Abrégé de l’histoire générale des voyages/Tome XVI/Troisième partie/Livre VI/Chapitre II

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CHAPITRE II.

Description du Brésil.

Le Brésil s’étend depuis 4° 20′ nord jusqu’à 34° 40′ sud, et depuis 37° 25′ jusqu’à 70° de longitude à l’ouest de Paris. Il confine au nord avec les Guyane française et hollandaise, et avec Caracas ; au nord-est et à l’est, avec l’Océan atlantique ; au sud, avec le pays du Rio de la Plata ; à l’ouest, avec le Pérou et la Nouvelle-Grenade. Les Portugais se sont avancés de ces côtés, au milieu de régions peu fréquentées, au-delà des limites dont ils étaient convenus avec les Espagnols. Le Brésil a plus de douze cents lieues de côtes ; sa largeur est fort inégale, car, dans le sud, sa limite occidentale passe par le 55e degré de longitude, et en cet endroit il se termine par une pointe ; tandis que, depuis le cap Saint-Roch jusqu’à l’embouchure du Tefi dans l’Amazone, on compte plus de sept cents lieues. Cette vaste contrée renferme à peu près les deux cinquièmes de la surface de l’Amérique méridionale ; mais la population, qui n’est un peu concentrée que sur les côtes et dans les gouvernemens de l’intérieur où sont les mines, s’élève au plus à 4,000,000 d’habitans, dont à peine un quart est de sang européen.

On compte aujourd’hui au Brésil neuf grands gouvernemens, qui sont : Para sur l’Amazone, Maragnan, Fernambouc, Bahia, Rio-Janeiro, sur la côte orientale ; Saint-Paul, Mato-Grosso, Goyas, Minas-Géraes dans l’intérieur. L’accroissement de la population a fait créer dix gouvernemens du second ordre qui relèvent des autres ; ce sont Rio-Grande et Sainte-Catherine, subordonnés à Rio-Janeiro ; Espiritu-Santo et Sergippe, à Bahia ; Seara et Paraïba à Fernambouc ; Piauhi à Maragnan ; Rio-Negro, Macapa, Rio-Grande del norte, à Para. Ces gouvernemens sont nommés en Portugais capitania ou capitaineries. Ce pays était autrefois gouverné par un vice-roi, qui d’abord résidait à Bahia ou San-Salvador, et ensuite à Rio de Janeiro. Depuis 1807, le roi de Portugal et sa famille ont quitté l’Europe et fixé leur séjour dans cette ville.

Le Brésil ayant éprouvé de grands changemens depuis la publication de l’Histoire des Voyages, le lecteur ne doit pas être surpris de ce que notre Abrégé présente ce pays sous un jour absolument différent, et de ne pas rencontrer le nom de quelques villes dont il fut autrefois question : comme elles n’existent plus et que les détails que l’on en donnait n’offraient aucun intérêt, on a jugé qu’il était inutile d’en parler.

La capitainerie de Rio de Janeiro tient aujourd’hui le premier rang ; son nom, qui signifie rivière de janvier, lui fut donné par Dias de Solis, qui la découvrit en 1525. Après la retraite des Français, qui furent dépossédés en 1558 par Emmanuel de Sa, les Portugais y bâtirent une ville qui a graduellement pris des accroissemens, et est devenue une des plus grandes et des plus belles de l’Amérique. Elle est située par 22° 54′ sud, et 45° 37′ à l’ouest de Paris. Elle est entre deux montagnes d’une pente fort douce, sur le bord méridional d’une baie qui fut nommée rivière par les premiers navigateurs, et dont l’entrée est resserrée par des îlots et des rochers de granit d’un aspect très-pittoresque. La citadelle, bâtie sur une langue de terre, se nomme Saint-Sébastien, nom que plusieurs auteurs étendent à la ville. Les rochers et les collines sont, à une grande distance, couverts de maisons, de couvens et d’églises. Les chantiers, les magasins et l’arsenal de la marine sont sur une petite île isolée.

Le palais, où réside le roi avec sa famille, n’est pas très-grand. Il est bâti sur le bord de la mer, et se présente très-bien du lieu principal de débarquement, qui en est éloigné de deux cents pieds. La monnaie et la chapelle font partie du bâtiment. Parallèlement au rivage, se prolonge la rue principale, qui est bordée de beaux édifices. Les autres rues partent de celle-là à angles droits, et sont coupées par d’autres à des distances régulières. Les maisons n’ont généralement qu’un étage. La position basse de la ville, et la malpropreté des rues, où souvent on laissait croupir des eaux stagnantes, y rendaient le séjour malsain dans quelques saisons. Une meilleure police a remédié à ces inconvéniens depuis que le souverain du Brésil réside dans cette capitale. L’eau y est amenée des montagnes voisines par un aquéduc magnifique, et distribuée par des fontaines élevées sur les places publiques. Il est fâcheux qu’elles ne soient pas plus nombreuses, et que plusieurs habitans, dont les maisons en sont éloignées de plus d’un demi-mille, soient obligés d’occuper continuellement des journaliers à transporter de l’eau. Dans les temps de sécheresse, la foule est quelquefois si grande aux fontaines, que les porteurs sont obligés d’attendre leur tour pendant des heures entières. Le bois de charpente et le bois à brûler sont très-chers, quoiqu’il y ait encore des forêts immenses dans l’intérieur du Brésil. Les denrées sont abondantes, mais de qualité médiocre. Au reste, le marché est bien fourni d’herbes potagères, de poisson, de tortues, et de langoustes.

