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Acadie/Tome I/06

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Texte établi par Henri d’Arles, J.-A. K.-Laflamme (Tome Ip. 111-154).

CHAPITRE TROISIÈME


Traité d’Utrecht. — Cession de l’Acadie. — Clauses du Traité et Lettre de la reine Anne. — Retour de Nicholson. — De la Ronde et de Pensens à Port-Royal avec mission d’écarter les obstacles que l’on mettait au départ des Acadiens. — Il en est référé à la reine. — Subterfuges des autorités locales. — Caractère de Nicholson et de Vetch. — Archives de la Nouvelle-Écosse. — Procédés malhonnêtes de leur compilateur.


La guerre entre la France et l’Angleterre s’étant enfin terminée, un traité de paix fut signé à Utrecht, le 11 avril 1713, (31 mars, vieux style,) par lequel l’Acadie fut définitivement cédée à l’Angleterre[1]. Aucune clause de ce traité ne définissait l’étendue et les limites précises du pays que la France abandonnait. Une commission, nommée par les deux Couronnes, allait avoir à régler plus tard cette importante question. En attendant sa décision, la France, aux termes du traité, cédait à la Reine d’Angleterre, à perpétuité « la Nouvelle-Écosse, ou l’Acadie, en son entier, conformément à ses anciennes limites, comme aussi la ville de Port-Royal, maintenant appelée Annapolis Royale, et généralement tout ce qui dépend des dites Terres et Isles de ce pays-là », — ainsi qu’il est dit à l’article 12[2]. Or, il était elle qu’une déclaration aussi mal formulée n’engendrât pas des malentendus. Ce qu’était exactement l’Acadie, ce qu’était ou avait été la Nouvelle-Écosse, n’avait jamais été nettement déterminé. Déjà embrouillée de ce chef, la phrase le devenait encore plus à cause de ces mots : « comme aussi la Ville de Port-Royal, maintenant appelée Annapolis Royale». Quelle étrange rédaction ! Mais quoi, l’Acadie ou Nouvelle-Écosse, ne comprenait-elle qu’une partie de la péninsule à laquelle le traité, par extension, adjoignait Port-Royal ? Ce n’était certainement pas cela qu’on avait voulu signifier, puisque Port-Royal faisait essentiellement partie de l’Acadie, qu’il en avait été le berceau et que, pendant tout un siècle, il avait été le siège du gouvernement. Il était donc impossible de prétendre que Port-Royal n’appartînt pas à l’Acadie proprement dite, puisqu’il en était comme le cœur. Et c’est justement parce que l’idée contraire ne pouvait venir à l’esprit de personne qu’on ne s’explique pas la présence de ces mots-là dans un traité qui cédait toute l’Acadie. L’insertion de cette note inintelligible fut la source de conflits qui devaient se résoudre, cinquante ans plus tard, par la force des armes, en laissant supposer raisonnablement que l’Acadie ou Nouvelle-Écosse pouvait s’entendre tout au plus de la péninsule[3].

L’article 14 du traité d’Utrecht pourvoyait en ces termes à la situation des Acadiens : « Il est expressément convenu que dans toutes les dites places et colonies qui doivent être cédées et remises par le Roi Très Chrétien en conséquence de ce traité, les sujets du Roi auront la liberté de se retirer ailleurs, dans l’espace d’un an, avec tous leurs effets mobiliers… Que ceux néanmoins qui voudront y demeurer et rester sous la domination de la Grande-Bretagne, devront jouir du libre exercice de leur religion conformément à l’usage de l’Église de Rome, autant que le permettent les lois de la Grande-Bretagne. »

Or, « peu de jours après la signature du traité, dit l’abbé Casgrain[4], la reine Anne, ayant appris qu’à sa demande le roi de France avait accordé la liberté à des prisonniers détenus aux galères pour cause de religion, voulut lui en témoigner sa satisfaction en octroyant aux habitants français de la Nouvelle-Écosse des conditions plus favorables encore que celles qu’on avait stipulées. Elle fit adresser, en conséquence, au général Nicholson, gouverneur de la Nouvelle-Écosse, une lettre dans laquelle elle lui donnait des ordres qu’il est important de citer textuellement[5] :


« Anne R.
« À notre fidèle et bien-aimé, salut.

« Notre Bon Frère, le Roi Très-Chrétien, ayant accédé à notre désir, de relâcher quelques-uns de ses sujets qui étaient retenus comme prisonniers à bord de ses galères parce qu’ils professaient la religion protestante, Nous avons voulu lui en montrer notre satisfaction en accordant quelque marque de faveur à ses sujets, et nous avons pensé vous signifier par la présente notre volonté et notre bon plaisir, de permettre à ceux de ses sujets qui ont des terres ou des propriétés en notre gouvernement d’Acadie et de Terre-Neuve, qui nous ont été ou qui doivent nous être cédés en vertu du dernier traité de paix, et sont dans l’intention de devenir nos sujets, de retenir et posséder les dites terres et propriétés sans être molestés, aussi pleinement et librement que nos autres sujets font ou peuvent posséder leurs terres et biens, ou de les vendre, s’ils aiment mieux se retirer ailleurs. En foi de quoi nous vous délivrons la présente et vous souhaitons un cordial adieu.

« Donnée à notre cour de Kensington, le 23e jour de juin 1713, et dans la douzième année de notre règne.

« Par ordre de Sa Majesté,
« (Signé) Dartmouth.


« À notre fidèle et bien-aimé Francis Nicholson, écr., gouverneur de la province de la Nouvelle-Écosse ou Acadie, et général et commandant-en-chef de nos forces, dans la dite province et à Terreneuve en Amérique. »

La situation des Acadiens se trouvait donc nettement établie par l’article 14 du traité d’Utrecht et confirmée par la lettre de la reine Anne que nous venons de citer. Sur les points essentiels, cette situation était très claire. Les Acadiens avaient, outre le libre exercice de leur religion, le choix de rester au pays en conservant tous leurs biens, ou de s’en éloigner, en emportant avec eux leurs effets mobiliers ainsi que le produit de la vente de leurs immeubles. La lettre royale ne fixait pas de limite concernant leur départ. Cette omission, si omission il y avait, était de nature à jeter du doute sur ce point. Le traité, qui avait été signé trois mois auparavant, avait porté le délai à un an. Fallait-il entendre maintenant que ce délai était indéfini ? Ou restait-il tel qu’il avait été réglé d’abord ? — Le compilateur des Archives de la Nouvelle-Écosse, au bas d’une note dans laquelle il cite l’article 5 de la capitulation de 1710, explique que les mots « within cannon shot », selon l’interprétation qu’en donna Nicholson lui-même, signifient trois milles anglais dans le rayon du Fort, et ajoute que la Reine Anne, par sa lettre de 1713, a étendu à tous les habitants le droit de demeurer en Acadie sans restriction au point de vue du temps[6]. Est-ce que par hasard Akins aurait cru que le fait qu’aucun délai n’était mentionné dans la lettre en question laissait aux Acadiens toute latitude et les rendait libres de rester ou de s’en aller quand bon leur semblerait ? Quand nous aurons fait mieux connaître l’esprit d’exclusivisme et de fanatisme qui animait ce compilateur, l’on pourra en conclure que, certes, telle n’était pas sa pensée, et qu’il ne pouvait accepter d’interpréter dans ce sens favorable le document royal. C’est donc une simple constatation qu’il fait en passant et sans y attacher autrement d’importance. Nous estimons d’ailleurs de notre devoir de dire que, selon nous, et strictement parlant, la lettre de la reine ne modifiait en aucune façon le délai d’un an stipulé par le traité[7].

Quelque opinion que l’on ait là-dessus, la chose, après tout, ne tire pas à conséquence, puisque les Acadiens avaient déjà décidé de quitter cette province et qu’ils se préparaient activement à le faire. Leur départ eut été un fait accompli dès l’automne de 1713, sans les empêchements qu’y mit le lieutenant-gouverneur Vetch, empêchements repris sous toutes les formes par Nicholson, Caulfield, Doucett, Richard Phillips, Armstrong, et plus tard encore par Cornwallis [8] Pendant dix-sept ans, de 1713 à 1730, tous les événements d’Acadie se rattachent par un lien ou par un autre aux ruses qui furent déployées par les autorités pour faire échouer le plan d’exode que les Acadiens avaient formé, et pour river ceux-ci au sol par un serment d’allégeance. Ne pas parler de ces faits, c’est fausser à dessein l’histoire de cette période, et la rendre inintelligible. Soit pour n’avoir pas eu accès aux documents que nous possédons, soit pour des causes moins avouables, les historiens, de même que le compilateur des Archives de la Nouvelle-Ecosse, ont négligé de mettre ces choses en lumière ou même n’en ont pas soufflé mot. Quant à ce dernier, nous avons déclaré hautement, dans notre préface, qu’il a accompli son travail avec une partialité révoltante et dans le but évident de semer dans le public des préjugés contre les Acadiens. Et c’est délibérément, après mûre réflexion, avec preuves à l’appui, que nous avons porté contre lui une aussi grave accusation ; la bienveillance et la charité qui nous animent ont dû céder devant les manifestations répétées de sa mauvaise foi. Nous aurons à parcourir son indigeste et menteuse compilation, et il nous sera facile alors d’en montrer les lacunes volontaires, les fins tendancieuses, par des raisons toutes basées sur les faits tels qu’ils se présenteront à nous dans la suite du récit. Disons d’abord dans quelles circonstances la publication de Akins fut entreprise. Le 30 avril 1857, la Législature de la Nouvelle-Écosse adopta la motion suivante présentée par l’Honorable Joseph Howe :

« Son Excellence le Gouverneur est respectueusement prié de nommer une commission à fin d’examiner, de conserver et de classifier les anciennes pièces et documents propres à jeter la lumière sur l’histoire de cette Province et à faire voir le progrès social qui y a été réalisé, — et ces pièces et documents seront gardés comme références, ou seront publiés, selon que la Législature en décidera[9]… »

Cette citation est tirée de la préface même du volume compilé par les soins de Akins pour répondre au vœu exprimé par la Chambre d’Assemblée de la Nouvelle-Écosse. Et c’est au même endroit que nous cueillons ce qui suit :


« L’année suivante (1858), le Lieutenant-Gouverneur fut autorisé par la Législature à demander au Bureau des Archives de l’État, en Angleterre, des copies de toutes dépêches ou de tous documents dont nous pouvions avoir besoin pour compléter notre collection, ainsi que le commissaire des archives en avait fait la recommandation. »


Le 4 avril 1859, le même Lieutenant-Gouverneur, par un autre vote de la Législature, avait faculté de se procurer, auprès du Gouvernement du Canada, copies de tous papiers des Archives de Québec, se rapportant aux temps primitifs de l’Acadie, — copies of such papers in the Archives of Quebec as related to the early history of Acadia.

