Poésies (Mallarmé, 1914, 8e éd.)/Aumône
Prends ce sac, Mendiant ! tu ne le cajolas
Sénile nourrisson d’une tétine avare
Afin de pièce à pièce en égoutter ton glas.
Tire du métal cher quelque péché bizarre
Et vaste comme nous, les poings pleins, le baisons
Souffles-y qu’il se torde ! une ardente fanfare.
Église avec l’encens que toutes ces maisons
Sur les murs quand berceur d’une bleue éclaircie
Le tabac sans parler roule les oraisons,
Et l’opium puissant brise la pharmacie !
Robes et peau, veux-tu lacérer le satin
Et boire en la salive heureuse l’inertie,
Par les cafés princiers attendre le matin ?
Les plafonds enrichis de nymphes et de voiles,
On jette, au mendiant de la vitre, un festin.
Et quand tu sors, vieux dieu, grelottant sous tes toiles
D’emballage, l’aurore est un lac de vin d’or
Et tu jures avoir au gosier les étoiles !
Faute de supputer l’éclat de ton trésor,
Tu peux du moins t’orner d’une plume, à complies
Servir un cierge au saint en qui tu crois encor.
Ne t’imagine pas que je dis des folies.
La terre s’ouvre vieille à qui crève la faim.
Je hais une autre aumône et veux que tu m’oublies
Et surtout ne va pas, frère, acheter du pain.