La police est assez bien faite. L’inquisition a été abolie, et l’esprit de persécution a disparu avec cette institution monstrueuse. La douceur des mœurs, l’amabilité des femmes, l’affluence des étrangers, tout se réunit pour faire de Rio-Janeiro une ville de l’Europe méridionale.

Cette ville est le grand marché du royaume, notamment pour les provinces de l’intérieur. Aucun port de l’Amérique n’est aussi bien situé pour le commerce de toutes les parties du monde ; car il l’est également bien pour communiquer avec l’Europe, l’Amérique, l’Afrique, les Indes orientales, la Chine et les îles du grand Océan. Les exportations consistent en coton, sucre, rhum, bois de construction et de marqueterie, cuirs, suif, indigo et coton, or, diamans, topazes et autres gemmes. Rio-Janeiro a des raffineries de sucre et des distilleries de rhum : on y compte 100,000 habitans.

La capitainerie de Rio-Grande, la plus méridionale de toutes, confine au sud avec le territoire du Rio de la Plata. Son port, qui mérite plutôt le nom de baie, est situé par 32° sud. Le peu de profondeur de l’eau à l’entrée, les sables mouvans, et la violence de la lame, la rendent dangereuse pour les navires qui tirent plus de dix pieds ; mais dans l’intérieur, au-delà de cette terre, l’eau est tranquille et profonde. San-Pedro, la ville principale, défendue par plusieurs forts construits en partie sur des îlots, est bâtie à l’entrée de la baie, au milieu de dunes que souvent les vents déplacent ; ils emportent le sable, et le jettent dans la ville, où la poussière pénètre alors de toutes parts. Les rives de la baie sont extrêmement peuplées. L’occupation principale des habitans consiste dans l’éducation du bétail, qui est facilitée par des pâturages d’une étendue immense. La vente du suif, de la viande sèche et des peaux, est une grande source de richesse pour le pays. Le climat y est très-beau, et le sol si fécond, qu’il mérite le nom de grenier du Brésil. On exporte le froment dans des cuirs verts que l’on coud en forme de sac ; mais il est sujet à se gonfler et à fermenter dans la traversée. Les vignes ont réussi à merveille à Rio-Grande ; la culture du chanvre, essayée par ordre du gouvernement, a été abandonnée comme trop pénible. Près de San-Pedro l’on exploite de la houille, et des indices y annoncent de l’étain ; enfin on a récemment entrepris d’établir des lavages d’or sur plusieurs rivières dont les bords sont bien boisés.

L’île Sainte-Catherine, située par 27° 19′ sud, est séparée du continent par un détroit qui, en certains endroits, n’a pas une demi-lieue de largeur. La surface de cette île offre un mélange de montagnes et de plaines ; quelques endroits sont marécageux. Le climat y est sain et serein ; les chaleurs y sont constamment tempérées par des brises du sud-ouest et du nord-ouest. Les forêts, qui occupaient autrefois une grande partie de la surface, ont été considérablement éclaircies ; de sorte que le bois de charpente est devenu assez rare. L’humidité naturelle de l’intérieur rend le sol extrêmement fertile. Il est formé principalement de débris de végétaux en décomposition. Toutes les plantes y croissent avec une vigueur étonnante. On rencontre de tous côtés des myrtes, des grenadiers, des rosiers, des jasmins, des œillets, des romarins. Les habitans sont en général polis et hospitaliers, les femmes jolies et vives ; elles s’occupent principalement à faire de la dentelle ; leur ouvrage annonce de l’adresse et du goût. La ville, peuplée de 6,000 habitans, a un bon port commandé par deux forts ; elle se présente très bien, étant bâtie en amphithéâtre sur une colline parée de la plus brillante verdure. Elle est le séjour de beaucoup de négocians, de marins, et de personnes qui ont acquis assez de fortune pour vivre dans une retraite paisible et agréable.

La côte du continent vis-à-vis de l’île Sainte-Catherine présente une suite de montagnes escarpées, hautes, couvertes de forêts touffues. On arrive ainsi à Santos, port très-sûr, qui dépend de la capitainerie de Saint-Paul. L’entrée du port est fermée par l’île Saint-Vincent, qui donnait autrefois son nom à une capitainerie aujourd’hui supprimée. Santos en était la capitale. On y compte 7,000 habitans ; elle est très-commerçante, car elle sert d’entrepôt à la capitainerie de Saint-Paul. Coréal vit cette ville. Nous ne tirerons rien de sa description, qui n’est nullement instructive, et qui ne convint plus du tout à l’état de choses actuel. Santos est une des plus anciennes villes portugaises du royaume ; elle est assez bien bâtie. On cultive beaucoup de riz dans ses environs, qui sont souvent inondés par les pluies, et par conséquent malsains. Le riz de Santos passe pour le meilleur du Brésil. Les habitans de Santos ont semblé peu hospitaliers à quelques voyageurs.