Akins continue : « En 1864, ce travail de compilation était si avancé qu’au delà de deux cents volumes de manuscrits avaient été recueillis, arrangés, catalogués et reliés, lesquels comprenaient un choix abondant de documents coloniaux provenant du Bureau des Archives de l’État, à Londres, et du Bureau des Archives de Québec, qui les avait obtenus des Archives de Paris. En 1865, la Législature référa le rapport annuel du commissaire des Archives à MM. S. L. Shannon, J. Bourinot et A. G. Archibald. Et ces messieurs recommandèrent la publication « d’un volume de documents publics à être choisis par le commissaire des Archives, à la condition que cette collection puisse tenir en un seul tome in-octavo pas trop considérable », et ils ajoutaient que cette publication devait être faite sans tarder. » Par un vote du 15 mars 1865, la chambre adopta les conclusions de la commission.

« En préparant ce volume, j’ai choisi la partie de nos archives qui possède la plus grande valeur historique : je veux dire les documents qui se rapportent aux Acadiens et à leur expulsion de la Nouvelle-Ecosse ; — aux empiètements des autorités françaises du Canada sur les territoires de la Nouvelle-Ecosse ; — au siège du Fort Beauséjour en 1755, et à la guerre continentale qui eut pour résultat la chûte de la domination française en Amérique ; et aussi les pièces qui ont trait à la colonisation de Halifax en 1749, et au premier établissement anglais en cette Province ; enfin, la correspondance officielle qui préluda à l’institution d’un gouvernement représentatif, en l’année 1758.

« L’expulsion des Acadiens Français de la Nouvelle-Écosse est un événement important dans l’histoire de l’Amérique britannique ; et dans ces dernières années ce fait a pris un intérêt tout particulier à cause des allusions que les écrivains modernes y ont faites. Encore que l’on ait beaucoup écrit sur ce sujet, cependant, jusqu’à tout récemment, il a été l’objet de peu de recherches aux sources, et par conséquent l’on n’a pas clairement vu la nécessité de cette mesure d’expulsion, et, les motifs qui ont forcé le gouvernement à l’exécuter ont été souvent mal interprétés. J’ai donc choisi avec soin, parmi les documents que possède le Gouvernement de cette Province tous ceux qui sont de nature à jeter quelque lumière sur l’histoire et la conduite des habitants Français de la Nouvelle-Écosse, à partir du jour où ils passèrent sous la domination anglaise jusqu’à leur expulsion définitive de ce pays. »

T. B. A. »
« Janvier 1869.


Or, la susdite préface contient deux parties bien distinctes : 1o l’une qui expose le but qu’avait eu en vue la Législature de la Nouvelle-Écosse, savoir, de réunir les documents les plus importants concernant l’histoire générale de la Province, et de se procurer à Londres et à Québec les pièces qui seraient de nature à compléter les lacunes des archives locales, à cette fin ; 2o et l’autre qui se rapporte à l’idée qu’a conçue le compilateur et qu’il a exécutée sans vergogne, et sans prendre garde qu’elle ne cadrait point du tout avec l’intention de ses mandataires. L’intention de ces derniers était manifestement de rassembler en un volume tout ce qui pouvait contribuer à l’histoire de la Province ; mais le compilateur se réservait d’interpréter à sa façon une volonté si clairement exprimée. Pour lui, il s’agissait particulièrement de choisir, de mettre à part, de publier tout de suite, parmi les quelques deux cents volumes manuscrits que l’on était parvenu à se procurer de 1857 à 1865, les seuls documents originaux propres à jeter de la lumière sur les causes qui motivèrent l’expulsion des Acadiens. Car, dit-il en substance, on n’a pas compris les raisons qui déterminèrent cette mesure : the necessity for their removal has not been clearly perceived, and the motives which led to its enfoncement have been often misunderstood. C’est cela : pendant un siècle, on avait fait fausse route ; et Thomas Akins allait mettre les historiens présents et à venir dans la bonne voie, c’est-à-dire qu’il allait grouper en un faisceau tout ce qui pourrait porter préjudice aux pauvres Acadiens, qu’il allait faire de ce volume d’archives un arsenal commode et facile où les écrivains viendraient chercher des armes pour accabler des victimes sans défense.

En matière d’histoire, toute opinion plausible, qu’elle soit ou non le résultat des travers de l’esprit ou du cœur, mérite une certaine indulgence, et Akins pouvait fort bien entretenir les opinions qu’il émet dans sa préface. Mais il nous est permis de trouver étrange qu’il passe condamnation sur les écrivains de tout un siècle, y compris ceux qui furent contemporains des événements dont ils ont parlé. Et nous ne pouvons nous empêcher non plus de regarder comme malséante l’expression d’idées toutes personnelles au seuil d’un ouvrage de pure compilation. Dans l’esprit des législateurs qui l’avaient commandée, cette compilation devait être objective et menée avec la plus rigoureuse impartialité : autrement, elle ne répondait plus à l’intention qui l’avait inspirée. Il eut été, sûrement, plus habile, de la part de Akins, de garder le silence sur ses sentiments intimes. En les énonçant, au contraire, ouvertement, il a commis la maladresse qu’il devait le plus redouter : celle de nous mettre en garde contre une partialité possible et des procédés tendancieux. Pouvions-nous supposer libre de tout préjugé un homme qui prenait carrément parti contre nous ? N’avions-nous pas quelque raison de soupçonner sa probité, et de croire qu’il n’était peut-être pas un guide sûr à travers les archives quand nous le voyions s’y engager avec des idées nettement préconçues ? Aussi bien, nos soupçons à son sujet n’étaient que trop fondés. L’étude que nous avons faite de ses méthodes, la comparaison que nous avons établie entre les documents qu’il a publiés et les sources originales ont confirmé de façon éclatante nos justes appréhensions : Akins, et c’est la conclusion de notre enquête, a montré une partialité qui n’a été surpassée que par sa mauvaise foi. Et nous en fournirons plus tard la preuve convaincante.

Pour le moment, contentons-nous de dire que sa compilation est en réalité, non pas, comme le voulait la Législature de la Nouvelle-Ecosse, un recueil des documents les plus importants concernant l’histoire générale de la Province, mais un assemblage indigeste de tout ce qui pouvait paraître justifier la déportation des Acadiens : l’auteur en a soigneusement omis tout ou à peu près tout ce qui était de nature à servir, d’une façon ou d’une autre, la cause de ces derniers ; il a systématiquement laissé de côté tous les papiers dont la teneur était défavorable aux gouverneurs anglais et les montrait sous un jour odieux. Et que le lecteur ne s’imagine pas que nous avons relevé une à une toutes les pièces, sciemment éliminées par Akins, pour les introduire dans notre ouvrage. Nous nous sommes arrêté aux omissions les plus importantes, les plus grosses de conséquences. S’il nous eût fallu les signaler toutes, notre travail en eût été singulièrement encombré, tant elles sont nombreuses.

Et donc, le volume de Akins comprend d’abord des documents qui sont datés de novembre 1714[10]. Il me semble qu’il eût été convenable de remonter plutôt jusqu’à la capitulation de Port-Royal, en 1710, ou au moins jusqu’au traité d’Utrecht, lequel fut signé en avril 1713. Depuis cette date jusqu’en novembre 1714, des choses avaient dû se passer qui offraient un intérêt particulier ; et les archives contenaient certainement des pièces déterminant d’une manière précise l’attitude des gouverneurs aussi bien que celle des Acadiens relativement à la clause du traité qui laissait à ces derniers la liberté de quitter le pays. Comme on se le rappelle, les Acadiens avaient l’espace d’un an pour s’en aller avec leurs effets, leurs bestiaux et le produit de la vente de leurs immeubles. Or, nous savons, par la suite des événements, qu’un bien petit nombre d’entre eux profitèrent alors de cette permission. S’ils restèrent, fut-ce volontairement ? Ne furent-ils pas au contraire empêchés de partir ? Rien dans le volume de Akins n’offrait de solution à cette question. Pour nous éclairer sur ce point, nous avons dû recourir ailleurs ; et, comme nous le montrerons, ce qui découle de nos recherches est d’une importance capitale et réduit à néant les prétentions du compilateur. En omettant tous les documents se rapportant à la période comprise entre 1710 et la fin de 1714, Akins a induit en erreur presque tous les écrivains qui se sont occupés de l’histoire de la Nouvelle-Écosse. L’on commence où il commence ; l’on finit où il finit ; l’on omet ce qu’il a omis, sans se douter qu’il y a, par delà son livre, un vaste champ inexploré d’où surgissent des pièces accablantes pour le nom anglais. Le compilateur s’est bien gardé de faire entrer ces pièces dans sa collection : il les trouvait trop compromettantes. S’il a cru cependant les enfouir à jamais dans l’oubli, s’il a espéré qu’il ne se rencontrerait pas d’homme assez courageux pour les exhumer et pour les produire à la grande lumière de l’histoire, il s’est trompé. Assez longtemps l’ombre a plané sur des scènes douloureuses pour nos pères ; assez longtemps la calomnie s’est attachée à leur mémoire ; assez longtemps, grâce à Akins, le drame palpitant qui s’est déroulé en Acadie a été tronqué de son premier acte, sans lequel il est impossible de bien apprécier tout le reste. Rétablissons maintenant ce drame dans son intégrité, montrons-en l’âpre et amère unité, exposons-en le prélude et l’entrée, afin que l’enchaînement des causes et la responsabilité des personnages apparaissent dans toute leur vérité, et que le dénouement fatal n’ait rien qui nous surprenne, après un tel début.

Revenons un peu en arrière. Après la capitulation de 1710, le colonel Vetch avait été nommé lieutenant gouverneur de Port-Royal. L’année suivante Vetch alla rejoindre Nicholson dans l’expédition projetée contre Montréal, laissant à sa place, à titre provisoire, sir Charles Hobby. L’entreprise contre le Canada ayant été forcément abandonnée, Vetch revint à son poste et reprit ses fonctions qu’il exerça jusqu’à l’été de 1714. En cette année il fut remplacé par le major Caulfield, auquel succéda le capitaine Doucett, tandis que Nicholson resta gouverneur et commandant-en-chef de la Nouvelle-Écosse jusqu’en 1717. Or, dès la signature du traité d’Utrecht, les Acadiens, ainsi que nous l’avons dit, avaient résolu, à peu près unanimement, de quitter le pays, mais ils en furent empêchés par tous les moyens et toutes les ruses imaginables. Et d’abord, en août, ou peut-être même en juillet 1713, ils envoyèrent des délégués à Louisbourg, en l’Île Royale, pour s’entendre avec le gouverneur, M. de Costebelle, et apprendre de lui les conditions qu’on leur ferait s’ils se transportaient en territoire français[11]. Le rapport des délégués ayant paru trop peu encourageant, les Acadiens, par une lettre en date du 23 septembre 1713, renoncent à émigrer.[12] Ils donnent pour raison qu’ils ne peuvent accepter d’aller s’établir à l’Ile Royale sans une assistance sérieuse de la part des autorités, attendu que le sol y est de qualité inférieure, en grande partie boisé, et qu’il ne s’y trouve pas de pâturages naturels pour la nourriture de leurs bestiaux. Que si cependant on les oblige de prêter serment, ils partiront quand même. Et ils ajoutaient : « Nous ignorons d’ailleurs de quelle façon les Anglais entendent nous traiter. S’ils nous créent des embarras à cause de notre religion, ou s’ils morcellent nos propriétés afin de les partager également entre nous, nous nous embarquerons immédiatement. »

