Achille, tragédie françoise

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Imprimerie de Thomas Richard (p. 1r-32r).

ACHILLE
TRAGEDIE
Francoiſe de Nicolas
Filleul Normand, qui
A ESTE IOVEE PVBLIC-
quement au College de Har-
court le 21. Decembre, 1563.

A PARIS,
De l’Imprimerie de Thomas Richard, à la Bible
d’or, deuant le College de Reims.
1563.

Argument.



APollon eſtoit grandement courroucé contre Agamẽnon pour ce quil retenoit Aſtynomé fille de Chryſés ſon ſacrificateur. Pourquoy il infecta de peſte lexcercite, tellemẽt qu’en neuf jours la meilleure part des cheuaus & autres beſtes mourut. Et d’hommes vn treſgrand nombre, pour apaiſer ce Dieu : comme tous feuſſent daduis qu’on la reſtituaſt à ſon pere, & Achille y trauaillaſt beaucoup, Agamemnon ſaigrit ſi fort contre luy, quil luy oſta Briſeide en recompenſe de la fille de Chryſés quil rendoit de ce offencé. Achille deffendit à ſes bandes de combatre, & ſe tinſt long temps en ſes nauires : Mais comme Hector faiſant vne ſortie, repouſa les Grecz iuſques en leur haure, Vllyſſes & Eurypile furent fort bleſſez, lors qu’Achille enuoya Patrocle recongnoiſtre quel eſtoit le deſaſtre. Donc congnoiſſant comme tout alloit, fit bailler à Patrocle ſes armes, hors mis ſa hache Pelienne. Mais Patrocle oubliant le conſeil d’Achille, pourchaſſant trop auant les Troiens qui fuyoiẽt deuãt luy, fut bleſsé par Apollo, & tué par Hector, qui s’arma des armures d’Achille.

Achille euocque l’ombre de Patrocle, & luy promect de le venger. En la ſeconde part ſont contenues les plaintes des Troiens, & la crainte ſous Andromaché & Caffandre, puis la mort d’Hector, apres la mort duquel comme lon penſa faire vne paix par le mariage d’Achille & de Polixene, Achille fut tué dans le temple, d’vne fleche que Paris tira de derriere la ſtatue d’Apollon, de la mort le peuple eſt troublé, Hecube s’en reſiouyt comme vengée de la mort de ſes enfans : mais Caſſandre luy prophetize les maus qui pour ce doibuẽt aduenir.


PERSONNAGES


Achille.

Lombre de Patrocle.

Le cueur des femmes de Troye.

Andromache.

Caſſandre.

Hecube.

Le ſoldat.

Priam.


Le commencement de l’action, eſt au camp des Grecz, le reſte dedans Troye.

ACTE PREMIER


ACHILLE LOMBRE DE PATROCLE.


IA laiſſant ſon vieillard l’Aurore nous r’amene
Pouſſant la nuit plus bas, le travail, & la peine.
Et pour mieus mignoter d’vn berger le ſommeil,
La lune au front d’argent dõne place au ſoleil.
Ia deſia le malheur, ia le dœuil ia la perte,
Pauure Grece, à tes yeus tôt ſera découuerte,
Et les dieus courroucés te feront tột ſcauoir,
Qu’en noftre humanité le deſastre à pouuoir :
Que leger eſt ceſtui au pouvoir qui ſe fie,
Et ne ſe void en fin le ſubiect de l’enuie :
De l’enuie qui peut quelque fois l’abaiſſer
Plus bas, que la faueur haut ne la fait hauſſer.
Car ainſi que le chef d’Athos, ou d’Erimanthe,
Des vens touſiours reçoit la rage, & la tourmente :
Ainſi que l’Aquilon furieus iecte en bas
Le fore cheſne, un roſeau pourtant ne froiſſe pas :
La puiſſance d’un Prince au peuple est odieuſe,
Et pour ne flechir pas quelque fois malheureuſe.
Le pouuoir, la faueur, la richeſſe, l’honneur.