Une route pavée, qui monte en zigzag le long d’une montagne escarpée, conduit à Saint-Paul. Cette ville, éloignée à peu près de douze lieues de la côte, est située sur une éminence agréable, environnée de trois côtés de prairies basses, et baignées de petits ruisseaux très-clairs qui en forment une presqu’île dans la saison des pluies, et vont se réunir au Tiété, torrent assez large. Le climat de Saint-Paul est un des plus sains de l’Amérique méridionale : les maladies endémiques y sont très-rares. La température moyenne varie entre 7 et 21 degrés. Les pluies n’y sont ni très-abondantes ni de très-longue durée ; les orages ni le tonnerre n’y sont violens. Les maisons, bâties en pisé, ont un étage au-dessus du rez-de-chaussée, et sont joliment peintes à fresque ; elles sont couvertes en tuiles creuses : les toits forment une saillie très-avancée. Les rues, extrêmement propres, sont pavées de pierres d’un grès schisteux, lié par un ciment ferrugineux, et renfermant de gros cailloux de quartz roulé ; c’est une roche d’alluvion qui contient de l’or : on en trouve de petites parcelles dans les fentes et les crevasses. Les pauvres vont les y chercher soigneusement après les fortes pluies. La population de Saint-Paul est à peu près de 20,000 âmes. On y voit beaucoup de marchands en détail et d’artisans, peu de manufacturiers ou fabricans. On file à la main du coton dont on fabrique des toiles assez grossières, qui servent aux vêtemens. On en fait aussi des réseaux recherchés pour les hamacs. La plupart des habitans sont fermiers, cultivateurs, nourrisseurs, ou engraisseurs de bestiaux, mais particulièrement de cochons et de volaille. On y trouve une espèce particulière de coqs qui s’y distinguent par un cri très-fort, en prolongeant la dernière note. Ils sont recherchés comme une curiosité dans toutes les parties du Brésil. Les denrées de toutes sortes abondent à Saint-Paul, et y sont d’assez bonne qualité. Quoique l’on y soit très-arriéré dans tout ce qui tient aux travaux champêtres, les jardins sont arrangés avec beaucoup de goût, et souvent avec une élégance remarquable.

Il règne à Saint-Paul beaucoup de luxe et une certaine mollesse. La civilisation y est plus avancée, plus répandue, plus générale que dans les autres villes ; les femmes sont renommées dans tout le Brésil pour leur beauté, leur amabilité, leurs bonnes qualités ; malheureusement leur éducation est très-négligée. Les hommes sont francs, polis, hospitaliers.

La position écartée de Saint-Paul, les difficultés que les étrangers ont souvent éprouvées à voyager dans l’intérieur sont cause qu’ils la visitent rarement, et que leur apparition est même regardée comme un phénomène. C’est sans doute ce qui a donné naissance aux récits fabuleux sur l’origine des Paulistes et sur leur caractère farouche. Suivant ces récits, répandus par les jésuites du Paraguay, répétés par le P. Charlevoix, et adoptés avec une extrême légèreté par tous les compilateurs de livres de géographie, « une bande de fugitifs composée d’Espagnols, de Portugais, de métis, de mulâtres et de toutes sortes de vagabonds, se retirèrent dans le canton où est Saint-Paul, et y fondèrent une république de bandits, qui devint la terreur des pays voisins, et fut surtout funeste aux missions des jésuites du Paraguay. Ceux-ci avaient fait divers efforts pour s’introduire dans les terres des Paulistes ; mais, soit par défiance de leurs vues ou par indifférence pour la religion, ces indociles brigands s’étaient obstinés à les rejeter.

» Les Portugais, dit le P. Charlevoix, d’après son confrère le P. Loçano, après avoir bâti la ville de Saint Vincent sur le bord de la mer, avaient envoyé de là quelques colonies dans les terres. Elles y fondèrent des villes, dont une des plus célèbres est celle de Saint-Paul, qui fut bâtie dans un canton nommé Piratininga par les naturels du pays, d’où elle prit le surnom de Piratiningue. Peu de temps après sa fondation, le P Emmanuel de Nobrega, qui avait été envoyé au Brésil par saint Ignace pour y être le premier supérieur provincial de sa compagnie, ayant jugé cette petite ville avantageusement placée pour y former une nombreuse église de Brasiliens, qu’il se nattait d’y trouver plus dociles que vers le rivage de la mer, y transféra le collége de Saint-Vincent. Comme il y était arrivé la veille du jour où l’on célèbre la conversion de saint Paul, en 1554, il dédia l’église du nouveau collége à cet apôtre, dont le nom est devenu ensuite celui de la ville.

» Ses habitans se maintinrent quelque temps dans la piété, et les Américains du canton protégés par les jésuites, qui les faisaient traiter humainement, embrassaient le christianisme à l’envi ; mais cette ferveur dura peu, et la colonie portugaise de Saint-Paul de Piratininga, dont les missionnaires avaient espéré toutes sortes de secours, devint bientôt leur plus grand obstacle. La première source du mal fut une autre colonie voisine de Saint-Paul, où le sang portugais était fort mêlé avec celui des Brésiliens. Cet exemple fut contagieux pour Saint-Paul ; et par degrés il sortit du mélange des deux sangs une génération perverse, dont les désordres furent poussés si loin, qu’ils firent donner à ces métis le nom de Mamelus, pour exprimer apparemment leur ressemblance avec ces anciens brigands d’Égypte.

