Adam Smith sa vie, ses travaux, ses doctrines/I/5

La bibliothèque libre.
◄  Chapitre 4
Chapitre 1  ►

CHAPITRE V


Enfin, au commencement de l’année 1776, l’ouvrage parut à Londres, en 2 forts volumes, sous le titre de Recherches sur la nature et les causes de la Richesse des Nations.

Il eut, en Angleterre, un immense succès. On l’accueillit d’abord avec faveur à cause de la réputation même de l’auteur, qui était considérable, puis cette faveur devint de l’enthousiasme lorsqu’on eût pu se rendre compte, par la lecture, de la vaste portée de cette œuvre.

Assurément cet ouvrage, quelle qu’en soit la valeur, manque parfois d’élégance et toujours de sobriété ; mais cette pesanteur même était plutôt, chez nos voisins, un puissant élément de succès. Cet amas de faits qui alourdit le plan, ces digressions continuelles qui fatiguent et distraient l’attention, étaient particulièrement goûtées par l’esprit anglais, et si Adam Smith, pénétré de la littérature française, avait allégé son œuvre en n’y maintenant que les idées générales et les faits particuliers les plus indispensables à leur démonstration, son livre n’eût peut-être pas été lu par beaucoup de ses compatriotes.

C’est là, en effet, une face curieuse du caractère de l’esprit anglais, et il importe d’insister sur cette observation, parce qu’elle fait mieux comprendre la composition de l’œuvre que nous étudions et qu’elle permet de démêler l’un des plus puissants éléments du succès des Recherches en Angleterre. « Le Français, dit M. Taine[1], demande à tout écrit et à toute chose la forme agréable ; l’Anglais peut se contenter du fonds utile. Le Français aime les idées en elles-mêmes et pour elles-mêmes ; l’Anglais les prend comme des instruments de mnémotechnie ou de prévision… En général, le Français comprend au moyen de classifications et par des méthodes déductives ; l’Anglais, par induction, grâce à la représentation lucide et persistante d’une quantité de faits individuels, par l’accumulation indéfinie des documents isolés et juxtaposés. Quiconque a étudié leur littérature et leur philosophie, depuis Shakespeare et Bacon jusqu’à, aujourd’hui, sait que cette inclination chez eux est héréditaire et qu’elle appartient à la forme même de leur esprit, qu’elle tient à leur façon de comprendre la vérité. Selon eux, l’arbre doit se juger aux fruits et la spéculation à la pratique ; une vérité n’a de prix que si elle provoque des applications utiles. Au-delà des vérités banales, il n’y a que des chimères vaines. Telle est la condition de l’homme : un cercle restreint capable de s’élargir, mais toujours fermé de barrières, dans lequel il faut savoir, non pour savoir mais pour agir, la science n’étant valable que par le contrôle qui la vérifie et l’usage auquel elle sert. »

Or, l’œuvre de Smith répondait parfaitement à ce besoin de ses compatriotes : son ouvrage était hérissé de faits. Point de théorie qu’il ne prouvât par des exemples divers et surtout multiples ; point de doctrine dont il ne fit aussitôt ressortir toutes les applications. Il avait débarrassé l’économie politique de l’appareil solennel et formulaire dont les physiocrates l’avaient entourée et qui en rendait l’étude inabordable au plus grand nombre, s’attachant, au contraire, à présenter ses idées simplement, de façon à les faire entrer plus facilement dans l’esprit de ses lecteurs.

De plus, il ne comprenait pas l’économie politique elle-même comme Quesnay et Turgot : il n’y voyait pas seulement une science, mais aussi un art, et son bon cœur ne pouvait se résigner à énoncer un principe sans en rechercher immédiatement toutes les applications dans l’intérêt de l’humanité. « L’économie politique, dit-il en tête du deuxième volume de ses Recherches, considérée comme une branche des connaissances du législateur et de l’homme d’État, se propose deux objets distincts : le premier, de procurer au peuple un revenu ou une subsistance abondante, ou, pour mieux dire, de le mettre en état de se procurer lui-même ce revenu ou cette subsistance abondante ; le second objet est de fournir à l’État ou à la communauté un revenu suffisant pour le service public ; elle se propose d’enrichir à la fois le peuple et le souverain. »

Le cadre même de son œuvre se prêtait d’ailleurs de lui-même à cette double conception, puisqu’il avait pour objet d’exposer l’un des aspects de l’histoire générale de la civilisation : c’était l’étude de la marche de la richesse que Smith avait en vue, et, comme cette marche n’a pas été dirigée uniquement par les lois naturelles, qu’elle s’est heurtée souvent aux règlements et aux institutions positives, il se trouvait conduit non-seulement à des spéculations théoriques sur les lois et les causes, mais aussi à l’appréciation du rôle même du législateur, de ce qu’il avait été et de ce qu’il aurait dû être.

Enfin, il faut bien l’avouer, un autre motif moins noble contribuait encore au succès des Recherches chez nos voisins d’Outre-Manche. L’Angleterre jalousait, un peu la suprématie intellectuelle de la France. Grâce à sa puissance maritime, elle avait réussi à nous enlever nos colonies, à ruiner notre commerce, à chasser notre pavillon des mers ; mais elle se voyait avec peine forcée de reconnaître que la France vaincue, repliée sur elle-même, restait toujours la reine incontestée de la littérature et de la civilisation. Elle avait vu l’économie politique éclore chez nous, l’école de Quesnay accueillie avec enthousiasme, faisant, au point de vue scientifique, la conquête de l’Europe, et l’orgueil britannique se sentait intérieurement froissé de n’avoir pas un nom anglais à opposer à nos physiocrates. Smith, il est vrai, était Écossais, c’est-à-dire un peu Français, mais il avait été élevé à Oxford, il ne partageait nullement l’aversion outrée de David Hume pour l’Angleterre et il paraissait même gagné, en somme, au fait acquis de l’Union[2]. Son triomphe devait donc être un triomphe national, et il fut d’autant plus vif que l’auteur défendait chaleureusement la cause du commerce et de l’industrie qui faisaient la gloire et la richesse de l’Angleterre, repoussant cette épithète de travail stérile que leur avaient maladroitement appliquée les physiocrates et qui était devenue blessante pour avoir été mal comprise.


Le succès des Recherches prit donc immédiatement un caractère général, et, quels qu’en fussent les divers motifs, il était absolument mérité.