M. de Costebelle fut très vexé de cette attitude, et plus encore peut-être d’une lettre qu’il avait reçue de l’abbé Gaulin sur qui il comptait pour favoriser l’exode des Acadiens vers l’Ile Royale. L’abbé Gaulin avait en effet répondu en ces termes un peu vifs aux avances du gouverneur : « Il lui était impossible de se prêter à ses manœuvres ; le secours que M. de Costebelle promettait ne reposait pas sur des garanties suffisantes ; il ne convenait pas au gouverneur de vouloir se servir de l’influence des missionnaires pour mener à terme une affaire qui pouvait avoir des résultats fâcheux, et dont l’issue, en tout cas, était bien incertaine. Que si M. de Costebelle ne pouvait donner des gages de la droiture de ses intentions et fournir aux Acadiens une assistance effective, alors l’abbé Gaulin préférait voir ces derniers rester sur leurs terres, avec les Anglais qui font tout en leur pouvoir pour les empêcher de partir[13]. »

Autant, comme nous le montrerons plus loin, le gouvernement français désirait que les Acadiens prissent avantage du traité d’Utrecht pour se transporter en territoire français, autant les autorités de Port-Royal y mettaient d’opposition. Les négociations, entre le gouverneur de Louisbourg et les Acadiens, ayant été reprises, et des terres sur l’Ile Saint-Jean ayant été offertes, ceux-ci s’apprêtèrent à partir. Mais Vetch entrava leur dessein, sous le prétexte fallacieux qu’il n’était qu’en sous-ordre à Annapolis et qu’il appartenait au gouverneur en titre de leur accorder l’autorisation qu’ils sollicitaient. Or le temps s’écoulait. Nicholson ne fut de retour en Acadie qu’à l’été de 1714, quand l’année de grâce accordée aux Acadiens pour aller se fixer ailleurs venait justement d’expirer. Voici des documents qui jettent un jour singulier sur la conduite des Anglais en cette affaire. Ce sont des lettres du major L’Hermitte, second lieutenant du roi à Louisbourg. La première est adressée à Nicholson lui-même :

« Ayant appris, Monsieur, par plusieurs habitans du Port-Royal, des Mines et de Beaubassin, que celui qui commande à votre absence au Port-Royal (Vetch) leur a fait défense de sortir, et même en a refusé la permission à ceux qui lui ont demandé, ce qui fait que les habitants qui seraient maintenant établis sur les terres du Roi, se trouvent la plupart hors d’état de se retirer cette année… C’est ce qui m’a déterminé, Monsieur, suivant l’ordre que le Roy m’en donne, d’y envoyer M. de la Ronde Denys, à qui j’ai remis en mains les ordres de la Reine Anne, et conférera avec vous des raisons pour lesquelles ils sont détenus. J’espère, Monsieur, que vous rendrez toute la justice due et que vous n’aurez d’autre vue que de suivre les volontés de la Reine[14]. »

La seconde est adressée au conseil de Marine :

« Celui qui commande au Port-Royal a fait défense de sortir du pays avant l’arrivée de M. Nicholson ; de sorte que tous ceux qui sont venus ici s’étaient échappés. Ils m’ont représenté, ainsi que M. Gaulin et les Pères de l’Acadie qui m’ont tous envoyé des express, qu’il était nécessaire d’y envoyer un officier pour soutenir leurs droits, les Anglais ayant défendu aux missionnaires de se mêler des affaires de ces habitans.[15] »

Ces lettres sont très claires : le lieutenant-gouverneur Vetch avait, par ses défenses arbitraires, empêché les Acadiens de profiter de la clause du traité d’Utrecht qui leur donnait un an pour régler la question de leur départ ; le gouverneur de Louisbourg avait été informé de l’attitude de Vetch, et il avait communiqué ses renseignements au Roi de France ; celui-ci avait obtenu de la reine Anne un ordre permettant aux habitants de l’Acadie de disposer de leurs propriétés en toute liberté, de vendre leurs biens à leur juste valeur ; cet ordre avait été transmis au gouverneur de Louisbourg ; le major L’Hermitte, qui commandait en cette dernière place en l’absence de M. de Costebelle, avait dépêché à Port-Royal M. de la Ronde Denys avec une lettre pour Nicholson et la copie authentique de l’ordre signé par la reine Anne.

Donc, M. de la Ronde, à qui on avait adjoint M. de Pensens, arriva à Port-Royal vers le 20 juillet, avec la mission de remettre à Nicholson les ordres très précis que le roi de France tenait de la reine Anne. Nicholson leur fit un accueil superbe, il prit connaissance des ordres dont ils étaient porteurs et promit de laisser partir les Acadiens dans le cours de l’année, si telle était leur intention. Il permit même aux délégués de convoquer les habitants en assemblée afin de s’assurer de leur volonté. Ceux-ci réitérèrent unanimement leur ferme détermination d’évacuer le pays[16]. Nicholson . Nicholson parut d’abord convenir de tout, mais, sous prétexte d’en référer à la reine, il finit par tout refuser. Il fallait vraiment que cet homme eût une dose peu commune d’effronterie pour passer outre aux ordres formels de sa Souveraine. Or, nous avons la preuve qu’il ne craignît pas de le faire et de violer ouvertement les obligations de son mandat. Cette preuve est contenue dans le document que voici et qui est le compte-rendu officiel de la mission remplie par de la Ronde et Pensens :

« En 1714, les sieurs de la Ronde et Pensens, capitaines, furent envoyés à l’Acadie pour obtenir de M. de Nicholson une liberté pour les Acadiens de se retirer avec leurs bestiaux et leurs grains à l’Ile Royale. M. de Nicholson permit à ces officiers de faire assembler les habitants pour savoir leurs intentions. Ils déclarèrent tous qu’ils voulaient retourner à leur légitime souverain. Il fut demandé à M. Nicholson que conformément à l’article quatorze du traité de paix, ces habitants eussent l’espace d’une année pour rester sur leurs biens sans empêchement ; qu’il leur fût permis, pendant ce temps, de transporter leurs grains et leurs bestiaux, de construire des bâtiments pour le transport de leurs effets et de recevoir de France des agrès et des apparaux pour ceux qui seroient bâtis. Ces deux articles furent renvoyés à la décision de la Reine. On demanda encore qu’il leur fut permis de vendre leurs habitations ou de laisser procuration. Il fut répondu à cet article remis à la Reine, de plus renvoyé à sa lettre qui doit en être un sûr garant. M. de Nicholson promit, en outre, une prompte expédition de tous ces articles… mais depuis ce temps on n’a eu aucune réponse sur ce sujet.[17] »

Ce document officiel est confirmé par plusieurs autres, dont nous ne donnerons que le suivant, parce qu’il renferme d’autres faits importants. C’est un rapport de M. de Costebelle au ministre, à la date du 29 août 1714, c’est-à-dire immédiatement après le retour de MM. de la Ronde et de Pensens :

« Le 13 juillet, je fis partir M. de la Ronde Denys pour le Port-Royal, dans un bateau de l’Acadie que j’avais frété. J’envoie à Votre Grandeur la copie de la lettre que j’ai écrite à M. de Nicholson, et des instructions que j’ai données à M. de la Ronde. Je lui ay remis les ordres de la Reine en anglais et en français. M. Gaulin s’embarqua avec lui, et plusieurs Acadiens qui étaient ici. J’ai cru, Monseigneur, de ne pas rendre un plus grand service au Roy que d’aider à ces habitans à sortir d’un abîme où ils vont tomber.

« Votre Grandeur me dit qu’elle envoyt pour eux les agrès que j’avais demandés ; mais ils viendront tard ; avant qu’on les leur ait fait tenir la saison sera bien avancée. Ils avaient écrit à Boston pour en avoir ; M. de Nicholson l’a défendu, même a fait arrêter leurs bateaux et chaloupes qu’ils avaient bâtis. Ils m’ont paru être dans le sentiment de ne pas sortir qu’ils n’aient vu la décision de M. de Nicholson. Il est constant qu’il fera tout ce qu’il pourra pour les retenir ; ils ont même déjà tenu deux fois conseil pour quitter le Port-Royal… ; c’est en partie ce qui m’a déterminé à y envoyer, d’autant plus que les Anglais les ont mis hors d’état de pouvoir subsister, s’ils ne recueillent pas leurs récoltes en achetant leur blé[18]. »

Nicholson, qui venait d’arriver d’Angleterre, n’avait probablement pas eu le temps de réfléchir aux conséquences fâcheuses qu’entraînait pour le pays le départ des Acadiens. Aussi, après avoir pris connaissance des ordres de sa Souveraine, promit-il d’abord d’y obtempérer, et de ne pas s’opposer au vœu si légitime des habitants. Mais, bientôt mis au courant par ses officiers des résultats qu’aurait pour la Province l’exode en masse des colons français, il s’avisa, pour gagner du temps, de référer la question à la Reine. Le subterfuge était absurde et grossier. Pourquoi proposer de référer à la Reine ce que celle-ci lui ordonnait de faire ? Pourquoi remettre encore à sa décision les clauses formelles et limpides d’un traité qu’elle avait sommé le gouverneur d’exécuter ?

Par malheur pour les Acadiens, la Reine Anne mourut le 17 août 1714. Sans quoi, nous pouvons croire qu’en dépit des conséquences, elle eut tenu à honneur de faire respecter ses engagements. De nombreuses communications furent alors adressées aux Lords of Trade, pour leur représenter les graves inconvénients qui allaient découler du départ des Acadiens, si l’on ne se hâtait pas de l’empêcher. Et c’est ainsi que les questions, soi-disant référées à l’autorité royale par Nicholson, ne furent jamais résolues ni dans un sens ni dans un autre ; pendant longtemps on tint les Acadiens sous l’impression que ces questions étaient toujours à l’étude, quand il était parfaitement entendu que l’on mettait tous les obstacles possibles à leur départ. Pleins de naïve confiance, persuadés que la justice fait le droit, que les traités étaient choses sacrées, que l’honneur est la force et l’appui des gouvernements, les Acadiens attendirent, mais en vain, une réponse qu’on leur disait être sous considération. Ils étaient si certains d’avoir gain de cause et de pouvoir quitter le pays dans le cours de l’été suivant (1715), que, le printemps venu, un grand nombre n’ensemencèrent même pas leurs terres.

M. de Costebelle, dans une lettre au Ministre, à la date du 9 septembre 1715, marque « qu’on l’a assuré que les habitants françois des Mines n’ont point ensemencé leurs terres en 1715, qu’ils avaient des grains pour vivre deux ans, et qu’ils restaient disposés à une entière évacuation lorsqu’ils auraient des bâtiments pour les transporter à l’Isle-Royale avec leurs familles et leurs effets[19] ».