» Les efforts des gouverneurs, des magistrats et des supérieurs ecclésiastiques, ne purent empêcher que la dissolution ne devînt générale, et les Mamelus secouèrent enfin le joug des lois divines et humaines. Des bandits de diverses nations, portugais, espagnols, italiens et hollandais, qui fuyaient les poursuites de la justice des hommes, et qui ne craignaient point celle du ciel, s’établirent à Saint-Paul. Quantité de Brésiliens vagabonds s’y rassemblèrent aussi ; et le goût du brigandage s’étant bientôt ranimé parmi tant de gens accoutumés au crime, ils remplirent d’horreurs une immense étendue de pays. Le plus court eût été d’en purger la terre, et les deux couronnes d’Espagne et de Portugal, réunies alors sur une même tête, y étaient également intéressées. Mais la ville, située sur la cime d’un rocher, ne pouvait être soumise que par la faim. Il fallait des armées nombreuses que le Brésil n’était point en état de fournir, sans compter qu’un petit nombre de gens déterminés pouvait en défendre les approches, et que, pour les réduire, il aurait fallu entre les deux nations un concert qui ne s’y est jamais trouvé.

» Ce qui paraît surprenant, et ce qui empêcha peut-être qu’on ne prit du moins quelques mesures contre les Mamelus, c’est qu’ils n’avaient pas besoin de sortir de chez eux pour jouir de toutes les commodités de la vie. On respire à Saint-Paul de Piratininga un air pur sous un ciel toujours serein. Le climat, quoique par les 24 degrés de latitude australe, est fort tempéré. Toutes les terres sont fertile et portent de très-beau froment. Les cannes à sucre y croissent en abondance, et les pâturages y sont excellens. Ainsi l’on ne peut attribuer qu’au goût du vice et du brigandage cette fureur qui leur a fait long-temps parcourir avec des fatigues incroyables et de continuels dangers de vastes régions sauvages qu’ils ont dépeuplées, dit-on, de deux millions d’hommes. D’ailleurs rien n’était plus misérable que la vie qu’ils menaient dans ces expéditions, qui duraient souvent plusieurs années, il y en périssait un grand nombre. D’autres, à leur retour, trouvaient leurs femmes remariées. Enfin leur propre pays aurait été bientôt sans habitans, si ceux qui ne revenaient point n’eussent été remplacés par les captifs qu’on ramenait de ces longues courses, ou par des Américains avec qui la ville était en société.

» Les Espagnols du Paraguay n’ont pas moins souffert de ces ennemis publics que les nations américaines qui se trouvaient exposées à leurs incursions. Mais l’historien du Paraguay leur reproche de ne pouvoir s’en prendre qu’à eux-mêmes : ils n’avaient, dit-il, qu’à soutenir les réductions, c’est-à-dire, les bourgades chrétiennes du Paraguay contre les Mamelus, qui n’auraient jamais pu forcer cette barrière. L’intérêt les aveugla. Ils ne voyaient dans ces nouvelles églises qu’une digue opposée à leur cupidité, et jamais ils n’ont connu l’avantage qu’ils en pouvaient tirer justement qu’après la ruine de cette frontière. Cependant, comme les Mamelus ne laissèrent pas de trouver plus de résistance qu’ils ne s’y étaient attendus de la part des nouveaux chrétiens, et qu’ils ne voulaient pas s’affaiblir à force de vaincre, ils eurent recours à la ruse, dont ils employèrent plusieurs sortes. Celle qui eut le plus de succès, du moins pendant quelque temps, fut de marcher en petites troupes, dont les commandans étaient vêtus en jésuites dans les lieux où ils savaient que ces zélés missionnaires cherchaient à faire des prosélytes : ils commençaient à y planter des croix ; ils faisaient de petits présens aux Indiens qu’ils rencontraient ; ils donnaient des médicamens aux malades ; et, sachant la langue guaranie, qui est la plus commune dans cette contrée, ils allaient jusqu’à les presser d’embrasser le christianisme, dont ils leur donnaient une courte explication. Lorsque ces artifices avaient eu le pouvoir d’en rassembler un grand nombre, ils leur proposaient de venir s’établir dans un lieu commode, où rien ne devait manquer à leur bonheur. La plupart se laissaient conduire par ces traîtres, qui, levant enfin le masque, commençaient par leur lier les mains, égorgeaient ceux qui leur faisaient craindre quelque résistance, et traînaient les autres à l’esclavage. Cependant il s’en échappa quelques-uns qui répandirent l’alarme ; mais, avant que cette infernale perfidie fut vérifiée, les jésuites en ressentirent de tristes effets par les dangers auxquels ils furent exposés dans leurs courses apostoliques, et surtout par la difficulté qu’ils trouvèrent long-temps à se faire suivre par un seul Indien.

» Toute l’histoire du Paraguay est remplie des sanglantes entreprises des Mamelus ; et ce fut à l’occasion d’un mal qui croissait de jour en jour, que les jésuites obtinrent enfin du roi d’Espagne la permission d’armer leurs Américains. » C’était où ils en voulaient venir. Suivant les compilateurs qui se sont copiés les uns les autres, les Paulistes furent enfin réduits par les armes portugaises.

Tous ces récits ont été complétement réfutés de nos jours par un membre éclairé de l’académie de Lisbonne, Fray Gaspard de Madre de Deos. Il prouve de la manière la plus satisfaisante que les premiers habitans de Saint-Paul furent des Indiens de Piratininga, et des jésuites ; et que la ville, depuis sa fondation, ne reconnut d’autre souveraineté que celle du roi de Portugal. Il nie que les Paulistes aient jamais vécu de brigandage ; l’élévation de leur caractère, ajoute-t-il, la délicatesse de leurs sentimens, leur susceptibilité sur le point d’honneur, leur probité, leur amour du travail, la douceur de leurs mœurs, ne sauraient être un héritage transmis par des vagabonds et des bandits.