Hume se montra heureux de la faveur qui accueillait le Traité de son ami, plus heureux même que s’il se fût agi d’un de ses propres livres, et, sur son lit de douleur, il voulut être le premier à féliciter l’auteur :

« Très bien ! bravo ! mon cher monsieur Smith, lui écrit-il dès le 1er avril 1776 ; votre ouvrage m’a fait le plus grand plaisir, et, en le lisant, je suis sorti d’un état d’anxiété pénible. C’était un ouvrage dont l’attente tenait si fort en suspens et vous-même, et vos amis, et le public, que je tremblais de le voir paraître ; mais enfin je suis soulagé. Ce n’est pas qu’en songeant combien cette lecture exige d’attention et combien peu le public est disposé à en accorder, je ne doive douter encore quelque temps du premier souffle de la faveur populaire. Mais on y trouve de la profondeur, de la solidité, des vues fines, une multitude de faits curieux : de tels mérites doivent tôt ou tard fixer l’attention publique. Il est probable que votre dernier séjour à Londres a contribué à perfectionner cette production. Si vous étiez là, au coin, de mon feu, je vous contesterais quelques-uns de vos principes… Mais tout cela, et cent autres points, ne peuvent être discutés qu’en conversation. J’espère que ce sera dans peu, car l’état de ma santé est fort mauvais et ne peut vous accorder un long délai. »

Malheureusement les deux amis ne devaient plus se revoir. Hume était atteint d’une dysenterie incurable, et, se sentant près de sa fin, il écrivit quelques mois plus tard à Adam Smith pour lui faire ses dernières recommandations au sujet de la publication de ses Dialogues. Lord Brougham a publié la réponse de l’auteur de Recherches et nous croyons devoir la traduire ici, car elle nous éclaire sur l’affection toujours croissante que le philosophe de Glasgow professait pour le grand historien. À un autre point de vue d’ailleurs, elle est aussi fort curieuse, en ce qu’elle montre Adam Smith soumettant en quelque sorte à son ami mourant les grands traits de l’apologie qu’il comptait faire de lui après son décès :


Kirkaldy, 22 août 1776.


Mon plus cher ami,


Je reçois à l’instant votre lettre du 15 courant. Afin de m’économiser la somme d’un penny-sterling, vous l’avez envoyée par le messager au lieu de me la faire parvenir par la poste, et, si vous ne vous êtes pas trompé de date, elle est restée chez lui pendant huit jours et elle aurait pu fort bien, je crois, y rester indéfiniment.

Je serai très heureux de recevoir une copie de vos Dialogues, et, s’il arrivait que je mourusse avant qu’ils soient publiés, j’aurai pris soin que cette copie soit préservée aussi soigneusement que si je devais vivre cent ans.

Quant à m’en laisser la propriété dans le cas où ils ne seraient pas édités dans les cinq années qui suivraient votre décès, vous pouvez faire ce que vous jugerez préférable. Je pense, toutefois, que vous ne devez pas menacer Strahan d’une perte quelconque dans le cas où il ne publierait pas votre œuvre dans un délai fixé. Il n’est pas du tout probable qu’il la néglige, et si quelque chose pouvait la lui faire négliger, ce serait une clause de cette nature qui lui donnerait un prétexte honorable. On dirait alors que j’ai publié seulement en vue d’un profit et non par respect pour la mémoire de mon ami, ce qu’un imprimeur même n’avait pas édité pour le même bénéfice. Strahan est suffisamment zélé : vous le verrez par la lettre ci-jointe que je vous prie de vouloir bien me retourner, mais par la poste et non par le messager.

Si vous voulez me le permettre, j’ajouterai quelques lignes au récit que vous avez fait de votre propre vie, en rendant compte de la manière dont vous vous êtes comporté dans cette maladie, si, contrairement à mon espoir, elle devait être la dernière. Quelques conversations que nous avons eues dernièrement ensemble, notamment en ce qui concerne le manque d’excuses à donner à Caron, le prétexte auquel nous avions pensé à la fin et la très mauvaise réception qui nous eût probablement attendus de la part de Caron, feraient, je me l’imagine, assez bonne figure dans cette histoire.

Vous avez, dans un état de santé empirant sans cesse, en proie à un mal épuisant, envisagé, pendant plus de deux ans, l’approche de la mort (ou ce que vous croyez du moins être l’approche de la mort), avec une bonne humeur persistante que peu de gens, même de ceux qui jouissent de la meilleure santé possible, eussent pu conserver pendant quelques heures seulement.

De même, je corrigerai, si vous voulez bien me le permettre, les épreuves de la nouvelle édition de vos Œuvres, et je veillerai à ce que celle-ci soit publiée conformément à vos dernières corrections. Comme je serai à Londres cet hiver, cela me causera très peu de dérangement.

J’ai écrit tout cela dans l’hypothèse que l’issue de votre maladie serait différente de celle que nous avons pu espérer jusqu’ici. Mais votre moral est si bon, votre vitalité si grande et le progrès de votre mal si lent, que j’espère toujours que cela prendra un tour heureux. Le Dr Black lui-même, si froid et si mesuré, semble, dans une lettre que j’ai reçue de lui la semaine dernière, partager le même espoir.

Je pense que je n’ai pas besoin de vous répéter que je suis prêt à me rendre près de vous dès que vous désirerez me voir. À quelque moment que ce soit, je compte que vous ne vous ferez aucun scrupule de me mander.

Je vous prie de me rappeler au meilleur souvenir de votre frère, de votre sœur, de votre neveu et de tous mes autres amis,

Je suis toujours, mon très cher ami,

Votre tout affectionné
Adam Smith.


Trois jours plus tard, le 25 août 1776, David Hume mourait[3]. Smith n’avait pas cru, en réalité, à un dénouement aussi rapide, et la fin de son ami lui causa un vif chagrin. Mais il tint à remplir aussitôt la promesse qu’il avait faite au mourant et à rendre un témoignage public d’estime et d’affection à sa mémoire. Il retraça donc les derniers moments du célèbre historien dans une lettre à Strahan[4], et ce dernier fut autorisé à la publier à la suite de la Vie de Hume, dont il était l’éditeur.

« C’est avec un plaisir réel, quoique bien mêlé de peine, écrivait Smith, que je prends la plume pour vous donner quelques détails sur la manière dont notre excellent ami, M. Hume, s’est conduit dans sa dernière maladie. Quoiqu’il eût jugé lui-même son mal incurable et mortel, cependant, par égard pour les instances de ses amis, il consentit à faire l’essai de ce que pourrait produire sur lui un long voyage. Quelques jours avant de se mettre en route, il écrivit le précis de sa vie, qu’il a confié à vos soins ainsi que ses autres papiers. Mon récit commence donc où le sien finit. »

Puis, après avoir fait l’historique des progrès de la maladie de Hume, de la fin d’avril au 25 août 1776, date du décès, il ajoutait :

« Telle a été la fin de notre excellent ami dont la mémoire nous sera toujours chère. On pourra juger diversement de ses opinions philosophiques, chacun les approuvant ou les condamnant suivant qu’il les trouvera conformes ou contraires aux siennes ; mais il est difficile qu’il y ait de la diversité dans le jugement qu’on portera de sa conduite et de son caractère. Jamais les facultés naturelles d’aucun homme ne furent plus heureusement combinées et équilibrées ; même dans le plus bas état de sa fortune, son extrême économie ne l’empêcha jamais de faire à l’occasion des actes de charité et de générosité : c’était une économie nécessaire, fondée, non sur l’avarice mais sur l’amour de l’indépendance. La grande douceur de son caractère n’altéra jamais la fermeté de son âme ni la confiance de ses résolutions. Sa plaisanterie habituelle n’était que la simple effusion d’une bonté naturelle et d’une gaieté tempérée par la délicatesse et la modestie, et où il n’entrait pas la plus légère teinture de cette malignité qui est si souvent le principe dangereux de ce qu’on appelle communément l’esprit. Jamais il ne lui échappa une seule raillerie qui eût pour but de mortifier : aussi ses railleries plaisaient-elles à ceux mêmes sur qui elles tombaient, et, de toutes ses grandes et aimables qualités, peut-être n’y en eût-il pas une qui rendit sa société plus agréable à ses amis que cette tournure de plaisanterie, quoiqu’ils en fussent d’ordinaire les objets. Cette gaieté naturelle, si agréable dans le monde, mais si souvent accompagnée de qualités frivoles et superficielles, s’alliait en M. Hume avec l’application la plus sérieuse, les connaissances les plus variées, la plus grande profondeur de pensée, et l’esprit à tous égards le plus étendu. Enfin, je l’ai toujours regardé, pendant sa vie et après sa mort, comme l’homme le plus approchant de l’idée qu’on se forme d’un homme parfaitement sage et vertueux, que peut-être ne le comporte la nature et la faiblesse humaine ».