Aus arbres foreſtiers egallent leur grandeur,
Quiau chaue de l’eſté deffous leur fueille couurent
Les hommes en l’ombrage ou les ſerpens ſe trouvent.
Dequel doi malheureus fur fillé mon deſtin
Bornant de tant de maus ma miſerable fin ?
Languir, vef de plaiſir, eſclaue de detree,
Eft ce donc la faueur d’estre fils de Deeſſe ?
Plus tôc Theris, plus tôt Deéſe auec les dieus
Coucheril se falloit, Pelée foucieus
D’appeller à ſon lit une femme mortelle,
Euft détourné ce mal qui ſi fort se martelle,
Triſte og morne pour moi, donc adonc ne ſerois,
Adonc à ce grand Dien ta plainte ne ferois,
Pour voir ainſi la fin de ma vie avancée :
Voit tarace d’honneur ſi peu recompenſée,
Qui pour le peu de temps que de viure ell’auoit
Vanter ſon rare honneur ſus tout prince deuoit.
Las helasce malheur qui contraint que ie meure
Contre matriste fin traffaſes pas de l’heure
Que lepin creus ſautta du mont Theſſalien.
Dans la mer pour fingler au bore Lirneſien.
Mon cæur defia ble je me feust certain preſage
Que le deſtin verſoit ſus mon chef quelqu’orage.
Me voila donc par sont ſus la mer foudroiant,
Me voila les amis de la Troie effroiant,
Mais, leger, ie ne ſens dans mon corps que i’enſerre
Dacier pourl’aſſeurer ſe nourrir une guerre.
Ie ne ſens que les murs que i’alloi ruiner
Dans moi pour ſe vanger, ſe deuoient mutiner.

Quant mon caurſegarant ausgeus d’une caprine
Tout ſoudain alluma dans moi la flame viue
Quime feroit un iour l’Arride me priſer,
Qui me feroit un jour Parrocle deguiſer,
Deguiſerlas ! afin qu’une ſi grande plaie
Donnast d’un faus harnois une depouille vraie,
Er qu’un Achille faine, aus Troiens miſt la peur,
En moi miſtla de treffe, & aus Grecs miftl’horreur.
Parle vouloir des dieus, qui cent fois redoublée
Alaitant mon courrous noſtre armée à croublée
La cauſe de sa plaie Vyle donc ie luis,
Car le cæur aus Troiens mon courrons à remis,
Quant pour auoir pat erop ma Briſeide aimée,
De nos Grecs decoupés la campaigne eſt ſemée,
Ou mon plus grand malheur, quant i’alay le prier
Menecie, con fils à ma bande alier,
Er l’amenai d’Oponse au riuage d’Aulide
Vouer ſa vertu braue à ce conatt Atride.
Ori’ai-ie donc trahi ? mais las : fi le deſtin
N’a conduit nos deffains à plus heureuſe fon ?
Qui veule qu’un cercueil meſme à iamais nous retienne,
Quine veule que fans toi, de Troie ie reuienne !
Voire ſi le deſaſtre ingenieus commis
Pourtant eſtrangement ſepater deus amis
M’euft permis à la mort un long adieu te dire,
Prometere ta vengeance, cye montrer de quell ire
Cetui doit les Troiens de leur mur arracher,
Celui qui a tenu fon Patrocle ficher :
Ou bien qu’auecques toi de ma main la victoire

A l’ennemi vainceur exist arraché la gloire,
Qui d’un pareil combat, non pas d’un pareil caur,
Pallifant ſe feaſt die miferable vainceur :
Reportant aus enfers la bonte de faproneffe
Laifant ci haurgefir de ſon cercueil hatelje
Aron ombre pourtant un autelie ferai,
Ou de doute Troiens le ſang", immolerai.
Si faut il qu’a con corps mon veu premier ie paie,
Coupper mon poil ſus toi, ſangloter ſur la plaie.
Cendres de mon devoir les teſmoins, vous ſerez,
Cendres de mon devoir teſmoins : m’aguiterez,
Dudenoir que ie puis : car ma vois n’eſt babille
Paſſer ou Stix neuf fois tout autour ſe tortille.