Il est vrai que les Paulistes se sont fait autrefois remarquer par une certaine inquiétude de caractère qui les a portés à refuser l’obéissance à des gouvernemens injustes, et à parcourir le Brésil dans toutes les directions pour chercher des métaux. Leurs heureuses découvertes en ce genre, dont ils envoyaient le produit dans leur ville, lui valurent une réputation de richesse qu’elle ne méritait pas. Souvent ils montrèrent de la répugnance à se laisser enlever ce qu’ils avaient trouvé au prix de fatigues et de périls sans nombre. Au reste, si leur caractère énergique leur attira des épithètes injurieuses qui ne leur convenaient pas, il fixa l’attention du gouvernement lorsque le Brésil fut attaqué par l’Espagne en 1770. Sans eux, les troupes portugaises auraient fait une triste figure dans cette guerre. Les cavaliers paulistes repoussèrent les Espagnols, et la terreur de leur nom se répandit depuis le Paraguay jusqu’au Pérou.

Au nord-est du gouvernement de Saint-Paul s’étend celui de Minas-Geraes, fameux par ses mines d’or et de diamans. Ces dernières ont été découvertes dans les premières années du dix-huitième siècle. Nous en parlerons dans le chapitre des productions naturelles du Brésil. Toutes les idées, dans ce pays, sont absorbées par la recherche des mines. La culture et l’industrie y sont en arrière. La capitale de la province est Villa-Rica, située au milieu d’un canton inculte, sur le flanc d’une haute montagne ; ses rues sont irrégulières, escarpées, mal pavées, mais variées par de jolis jardins en terrasses, et arrosées par des fontaines qui conduisent l’eau dans la plupart des maisons. On y compte 20,000 habitans ; l’air y est fort doux. Mariana, jolie petite ville, est peuplée de 7,000 habitans, la plupart mineurs. Villado-Principe, sur les confins du district des diamans, a 5,000 habitans, une monnaie et une fonderie royale d’or. On ne peut entrer dans le district des diamans sans subir une visite rigoureuse ; on est même fouillé. Tejuco est la résidence de l’intendant général des mines de diamans. Les habitans, au nombre de 6,000, sont obligés de tirer de loin les denrées que leur paresse empêche de faire croître dans le territoire qui les entoure. Le nombre des pauvres y est très-considérable ; ils vivent de la charité publique, tandis qu’ils pourraient se nourrir de leur travail en forçant la terre à produire. Cependant l’exploitation des mines de diamans entretient dans Tejuco un mouvement considérable. Les boutiques en tous genres sont bien garnies, la ville est bien bâtie ; la société y est fort agréable ; les manières y ont cette aisance et cette politesse qui annoncent l’usage du grand monde.

À l’ouest de Minas-Geraes on trouve sur la côte les trois petites capitaineries d’Espiritu-Santo, Porto-Seguro et Ilheos.

Espiritu-Santo, situé par 20° 13′ sud, et 44° 25′ à l’ouest de Paris, a un bon port sur une grande baie. La province est bien arrosée et fertile.

Porto-Seguro conserve le nom que Cabral lui donna à cause de l’excellence de son port lorsque découvrit cette côte. La ville est bâtie sur le sommet d’un rocher, à l’embouchure d’une rivière. Le port est abrité par des réc fs de corail. Au-dessous de la ville, située par 16° 40′ sud, et 44° à l’ouest de Paris, on trouve un grand village habité par des pêcheurs. La capitainerie produit du sucre et diverses denrées.

C’est à peu de distance de cette côte que commencent les fameux écueils qui se nomment abrolhos, et qui, s’étendant fort loin en mer, sans qu’on en ait encore pu fixer les bornes, font la terreur des pilotes, surtout dans la navigation aux Indes orientales. On y a découvert néanmoins plusieurs canaux par lesquels on trouve un passage, mais avec un danger qui demande toujours les plus grandes précautions. À six ou sept lieues du continent, on rencontre près de ces écueils, quatre petites îles que les Portugais nomment Monte-de-Piedras, Ilha-Seca, Ilha-de-Passeros, et Ilha de Meo. Les deux premières sont extérieures, et laissent à leur ouest un canal navigable ; les deux autres, qui sont intérieures, peuvent être rangées des deux côtés, mais avec une extrême attention. En général, les écueils nommés abrolhos sont Couvert de mer haute, ou ne passent point la surface des flots ; de mer basse on découvre leurs pointes, ce qui diminue beaucoup le danger pendant le jour, surtout lorsque les vagues s’y brisent assez pour servir d’avertissement aux navigateurs. L’eau d’ailleurs est toujours fort haute à l’entour.

La capitainerie d’Ilheos tire ce nom de plusieurs îles qui couvrent l’entrée d’une baie où sa principale ville est située. Elle est par 15° 15′ sud. Une rivière médiocre qui traverse la ville fait tourner plusieus moulins à sucre. La principale occupation des habitans est l’agriculture, dont ils transportent les fruits sur de petites barques à Fernambouc et ailleurs.