Et voici d’autres documents provenant de la même source :

« Le Père Dominique (de la Marche) lui a présenté (à M. de Costebelle) un mémoire par lequel il paraît que les peuples de l’Acadie étaient déterminés à tout abandonner pour sortir de la domination des Anglois ; que la plupart même n’avoient pas voulu ensemencer leurs terres dans l’espérance qu’on les retireroit au printemps. Que plusieurs avaient construit des bateaux pour le transport de leurs familles et de leurs effets ; qu’il y en avait dix prêts à naviguer dès qu’on leur aurait envoyé les agrès[20]… »

M. Bégon[21], par sa lettre du 25 septembre 1715, marque «que le Père Justinien (Durand), missionnaire récollet au Port-Royal, lui a marqué que tous les habitants françois de l’Acadie ont pris la résolution d’aller s’établir à l’Isle Royale, à quoi une Lettre Pastorale de M. l’Évêque de Québec[22] a beaucoup contribué… Les Anglois font tout ce qu’ils peuvent pour retenir les François, non seulement en les ménageant, mais aussi en leur refusant les choses nécessaires pour leur passage et leur faisant entendre qu’ils ne leur permettront pas de disposer de leurs immeubles ni de leurs bestiaux, qu’on leur donnera seulement quelques vivres ».

« Par sa lettre du 6 novembre 1715, il (M. de Costebelle) marque qu’il a parlé au sieur Capon, envoyé du gouverneur de Port-Royal, de la manière dure et injuste avec laquelle le général Nicholson avait traité les habitants françois de l’Acadie, contraire en tout aux ordres qu’il avait reçus de la feue reine d’Angleterre, et à la parole qu’il avait donnée aux sieurs de la Ronde et Pensens. Cet envoyé a convenu que la conduite de ce général n’avait été approuvée d’aucun officier de sa maison ; mais que le gouverneur général ne pouvait rien changer sans de nouveaux ordres du roy d’Angleterre, ainsi tous les autres différents mouvements sont suspendus pour la libre évacuation des habitants jusqu’à une plus ample décision des deux couronnes[23]. »

Des documents que nous avons produits, et qui sont tous de nature officielle, d’autres pièces encore que nous avons eues sous les yeux, il ressort, de façon éclatante : — que, dès l’automne de 1713, quelques mois seulement après la signature de la paix, les Acadiens signifièrent au lieutenant-gouverneur Vetch leur intention de quitter le pays ; que, dès ce moment, ils se préparaient à partir, mais qu’ils en furent empêchés par ce dernier, sous le prétexte qu’il leur fallait attendre l’arrivée de Nicholson ; que celui-ci, sans égard pour les clauses du traité et pour les ordres formels de la Reine, à lui transmis par M. de la Ronde, sans autre motif que de gagner du temps et de frustrer les Acadiens des droits qui leur avaient été assurés, référa leurs légitimes demandes à Sa Souveraine ; que, subséquemment, après avoir refusé aux Acadiens de les transporter sur des vaisseaux anglais, on refusa également l’entrée des vaisseaux français dans les ports de l’Acadie ; que la détermination des Acadiens de quitter le pays était telle qu’ils se construisirent eux-mêmes des bateaux ; que, voulant se procurer à Louisbourg des apparaux pour les gréer, permission leur en fut refusée ; qu’ayant voulu s’adresser à Boston pour le même objet, on le leur défendit également, et que de plus on s’empara de leurs bateaux.

Rien de ce qui précède ne se trouve au volume des Archives : il est possible que le compilateur n’ait pas eu quelques-uns des documents en question. Et alors, quelle que soit l’importance des faits qui y sont allégués, l’on ne saurait le blâmer de ce chef. La mission que lui avait confiée la Législature de la Nouvelle-Écosse lui imposait en effet la tâche de collectionner les matériaux qui pouvaient se trouver à Halifax, à Londres et à Québec : à cela se bornait son rôle.

Pourtant, parmi les pièces que nous avons soumises, il y a une lettre de Costebelle à Nicholson, accompagnant les ordres de la Reine dont de la Ronde était porteur et que celui-ci remit au gouverneur. Il y a aussi le compte rendu que MM. de la Ronde et de Pensens firent de leur mission à ce sujet : tout cela devait se trouver dans les Archives de Halifax, et cependant il n’en est pas soufflé mot dans la compilation. Et pourquoi ? Est-ce que ces pièces, par hasard, auraient été jugées insignifiantes ? — Akins n’ignorait cependant pas les empêchements qui furent mis au départ des Acadiens ; comme on le verra, il avait pris forcément connaissance de documents se rapportant à cette question, laquelle ne laissait pas de lui causer un certain malaise. Ainsi, à la page 265 de son livre, quand il en est rendu déjà à produire les pièces qui ont trait à la déportation de 1755, il met en note ce qui suit : « Le gouverneur Nicholson vint à Annapolis en 1714, et soumit alors aux Acadiens les termes qui avaient été convenus à leur sujet, à savoir : qu’ils pouvaient garder leurs terres à la condition de devenir sujets de la Couronne Britannique, ou disposer de leurs propriétés et quitter le pays, à leur choix, dans l’espace d’un an. Ils choisirent unanimement la dernière alternative et se préparèrent à évacuer le pays ; mais les vaisseaux que l’on avait promis de leur envoyer du Cap Breton pour opérer leur émigration n’étant pas venus, ils se trouvèrent forcés de demeurer où ils étaient. Ils continuèrent cependant de refuser à prêter le serment, alléguant qu’ils avaient été retenus contre leur désir, ce qui, dit le gouverneur Mascarene dans une lettre à Shirley, datée d’Annapolis, le 6 avril 1748, « n’était vrai qu’en partie, puisque le gouverneur Nicholson « avait déclaré qu’ils ne pouvaient pas être transférés par le moyen de vaisseaux anglais, et que les Français du Cap Breton pouvaient venir et les prendre à bord de leurs propres navires, ce que ces derniers ne voulurent pas faire » ; autrement il est probable que la plupart d’entre eux se fussent retirés à l’Ile Royale ou à l’Île St-Jean. »

Tout n’est pas exact dans ce qui précède, bien loin de là. Il n’y a de vrai que ce qui concerne l’arrivée de Nicholson et la détermination des Acadiens de quitter le pays. Et aussi, sans doute à son insu, le compilateur confirme par une preuve nouvelle, l’infamie déjà signalée dans les documents que nous avons publiés plus haut. En effet, si nous comprenons bien sa pensée, les Acadiens n’avaient pas eu le privilège que leur assurait le traité, c’est-à-dire de pouvoir, advenant leur départ, emporter avec eux leurs effets ni emmener leurs bestiaux, etc. ; on les avait seulement laissés libres d’en disposer par la vente. Or, comme ils étaient les seuls habitants du pays, à qui donc auraient-ils vendu ces choses ? Dans ces conditions, dire qu’on leur permettait d’en disposer n’était qu’un vain mot et une fourberie. Cela équivalait à une spoliation de la part de l’autorité. Et quand Akins ajoute que « les Français ne partirent pas parce qu’on ne leur envoya pas, du Cap Breton, les vaisseaux qui leur avaient été promis », ne fausse-t-il pas outrageusement la vérité ? La question même de leur départ ayant été référée à la Reine par Nicholson, celui-ci n’avait donc pas convenu que les Français du Cap Breton viendraient prendre les Acadiens dans leurs propres vaisseaux. Ce renvoi à la Reine fut si peu une fiction que, le 7 novembre 1714, M. de Pontchartrain, ministre de la Marine, faisait tenir à Monsieur d’Iberville, ministre de France à Londres, copie du compte rendu de la mission de MM. de la Ronde et de Pensens à Port-Royal, avec instruction de presser la solution des questions référées par Nicholson à l’autorité royale. Quelques jours après, le 15 novembre 1714, Lord Townshend, secrétaire d’État, soumettait ces questions au Board of Trade[24].

D’ailleurs, peut-on supposer raisonnablement que les Français, qui avaient tout intérêt à ce que cette transmigration eut lieu, eussent négligé d’envoyer des vaisseaux à cette fin ? Les documents officiels de l’époque, tels que le compte rendu de tous les points discutés entre de la Ronde et de Pensens d’un côté, et Nicholson de l’autre, et aussi le rapport au gouverneur de Louisbourg, et le rapport de celui-ci au gouvernement français, en parleraient. Dans le cas même où il serait vrai que les Français n’eussent pas voulu ou eussent été empêchés de fournir des bateaux de transport, comme les Acadiens s’en étaient construits eux-mêmes, pourquoi leur a-t-on refusé de s’en servir ? Et pour quelle raison leur fut-il interdit de se procurer des apparaux à Louisbourg et même à Boston ?

L’opinion émise par Akins est si absurde qu’elle porte en soi sa réfutation. Comme personne avant lui ne s’était avisé d’énoncer une pareille sottise, l’on ne peut s’attendre à trouver nulle part de discussion qui la contredise directement et qui en fasse justice. Cependant voici deux documents anciens où la prétention du peu honnête compilateur a été confondue à l’avance. Le premier est une délibération du Conseil de Marine touchant un rapport fait par le Père Dominique de la Marche sur la situation présente des Acadiens. Nous nous contenterons d’en donner l’extrait suivant : « Le refus absolu qu’ont toujours fait les gouverneurs anglais de souffrir que les vaisseaux même du roi vinssent à l’Acadie pour transporter ceux qui étaient de bonne volonté, ou à prêter des agrès pour les bâtiments qu’ils avaient construits et qu’ils ont été obligés de vendre aux Anglais, la défense qui leur a été faite depuis de transporter avec eux aucuns bestiaux ni provisions de grains, la douleur d’abandonner leurs biens, héritage de leurs pères, leur travail et celui de leurs enfants, sans aucun remboursement ni dédommagements. Toutes ces infractions sont les motifs principaux de l’inaction dans laquelle ils sont demeurés… Qu’il n’avait pas tenu à eux qu’ils ne se fussent retirés en 1714, mais que la porte leur avait été fermée par le refus du général Nicholson, qu’ils étaient dans la même résolution et prêts à se retirer sur les terres de la domination de France, mais qu’il fallait qu’on leur fît raison sur la convention mutuelle entre les deux couronnes, ce qu’ils ne pouvaient espérer par le refus actuel qu’on leur faisait de transporter pour leur vie et la subsistance de leurs familles les grains suffisants pour leur nourriture, et leurs bestiaux[25]… »

Le second est une lettre de M. St-Ovide de Brouillan, gouverneur de Louisbourg, au gouverneur d’Annapolis, Richard Phillipps, en date du 8 juin 1720 : « L’inaction dans laquelle ces peuples sont restez jusqu’à présent ne peut ni ne doit leur estre imputé à crime tant par rapport au deffaut des Secours essentiels à leur transmigration que par les obstacles que les gouverneurs généraux et particuliers qui vous ont précédé y ont mis. Je ne puis non plus me dispenser Monsieur de vous exposer que les deux clauses de vostre Proclamation qui concernent le terme, et les circonstances de leur Evacuation me paroissent peu conformes aux assurances de bienveillance qu’ils auaient de la part de la Cour d’Angleterre surtout après un Traitté et une Convention de bonne foy entre la feu Reyne Anne et le Roy Louis Quatorze de glorieuse mémoire Traitté qui a été exécuté en Entier de la part de la France et en partie de la part de l’Angleterre. Vous n’ignorez pas Monsieur que par cette convention Le sort des Habitants de l’Acadie étoit et deuoit être le même que celuy des habitans de Plaisance. On ne peut rien adjouter à la gracieuseté et à la bonne Foy avec laquelle cest Traittée cette Evacuation et j’auray l’honneur de vous représenter présenter que rien ne pourroit estre de plus dur que l’Extremité ou pour mieux dire l’impossibilité à laquelle se trouveroient réduits ces pauvres Peuples Si vous ne vouliez vous relâcher en rien du temps que vous leurs accordez et de la manière dont vous Exigez leur sortie[26]… »

Si le compilateur pouvait alléguer qu’il ne connaissait pas la plupart des documents qui ont été cités plus haut, lesquels n’étaient ni aux archives de Halifax, ni à celles de Londres ou de Québec, ignorait-il d’autre part ceux que nous allons maintenant offrir à nos lecteurs ? Voici d’abord une lettre de Vetch au Bureau de Commerce (Board of Trade) de Londres :

Le 9 mars 1715.