Cette apologie était certainement empreinte d’une forte exagération. En effet, quelque favorable que puisse être le jugement que l’on ait à porter sur le caractère de David Hume, on ne peut nier que le célèbre historien ait été souvent disposé à abuser de son esprit contre ses adversaires. Ses amis mêmes ne furent pas à l’abri de ses saillies parfois incisives, et nous avons vu que le trait le plus piquant de la fameuse lettre d’Horace Walpole contre J.-J. Rousseau n’était que la répétition d’un mot de Hume sur la manie de la persécution qui affligeait son malheureux ami. D’ailleurs, la lecture même de l’histoire de sa vie, que venait compléter la lettre du Dr Smith, forçait à reconnaître, qu’au moins dans ses derniers moments, il avait été injuste et même impertinent à l’égard de ses adversaires, notamment, du Dr Warburton, évêque de Glocester[5]. Aussi la dernière phrase de cette lettre de Smith souleva une tempête. On ne put se résoudre à voir, dans le philosophe sceptique qui niait l’existence d’un Dieu, un modèle de perfection et de vertu, et les plus modérés estimaient tout au moins, comme l’a dit le Dr Carlyle, que Hume avait moins vécu toute sa vie en homme moral qu’en investigateur ou en critique. L’indignation fut profonde dans les rangs du clergé, et le Dr Horne, évêque de Norwich, dans une lettre anonyme, attaqua vivement Adam Smith sur le terrain religieux.

On avait tort, cependant, d’attribuer au disciple d’Hutcheson les opinions métaphysiques de David Hume. Smith ne paraissait attaché, il est vrai, à aucune des Églises établies, mais, nous l’avons déjà fait remarquer, il professait une doctrine élevée en matière religieuse, et l’affirmation de l’existence de Dieu, de l’immortalité de l’âme, a servi de thème à l’un des plus beaux morceaux de sa Théorie des sentiments moraux[6]. Toutefois il ne répondit rien au Dr Horne, il évitait toujours avec le plus grand soin toute discussion religieuse, et d’ailleurs il jugea peut-être aussi, dans cette circonstance, qu’il avait été un peu loin dans l’éloge de son ami.


Vers la même époque, il quitta Kirkaldy pour aller s’établir à Londres. Après dix années de solitude dans son petit bourg d’Écosse, il jugeait nécessaire de se retremper dans un milieu littéraire, car il sentait que son esprit était un peu fatigué d’une trop longue concentration sur la même matière, et, avant d’entreprendre son nouvel ouvrage, il trouvait utile de vivre quelque temps de la vie intellectuelle d’une grande ville. Il fut accueilli avec empressement par la société la plus distinguée de Londres, heureuse d’avoir dans son sein le grand économiste, et il passa de fort agréables moments dans le commerce des hommes les plus éminents, tels que l’historien Gibbon qui s’était déjà fait connaître par ses études sur la littérature, l’éloquent orateur Burke qu’on appelait le Cicéron anglais, l’helléniste Jones, le brillant causeur Beauclerc.

Nous savons peu de chose sur la nature et la direction de ses études durant son séjour dans la capitale de l’Angleterre, et, s’il est probable qu’il travailla pendant cette période à son Traité du Droit, il est certain, du moins, qu’il y consacra fort peu de temps. D’ailleurs, il ne passa à Londres que deux années, car la famille de Buccleugh s’occupait d’obtenir pour lui l’emploi qu’elle lui avait promis à son départ de Glasgow, et, en 1778, il était nommé commissaire des douanes avec résidence à Édimbourg.

On a parfois reproché à l’auteur des Recherches d’avoir accepté ces fonctions qui le forçaient à appliquer une législation douanière contre laquelle il s’était élevé avec tant de violence dans ses ouvrages, et, dans l’enceinte même de notre Académie des Sciences, un savant distingué, M. Flourens, n’a pas craint de lancer à cet égard contre Adam Smith une accusation de mauvaise foi[7].

Nous ne pouvons laisser passer cette attaque sans la relever, non seulement pour la gloire d’Adam Smith dont la probité scientifique est indiscutable, mais aussi dans l’intérêt de l’économie politique elle-même que l’éminent physiologiste a voulu atteindre dans un des plus illustres de ses fondateurs. Cette attaque inattendue prouve que le célèbre académicien ne connaissait que superficiellement celui qu’il condamnait, sans, quoi il eût appris, par la lecture de ses œuvres comme par l’étude de sa biographie, à respecter cette grande et sympathique figure du savant modeste et désintéressé qui n’avait en réalité pour seul but que le bonheur de l’humanité. N’eût-il que parcouru la Théorie des sentiments moraux qu’il n’eût pu se défendre d’une véritable admiration pour le caractère de l’auteur. Il aurait vu que ce n’était pas seulement à la fin de sa vie, comme commissaire des douanes, que Smith avait accepté la législation existante, et qu’au contraire, sa plus constante préoccupation avait toujours été d’éviter, en cette matière plus qu’en toute autre, les réformes trop radicales et trop brusques qui troublent la production et violent les droits acquis[8]. Mieux éclairé, il n’eût pas eu l’idée de rechercher ainsi et de signaler, dans une forme regrettable et blessante, cette contradiction imaginaire entre les doctrines de l’économiste et les actes de l’homme privé. Mais il est tombé dans l’erreur commune à tous ceux qui n’ont pas lu les Recherches dans leur entier : tous se représentent Adam Smith comme un ennemi déclaré des taxes douanières. Or il n’en était rien, et ceux qui connaissent son chapitre des impôts savent que si le célèbre économiste repoussait les droits de douane en tant que moyens protecteurs, il les recommandait du moins comme moyens fiscaux, estimant que, s’ils sont bien compris et modérés, ils peuvent fournir à juste titre une partie considérable du revenu de l’État[9].

Pour notre part, loin de considérer l’acceptation des fonctions de commissaire des douanes comme un démenti officiel donné par le philosophe aux principes qu’il avait professés sur la liberté des échanges, nous croyons plutôt que Smith a dû choisir cet emploi de préférence à tout autre, espérant, à tort peut-être, que cette situation lui permettrait de réaliser de nombreuses améliorations de détail dans cette partie de l’administration fiscale de son pays, et de préparer ainsi la voie aux grandes réformes par une application libérale de la législation existante qu’il eût été imprudent de bouleverser brusquement.