À sept lieues de la villes, dans l’intérieur des terres, on rencontre un lac d’eau potable, long et large de trois lieues, profond de quinze brasses, d’où sort une rivière, mais par des canaux si étroits, qu’à peine un canot y peut passer. Les eaux du lac ne laissent pas de s’enfler comme celles de la mer, lorsqu’elles sont agitées par le vent. Le poisson y est excellent, et d’une singulière grosseur. On y a même pris des lamantins dont plusieurs pesaient quarante arrobes, c’est-à-dire environ mille livres de France : les caïmans et les requins y sont aussi monstrueux.

Le gouvernement de Bahia, au nord d’Ilheos, occupe une longue étendue de côtes, et tire son nom de la vaste baie nommée Bahia-de-todos-os-Santos, Baie de tous les Saints, sur laquelle est située sa capitale San-Salvador ou Ciudad de Bahia. Cette ville se divise en deux parties : l’une, située sur le bord de la mer, est habitée par des ouvriers et des hommes de peine ; l’autre, bâtie sur une éminence élevée de 600 pieds au-dessus du niveau de la mer, est le séjour des gens aisés, parce qu’elle passe pour plus saine que l’autre, La population totale est évaluée à 70,000 habitans. Les maisons sont belles, garnies de balcons et de jalousies en place de croisées ; les églises et les édifices publics sont d’un grand style d’architecture, et ornés avec magnificence. San-Salvador fut long-temps la capitale du Brésil, le vice-roi y résidant. Lorsque la cour de Portugal arriva au Brésil, la flotte qui la portait atterrit d’abord à Bahia. Les habitans sollicitèrent la faveur de posséder la famille royale, et votèrent une somme de 12,000,000 de francs pour la construction d’un palais, si le prince consentait à fixer sa résidence dans leur ville. Rio-Janeiro fut préféré.

Le ton de la société passe pour meilleur et plus gai à Bahia qu’à Rio-Janeiro. On dit que les femmes, peut-être à cause de la chaleur du climat, sont moins laborieuses que dans les provinces plus éloignées de l’équateur.

La chaleur est en quelque sorte tempérée, par la longueur presque égale des nuits pendant toute l’année ; d’ailleurs les brises du large rafraîchissent constamment l’air. Le climat, quoique plus ardent qu’à Rio-Janeiro, est regardé comme plus sain, parce que l’air est plus vif, et que l’eau courante est plus abondante. Le sucre y est à si bon marché, que l’on vend dans les rues des fruits confits. On peut acheter trois citrons dans un gobelet de sirop pour dix centimes.

Un arsenal, de nombreux magasins et des chantiers s’élèvent sur le rivage. Les vaisseaux que l’on y construit sont d’un bois plus solide que le chêne. Cette ville, livrée aux Hollandais par la faiblesse d’un commandant militaire, mais recouvrée par la bravoure des Portugais que dirigeait l’évêque Texira, devint le terme où s’arrêtèrent les succès des Hollandais.

Le sol de ce gouvernement passe pour le meilleur du Brésil pour la canne à sucre. De nombreuses rivières, qui ont leur embouchure dans la baie, facilitent la culture de cet utile végétal. On exporte plus de sucre de Bahia que des autres ports du Brésil réunis. Il est en général très-beau, mais il n’a pas tant de corps que le sucre des Antilles. Le tabac que produit cette province est excellent ; jadis elle jouissait du privilége exclusif de le cultiver. On en faisait un grand commerce à la côte de Guinée. Le nombre des plantations de coton s’accroît chaque jour. On a aussi introduit la culture du café, qui ne vaut pas celui de Rio-Janeiro. Le riz est bon, mais la pellicule est trop adhérente au grain, et on en écrase beaucoup quand on travaille à l’en séparer. L’indigo est inférieur à celui de l’Inde. Le bois de teinture, connu sous le nom de bois de Brésil, s’exporte par Bahia et par Fernambouc ; c’est un monopole royal.

Seregippe, chef-lieu d’une capitainerie de seconde classe, a un bon port à l’embouchure du Vazabaris.

Fernambouc, ou plus correctement Pernambouc, jouit d’un climat remarquable par sa salubrité , quoique cette ville soit située par de latitude sud. Elle est sur un terrain en pente, et constamment rafraîchie par la brise de la mer. Les agrémens de son climat et de sa situation lui ont fait donner le nom d’Olinda (ô belle). À trois milles à l’est, on trouve le port et la ville basse, situés dans deux îles, et qui portent en particulier le nom de Récif ou de Pernambouc. Le premier est célèbre dans l’histoire des guerres entre les Portugais et les Hollandais. La population des deux villes réunies s’élève à 60,000 âmes. On y voit plusieurs beaux édifices, et le nombre des négocians riches y est plus considérable, relativement à sa population, qu’en tout autre endroit du Brésil. La province produit de la vanille et beaucoup de sucre ; mais le principal objet de commerce est le coton, quoiqu’il ait récemment perdu une partie de sa réputation ; ce qui vient probablement de la négligence des cultivateurs.

Paraïba fut nommée Fredericstad par les Hollandais : l’entrée de la baie qui lui sert de rade est difficile. La province est riche en bois de teinture ; on dit qu’il s’y trouve des mines d’argent à Tayciba. Paraïba doit son origine aux Français.