« Milords,

« Je crois de mon devoir, en considération du bien public, d’exposer à vos Seigneuries la situation qui règne en Nouvelle-Écosse : les habitants français ont été en quelque sorte obligés de quitter le pays à cause du traitement que leur a infligé le gouverneur Nicholson, ainsi que Vos Seigneuries pourront le constater par le témoignage de quelques personnes récemment arrivées de cette province, et auquel je me permets de les renvoyer. J’ose donc suggérer à Vos Seigneuries d’expédier au plus tôt des ordres pour empêcher cette émigration des habitants français, avec leurs bestiaux et leurs effets, vers le Cap Breton : car pareil événement aurait pour effet de dépouiller et de ruiner la Nouvelle-Écosse Écosse et ferait immédiatement du Cap Breton une colonie populeuse et riche, résultat que la France, de loin, serait incapable d’obtenir par plusieurs années de travaux et de grandes dépenses, comme j’ai eu l’honneur de le faire remarquer à Vos Seigneuries dans une communication préalable et où cette question était traitée avec plus d’ampleur [27]… »

L’on se souvient que, d’après Akins, Nicholson, à la fin de juillet 1714, aurait donné un an aux Acadiens pour quitter le pays. Or, la lettre ci-haut est du 9 mars 1715, c’est-à-dire neuf mois après la permission accordée par le gouverneur, ou mieux, la promesse qu’il avait faite aux habitants de les laisser partir librement. Cette promesse n’avait donc pas encore été exécutée, puisque Vetch suppliait le Board of Trade d’envoyer des ordres pour empêcher leur départ : speedy order to prevent the Inhabitants removal. Et Vetch ne faisait que répéter ici ce qu’il avait déjà dit dans une lettre du 24 novembre précédent, laquelle se trouve bien, par exemple, à la page cinq de la compilation. Les lettres suivantes éclaireront d’un jour nouveau la situation :

Le colonel Sam. Vetch au Bureau de Commerce.


Londres, 2 septembre 1715.

« … M. Nicholson ayant tout fait pour empêcher les habitants de se livrer à aucun commerce et ayant ordonné qu’on leur tienne fermées les portes du Fort, de jour et de nuit, de façon qu’ils ne puissent avoir aucun rapport avec la garnison, ayant en plus, par Proclamation, défendu qu’ils entretiennent des relations avec les indigènes, comme ils en avaient toujours eu l’habitude pour la traite des pelleteries, cela a eu pour effet de détourner les Acadiens de prolonger leur séjour dans la Province. Aussi se sont-ils construits un grand nombre de petits vaisseaux pour se transporter, avec leurs effets, au Cap Breton : chose que les officiers français avaient toujours demandée et qu’ils avaient même menacé de faire[28]… »

Vetch se garde bien de mentionner les raisons qui empêchèrent les Acadiens d’utiliser les nombreux bateaux qu’ils s’étaient construits : on les devinerait facilement, même si des documents authentiques ne les signalaient pas.


Samuel Vetch au Bureau de Commerce.


« Londres, le 21 février 1716.


« …Quant aux habitants français de cette Province, d’après ce que je sais, bien peu ont émigré, encore que les tracasseries auxquelles ils ont été en butte eussent dû les porter à s’en aller. Je ne doute pas qu’ils ne fussent heureux de pouvoir continuer à demeurer sur leurs terres, (dont quelques-unes sont d’une étendue considérable,) à la condition de trouver protection et encouragement de la part de la Couronne. Du reste, comme un pays sans habitants ne compte plus, le départ des Acadiens, avec leurs bestiaux, pour le Cap Breton, serait une source de richesse pour cette colonie nouvelle, en même temps qu’il entraînerait la ruine de la Nouvelle-Écosse, à moins que des colons anglais ne vinssent les remplacer, ce qui prendrait plusieurs années. Il est donc tout à fait à l’avantage de la Couronne que les Acadiens restent dans cette province avec tous leurs troupeaux [29]… »

Le Major Caulfield au Col. Vetch.


« Annapolis Royale, le 2 novembre 1715.


« Monsieur,

« L’arrivée du transport chargé de provisions m’a procuré le plaisir de recevoir votre lettre. Je ne ressens que trop l’inconcevable malice de Nicholson. Si ses desseins eussent été exécutés, je suis persuadé qu’il ne resterait plus un seul habitant dans tout le pays, et pas même de garnison. Je me rappelle en effet son étrange déclaration aux Acadiens et ensuite aux soldats : ne dit-il pas à ces derniers que les Français étaient tous des rebelles et qu’ils méritaient qu’on allât leur couper la gorge dans leurs propres maisons ? Ne nous fit-il pas défense expresse d’avoir avec eux aucune espèce de rapports ? Ne nous obligeât-il pas à garder fermées les portes de la garnison ? Et cependant il n’était pas sans se rendre compte que nous ne pourrions pas subsister pendant l’hiver qui approchait sans l’aide des habitants, qu’il n’y avait pas pour nous d’autre moyen de vivre qu’en nous adressant à eux… Si l’on dressait un bilan exact de toute son administration, il serait bien difficile d’établir qu’une seule des mesures qu’il a prises ait été à l’avantage de la garnison ou de la colonie[30]… »

Lettre de M. Adams au capitaine Steele[31]
.
« Annapolis Royale, le 17 janvier 1715.

« … Nous espérions qu’à son arrivée, le général Nicholson paierait la garnison et mettrait la place sur un bon pied. Mais c’est tout le contraire qui a eu lieu. Il nous a jetés dans le plus grand embarras, il a démantibulé les forts, chassé les Acadiens, et envoyé au loin autant d’Anglais qu’il a pu, en sorte que la place est maintenant dans un bien triste état.

« En somme, s’il avait reçu le mandat de conduire le pays à la ruine, il ne s’y fut pas pris autrement : tout le temps qu’il a passé ici, il l’a consacré à poursuivre le gouverneur Vetch de son implacable méchanceté. Vraiment, durant les deux mois qu’a duré son séjour, il a davantage nui aux intérêts anglais que Vetch n’eut pu faire pendant toute sa vie, quand même ce dernier eut été aussi vilain que Nicholson le donnait à entendre… Nicholson avait la manie de blasphémer contre Vetch et ses amis… À Annapolis, il n’y a personne (si j’en excepte deux), qui ne déteste et n’abhorre son nom[32] »

Nous avons également du capitaine Armstrong, qui devint plus tard lieutenant-gouverneur de la Province, une lettre dont la teneur confirme et corrobore les témoignages contenus dans les précédentes.

Il est évident, d’après ces pièces, qu’une vive animosité régnait entre Nicholson et Vetch, et nous savons de source certaine que cette animosité avait pour cause la convoitise. Vetch, de Londres où il se trouvait, cherchait à supplanter Nicholson, en s’appuyant sur les rapports des principaux officiers d’Annapolis, rapports qu’il transmettait aux membres du Bureau de Commerce. Et en même temps il s’efforçait de démontrer à ceux-ci qu’il comprenait mieux que le gouverneur les véritables intérêts du pays et qu’il était l’homme nécessaire dans les circonstances. Il serait curieux de connaître quelles réponses Nicn opposait à de pareilles accusations, car il n’a pas subi de tels assauts sans y riposter d’une façon qui a dû être fort dommageable à la réputation de son concurrent ; et les arguments ne pouvaient lui manquer, puisque Vetch, en 1706, avait eu à subir un procès devant la Législature de Massachusetts, et qu’il fut condamné à payer une amende de deux cents livres sterling pour avoir procuré aux Français des munitions de guerre, for having supplied the French with ammunition and stores of war[33].

À juger de la querelle entre Nicholson et Vetch par ses résultats, elle ne fut favorable ni à l’un ni à l’autre : tous deux succombèrent dans une commune défaite ; pour chacun, la carrière des honneurs sembla se terminer là. Vetch n’obtint rien, et Nicholson perdit sa position deux années après. Comme il arrive souvent dans ces sortes d’affaires, les deux rivaux avaient surtout réussi à prouver qu’ils étaient l’un et l’autre indignes de la confiance publique. Leurs différends ont eu du moins cet avantage de nous éclairer sur leur caractère et leur conduite et de nous montrer en quelles tristes mains était tombée l’administration de la colonie. Pour ce qui regarde Nicholson, en particulier, comment ne pas estimer qu’il avait dû donner de réels sujets de plaintes, quand on le voit condamné par trois personnages qui furent successivement lieutenants-gouverneurs de la province, à savoir Vetch, Caulfield, Armstrong, et plus tard, en 1739, par Adams ? Et cependant, à nous en tenir à l’ouvrage préparé par Akins, loin de soupçonner de quoi que ce soit Nicholson aussi bien que Vetch, nous serions au contraire tenté de les prendre pour des hommes intègres auxquels la postérité doit une statue. Heureusement que nous avons pu nous renseigner sur leur compte à d’autres sources ! Mais que penser du compilateur qui a omis les documents que nous venons de produire ? Estimait-il qu’ils manquaient d’importance ? Ne serait-ce pas plutôt qu’il leur en trouvait une trop considérable ? Car il ne pouvait vraiment les ignorer. Ces documents sont tous aux Colonial Records de Londres, section de la Nouvelle-Écosse, où Akins avait précisément reçu la mission de se procurer toutes les pièces qui pouvaient servir à l’histoire de la province. Les documents en question sont voisins de ceux qu’il a fait entrer dans son volume. Et pourquoi les a-t-il éliminés ? Nous nous le demandons avec d’autant plus de surprise qu’à part les faits de nature publique qu’ils relatent, ces papiers nous permettent de saisir le caractère, le tempérament des personnages qui y figurent et de voir à nu les motifs qui les animaient. Est-ce donc là chose indifférente pour l’histoire ?