Tout ce que l’on peut dire, c’est que l’ancien professeur de Glasgow était bien peu préparé à une situation de ce genre, car il n’avait jamais été mêlé, dans la pratique, à aucune besogne financière, et celui qu’on chargeait ainsi de gérer les affaires de l’État n’aurait peut-être pas été capable de gérer les siennes propres. Il fallait là des qualités d’ordre, de précision, de vigilance, qu’on eût trouvées plus facilement dans un médiocre comptable que dans ce penseur méditatif dont les hautes vues théoriques étaient d’une application bien restreinte dans son nouvel emploi. D’autre part, on le sait, ses distractions étaient phénoménales, et sir Bagehot rapporte que c’est dans l’exercice de ses nouvelles fonctions qu’il étonna si fort un de ses subordonnés qui lui apportait une pièce à viser, en imitant la signature de son prédécesseur placée au-dessus, au lieu de donner la sienne propre.

Nous reconnaissons donc volontiers que le Gouvernement ne pouvait faire un plus mauvais choix. Mais certains biographes, se plaçant à un autre point de vue, ont aussi regretté pour la postérité, cette interruption dans la vie littéraire de Smith : nous croyons que c’est à tort. L’auteur des Recherches avait recueilli, il est vrai, de nombreux documents, non-seulement pour son Traité du Droit', mais encore pour cette autre partie de l’Histoire de la Civilisation qui a trait à la marche des sciences et des arts, et il avait même commencé à en écrire des fragments dont les principaux ont été conservés et publiés après sa mort sous le titre d’Essais philosophiques. Toutefois, en ce qui concerne les sciences et les arts, les matériaux rassemblés jusque-là étaient réellement trop insuffisants et Smith se rendait compte des difficultés qu’il rencontrerait pour s’en procurer de nouveaux : son siècle n’avait pas encore accumulé assez d’observations pour permettre d’entreprendre un pareil travail, et il sentait bien que, dans ces conditions, il ne lui serait pas possible de donner une base expérimentale assez large à ses théories.

Quant à l’histoire du Droit, elle était mieux connue ; mais Montesquieu avait tiré un si merveilleux parti de tous les faits et il avait produit, dans cette partie de la science, un monument si considérable que le Dr Smith dut craindre certainement de mettre une œuvre trop peu mûrie en parallèle avec l’Esprit des Lois. Écrire après Montesquieu, sur le même sujet, pouvait être une témérité dangereuse, et l’auteur des 'Recherches qui, au fond, avait grand souci de sa réputation, dut reconnaître qu’à cinquante-trois ans, il était peut-être imprudent de tenter de composer à la hâte un ouvrage de cette importance dont l’élaboration aurait exigé la vie entière d’un homme.

Aussi nous ne serions pas éloigné de croire qu’au moment où il termina la Richesse des Nations, Smith avait déjà complètement abandonné l’espoir de publier son Traité du Droit, car, dans aucun passage de son grand ouvrage, ni à propos de la législation douanière, ni en examinant l’administration de la justice, il n’a fait mention de son intention d’écrire l’histoire de la jurisprudence, et nulle part il n’a renouvelé les allusions contenues dans sa Théorie des sentiments moraux au sujet de cette partie de son vaste plan. Certains biographes affirment, il est vrai, qu’il ne paraît jamais avoir perdu toute idée d’utiliser les documents qu’il avait recueillis, et qu’il songea formellement à les publier dans les dernières années de sa vie, sous forme d’un Examen critique de l’Esprit des Lois ; mais cette dernière information, qui ne repose que sur les racontages d’un journal[10], nous paraît peu certaine, et nous croyons plus volontiers qu’Adam Smith, fier du succès de ses œuvres, recula jusqu’à la fin devant toute autre publication qui, édifiée avec des matériaux insuffisants, eût pu porter atteinte à sa gloire.


À Édimbourg, il se livra tout entier aux obligations de sa profession. Quoique ses occupations fassent très simples et qu’elles n’exigeassent pas de grands efforts intellectuels, elles ne lui laissaient aucun loisir, et non-seulement il ne publia rien, mais encore il étudia fort peu. Il vécut ainsi tranquillement, pendant les quatorze années qui s’écoulèrent jusqu’à sa mort, au milieu de ses compagnons de jeunesse et recherché par l’élite de la société écossaise ; on l’aimait pour la noblesse de son caractère, pour sa gaieté, sa sérénité inaltérable, pour la chaleur et l’empressement qu’il mettait à rendre service.


Sa conversation d’ailleurs, parfois originale, était toujours pleine de charmes, et nous ne pouvons mieux faire que de citer à cet égard les impressions d’un témoin éminent de ses entretiens, Dugald Stewart, qui, professeur de philosophie à Édimbourg en 1784, put ainsi apprécier, dans le commerce même du Dr Smith, la tournure de son esprit et la vivacité de son imagination :

« Il est peut-être impossible, écrivait Dugald Stewart dans son Éloge de Smith[11], d’indiquer les nuances délicates qui caractérisaient son esprit. L’observateur le plus superficiel ne pouvait manquer d’y voir des singularités qui se manifestaient dans ses manières et dans ses habitudes intellectuelles. Mais quoique ces singularités ne lui fissent rien perdre, aux yeux de ceux qui le connaissaient, du respect qu’imposait son génie, et qu’aux yeux de ses amis, elles ajoutassent même un charme inexprimable à son commerce en découvrant, sous le jour le plus heureux, l’aimable simplicité d’un cœur exempt d’artifice, il faudrait un pinceau bien habile et bien délicat pour les exposer sans risque aux regards du public. Il est certain que M. Smith n’était pas propre au commerce du monde ni aux affaires. Les vastes sujets de méditation dont il avait été occupé dès sa jeunesse et le grand nombre de matériaux que son esprit inventif fournissait sans cesse, le rendaient habituellement inattentif aux objets familiers et aux petits événements de chaque jour ; en sorte qu’il donnait fréquemment des exemples de distraction comparables à tout ce qu’a pu peindre en ce genre l’imagination de La Bruyère. En compagnie, il n’était pas rare de le voir absorbé par les objets de ses études, et, au mouvement de ses lèvres, aussi bien qu’à ses gestes et à son regard, on pouvait supposer qu’il était dans le feu de la composition…

« C’est probablement à cette habitude de distraction qu’il faut attribuer en partie la difficulté qu’il avait à se conformer au ton du dialogue ou de la conversation ordinaire : on remarquait que la sienne prenait la forme d’une leçon. Lorsque cela lui arrivait, ce n’était jamais par le désir de s’emparer de la parole ou par un sentiment de sotte vanité : il était si disposé, par inclination, à jouir en silence de la gaieté de ceux qui l’entouraient, que ses amis en furent souvent réduits à se concerter entre eux pour le mettre sur les sujets qu’ils jugeaient devoir l’intéresser, et je ne crains pas d’être accusé d’exagération en avançant qu’on ne le vit presque jamais mettre un nouveau sujet sur le tapis ni manquer de moyens pour traiter ceux que d’autres lui fournissaient. À la vérité, sa conversation n’était jamais plus piquante que quand il laissait errer son génie sur le petit nombre d’objets qui, dans le vaste champ de la science, lui étaient peu familiers et dont il n’avait acquis que des connaissances superficielles.

