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Adresse de la Confédération des six comtés au peuple du Canada

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ADRESSE
DE LA
CONFÉDÉRATION
DES SIX COMTÉS
Au Peuple du Canada


Concitoyens,

Quand un peuple se trouve invariablement en butte à une suite d’oppressions systématiques, malgré ses vœux exprimés de toutes les manières reconnues par l’usage constitutionnel, par des assemblées populaires et par ses représentants en parlement après mûre délibération ; quand ses gouvernants, au lieu de redresser les maux divers qu’ils ont eux-mêmes produits par leur mauvais gouvernement, ont solennellement enregistré et proclamé leur coupable détermination de saper et de renverser jusqu’aux fondations de la liberté civile, il devient impérieusement du devoir du peuple de se livrer sérieusement à la considération de sa malheureuse position, — des dangers qui l’environnent, — et, par une organisation bien combinée, de faire les arrangements nécessaires pour conserver intacts leurs droits de citoyens et leur dignité d’hommes libres.

Les sages et immortels rédacteurs de la déclaration de l’Indépendance Américaine, consignèrent dans ce document les principes sur lesquels seuls sont basés les droits de l’homme et revendiquèrent et établirent heureusement les institutions et la forme de gouvernement qui seules peuvent assurer permanemment la prospérité et le bonheur social des habitants de ce continent, dont l’éducation et les mœurs, liées aux circonstances de leur colonisation, demandent un système de gouvernement entièrement dépendant du peuple et qui lui soit directement responsable.

En commun avec les diverses nations de l’Amérique du Nord et du Sud qui ont adopté les principes contenus dans cette Déclaration, nous regardons les doctrines qu’elle renferme comme sacrées et évidentes : que Dieu ne créa aucune distinctions artificielles entre l’homme et l’homme ; que le gouvernement n’est qu’une simple institution humaine formée par ceux qui doivent être sujets à son action bonne ou mauvaise, et consacrée pour l’avantage de tous ceux qui consentiront à venir ou à rester sous sa protection ou sous son contrôle, et que conséquemment la forme en peut être changée dès qu’elle cesse d’accomplir les fins pour lesquelles ce gouvernement fut établi ; que les autorités publiques et les hommes au pouvoir ne sont que les exécuteurs des vœux légitimement exprimés de la communauté, honorés quand ils possèdent la confiance publique, et respectés aussi longtemps qu’ils jouissent de l’estime publique, et qui doivent être déplacés du pouvoir dès qu’ils cessent de donner satisfaction au peuple, seule source légitime de tout pouvoir.

En conformité avec ces principes et sur la foi des traités et des capitulations arrêtés avec nos ancêtres et garantis par le parlement impérial, le peuple de cette province n’a cessé, depuis de longues années, par de respectueuses requêtes, de se plaindre des abus intolérables qui empoisonnent ses jours et paralysent son industrie. Loin que des réparations aient été concédées à nos humbles prières, l’agression a suivi l’agression, jusqu’à ce qu’enfin nous ne paraissons plus tenir à l’empire britannique pour notre bonheur et notre prospérité, nos libertés et l’honneur du peuple et de la couronne d’Angleterre, mais en vue seulement d’engraisser une horde inutile d’officiels, qui non contens de jouir de salaires énormément disproportionnés aux devoirs de leurs charges et aux ressources du pays, se sont combinés en une faction uniquement mue par l’intérêt privé à s’opposer à toutes les réformes, à défendre toutes les iniquités d’un gouvernement ennemi des droits et des libertés de cette colonie.

Quoique l’on soit universellement convenu de la justice de nos demandes, de la sagesse et de la prudence qu’il y avait à porter remède à nos maux, nous supportons cependant encore l’insupportable fardeau d’un exécutif irresponsable sous la direction d’un chef ignorant et hypocrite. Nos juges dépendans, comme condition attachée à leurs commissions, de la seule volonté et du bon plaisir de la couronne, presque tous partisans violens d’une administration corrompue, et plus absolument les instruments mercenaires de l’exécutif, en acceptant en violation de tout principe d’indépendance judiciaire les gages de leur servilité d’une autorité étrangère, sans le consentement du peuple, auquel seul appartient, par l’intermédiaire de ses représentants, le droit exclusif de voter les salaires des serviteurs publics ; les hommes en place dans cette province dévorant nos revenus par des salaires si extravagans qu’ils nous privent des fonds nécessaires pour l’amélioration générale du pays, ce qui fait que nos travaux publics sont arrêtés et que la navigation de nos rivières continue à être obstruée ; un conseil législatif nommé par des hommes à mille lieues du pays, et systématiquement composé de manière à paralyser et à détruire les efforts de nos représentans librement choisis, dans toutes les mesures propres à promouvoir le bien public après être resté sans changement sous l’administration actuelle, privant par là le pays des avantages de la législation intérieure, a enfin été modifié d’une manière insultante pour toutes les classes de la société, disgracieuse pour la moralité publique, et qui anéantit le respect et la confiance de tous les partis dans cette branche de la législature, par suite de l’introduction d’hommes pour la plupart notoires seulement par leur incapacité, et remarquables de même par leur insignifiance politique, rendant ainsi évidentes, jusqu’à la démonstration même, pour tous, quelques puissent être leurs idées préconçues, la convenance et la nécessité urgentes d’introduire le principe d’élection dans ce corps, comme la seule méthode propre à mettre la législature provinciale à même de procéder avantageusement à l’expédition des affaires publiques.