On comptait autrefois sur la côte deux autres gouvernemens voisins de celui de Paraïba, Tamaraca au sud, Rio-Grande au nord ; ils n’existent plus aujourd’hui. Tamaraca passait pour la plus ancienne capitainerie du Brésil : la capitale était située dans une île séparée du continent par un canal long de trois lieues. Quelques auteurs l’appelaient Sainte-Marie de la Conception, et d’autres Nuessa Segnora de la Conception. Rio-Grande, ou Natal-los-Reyes, était à l’embouchure d’une rivière qui prend sa source dans un lac d’environ dix lieues de tour, d’où l’on tirait, disait-on, les meilleures perles du Brésil.

La capitainerie de Seara est peu connue ; le commerce y est peu actif. On trouva du cristal dans les environs de Seara, nommée proprement San-José de Ribamar.

Le gouvernement de Maragnan, malgré son peu d’étendue, est devenu remarquable dans les derniers temps par l’importance de ses productions, qui sont les mêmes qu’au Fernambouc.

Le rocouyer y est très-commun : on pourrait y cultiver le cacao. On y trouve en abondance le piment, les fruits, la volaille, le poisson, en un mot, tout ce qui est nécessaire à la vie.

Saint-Louis de Maragnan, la capitale, bâtie sur une île, compte 20,000 habitans ; elle n’est pas malsaine, malgré sa position voisine de l’équateur. L’épaisseur des forêts et les brises de mer modèrent la chaleur. Plusieurs rivières débouchent dans la baie, et facilitent le transport des productions de l’intérieur.

Cette ville fut fondée par les Français en 1612 : ils choisirent l’île de Maragnan pour leur établissement, parce que la baie à l’entrée de laquelle elle est située reçoit trois fleuves qui descendent de l’intérieur du Brésil. La baie s’enfonce d’environ vingt-cinq milles dans les terres, sur une largeur à peu près égale. L’île a quarante-cinq milles de circuit. Les trois fleuves sont le Mounin à l’est, le Taboucouru au centre, le Miari à l’ouest.

On ne lira peu-être pas sans intérêt le tableau du pays à l’époque où les Français y abordèrent. Nous emprunterons les expressions du P. Claude d’Abbeville, missionnaire capucin.

« Les Américains qui habitent la grande île de Maragnan nomment leurs habitations oc ou tave : elles sont composées de quatre longs édifices qui forment un carré avec une grande cour au milieu. Chaque côté est ordinairement long de deux cents pieds ; mais dans quelques-unes il en a jusqu’à cinq cents. Leur largeur est de vingt ou trente pieds. Ce sont de grands troncs d’arbres, dont les intervalles sont remplis par des branches entrelacées ; et, du pied jusqu’au sommet, tout est revêtu de feuilles de palmier. On y voit plusieurs centaines d’Américains qui vivent paisiblement sous le même toit. L’île contient vingt-sept bourgs ou villages de cette forme ; et l’évaluation des principaux fit juger aux Français qu’elle n’avait pas moins de 10 ou 12,000 habitans.

« Le ciel est ordinairement pur et serein dans cette île : on n’y sent presque aucun froid. La sécheresse n’y est point immodérée, comme le brouillard n’y est jamais épais, ni les vapeurs nuisibles à la santé. On n’y connaît point les tempêtes ni les tourbillons de vent : il n’y est jamais tombé de grêle ni de neige ; le tonnerre y est très-rare, ou ne se fait guère entendre que dans la saison des pluies. On y voit assez souvent des éclairs vers le soir, et le matin même, tandis que l’air est le plus serein. Lorsque le soleil retourne du tropique du capricorne vers celui du cancer, il chasse des pluies devant lui dans toutes ces régions, quarante jours au plus avant d’arriver à leur zénith ; ensuite, aussitôt qu’il a passé, on éprouve pendant deux ou trois mois, des pluies continuelles, suivant la différence des climats. Dans l’île de Maragnan, il pleut depuis la fin de février jusqu’au commencement ou vers le milieu de juin. Après le solstice d’été, lorsque le soleil revient vers le tropique du capricorne, les vents d’est, qui se nomment brises, commencent à se lever, et se fortifient à mesure qu’il s’approche du zénith, comme ils s’affaiblissent à mesure qu’il s’en éloigne. Ils se lèvent ordinairement après le crépuscule, c’est-à-dire à sept ou huit heures du matin, et leur violence augmente à proportion qu’il monte sur l’horizon. L’après-midi, ils perdent insensiblement leur force, et le soir ils cessent tout-à-fait de souffler. Dans l’île et dans le continent voisin, on ne sent point d’autre vent que celui d’est, qui rafraîchit l’air, et le rend fort sain. À si peu de distance de l’équateur, les jours et les nuits sont égaux, la température presque toujours la même, et l’on aurait peine à trouver un pays dont le climat soit plus agréable.