« Les jugements qu’il formait sur les hommes d’après une légère liaison, étaient souvent erronés ; mais la pente naturelle de son caractère le portait beaucoup plus à une partialité aveugle qu’à des préventions défavorables et mal fondées. Accoutumé à considérer les affaires humaines sous des points de vue vastes et intéressants, il n’avait ni le temps, ni l’inclination de considérer en détail les qualités particulières des caractères vulgaires. De là vient que, quoiqu’il fût profondément versé dans la connaissance du cœur et de l’esprit humain, quoiqu’il eût employé souvent cette connaissance dans ses écrits en marquant d’une touche délicate les ombres les plus fines et les plus légères du génie et des passions, cependant il lui arrivait souvent, en s’occupant des individus, de porter des jugements qui s’écartaient de la vérité à un tel point qu’on ne pouvait s’empêcher d’en être surpris.

« Dans la confiance et l’abandon auxquels il se livrait quelquefois en société dans ses heures de délassement, il hasardait des jugements sur les livres ou des opinions sur des questions de théorie, qui n’étaient pas toujours tels qu’on les aurait attendus d’un esprit supérieur et d’un philosophe aussi distingué pour la constance et l’accord de ses principes. Ses jugements et ses opinions se ressentaient quelquefois de l’influence des circonstances accidentelles ou même de l’humeur du moment, et lorsqu’ils étaient recueillis par ceux qui ne le voyaient qu’occasionnellement, ils étaient propres à donner de ses vrais sentiments des idées fausses et contradictoires. Toutefois, en ces occasions comme en d’autres, il y avait toujours dans ses remarques beaucoup d’esprit et de vérité, et, si l’on eût combiné les différentes opinions qu’il énonçait en divers temps sur un même sujet, de manière à les modifier et à les limiter les unes par les autres, on en eût tiré probablement de quoi former une décision également juste et complète. Mais, dans la société de ses amis, il n’avait pas de penchant à rechercher ces résultats si bien déduits qu’on admire dans ses ouvrages ; il se contentait, d’ordinaire, d’une esquisse de l’objet, hardie et de main de maître, en saisissant le premier point de vue que lui présentait son humeur ou son imagination.

« On remarquait quelque chose de semblable lorsqu’il entreprenait, dans la chaleur d’une conversation animée, de tracer le caractère de ses relations les plus intimes et qui, par cette raison, devaient lui être parfaitement connues. Le portrait était toujours plein de feu et d’expression ; il frappait d’ordinaire par des traits de ressemblance marqués et très piquants, pourvu qu’on envisageât l’original sous un aspect particulier ; rarement peut-être y aurait-on trouvé une image juste et complète sous tous les rapports et selon toutes les dimensions de l’objet. En un mot, on pouvait reprocher à ces jugements qu’il portait sans avoir le temps de les mûrir par la réflexion, d’être trop systématiques et de donner dans quelque extrême.

« Mais, de quelque manière qu’on doive expliquer ces petites singularités, il est certain qu’elles étaient intimement liées avec la noble simplicité de son cœur. Cette aimable qualité, qu’il possédait au plus haut degré, rappelait à ses amis tout ce qu’on a dit du bon La Fontaine. Elle avait même chez lui une grâce particulière, par le contraste qu’elle faisait avec les autres qualités auxquelles elle se trouvait réunie, avec ces dons sublimes de la raison et de l’éloquence qui ont rendu ses ouvrages de morale et de politique l’objet de l’admiration de l’Europe. »


Smith eût pu donc être ce qu’on appelle de nos jours un brillant causeur, parlant avec esprit de tout, et d’autant plus étincelant qu’il avait moins étudié la matière. Mais son caractère consciencieux méprisait cette vaine gloriole ; il tenait à aller au fond des choses, et ce n’était qu’au milieu d’un petit cercle d’amis, durant ses heures de délassement, qu’il laissait errer, son imagination. Celle-ci, d’ailleurs, était très vive et il s’en défiait. Si c’est un éclair de génie qui lui a fait entrevoir d’abord les vérités économiques qui ont fait sa gloire, ce n’est que par un labeur acharné qu’il est arrivé à les mettre en lumière ; il a été avant tout un grand travailleur, absorbant beaucoup de faits par la lecture et l’observation, puis les digérant par la méditation. Il saisissait vite un point de vue particulier, et si son esprit n’eût pas été si scrupuleux, il eût été fort systématique ; mais ces idées, qui naissaient spontanément chez lui, il les mûrissait et les rectifiait en les soumettant à l’épreuve des faits et à la contre-épreuve des systèmes opposés, s’attachant ainsi à travailler lentement, parce qu’il redoutait fort sa première impression.

Au point de vue de la vivacité de son imagination, Dugald Stewart l’a comparé fort justement à La Fontaine. Cependant, ni la conduite de ces deux écrivains, ni leurs ouvrages ne se ressemblaient à beaucoup d’égards, et le caractère quelquefois peu digne du poëte courtisan quêtant une pension, pas plus que sa morale légère et toute de plaisir, n’aurait eu certainement l’approbation du philosophe austère de l’école écossaise. Quoi qu’il en soit, cette comparaison est loin d’être en tous points inexacte, car, outre ce pétillement de l’esprit que nous venons de signaler chez Smith et qui était si fort à remarquer chez La Fontaine, on pouvait noter chez chacun d’eux des qualités communes que peu de gens possédèrent à un plus haut point, à savoir une puissance énorme d’observation et une bonté ineffable.

Tous deux étaient portés à exagérer les qualités de leurs amis et à les élever jusqu’aux nues : « Savez-vous bien, disait La Fontaine, que, pour peu que j’aime, je ne vois les défauts des personnes pas plus qu’une taupe qui aurait cent pieds de terre sur elle ? Dès que j’ai un grain d’amour, je ne manque pas d’y mêler tout ce qu’il y a d’encens dans mon magasin[12]. » Le courage avec lequel il défendit Fouquet en fut la meilleure preuve.

L’un comme l’autre aussi fut peut-être l’homme le plus distrait de son siècle. On connait le mot de M. Taine sur le Bonhomme : « Il a l’air d’un enfant distrait qui se heurte aux hommes. » Or, on aurait pu en dire parfois autant d’Adam Smith : il avait une faculté d’abstraction considérable, et, lorsqu’il méditait, le monde extérieur n’existait plus pour lui. Nous avons déjà rapporté une de ses plus fameuses distractions et dit l’étonnement d’un de ses employés qui lui vit imiter la signature de son prédécesseur au lieu de donner la sienne propre. Mais les anecdotes sont nombreuses, et, si elles ne nous avaient pas été transmises par des écrivains aussi scrupuleux que lord Brougham et sir W. Bagehot, nous les eussions certainement crues exagérées.