Mais Akins n’est pas seulement un compilateur dont l’éclectisme a de quoi étonner le chercheur impartial ; il se fait aussi volontiers biographe. Il a introduit çà et là dans son ouvrage des notes copieuses où il prétend à apprécier les hommes ayant joué un rôle quelconque dans les événements auxquels se rapporte sa publication. Et voici ce que je remarque à ce propos : chaque fois qu’il s’agit d’un gouverneur ou de tout autre officier ayant eu à traiter avec les Acadiens, le ton est invariablement suave et laudatif. L’occasion eut été pourtant excellente de porter un jugement sur Nicholson, par exemple, dans lequel les qualités de ce personnage eussent été mises en regard de ses défauts, de manière à faire ressortir ses traits les plus saillants et à nous en donner l’image exacte. Cette peinture était facile à exécuter avec les dossiers qu’avaient préparés quatre des lieutenants-gouverneurs qui s’étaient succédé à Annapolis-Royale, après la conquête. Et combien une telle biographie, présentée avec intelligence et équité, eut aidé le lecteur à se faire une saine opinion de l’ensemble des faits !

Les lettres que nous avons citées ont encore ce mérite, non moins grand, d’expliquer le puissant intérêt que l’on avait à empêcher l’émigration des Acadiens. Selon les propres expressions de Vetch, ce départ était la ruine du pays ; et encore qu’il n’y eût pas huit mois que Nicholson, en présence de MM. de la Ronde et de Pensens, eut décidé de référer à la Reine cette question de l’exode des habitants, Vetch ne se fait pas faute de supplier le Bureau de Commerce d’envoyer des ordres à l’effet d’enrayer ce projet. Et, comme il ajoute ailleurs, « les Acadiens se sont construits de nombreux petits bateaux pour se transporter avec leurs effets au Cap Breton ». Mais il oublie de dire que ces bateaux ne leur furent d’aucune utilité, par la raison que l’on sait. Dans l’esprit de Vetch, la supercherie et la force pesaient beaucoup plus que la justice et le droit. Rien d’étonnant d’ailleurs chez un homme qui avait été pris, quelques années auparavant, en flagrant délit de contrebande de guerre, et qui avait subi, de ce chef, une condamnation.

Une autre raison, non moins grave, que l’autorité invoquait pour s’opposer au départ des habitants, est que, de tout temps, les sauvages de l’Acadie et de toute la région comprise aujourd’hui dans le Maine et les Provinces Maritimes, s’étaient montrés ennemis jurés des Anglais. Or, les Français partis, la Nouvelle-Écosse fut restée absolument vide de colons. On eut pu essayer de la repeupler avec des Anglais, mais au risque de les voir exposés aux incursions fréquentes des Indiens qui les auraient massacrés en toute occasion. La possession du pays eut donc perdu tout son prix. Au cas où l’on eut persisté, dans de pareilles conditions, à y tenir un fort et une garnison, cette dernière n’eut été approvisionnée qu’à grands frais. Telle était donc la peu souriante perspective en face de laquelle se trouvaient les gouverneurs et la Métropole. Toutes les communications échangées entre les autorités locales et le gouvernement anglais nous montrent que les obstacles mis au départ des Acadiens provenaient uniquement de causes intéressées : peur que le pays ne s’en trouvât ruiné ; impossibilité de les remplacer par des colons anglais que les sauvages auraient constamment tenté de massacrer. Que la crainte des Indiens inspirait la politique des gouverneurs, la lettre suivante de Thomas Caulfield au Bureau de Commerce en est la preuve : nous la choisissons, de préférence à d’autres, parce qu’elle est conçue en termes plus explicites. Cette lettre est datée d’Annapolis-Royale, le premier novembre 1715 :

« … Depuis mon arrivée ici, j’ai toujours remarqué l’empressement des Acadiens à nous rendre service, chaque fois que l’occasion leur en était offerte. Si quelques colons anglais, choisis parmi des gens industrieux, charpentiers, forgerons, nous étaient envoyés, le pays en retirerait certainement du profit ; mais au cas où les habitants français nous quitteraient, nous ne pourrions jamais réussir à mettre nos familles anglaises à l’abri des attaques des Indiens, nos pires ennemis ; tandis qu’en restant avec nous les Acadiens nous seraient une sauvegarde contre ces barbares. Vos Seigneuries verront qu’étant donné le nombre des troupeaux que les Acadiens ont avec eux à l’heure actuelle, nous pourrions d’ici à deux ou trois ans, pour peu qu’on y mette de bonne volonté, nous trouver pourvus de tout le nécessaire sans avoir à recourir au dehors[34]. »

Et Vetch avait écrit auparavant, toujours au même Bureau du Commerce, à la date du 24 novembre 1714 : « Les Français forment une population d’environ deux mille cinq cents âmes… Ils sont, avec les sauvages, les seuls habitants de ce pays ; et, comme ils ont contracté des mariages avec les Indiens, qui sont de même religion, ils ont sur eux une puissante influence. Cent Français, nés dans le pays, parfaitement accoutumés comme ils le sont aux forêts, habiles à marcher en raquettes et à conduire des canots d’écorce, sont d’une plus grande valeur et d’un plus grand service que cinq cents hommes nouvellement arrivés d’Europe. Il faut en dire autant de leur habileté à la pêche et à la culture du sol. Ce qui fait que, advenant leur départ d’ici et leur établissement au Cap Breton, cette île deviendrait, du jour au lendemain, la colonie la plus florissante que les Français auraient en Amérique, et constituerait un danger permanent pour les postes britanniques et pour le commerce anglais, en général[35]… »

En résumé, la question du départ des Acadiens compromettant gravement les intérêts anglais en Nouvelle Écosse — ce que nous connaissons de la nature humaine et des enseignements de l’histoire, en particulier de l’histoire acadienne, nous permettrait difficilement de douter que les Anglais ne se soient opposés de toutes leurs forces à cet exode, qui leur eut été si funeste. Quand même nous n’aurions pas de preuves directes de leur opposition, elle était trop selon l’ordre ordinaire des choses pour ne pas croire qu’elle ait éclaté. Mais une masse de documents officiels confirme, sans contradiction possible, notre présomption et vient la transformer en une certitude de premier ordre, dorénavant sortie du domaine de la discussion pour entrer dans celui de l’immuable vérité historique. Tant pis pour le compilateur Thomas B. Akins, et pour ceux qui, à l’exemple de Parkman, ont accepté ses assertions sans les contrôler et sans les confronter avec les sources originales d’informations !

  1. L’ouverture du congrès d’Utrecht eut lieu le 29 janvier 1712. Louis XIV y avait envoyé comme plénipotentiaires le maréchal d’Huxelles, l’abbé de Polignac et Mesnager. Strafford, et le docteur Robinson, évêque de Bristol, représentaient l’Angleterre ; Buys, van der Dussen et cinq autres députés, les États Généraux. Les conférences furent suspendues au début d’avril 1712. Malgré la rupture des conférences la conversation continua entre Anglais et Français. En novembre 1712, les plénipotentiaires français et hollandais reprirent les conférences en présence des représentants de l’Angleterre. En ce qui concerne les territoires américains, Louis XIV avait promis à la Grande-Bretagne la restitution de la baie d’Hudson, la cession de Terreneuve et de l’Acadie, c’est-à-dire des avant-postes du Canada-Français. Mais les Anglais désiraient se faire donner encore des îlots voisins de la Grande Île, restreindre la pêche française sur la côte du « Petit-Nord » de Terreneuve, partager avec la France l’île du Cap-Breton. Sur tous ces points, les Français marchandèrent, chicanèrent, se conduisirent, dit Bolingbroke « comme des claincaliers ou même comme de véritables procureurs ». Bolingbroke comprit que, pour terminer, il fallait céder sur quelque chose, et il n’insista pas au sujet du Cap-Breton. De son côté, Louis XIV admit toutes les autres conditions.

    Hist. de France, de Lavisse. Tome VIII. Liv. II, c. III, p. 127 et sq. par M. de Saint-Léger.

  2. Voici le texte latin : « Dominus Rex Christianissimus… Dominæ Regiæ Magnæ Britanniæ litteras… tradentas curabit, quarum vigore…Novam Scotiam… Sivc Acadiam totam, limitibus suis antiquis comprehensam, ut et Portas Regii urbem, nunc Annapolim Regiam dictam, cceteraque omnia in istis regionibus quæ ab iisdem terris et insulis pendent… nunc cedit ac transfert Christianissimus… » « Le nom d’Acadie, joint à celui de Nouvelle-Écosse, interprétait ce dernier terme, auquel la France ne pouvait donner aucune valeur, et ramenait à des idées positives l’idée vague pour elle et pour tous autres, qu’aurait présente le nom de Nouvelle-Écosse, s’il eut été isolé… Toute la question entre les deux couronnes roule sur la différence des limites qu’elles mettent à l’Acadie. Celles que l’Angleterre établit n’ont jamais existé, ni anciennement ni récemment. Les limites de l’Acadie ancienne, constantes, reconnues par les Patentes des gouverneurs, et prouvées par le langage de tous les actes publics, ou par leur interprétation au tems de leur exécution, sont, dans la Péninsule, à l’Est, le Cap Canceau, et à l’Ouest le Cap Fourchu… Elles existent sur ce pié depuis que le mot d’Acadie existe. Les premiers navigateurs qui ont abordé à ces Côtes les ont trouvées toutes établies. Les Français qui s’y sont habitués les premiers, les ont conservées. C’est ce qu’attestent Denys, Lescarbot, Champlain, toutes les Relations. Les Nations Étrangères, les Géographes, les Écrivains de tout genre s’y sont conformés. Dans les cartes les plus récentes, et où l’usage vulgaire d’étendre les limites de l’Acadie a le plus prévalu, on voit des traces sensibles de la tradition, en ce que le mot est presque toujours renfermé dans la Péninsule, et que le plus souvent il ne fait qu’en côtoyer la partie Sud-Est. C’est donc cette partie Sud-Est, et en outre Port-Royal, que les François ont cédée aux Anglois, par le traité d’Utrecht… lors du traité d’Utrecht. l’Acadie, à cause des limites abusives qui lui étaient données dans l’usage vulgaire, aurait pu s’interpréter comme comprenant des possessions qui, avec cette Province, formaient un même gouvernement, et que la France n’entendait pas céder. Milord Bolingbroke qui prévoyait la résistance que le Roi de France apporterait à la proposition de céder l’Acadie dans l’étendue actuelle du gouvernement connu sous ce nom, demanda la cession de l’Acadie suivant ses anciennes limites, qui étaient beaucoup plus étroites et qui remplissaient également ses vues, la partie de la Péninsule qu’elles embrassent étant la plus utile de tous ces cantons… La Nouvelle-Écosse du traité d’Utrecht et l’Acadie suivant ses anciennes limites, étaient, dans l’intention des Plénipotentiaires, une seule et même chose, ainsi qu’il appert par les termes du traité. »

    Cf. Conduite des François par rapport à la Nouvelle-Écosse, etc., traduit de l’anglois, avec des notes d’un François, dans lesquelles il disculpe sa nation des imputations dont on la charge, etc… À Londres, chez les Frères Vaillant, 1755. Les passages plus haut sont tirés des notes 92, 110, 111, 120. Ouvrage de grande valeur pour la question qui nous occupe, puisque, d’un côté, l’auteur « expose la faiblesse des arguments dont ils (les François) se servent pour éluder la force du traité d’Utrecht et pour justifier leurs procédés illégitimes, tandis que, de l’autre, le François réfute, dans ses notes, les paralogismes de l’auteur anglois et ses fausses assertions, et établit péremptoirement les droits de la France sur les possessions qu’elle occupe dans l’Amérique Septentrionale. »

    Nous devons la communication de cet ouvrage, très précieux et très rare, à notre ami M. Louis-J. Jobin, de Boston, bibliophile aussi aimable qu’érudit.