L’ombre

Ie vais ie vais Achille, Achille la moitié
Demon ame, forcé de leſtroite amitié
D’un tant etroit lien qui nous lia de l’heure,
Que fans moiſon cherfils Menecie demeure,
Pour Æané meurtri, £ané trop hautain,
Qui premier honora la force de ma main.
A qui pour ne rougir ſous luy mon bore humide,
Peu feruift de nommer fon aieul Buviſide.
Lors bien peu au malheur ton Pelée penſoit
Quele Ciel ſur nous deus, crop cruel anançois.
Qui pour faire meurir noftre age plus muable
Nous poft flechir aus lois de Chiron l’equitable,
Qui pour ce qu’en vertu tout autre il ſurmonroic
Æſculape & Hercul ſes nourriſſons vanroit,
L’un pourſuiuir les pas de la courſe celeste,
L’autre à chaffer le mal qui les hommes molefte.

Mais ce monde tout plain de malheur & de l’heur
Prodigue aus uns forbien, ams autres ſon malheur,
Aus indignes ſon bien, ans plus fors la miferei
Ce qui feroit nommer maratre non pas mere
La nature n’estoit que mere ne veult pas
Sous un muable bien lier les ſiens cy bas,
Muable & qui pluftoft eſt une perte & peine,
D’autant que la veriu ſous la fortune il gene
Orpuis que son malheur non plus tien que le mien,
Pour viure encor ci bas recelle encor ton bien,
Efcoute le fouci qui pour toi m’empoinconne
(Carle mal des viuans les ombres paßionne)
Eſcoure, les deſtins les bons deſtins amis
Achille fon Petrocle en oubli ilz n’ont mis,
Ne voulant pas permetre aux Parques & deioindre
Cens qu’enſemble on a veu de tous priſer & craindre :
Mais d’une heureuſe mort toue l’homme ne meurt pas
Ains la meilleure part refte apres le trešpas,
Elle reſte cybas a lheureuſe perſonne
Apres l’heureux depart nom de Dieuelle donne :
Car l’honneur qu’on recoit en ce monde n’eftrien,
Aupourpre de la Roſe un tour ſemblable bien.
Ou l’heureuſe vertu de chacun eſt louee
Mais au triſte malheur de tous deſauouee.

Achille

Bien que le triſte dueil engraue ſus mon cheur
Es de toy, & de moy ſe foit fait le vaincueur
Et le regret que iay face que je deffie
Aillé de la fureur, l’uſufruict de ma vie
Encor n’eſtce pas tout il ſe faut bien venger Achille.

De cetui qui d’Achil’fiſt Patrocle etranger,
Quiſes bandes laiſſant par lui effeminees
Trouue au dueil de cent ans les ombres deſtinees
Ausyeus du nocher fourt eſclaue ſous lalong
Anbucheron egalle, o egalle a vn Roy.

L’ombre.

Achille ne crois point que de ta main il meure
Car encores fillé la Parque n’a fon heure,
Sa maiſon lui nourrit, ie le peux deuiner,
Ceruy qui doit le cours de ſes ans terminer,
La Parque ne veule pas de ta main qu’il perijſe
De peur que ſon tombeau de la main n’orgueillife,
Er que quelqu’un des liens vantant ſon honneur vain,
Ne die que d’Achille il meritoit la main.
Il ſera tot meurtri cor encore coulpable
Clytemneſtre fera de la mort miſerable
Laiffe tandis Achile, Achille laiſſe en paix
Nos peuples deſastrez las filen fuſt iamais
Er qui ſans le ſecours du mollet Æacide
Se font campez en vain comme en vain de l’Aulide
Defancrames alors que des vens courontez.
Par Diane aux eſcueilz nous feuſmes repouffez,
D’une eſtrange fureur, par ce Roy meritee,
Qui forcenoir ſur nous a grand torr irritee.
Orle grec de ce lieu vaincueur ſeleuera,
Mais noftre honneur blefédesant il vengera
Pourtant ai-je pitié de ceſte Polixene
Qui n’atent comme elle eſt de ſes noces l’estrene
Et bien toſt on dira dedans ce champ Troien,
Voila ou a eſté le mur Neptunien.