Elles lui attiraient même souvent, de la part des gens du peuple, des réflexions tout-à-fait désobligeantes. Un jour, par exemple, qu’il traversait le marché au poisson dans son attitude habituelle, les mains derrière le dos et le nez en l’air, une marchande le prit pour quelque fou en escapade et s’écria : « Bon Dieu ! peut-on voir un pareil homme se promener en liberté ! Cependant, il n’est pas trop mal vêtu, tout de même ![13] » Un autre jour, dans le même endroit, il renversait l’étalage d’une vieille femme et se réveillait brusquement de ses méditations en s’entendant traiter d’« extravagant animal (doating brute) »[14]. En société même, il commettait de fortes bévues. Ainsi, dans un grand dîner chez le duc de Buccleugh, à Dalkeith, il avait commencé un long discours sur une question politique du jour et il appliquait de nombreuses et sévères épithètes à la conduite d’un homme d’État, lorsqu’on le vit tout-à-coup s’interrompre : il venait d’apercevoir en face de lui le plus proche parent du personnage qu’il attaquait, et, tout interloqué de l’inconvenance qu’il venait de commettre à son insu, il murmura entre ses dents : « Que le diable l’emporte, mais c’est vrai tout de même ! »

Ces distractions pouvaient sembler bizarres chez cet observateur puissant qui avait écrit la Théorie des sentiments moraux et la Richesse des Nations. Aussi, bien des gens, lors de l’apparition de ces œuvres, auraient pu s’écrier, avec ce jardinier des environs de Kirkaldy, qui ne connaissait Smith que pour avoir eu à répondre à des questions quelque peu incohérentes que le philosophe lui avait posées au cours de ses promenades[15] : « Grand Dieu ! on prétend que cet Adam Smith a produit un grand ouvrage. J’aurais certes été longtemps avant de me douter qu’il eût pu faire rien de pareil ! »

Cette tendance à l’abstraction était naturelle chez lui et ses petits condisciples de l’école de Kirkaldy n’avaient pu, par leurs moqueries, lui faire perdre cette habitude. Elle ne fit, au contraire, que se développer lorsqu’il se mit à composer mentalement. Travailleur infatigable, il ne voulait jamais perdre un instant ; lorsqu’il n’avait rien à observer, qu’il se trouvât seul, en société ou en public, il s’isolait par la pensée, il méditait, et, en rentrant chez lui, il avait parfois plusieurs pages à dicter de mémoire à son secrétaire.

Comme La Fontaine aussi, Smith était encore d’une générosité sans bornes et il aurait peut-être fort mal géré ses affaires, s’il n’avait eu avec lui sa mère ; celle-ci l’avait suivi à Édimbourg avec sa parente, miss J. Douglas, qui ne l’avait pas quitté depuis son séjour à Glasgow et qui dirigeait la maison avec économie.

Il ne s’était jamais marié. Peut-être n’en aurait-il pas trouvé le temps, tellement sa vie était absorbée par l’étude. On affirme, cependant, qu’il eut une passion et qu’il s’attacha pendant plusieurs années à une jeune fille très-belle et d’un esprit très-orné[16] ; mais cette inclination, complètement ignorée de la plupart des biographes, ne paraît pas avoir exercé une influence notable, soit sur sa vie, soit sur la direction de son esprit.

Quoi qu’il en soit, Smith n’avait pas les soucis de son ménage et il se reposait totalement sur miss Douglas du soin de ses affaires. Son train de maison était d’ailleurs fort modeste, et, bien que sa situation pécuniaire, d’abord peu brillante, se fût beaucoup améliorée depuis sa nomination au poste de commissaire des douanes, il n’avait rien voulu changer à sa manière de vivre, employant le surplus de ses revenus à faire le bien, d’une façon si discrète que ses amis intimes ne l’apprirent eux-mêmes qu’après sa mort.

Le seul luxe qu’il se permît était de recevoir souvent à sa table, mais il le faisait toujours simplement. Il avait aussi un faible particulier pour sa bibliothèque qui était fort restreinte mais très-précieuse et bien composée. Il n’y laissait entrer que des livres de valeur et il voulait même que leur état matériel ne laissât rien à désirer. Aussi, ceux qui voyaient cette bibliothèque étaient surpris de constater que tous les volumes étaient élégamment reliés et quelques-uns avec luxe. Comme il le disait à son compatriote Smellie, il n’était « petit-maître que dans ses livres[17] ».

En 1787, il fut nommé recteur de Glasgow par les étudiants des quatre nations de cette célèbre Université (Clydesdaliæ, Tividaliæ, Albaniæ et Rothsay)[18]. Cette situation, bien qu’elle ne conférât plus qu’une autorité nominale depuis la Nova Erectio, était encore environnée d’un très-grand prestige[19]. Elle constituait d’ailleurs pour le célèbre économiste une marque de distinction d’autant plus flatteuse que l’Université avait rompu en sa faveur avec un usage constant auquel elle n’avait fait jusque-là que de très-rares dérogations et qui exigeait que le recteur habitât Glasgow. Il put rester à Édimbourg en se faisant remplacer par un vice-recteur qu’il choisit lui-même. Aussi fut-il vivement touché de ce souvenir de sa vieille Université. « Aucune place, écrivait-il, ne pouvait me donner une satisfaction plus réelle. Nul homme ne peut avoir plus d’obligations à une Société que je n’en ai à l’Université de Glasgow. C’est elle qui m’a élevé et qui m’a envoyé à Oxford ; peu après mon retour en Écosse, elle m’élut au nombre de ses membres et ensuite me conféra un autre emploi auquel les talents et les vertus de l’immortel Hutcheson avaient donné un haut degré d’illustration. Lorsque je repasse sur la période de treize années pendant laquelle j’ai été membre de cette Société, je l’envisage comme la période la plus utile et par là même la plus heureuse et la plus honorable de ma vie ; et maintenant, après vingt-trois ans d’absence, me voir rappelé au souvenir de mes amis d’une manière si agréable, c’est un sentiment qui pénètre mon cœur d’une joie pure et que je ne saurais bien vous exprimer. »

Malheureusement les dernières années de cette vie si calme et si heureuse furent assombries par des deuils de famille. Au moment même où Adam Smith fut élu recteur, sa mère était déjà morte depuis trois ans, et miss Douglas qui avait pour son parent l’affectueuse sollicitude d’une sœur, ne tarda pas à la suivre dans la tombe. En même temps les infirmités commençaient à se faire sentir et rendaient la solitude encore plus pénible au philosophe. Il avait cependant encore avec lui un de ses proches, le jeune David Douglas, qui fut plus tard lord Strathenry et dont il avait entrepris l’éducation ; mais ce jeune homme ayant grandi, Smith craignit de nuire à son avenir en le gardant avec lui, et, l’année même de la mort de miss Douglas, il n’hésita pas à l’envoyer à Glasgow pour lui faire étudier le droit sous la direction d’un maître distingué, Millar, qui venait de publier avec éclat son Historical view of the English government.


À partir de cette époque, les forces de Smith déclinèrent rapidement. Toutefois, sentant les approches de la mort, il voulut revoir sa Théorie des sentiments moraux à laquelle il désirait depuis longtemps faire certains changements et de nombreuses additions. Cet ouvrage avait toujours été l’objet de sa constante prédilection, comme de celle de la plupart de ses contemporains, et l’auteur le mettait bien au-dessus de ses Recherches sur la Richesse. Il eut le bonheur de vivre assez longtemps pour en voir la nouvelle édition.


Avant de mourir, il tint aussi à faire détruire ceux de ses manuscrits qu’il ne voulait pas laisser publier.

Ce dessein n’était pas nouveau, d’ailleurs, dans son, esprit, et, dès 1773, au moment d’un voyage à Londres, il écrivait déjà à son ami David Hume la lettre que l’on va lire[20] pour lui faire connaître ses intentions : Édimbourg, 16 avril 1773.