  3. « Parmi ces clauses, (du traité d’Utrecht,) il s’en trouvait une qui avait été formulée avec l’indifférence ordinaire qui présidait aux stipulations ; elle était particulièrement destinée à fournir le moyen de recommencer la querelle entre les deux puissances contractantes. À peine le traité d’Utrecht eut-il été publié qu’on se demanda ce qu’il fallait entendre par la Nouvelle-Écosse ou Acadie ; jamais on ne s’était donné la peine de définir clairement les limites de ce pays. » Ferland, loc. cit. vol. II, c. 26, p. 390.

    « L’article 10 du traité d’Utrecht portait que des commissaires seraient nommés pour le règlement des limites entre les colonies anglaises et françaises ; mais on négligea d’abord cette question importante qui fut plus tard l’objet de négociations si longues et si infructueuses. L’Angleterre s’établit tant bien que mal dans la presqu’île acadienne… »

    Hist. de l’Acadie Française, de 1598 à 1755, par M. Moreau, ch. XXII, p.315. Paris, chez Léon Tèchener, Rue de l’Arbre-Sec, 52. — 1873

    .
  4. Pèlerinage au pays d’Evangéline, c. III, p. 41.
  5. Le texte anglais de cette lettre royale est aux Sélections from the Public Documents of Nova Scotia, edited by Thomas B. Akins, D. C. L. — Halifax, Charles Annand, Publisher, 1869, page 15, ad calcem. Casgrain ne la cite qu’en partie. Nous l’avons traduite intégralement.
  6. Queen Anne’s letter of 1713 extended the right (to remain upon their estates) to all the inhabitants of Acadia without limitation of time. N. S doc. p. 12.
  7. Et cependant, il y a un grand principe de droit qui est ainsi formulé : Favores sunt ampliandi. Si l’intention de la reine n’avait pas été de supprimer en quelque sorte ce délai en le passant sous silence et en n’en tenant aucun compte, sa lettre perd toute sa valeur ; elle n’est plus qu’une paraphrase de l’art.  14 du traité d’Utrecht et n’y ajoute rien d’essentiel. Et où serait alors la marque de faveur qu’elle voulait donner à Louis XIV en retour de ses bons procédés ? Pour nous, cette faveur consistait précisément dans le fait que la Reine non seulement voulait accentuer les dispositions favorables contenues dans cet article, mais encore les étendre en laissant les Acadiens libres de disposer de leur sort au delà des limites étroites fixées par le traité.
  8. 8. Thomas Caulfield fut lt.-gouv. de 1714 à 1717 ; — John Doucett de 1717 à 1726 ; — en 1717, Richard Phillips succéda à Nicholson comme gouverneur jusqu’en 1749 ; — Lawrence Armstrong fut lt.-gouverneur de 1726 à 1739 ; — Ed. Cornwallis fut gouverneur de 1749 à 1752. Voici des renseignements assez complets sur tous ces personnages : Pour Nicholson, nous renvoyons à la note qui est au commencement de notre chapitre II. Le général Richard Phillips naquit en 1661. Il servit à la bataille de Boyne en 1690, devint lieutenant-colonel d’infanterie, en 1712, et fut nommé gouverneur de la Nouvelle-Écosse, par commission de George I, en date du 17 août 1717, et plus tard gouverneur de Plaisance à Terreneuve. Phillips arriva à Annapolis en 1720 et retourna en Angleterre en 1722. Il visita à nouveau la N.-E. et après avoir forcé les Acadiens d’Annapolis à prêter le serment d’allégeance à l’Angleterre, retourna définitivement dans son pays en 1731, laissant M. Doucett comme commandant du Fort. D’après sa correspondance avec les autorités officielles et d’autres documents conservés dans les archives de la Province, il semble avoir été d’abord un gouverneur très actif et très intelligent. Mais une fois passé en Angleterre, il se désintéressa des affaires de sa Province et en particulier de la condition de ses troupes. À son retour en Angleterre en 1731, il recommanda le lt.-colonel Armstrong comme lt.-gouv. de la Province, et celui-ci devait recevoir, tant que durerait l’absence de son chef, la moitié des appointements du gouverneur. À la mort d’Armstrong, il requit qu’on supprimât la charge de lt.-gouv., — le gouvernement de toute la province devant être exercé par les commandants du Fort, et ces derniers durent en effet désormais remplir cette position sans salaire additionnel, Phillips demeurant en Angleterre et y recevant son traitement complet de gouverneur jusqu’en 1749. À cette époque, on lui donna pour successeur Cornwallis. Richard Phillips mourut en 1751, âgé de 90 ans. Il était le petit-fils de Sir John Phillips, de Pictou Castle, en Galles, lequel avait été créé baronet en 1621. De sa première femme, Phillips laissa un fils, le capitaine Cosby Phillips, qui fut un temps secrétaire à Annapolis. — Lawrence Armstrong était lt.-colonel du régiment du général Phillips qui stationnait en Nouvelle-Écosse. Il fut nommé membre du premier conseil créé à Annapolis par le gouv. Phillips en 1720. Le 8 février 1724-5, il reçut la commission de lt.-gouv. de la Province, charge qu’il occupa jusqu’en 1739, où il mourut. Il servit en Amérique comme officier militaire au delà de 30 ans. En 1711, il fit naufrage dans le St-Laurent, lors de l’expédition organisée par le général Hill, et perdit alors argent et bagages, ainsi que les armes et l’équipage de la compagnie du régiment du col. Windress, qui était sous ses ordres. Il fut subséquemment envoyé à Annapolis où Vetch lui confia le soin de préparer un mémoire au Secrétaire d’État concernant l’état déplorable des fortifications de cette place. Armstrong se plaignait d’avoir souffert beaucoup d’ennuis et de privations durant son administration en s’efforçant de subvenir à l’entretien du régiment du gouv. Phillips dont il avait le commandement en l’absence prolongée de ce dernier, et d’avoir dû contracter à cet effet de grosses dettes qu’il était incapable d’acquitter. Aux prises avec des difficultés qui lui paraissaient insurmontables, il se découragea, perdit la tête et se suicida le jeudi 6 décembre 1739, où on le trouva mort dans son lit avec cinq blessures qu’il s’était faites à la poitrine et son sabre gisant à ses côtés. — John Doucett succéda à Thomas Caulfield comme lt-gouverneur d’Annapolis, sous Nicholson, en 1717, et continua d’exercer cette charge sous Richard Phillips, jusqu’en 1726. — Le 21 septembre de cette dernière année, son nom apparaît dans les Registres du Conseil au-dessous de celui de Lawrence Armstrong, lt.-gouverneur de la Province. Doucett y est désigné sous le titre de lt.-gouv. d’Annapolis Royale. Le nom de Doucett apparaît pour la dernière fois dans le procès verbal d’un conseil tenu le 11 octobre 1726 : « At a Council held at the Honble. Lieut. Governor John Doucett’s House in His Majesty’s Garrison of Annapolis Royal on Tuesday the 17th of October 1726, p. m. »

    John (en certains endroits Joseph) Doucett, capitaine dans le 40e Régiment, succéda en 1717 à Caulfield, comme lieutenant-gouverneur de l’Acadie, Nicholson, le gouverneur, résidant en Angleterre. Le 17 août 1717, le général Phillips fut nommé gouverneur de l’Acadie, mais il ne vint à Annapolis Royale qu’en 1720. Cette année il établit un conseil d’administration dont Doucett devint le premier membre et président. En 1722, Phillips retourna en Angleterre, et Doucett reprit l’administration du pays jusqu’en 1726. Cette année le major Armstrong, nommé lieutenant-gouverneur de l’Acadie, arriva et prit les rênes de l’administration. Doucett devint lieutenant-gouverneur de la ville et de la garnison d’Annapolis Royale. Il mourut le 19 novembre 1726. Dans son histoire de Yarmouth, T. Brown mentionne les frères James et Joseph Doucett comme étant des descendants du capitaine Doucett.

  9. « That His Excellency the Governor be respectfully requested to cause the ancient records and documents illustrative of the history and progress of society in this province, to be examined, preserved and arranged, either for reference or publication, as the legislature may hereafter détermine, and that this House will provide for the same. » — N.-S. Doc. Preface.

    In the following year the Lieutenant-Governor was authorized by the Assembly « to procure, from the State Paper Office, in England, as recommended in the report of the Commission of Records, copies of any dispatches or documents that may be found necessary to complete our files. »Id. Ibid

  10. Pour parler exactement, la première pièce, intitulée Instructions for Mr. Capoon, Comissy and Engn. Thomas Button, to proclaim His Majesty King George, etc., etc., se termine ainsi : Given at His Majestic’s Garrison of Annapolis Royal, this day of Jan., 1714-5, in the first year of His Majestic’s Reign. Les trois pièces suivantes sont de novembre 1714, puis on saute à mai 1715.
  11. M. de Costebelle, lieutenant à Plaisance le 23 janvier 1692, capitaine le 25 janvier 1694, devient lieutenant du roi le 13 mars 1695. Il est créé chevalier de l’ordre de St-Louis, le 22 mars 1708. Le 10 avril 1706, il est nommé gouverneur de Plaisance. Après l’abandon de Terreneuve, le roi le nomme gouverneur de l’Isle Royale le 1er janvier 1714. Il occupe ce poste jusqu’en 1720 où il fut remplacé par M. de St-Ovide. C’est lui qui fonda Louisbourg. Sa mort arriva en France en 1767.
  12. « On avait d’abord compté de transporter dans l’Île Royale tous les Français établis en Acadie ;… mais les Français n’y ayant pas trouvé de quoi se dédommager de ce qu’ils possédaient en Acadie… » Charlevoix, op. c. Tome  IV, liv. XX, p. 145.
  13. Le Comte de Pontchartrain écrivit plusieurs lettres officielles à l’abbé Gaulin pour l’engager à user de tout son prestige personnel afin de déterminer les Acadiens à s’établir à l’Île Royale. V. Dépêches et ordres du Roi regardant les colonies. Série B. vol. 35. Mars 20, 1713, fol. 11. — Mars 29, fol.  32 1/2. 8 avril, fol. 36. 1 juin, Versailles, fol.  45 1/2. et bien d’autres. L’extrait que nous venons de citer est tiré d’une lettre de Costebelle au ministre, en novembre 1713, où le gouverneur rendait compte de l’échec de sa mission auprès de l’abbé Gaulin. Le ministre lui répliqua : « Il est possible que les missionnaires en Acadie ne fassent rien pour induire les Acadiens à se porter en l’Île Royale, mais l’important est que les Acadiens quittent l’Acadie. » Voir Dépêches, etc., Série B, vol. 36. Lettre du Ministre à Costebelle en date du 22 mars 1714. fol. 434 1/2. Il y est dit aussi que c’est l’intention du Roi de ne pas concéder de terres sous forme de seigneuries en l’Île Royale. — Cf. Murdoch, vol. I, p. 338.
  14. Cité par Casgrain. Pèlerinage, etc., p. 50.

