

LES PRÊTRES Disculpe-toi !

RAM Il se tait ! c’est un traître.

AMN O ciel ! exauce-moi ! Pitié pour lui ! pitié pour moi !…

RAM Radamès !… tu trahis dans ta lâche infamie L’honneur et la patrie… Disculpe-toi !

LES PRÊTRES Disculpe-toi !

RAM Il se tait ! c’est un traître.

AMN O dieux ! je meurs d’effroi. Pitié pour lui ! pitié pour moi !…

LES PRÊTRES A ton sort rien ne peut te soustraire, Que l’Égypte et le ciel soient vengés !… Sois vivant englouti dans la terre Sous l’autel de nos dieux outragés !…

AMN Lui vivant ! le tombeau !… Quoi !… ces prêtres… C’est du sang qu’il leur faut… justes dieux !… Voilà donc les ministres des cieux !… [Les prêtres reparaissent sortant de la crypte.]

RAM

Mort aux traîtres !…

AMN Quel forfait !… quelle aveugle colère ! Êtes-vous altérés de son sang : Outrageant et le ciel et la terre, Votre arrêt a frappé l’innocent.

RAM C’est un traître !… il mourra !…

AMN L’immoler ! quand tu sais que je l’aime, Que mon cœur à jamais l’aimera !… De ce cœur déchiré l’anathème Sur vous tous tombera

RAM C’est un traître !… il mourra !…

AMN Pitié pour lui !

RAM La mort ! c’est un traître ! il mourra ! [Ramphis et les prêtres s’éloignent.]

AMN Race impie !… anathème sur vous ! Ah ! soyez écrasés par le ciel en courroux ! [Amneris sort désespérée.]



Tableau 6


Scène II

La scène est divisée en deux parties.

La partie supérieure représente l’intérieur du temple de Vulcan resplendissant d’or et de lumières. La partie inférieur représente une scripte ; de longues files de piliers taillés dans le roc se perdent dans l’obscurité.

Radamès, dans la crypte ; Aïda. Il est sur les degrés de l’escalier par lequel il est descendu. Au-dessus deux prêtres scellent la pierre qui ferme l’entrée du souterrain.

RAD J’entends sur moi le marbre qui retombe Oui, c’est ici ma tombe. Je ne dois plus revoir les cieux, Je ne dois plus te voir, Aïda !… toi, si chère… Où donc es-tu ? sois donc heureuse sur la terre, Ignore au moins quel fut mon sort affreux. [Il entend un soupir et distingue un forme indécise dans l’obscurité.] Mais qu’entends-je ? Est-ce un spectre, un fantôme ? je crois Que c’est un être humain… Ciel ! Aïda !…

AÏDA C’est moi…

RAD Dans ce sépulcre !… toi !…

AÏDA J’avais d’avance Deviné leur sentence, Dans ce tombeau pour toi prêt à s’ouvrir J’ai pénétré furtive, et sous la voûte Où nul ne nous écoute Auprès de toi, la mort sera douce !

RAD Mourir ! Mourir ! ô toi si belle !…… Mourir ! ô loi cruelle…… Quand pour toi l’existence à peine s’ouvre-t-elle ! Quand l’amour doit charmer ton cœur ! Dans mon malheur Quoi ! tu devrais me suivre ! Non ! tu vivras… car, moi, je t’aime… tu dois vivre.

AÏDA Vois ! déjà l’ange de la mort A déployé son aile, De la vie éternelle Il nous montre le port. Pour nous s’est entrouvert le ciel, Là, toute la douleur cesse, Là, commence l’ivresse De l’amour éternel ! [On entend le chant des prêtres réunis dans le temple.]

AÏDA Quel chant lugubre !…

RAD C’est le chant du sanctuaire…

AÏDA C’est notre hymne de mort ?…

{{personna ge|RAD}} Ne puis-je soulever cette fatale pierre Et nous délivrer !…

AÏDA Vain effort ! Il n’est pour nous nul espoir dans ce monde…

LES PRÊTRES Ma voix t’implore, ô toi source féconde !…

AÏDA C’est la mort !

RAD C’est la mort !…

AÏDARAD Adieu, séjour de deuil et de misère, Rêve joyeux, triste réalité ! Le ciel pour nous s’entr’ouvre, et l’âme fière Va s’envoler vers l’immortalité.

AMN [Elle paraît dans le temple, vêtue de deuil et va se prosterner devant la pierre qui ferme le souterrain] Âme adorée… Isis la bonne mère T’ouvre le ciel ! repose en paix ! Toi que j’aimais Repose en paix !</poem>


PERSONNAGES

Le Roi…………… Basse

Amneris, fille du roi……… Mezzo-sopr.

Aïda, esclave éthiopienne……… Soprano

Radamès…………… Ténor

Ramphis…………… Basse

Amonasro, père d’Aïda……… Baryton

Un Messager………… Ténor



L’action se passe à Memphis et à Thèbes à l’époque de la puissance des Pharaons.