Mon cher ami,


Comme je vous ai confié le soin de tous mes papiers littéraires, je dois vous dire qu’excepté ceux que j’emporte avec moi, il n’en est aucun qui soit digne d’être publié, excepté un fragment d’un grand ouvrage qui contient l’histoire des systèmes astronomiques qui ont été successivement à la mode jusqu’au temps de Descartes. Je laisse à votre jugement de décider si on ne pourrait point publier ce morceau, comme un fragment d’un ouvrage conçu et projeté dans la jeunesse, quoique, à la vérité, je commence à soupçonner moi-même qu’il y a dans quelques parties de cet écrit plus d’art que de solidité. Vous trouverez ce petit ouvrage dans mon cabinet, écrit sur un mince cahier de papier in-folio. Tous les autres papiers détachés que vous trouverez dans la même layette ou dans l’armoire du bureau de ma chambre à coucher, ainsi qu’environ dix-huit cahiers minces in-folio, je vous prie de les détruire sans y jeter les yeux. À moins que je ne meure d’une mort très-soudaine, je prendrai soin que les papiers que j’emporte avec moi vous soient envoyés soigneusement.

Je suis toujours, mon cher ami, tout à vous,

Adam Smith.

Le temps n’avait fait que le confirmer dans sa résolution, et, quelque temps avant sa mort, au moment d’un autre voyage à Londres, il prescrivit à ses amis de détruire, en cas d’accident, tous les volumes de ses cours, ne leur laissant que la liberté de disposer, comme ils l’entendraient, du reste de ses manuscrits. De retour à Édimbourg, il leur avait renouvelé encore la même recommandation, puis, craignant sans doute que ses dernières volontés fussent à cet égard mal exécutées, il s’était décidé à faire brûler lui-même, devant ses yeux, ces précieux documents.

La perte la plus considérable que la postérité paraît avoir faite lors de cette destruction, est celle des matériaux qu’Adam Smith avait amassés pour son Traité du Droit, d’autant plus que si cet ouvrage avait été réellement commencé sous forme d’une critique de l’Esprit des Lois, il eût été très intéressant d’avoir ce commentaire de Smith sur l’œuvre de Montesquieu. Quant à la destruction des cahiers de ses cours, on ne saurait guère les regretter pour leur valeur même ; mais, en tant que documents, ils auraient été très-utiles au biographe en lui permettant de suivre plus facilement la marche de l’esprit du célèbre philosophe. Nous eussions aimé à constater, par exemple, l’état des doctrines économiques de Smith telles qu’il les professait à Glasgow avant son voyage en France, et à les comparer à la Richesse des Nations, afin de comprendre toute l’influence que son séjour dans notre pays et sa fréquentation des physiocrates avaient exercée sur lui. En effet, malgré les efforts tentés par Dugald Stewart pour démontrer que le grand Écossais devait peu à la France et que toutes ses théories étaient élaborées dès 1752, nous avouons être peu convaincu de l’exactitude de cette affirmation et nous ne pouvons que remarquer au contraire que l’insistance témoignée par le Dr Smith pour faire détruire les manuscrits de ses cours sans permettre qu’on les lût, semble attester abondamment leur infériorité relative.

Nous n’entendons pas cependant reprocher au célèbre économiste sa détermination : l’auteur des Recherches ne devait pas laisser d’ouvrages indignes de lui, il devait à sa réputation de ne livrer à la postérité que des œuvres de haute valeur, et on ne saurait lui faire un crime d’avoir anéanti tout ce qui, à ses yeux, était capable de l’amoindrir. Nous ne méconnaissons pas davantage l’immense portée de la Richesse des Nations, ni les progrès considérables que l’auteur a fait faire à l’économie politique ; nous désirons simplement signaler l’exagération de certains biographes anglais qui ont été jusqu’à affirmer que, dès 1755 et même dès 1752, bien avant l’apparition des ouvrages de Quesnay, toutes les doctrines de leur compatriote étaient arrêtées dans son esprit, et qu’avant son voyage sur le continent, il avait déjà constitué de toutes pièces la science dont il devait développer les principes dans la Richesse des Nations.


Après que Smith eût ainsi détruit la plupart des productions de sa jeunesse, « son esprit fut tellement soulagé, dit Dugald Stewart, qu’il fut en état de recevoir ses amis, dès ce même soir, avec le même air de satisfaction qu’il avait coutume de le faire. » Néanmoins, il fut obligé de se retirer avant le dîner et il mourut, le 17 juillet 1790, emporté par une cruelle maladie d’intestins qui le minait depuis longtemps : il fut enterré à Édimbourg, au cimetière de Canongate.

Adam Smith avait assez vécu pour jouir de sa gloire. Il avait eu la satisfaction de voir la Richesse des Nations traduite dans toutes les langues et de constater que ses idées commençaient à être partagées par l’opinion publique. Il avait été consulté souvent par le Ministre, et William Pitt ne craignait pas de mettre en jeu sa propre popularité pour faire passer dans la pratique les théories commerciales du célèbre économiste[21].

Ce succès ne devait que grandir encore après sa mort. Dès 1792, son nom, invoqué à la Chambre des Communes, était accompagné des épithètes les plus élogieuses, et Pitt abritait ses réformes fiscales sous l’autorité du Dr Smith, « auteur qui malheureusement n’est plus, disait-il, mais dont les connaissances étendues jusqu’aux détails et la profondeur des recherches philosophiques fournissent, je crois, les meilleures solutions à toutes les questions qui se rattachent à l’histoire du commerce ou aux systèmes d’économie politique »[22]. Introduites au Parlement sous un tel patronage et adoptées par quelques membres influents, ses doctrines avaient été écoutées d’abord avec étonnement ; mais, « d’année en année, dit Buckle[23], la grande vérité fit son chemin, s’avançant toujours, ne reculant jamais ; quelques hommes de talent désertèrent d’abord les rangs de la majorité, des membres ordinaires les suivirent bientôt ; puis la majorité passa à l’état de minorité et cette minorité commença elle-même à se dissoudre. » Pulteney avait donc eu raison, quand, en 1797, dans un de ses discours sur les finances, il affirmait que le célèbre économiste « persuaderait la génération présente et gouvernerait la prochaine »[24]. Dans toutes les discussions économiques ou fiscales, on s’arrache maintenant le nom de Smith, toutes les écoles fouillent son œuvre pour y trouver des passages favorables à leurs systèmes et donner ainsi à leurs théories l’appoint de son autorité.

Cependant, alors que les Anglais se montrent généralement si disposés à mouler dans le bronze les traits de leurs grands hommes, Adam Smith, par un oubli peu explicable, n’a pas encore de statue. Ni à Kirkaldy qui fut son berceau, ni à Oxford où il étudia, ni à Glasgow où il fut successivement élève, professeur et recteur, aucun monument ne fait connaître à la jeunesse les traits sympathiques de cet homme dont elle entend constamment citer le nom et dont l’orgueil national est si fier. À Édimbourg même où il repose, personne n’entretient sa modeste tombe et la pierre tumulaire disparaît, dit M. de Studnitz, sous les mauvaises herbes et les tessons de bouteilles ![25]