    Archives de la Marine et des Colonies. Lettre du major L’Hermitte à Nicholson, Louisbourg, le 11 juillet 1714. — V. Lettres du Ministre à L’Hermitte, Versailles, 26 janvier 1714, 28 février, 21 mars. Série B. vol. 36, fol. 419, fol. 423 1/2, fol. 428 1/2.

  15. Cité par Casgrain, id. ibid.

    Archives de la Marine. Lettre du major L’Hermitte au Conseil de Marine, Louisbourg, 29 août 1714.

    Le 28 février 1714, le ministre Pontchartrain avait écrit à L’Hermitte pour lui faire savoir que, d’après des rapports dignes de foi, il avait appris que « les Acadiens étaient maltraités par les Anglais, et pour le prier de faire tout son possible pour attirer ces pauvres gens à l’Ile Royale ».

  16. Le gouverneur de la Nouvelle-Écosse, P. Mascarene, écrivant à Shirley, gouverneur du Massachusetts, le 6 avril 1748, lui disait : «  En 1714, M. Nicholson revint ici en qualité de gouverneur et de commandant-en-chef de la Province, et exposa aux habitants les stipulations du traité d’Utrecht, lesquelles les laissait libres de garder leurs biens, ou d’en disposer à leur gré s’ils préféraient quitter le pays dans l’espace de l’année. Tous, comme un seul homme, choisirent cette dernière alternative. They, to a man, chose the last… — N. S. doc. p. 158.
  17. Conseil de Marine, 28 mars 1716. Cité par Casgrain, p. 49. Nous tenons à faire remarquer que Richard n’emprunte pas seulement à Casgrain, qui les a pris directement aux archives, les documents ci-dessus, mais encore suit de près le récit de l’auteur sur la question présente. Quant à ce référé à la Reine invoqué par Nicholson, en réponse aux demandes si légitimes des délégués, c’était de sa part pure chinoiserie. Les ordres de la Reine étaient formels, explicites. Qu’avait-il besoin de vouloir lui soumettre une requête qu’elle avait prévue et exaucée positivement ? Le 22 mars 1714, Pontchartrain avait en effet écrit à L’Hermitte : « Vous verrez par la triple copie de l’ordre reçu de la reine d’Angleterre que les habitants de l’Acadie ont le privilège de vendre tout ce qu’ils possèdent. » — Cela n’était-il pas suffisant pour convaincre tout homme de bonne foi ? — Arch. de la Mar. Série B. fin du vol 36, fol. 444 1/2.
  18. Casgrain, loc. cit.
  19. Conseil de Marine, 28 mars 1716. Cité par Casgrain.
  20. 20. Conseil de Marine, 28 mars 1716.

    Archives du Canada. Île Royale, 1712-16. M. de Costebelle, gouverneur. Série F. vol. 133-A, p. 409. Mémoire à Messieurs de Costebelle… et de Soubras. — Fait à Louisbourg, ce 7 septembre 1715. Signé : Jean Dominique de la Marche, etc.

  21. Michel Bégon, huitième Intendant de la Nouvelle-France, était parent de M. de Pontchartrain. Il avait été nommé intendant en 1710, mais il ne put se rendre à Québec avant le mois de septembre 1712. Il posa en 1720 la première pierre des fortifications du Cap Diamant ; en 1724, il accorda à M. de Lanonville le privilège de tenir les postes pendant vingt ans, entre Québec et Montréal ; et lui imposa en même temps un tarif gradué sur les distances : ce fut la première institution postale du pays ; c’était un homme intègre et un collectionneur. Il fut remplacé en 1726 par M. Dupuy. Avant sa nomination comme intendant, Bégon avait été inspecteur général de marine et ordonnateur au département de Rochefort. Sa femme était, une sœur de M. de Beauharnais, qui avait été intendant, et du marquis de Beauharnais qui fut plus tard gouverneur-général. En janvier 1713, du 5 au 6, un violent incendie détruisit de fond en comble le palais de l’intendance, dans lequel M. Bégon et sa famille venaient à peine de s’installer. La lettre citée ici se trouve au Conseil de Marine du 28 mars 1716. — Bégon a été l’objet de bien des critiques de la part de ses administrés.
  22. Mgr Jean-Baptiste de la Croix Chevrières de Saint-Vallier, né à Grenoble en 1653 ; sacré évêque de Québec en 1688, en remplacement de Mgr de Laval, dont il était le vicaire-général depuis 1685. Il fonda en 1693 l’Hôpital Général de Québec, où il mourut dans la nuit du 25 au 26 décembre 1727.
  23. Conseil de Marine, 27 mars 1716. Casgrain, loc. cit.
  24. Cf. N. S. doc. Halifax, 1869, pp. 4-5. — La lettre suivante de Pontchartrain à de Costebelle et de Soubras jette un plein jour sur la question qui nous occupe : « J’ai appris avec beaucoup de surprise la manière dure et injuste avec laquelle le général Nicholson a traité les habitants de l’Acadie, et aussi l’opposition qu’il a faite au déménagement de leurs effets et de leurs instruments et à la vente de leurs biens, ce qui était contraire non seulement aux ordres qu’il avait reçus de la feue reine d’Angleterre, mais encore à la convention qui avait été passée entre lui et MM. de la Ronde et de Pensens. J’ai écrit là-dessus à M. d’Iberville, à Londres, de façon qu’il puisse porter des plaintes énergiques devant le Roi d’Angleterre. Je vous en ferai savoir le résultat. Entre temps, il est urgent que vous fassiez tout votre possible pour induire le gouverneur anglais à traiter ces colons avec justice et impartialité. Comme M. Nicholson a été rappelé et que M. Vetch lui succède, je crains que ce dernier ne soit pas mieux disposé, car il a déjà donné des preuves, quand il était en Acadie, de mauvaise volonté et de haine à leur égard. Il est nécessaire que vous me teniez informé de tout ce qui se passera à leur sujet. Je reconnais avec vous que, dans l’état des choses, la meilleure solution serait d’envoyer directement un vaisseau du Roi en Acadie pour en tirer les colons. Si l’information que vous m’avez fait parvenir sur ce point par le Sieur de la Ronde me fut arrivée plus tôt, des mesures auraient pu être prises à temps pour effectuer ce plan ; mais la permission que Sa Majesté a chargé M. d’Iberville de solliciter de l’Angleterre, ne sera pas, j’ai peur, très vite accordée, et nous la recevrons probablement trop tard pour qu’un navire puisse être dépêché cette année-ci. Dans ces circonstances, voyez ce que vous pourrez faire vous-mêmes, en vous servant de la frégate Le Samslack et du vaisseau marchand La Charente que Sa Majesté dirige sur Port-Royal, tâchant d’agir en conformité avec les vues du gouverneur… Sa Majesté aurait très bien pu se décider à envoyer un vaisseau directement en Acadie, mais Elle a pensé qu’il valait mieux en demander la permission à l’Angleterre, vu qu’il n’était pas certain que le vaisseau pourrait entrer dans le port sans sauf-conduit… »

    (A. C. Lettre de Pontchartrain à MM. de Costebelle et de Soubras, datée de Versailles le 4 juin 1714. Aux Archives de la Marine. Série B. Fin du vol. 37, fol. 236, 23 pages. (Dans le Rapport des Arch. du Canada pour 1889, Supplément, p. 499-500

  25. Arch. du min. de la Marine et des Colonies. C. G. année 1719, vol. 4. Fol. 96. Délibérations du Conseil. Fait et arrêté le 23e may 1719. Ce document porte en marge les notes suivantes : « Porter à Mgr le Régent. Le Conseil croit que suivant les représentations du Père Dominique de la Marche, il convient d’envoyer un nouveau missionnaire d’augmentation à la côte de l’Acadie en réglant avec le Père de la Marche ce qu’il faudra pour ce missionnaire. » L. B. L. M. d’.

    « Décision de S. A. R, approuvé l’avis du Conseil. » — L. B. L. M. d.

    Cf. Doc. sur l’Acadie, publ. par le Can.-Fr. Tome I, p.193.

  26. Public Record Office. Col. Records, Nova Scotia, vol. III. Endorsed : Nova Scotia. Letter from Mr. St. Ovide, Governor of Cape Breton to col. Philipps. Dated 8th of June 1720. — Cf. Doc. sur l’Acadie, pièce XXIX. Tome I, p. 126. — Arch. de la Marine, vol. III, fol. 180.

    Cf. Haliburton, loc. cit. Tome I, c. III, p. 94, ad calcem.

  27. Public Rec. Office. Col. Records, N. S. vol. I. — Doc. sur l’Acadie, pièce XIII. — Quand il a écrit cette lettre, Samuel Vetch était à Londres depuis septembre ou octobre précédent.
  28. Public Record Office. Col. Records, N. S. vol. 2. — Doc. sur l’Acadie, pièce XVIII.
  29. P. R. O. Col. Rec. N. S. vol 2. — Doc. sur l’A., p. XX.
  30. P. R. O. Col. Records. N. S. vol. 2. — Doc. sur l’Acadie, p. XVII.
  31. Adams fut administrateur de la Province en 1739. Le capitaine Steele résidait à Boston.
  32. P. R. O. Col. Rec., N. S. vol 1. — Doc. sur l’Acadie, p. XII. La lettre porte la suscription : « relating to col. Nicholson’s misbehaviour there. »
  33. « On returning to Boston, Vetch was arrested, committed to prison on a charge of trading with the French and Indians, enemies to the Government, and fined £200. » — Journal of the voyage of the Sloop Mary, p. XIX, cité dans International Review, nov. 1881, p. 468, au cours d’un article sur Vetch, et intitulé An Acadian governor, par James Grant Wilson. Le journal auquel est empruntée la citation avait été tenu par un membre de l’équipage du Sloop, John Maher. Le Sloop “Mary”, aux ordres de Vetch, faisait de la contrebande : en échange d’armes et de munitions, il rapportait des boissons, etc., que le maître vendait à grands profits à New-York. Mais les officiers du gouvernement découvrirent la fraude. — Vetch, qui était né à Edinburg, le 9 déc. 1668, mourut en Angleterre, le 30 avril 1732, emprisonné pour dettes. — Cf. Dict. of Nat. Biogr. vol. XX. New-York, 1909, art. Vetch.
  34. N. S. Archives, édit, par Akins, p. 9.
  35. N. S. Archives, édit. par Akins, p. 6. — Cf. Casgrain, Pèlerinage, etc. p. 52