Quoique l’île soit environnée d’eau de mer, elle n’en abonde pas moins en sources d’eau douce, la plus pure et la plus saine, d’où se forment plusieurs ruisseaux qui l’arrosent. Aussi la terre y est-elle si fertile, que, sans secours et sans repos, elle produit en trois mois une abondante moisson de maïs, avec toutes sortes de fruits, de légumes et de racines à proportion. Les marchandises qu’elle peut d’ailleurs fournir sont du bois de teinture, du safran, du chanvre, cette teinture rouge qu’on nomme rocou, quelques espèces de laque, du baume, que le P. Claude compare à celui de la Mecque, d’excellent tabac, et cette sorte de poivre que les Américains nomment axi. Ceux qui ont observé les qualités du terroir le croient propre à porter des cannes à sucre. On trouve souvent de l’ambre gris sur les côtes, et dans les cailloux une sorte de cristal blanc et rougeâtre, plus dur que ce qu’on nomme les pierres d’Alençon. L’île n’est pas non plus sans d’autres pierres précieuses, puisque les habitans en tirent celles qu’ils portent aux lèvres, et qu’ils ont l’art de polir eux-mêmes. Ils sont bien pourvus aussi de pierres à bâtir, quoiqu’ils n’en fassent aucun usage ; d’argile pour faire des briques, de ciment et de chaux. Enfin , cette île n’ayant ni de trop hautes montagnes, ni des plaines trop vastes, et se trouvant partout aussi riche en bois qu’en eau, elle peut passer pour un des plus beaux séjours du monde. Ses animaux et ses plantes sont peu différens de ceux du continent.

On a détaché du gouvernement de Maragnan le territoire de Piauhy, pour en former une capitainerie subordonnée : c’est une contrée montagneuse et encore couverte de forêts épaisses.

Le gouvernement de Para passe pour le plus grand du Brésil : Gran-Para ou Notre-Dame de Bélem en est la capitale. Cette ville, peuplée de 10,000 habitans, est dans un terrain bas et malsain, sur la rivière des Tocantins, dont l’embouchure, qui sert de port, est embarrassée de bancs de sable et d’écueils ; l’agitation continuelle de la mer, et les courans contraires, rendent le mouillage peu sûr. Le climat est brûlant ; mais, l’après-midi, il s’élève ordinairement des orages accompagnés de tonnerre, d’éclairs et de pluies, qui rafraîchissent l’air et rendent la chaleur plus supportable. La province est un pays bas et marécageux, couvert de forêts impénétrables, où l’on ne rencontre qu’un petit nombre d’habitations éparses. Para n’exporte qu’un peu de cacao et de riz, avec quelques drogues médicinales pour Maragnan, où ces marchandises sont ensuite embarquées pour l’Europe.

La capitainerie de Rio-Negro, qui confine avec les Guianes française et espagnole, avec la Nouvelle Grenade, Quito et le Pérou, est un pays encore plus désert et plus sauvage que le Para. On n’y connaît encore aucun lieu qui mérite le nom de ville.

Macapa prend son nom d’un fort situé à la rive gauche ou septentrionale de l’embouchure de l’Amazone. Cette capitainerie, qui s’étend au nord jusqu’à l’Oyapoc, n’offre rien de remarquable.

Celle de Rio-Grande del Norte , ainsi nommée d’après une rivière qui prend sa source par 19° sud, porte d’abord le nom d’Araguaya, et se joint au Tocantin, sous le 6e. degré sud. Elle n’a rien de commun avec le Rio-Grande que nous venons de nommer, près de Paraïba.

Le gouvernement de Goyas, borné à l’est par Minas-Geraes et Fernambouc, au nord par Maragnan et Para, à l’ouest par Mato-Grosso, au sud par Saint-Paul, s’étend du 6e. au 21e. degré sud. C’est un beau pays, arrosé de belles rivières poissonneuses, qui traversent des forêts immenses ; du reste, peu connu et mal peuplé. Il renferme plusieurs mines d’or et de diamans. On voit près des frontières quelques plantations de coton. On y élève du bétail. Villa-Boa, sa capitale, est située par 16° sud.

Le gouvernement de Mato-Grosso est séparé des territoires appartenans à l’Espagne par le Paraguay, le Madera, le Mamoré et le Guapore. Ces trois dernières rivières portent leurs eaux dans l’Amazone. Toutes ces rivières entourent le Mato-Grosso d’un fossé naturel de cinq cents lieues de longueur, par le moyen duquel, et de plus de trente autres rivières qui se jettent dans les premières, il existe des communications entre l’intérieur du Brésil et les points les plus éloignés. Ce gouvernement a toujours été regardé comme le boulevart du Brésil, tant parce qu’il couvre à l’ouest les provinces riches en mines que parce qu’il donne aux Portugais les moyens de pénétrer dans le Pérou ; mais la population est encore si faible, et les communications si peu faciles pour des corps d’armée, que les Espagnols ne semblent pas encore menacés d’une attaque prochaine.

Les bords des rivières sont couverts de forêts de cacaoyers et d’autres arbres remarquables, soit par leurs fruits, soit par leur bois et les résines qui en découlent. L’or abonde dans plusieurs vallées peu fréquentées à cause de leur extrême insalubrité ; les rivières roulent des paillettes de ce métal : on y trouve aussi des mines de diamant. Les hauteurs, composées de sable, n’offrent qu’une herbe dure et grossière. Des puits d’eau salée sont assez abondans pour approvisionner la province. La ville de Cuiaba, située près du bord oriental de la rivière du même nom, à quatre-vingt-seize lieues de son confluent avec le Paraguay, contient, avec son territoire, à peu près 30,000 âmes. Toutes les denrées y sont abondantes et à bon marché ; il renferme de riches mines d’or, dont l’exploitation est difficile à cause de la rareté de l’eau dans la saison de la sécheresse. D’autres établissemens sont disséminés sur la surface immense de cette province.