  1. Notes sur l’Angleterre, ch. VIII.
  2. Dans plusieurs passages, en effet, on sent que Smith est rallié à l’Union de l’Écosse avec l’Angleterre et qu’il n’en méconnaît pas les avantages, témoin le passage suivant : « Par l’union avec l’Angleterre, les classes moyennes et inférieures du peuple en Écosse ont gagné de se voir totalement délivrées du joug d’une aristocratie qui les avait toujours auparavant tenues dans l’oppression » (Richesse, t. II, p. 663). — D’ailleurs, dès 1753, dans sa Lettre aux Éditeurs de la Revue d’Édimborg, il s’était même réjoui d’être citoyen du Royaume-Uni : « Depuis la réunion de l’Écosse à l’Angleterre, écrivait-il, nous sommes disposés à envisager les grands hommes que je viens de nommer (Bacon, Boyle, Newton), comme nos concitoyens. Ainsi, en ma qualité de citoyen de la Grande-Bretagne, je ne puis que me sentir flatté de voir ainsi reconnaître par une nation rivale (il s’agissait de la France), la supériorité de l’Angleterre. »
  3. Par son testament, Hume laissait à son ami une somme de 200 livres sterling et un exemplaire de ses Œuvres ; mais Adam Smith ne voulut pas accepter la première partie du legs, malgré les instances du frère du célèvre historien, M. John Home de Ninewells. — Voir, sur ce point, une lettre du Dr Smith et la réponse de M. John Home, recueillies toutes deux par lord Brougham (Lives of men of science, etc.)
  4. Cette lettre à Strahan est datée de Kirkaldy, 9 novemvre 1776 (Vie de Hume écrite par lui-même, traduction Suard. Paris, 1777).
  5. On en jugera par les deux passages suivants : « On imprimait dans une année deux ou trois réponses à mes écrits, faites par des révérends et très révérends auteurs, et je jugeai, par les invectives du Dr Warburton, que mes livres commençaient à être estimés en bonne compagnie. » Et plus loin : « Dans cet intervalle, je publiai à Londres mon Histoire naturelle de la religion, avec quelques autres morceaux. Cette nouvelle production resta d’abord assez obscure ; seulement le Dr Hurd y répondit par un pamphlet écrit avec toute l’arrogance, l’amertume et la grossièreté qui distinguent l’école Warburtonienne. Ce pamphlet me consola un peu de l’accueil assez froid d’ailleurs qu’on fit à mon ouvrage. » (Vie de Hume, traduction Suard).
  6. Théorie des sentiments moraux, p. 149 et 276.
  7. Nous voulons parler du passage suivant de l’Éloge de M. Benjamin Delessert, lu à l’Académie des sciences par M. Flourens, au mois de mars 1850 : « Adam Smith lui apprit, par ses livres, à raisonner clairement sur l’économie politique, et, par son exemple, à ne pas trop se fier à ses raisonnements : le partisan le plus zélé du libre-échange est mort commissaire général des douanes en Écosse. »
  8. « Tels sont, dit-il quelque part, les malheureux effets de tous les règlements du système mercantile ! Non-seulement ils font naître des maux très dangereux dans l’état du corps politique, mais encore ces maux sont tels qu’il est souvent difficile de les guérir sans occasionner, pour un temps au moins, des maux encore plus grands. » (Rich. des Nations, II, 233).
  9. Rich. des Nations, II, p. 578, 581 et 582.
  10. Voir le Moniteur universel du jeudi 11 mars 1790.
  11. Présenté à la Société royale d’Édimbourg, et traduit, en tête des Essais philosophiques, par P. Prevost, de Genève.
  12. Taine, La Fontaine et ses Fables, 4e édit., p. 39.
  13. W. Bagehot, Fortnigtly Review, loc. cit.
  14. Lord Brougham, Lives of men of science, etc.
  15. Lord Brougham, loc. cit.
  16. W. Bagehot. loc. cit.
  17. Encyclopædia Britannica (6e édition), art. Smith. « You must have remarked that I am a beau in nothing but my books. »
  18. Comme dans l’Université de Paris, sur le modèle de laquelle avait été organisée celle de Glasgow, les étudiants étaient divisés en nations.
  19. Après le chancelier, personnage d’un rang illustre, chargé de protéger la corporation et de la représenter dans ses rapports avec l’État, le recteur était le premier dignitaire de l’Université. Jusqu’en 1577, il avait eu des attributions et des prérogatives importantes. Les jours de solennité, il paraissait en grande tenue, précédé du bedeau et accompagné d’une suite nombreuse ; tous les suppôts (et on désignait à la fois sous cette dénomination les maîtres, les gradués, les étudiants et même les employés subalternes. devaient prêter entre ses mains serment d’obéissance, et il avait à leur égard des pouvoirs disciplinaires très-étendus. Mais en 1577, Jacques VI, sur la proposition du régent Morton, avait modifié profondément l’organisation de l’Université par la charte Nova Erectio, et l’institution d’une cour disciplinaire spéciale (juridictio ordinaria), composée du principal et des professeurs dérobe, avait enlevé au recteur toute autorité effective.
  20. Dugald Stewart, traduct. P. Prevost, loc. cit.
  21. Voir les discours de Pitt sur les Rapports commerciaux avec l’Irlande (22 février 1785) et sur le Traité de commerce signé avec la France le 26 septembre 1786. — Rapprocher notamment les projets de Pitt sur l’Irlande du projet d’Union développé par Adam Smith dans ses Recherches, t. II, p. 663.
  22. Vie de William Pitt, par lord Stanhope, traduct. Guizot, t. II, p. 139.
  23. Thomas Buckle : Histoire de la Civilisation en Angleterre, traduct. Baillot, t. I, p. 240.
  24. Parliamentary History, t. XXIII, p. 778, loc. cit.
  25. Dans un article paru dans le Die Geyenwart, de Berlin, le 26 février 1876, et traduit par le Journal des Économistes (1876, t. II, p. 258), M. de Studnitz a insisté sur ces faits. Durant un récent voyage en Angleterre et en Écosse, il avait cherché vainement les monuments qu’on avait dû élever à la gloire d’Adam Smith, et, au cimetière de Canongate où il était allé faire un pieux pèlerinage, il avait eu même beaucoup de peine à trouver le tombeau du célèbre économiste. « Il faut passer, dit-il, sur beaucoup d’autres tombes pour en approcher. Il est adossé contre le mur de derrière d’un bâtiment habité par un employé et dont une fenêtre donne de ce côté. Contre le mur s’appuie une pierre peu ornée, d’environ dix pieds de hauteur, où se trouve la simple inscription que voici : Ici sont déposés les restes d’Adam Smith, auteur de la Théorie des sentiments moraux et de la Richesse des Nations. Il était né le 5 juin 1723 et il mourut le 17 juillet 1790… La tombe est complètement négligée : des tessons, des écailles d’huîtres la couvrent en partie, et les mauvaises herbes, qui croissent en abondance, ne parviennent pas à voiler ces débris, car on paraît en jeter de temps en temps de nouveaux sur le tombeau, de la fenêtre qui se trouve au-dessus. » — Quant à des statues, les compatriotes d’Adam Smith n’ont pu nous en indiquer aucune, on sait cependant que l’Université d’Oxford avait confié à un sculpteur autrichien, M. Garser, la mission d’en exécuter une ; il parait même que cette statue a été faite d’après le médaillon de Tassie et la silhouette dessinée par Kay en 1790, silhouette qui se trouve actuellement à Oxford dans la Randolph Gallery, mais on n’a pu trouver l’endroit où elle a été placée. Ajoutons cependant qu’il existe un petit buste d’Adam Smith, en marbre, par Maricotti, oublié dans un coin du Townhall de Kirkaldy.