La demeuroit Priam, & la Laomedonte,
La Ænce ſesdieux embarquoit dans le Ponte.
Mais las ce qui plus fort me gene, bleſſe, cg poind,
C’eſt que chacun dira, ce cercueil n’eſt il point
D’Hector, qui mort encor ces ruines honore ?
Las non. Il eſt facré d’Achille a la memoire.
Mais entre ces malheurs fi m’eſtce grand plaiſir
Que loin d’ici n’yras en la Grece geſir
Ains croiſtras auec moy ceſte poudre Troyenne.
Fraudant de ton tombeau ta gene Theſſalienne.

Achille.

Hà Patrocle ou fuis tu arreſte arreſte un peu,
Mom Patrocle ou fuistu ? porte pour moy ce veu
A ces bons demi— Dieux deſquelz ie ſuis la race,
Veuſainet qu’ilz receurontpremier quela ie paſſe
le leur conſacre adonc baniſſant la pitie,
A l’horreur, & a eux, & a l’inimitié,
Hector, Troye, ſon Roy, leurs maiſons, & leur temple,
Ie conſacre aux fureursa iamais un exemple
Duquel au temps preſent, &go au temps aduenir
Se puiſſent nos nepueux a iamais fouuenir
Que tonnez vous o Dieux. Ja deſia ie me trace
Ce ſentier qui bien toſt me conduiſe a la place
Qu’a gaigné ma vertu, tout auprez du Torean
Reluite on me voirta d’embas aſtre nouueau,
Ou bien un peu plus haut, ou deſia ſe recule
Le Scorpion cruel, ca le Lion qui bruſle
Ce marchepied des Dieux, vous fuirez donc Troyens
Dedans le ſeur rampart de voz murs anciens
Le chef d’œuure des Dieux : ces Dieux pour les fallaires

Qu’ilz ont receu de vous feronc voz tutellaires
Devons eu voſtre Roy ilz ont ilz ont t’erreur
Plus fort que ne penſes emprainte ſus le cueur.
Et quant ainſi feroit, qui m’empeſche combatre
La fureur, les Dieux, le Ciel, & mon deſaftre ?
Iuppiter vous apprent a craindre ma fureur
Perdre ſon ciel luiſant pour moyil a eu peur,
Meſme affin que vers moy.de parent il ſ’aquite
Il faut que quelque lieu de ſon ciel il me quite.

Le Cueur.

Par neuf fois le Dieu de Dele
Sous la balance conduict,
Voir la troppe qui appelle
Ceres au facre de nuict
Nenffois le ruſtigue anare
Tond les fillons du Gargare,
Depuis las que le malheur,
Le malheur notre partage
Pour venger ce vieil outrage
Couppe de Troye lafleur.
De ce temps des dieux le pere
S’arma d’eclairs : & de feus,
Que rougißans de collere
Auroc plus voiſin des cicus
Du porteneige Cancale
Lia de laper la race
Ou de Laigle encor helas,
Menagere a trop grande care

D’animer une figure
Et miferable repas :
Le Dieu Boiteux la Pandore
D’une autre fange apreſta,
Faſché qu’Eſpimecheencore
Atellabeur ſe hafta,
Qui du parfaictmoins cupide
Ramaſſoitde ce grand vide
Ces quatres grans corps diuers,
Quifaçonnent de ce monde
Ce que ceine la voute ronde
Dans ſes abiſmes ouuers,
Tout ce que le ciel auare
En ſon eſpargne tenois,
Erles Dieux auoient plusrare,
Pour preſenton luy donnoit
Iunon l’or Pallas fa grace,
Pan ſes biens, Venus ſa face,
Apollon fa vois, & or
L’Aube ſes crins, & la boete
Du malheur ſeure retraite
Iupiter lui donne encor.
Plus legere que l’eſtoille
Qui ſemble tomber des cieus,
Pluſtoſt que ne ſent la voille
L’azur des champs eſcumeux,
Razant l’air elle ſe vire,
Et ce vollage elle attire
D’vn oeil tiré de trauers,

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