Nos municipalités sont entièrement détruites ; les campagnes de cette province, formant une exception disgracieuse aux autres parties de ce continent, sont absolument privées de tout pouvoir de régler, dans une capacité municipale, leurs affaires locales, par le moyen d’officiers de paroisse et de township librement élus ; la génération croissante est privée des bienfaits de l’éducation, les écoles primaires qui donnaient l’instruction à 40,000 enfants ayant été fermées par le conseil législatif, corps hostile au progrès des connaissances utiles, et porté à cet acte par un exécutif opposé à la dissémination des lumières générales parmi le peuple ; — le collège des jésuites, fondé et doté par le gouvernement prévoyant qui colonisa cette province, pour l’encouragement et la diffusion du savoir et des sciences, a, avec une barbarie indigne des gouvernans d’un état civilisé, disgracieuse pour le siècle éclairé où nous vivons et qui est sans parallèle même parmi les Goths et les Vandales, été converti en casernes, et comme telles retenu toujours à l’usage d’une soldatesque, tandis que les fonds et les propriétés consacrés au maintien de cet établissement et autres institutions semblables ont été et continuent d’être gaspillés et mal administrés, pour l’avantage des favoris, des créatures et des instruments du gouvernement ; nos citoyens sont privés du bénéfice de jurés choisis impartialement, et persécutés arbitrairement par les officiers de la couronne qui, pour remplir les buts du gouvernement vindicatif dont ils sont les créatures, ont exhumé des procédés d’un caractère suranné, et dont on ne trouve de précédens que dans les plus sombres pages de l’histoire britannique. Ainsi, nos tribunaux étant souillés par les conspirations combinées d’un mauvais exécutif, de juges serviles, d’officiers en loi partisans et des shérifs politiques, l’innocent et le patriote sont exposés à être sacrifiés, tandis que les ennemis du pays et les violateurs de toutes les lois sont protégés et patronisés selon qu’il plaît à l’administration d’écraser et de détruire, de sauver et de protéger. Notre commerce et notre industrie domestique sont paralysés ; nos terres publiques aliénées, pour un prix nominal, à une compagnie de spéculateurs, étrangers au pays, ou données à d’insolens favoris comme récompense de leur servilité ; notre argent nous est extorqué sans notre consentement, en forme de taxes imposées inconstitutionnellement par un parlement étranger pour être ensuite converties en un instrument de notre dégradation, distribuées qu’elles sont parmi une bande criarde d’officiels, contre notre volonté, sans notre participation, et en violation de tous les principes des lois constitutionnelles.

Au milieu de leurs efforts honnêtes et infatigables pour obtenir le redressement des griefs qui précèdent, nos compatriotes ont été avec insolence appelés à rendre compte de leur conduite publique, dont ils ne sont responsables à qui que ce soit et encore bien moins à l’individu que le hazard ou le patronage ministériel place pour un temps à la tête de notre gouvernement provincial. On les a harassés et vexés par des démissions de places purement honorifiques, tenues pour l’avantage et à la réquisition de leurs voisins immédiats, et cela pour avoir revendiqué les droits de leur patrie, comme il convient à des hommes libres de l’Amérique ; et comme un indice que l’on a dessein de pousser l’agression encore plus loin, des troupes armées doivent être stationnées dans un temps de paix profonde dans toute l’étendue du pays, avec le dessein arrogant et malicieux de comprimer par la force physique l’expression de l’opinion publique, et de compléter au moyen de la violence et de l’effusion du sang notre esclavage et notre ruine déjà décidée de l’autre côté des mers.

Une telle agression est plus que suffisante pour justifier chez un peuple outragé, le recours à tous et à chacun des moyens de conserver le dernier de ses privilèges insultés, le droit de faire entendre ses plaintes. Mais grâce à l’aveuglement de nos agresseurs, la méchanceté de cette mesure trouvera par les soins de la providence son antidote dans sa folie même. Les régiments que l’on se propose de distribuer au milieu de nous se composent d’hommes sortis et élevés au milieu de la démocratie de leur pays. La plupart d’entr’eux ont embrassé leur profession actuelle, non par choix, mais parcequ’ils n’ont pu trouver d’autre emploi qui pût les faire vivre dans leur pays natal. Au lieu de stimuler chez eux la noble émulation d’une bonne conduite par l’espoir de l’avancement aux grades plus élevés, ils sont pauvrement payés, et sont exposés à toutes sortes de petites tyrannies, et le murmure vient-il à s’échapper de leurs lèvres en véritables esclaves, ils sont aussitôt soumis à la peine ignoble du fouet. Si l’on met en contraste cette dure destinée avec la liberté, le consentement, la facilité d’obtenir des emplois et de forts salaires dans les États-Unis, avec la certitude que les habitans de ces comtés qui avoisinent et bornent les lignes ne mettront point d’obstacles aux tentatives des soldats pour émigrer à la république voisine, on verra qu’il est moralement impossible de retenir dans la province de sa majesté, et lorsqu’ils seront une fois dispersés en détachements, des hommes dont on veut faire de vils instruments de notre esclavage et de leur propre déshonneur.

La longue et lourde chaîne d’abus et d’oppressions qui pèse sur nous, et à laquelle chaque année vient s’ajouter un nouveau chaînon non moins fâcheux, prouve que notre histoire n’est qu’une récapitulation des maux que les autres colonies ont endurés avant nous. Nos griefs ne sont qu’une seconde édition des leurs. Nos réclamations en faveur d’un soulagement sont les mêmes. Comme les leurs, elles ont été traitées avec dédain et mépris, et n’ont attiré sur les pétitionnaires qu’une augmentation d’outrages et de persécutions. Ainsi l’expérience du passé démontre la folie d’attendre et espérer de la justice des autorités Européennes.

Toute sombre et toute peu flatteuse que peut être la perspective actuelle de notre bien-aimée patrie, nous trouvons dans les vertus publiques de nos compatriotes un encouragement à espérer que le jour de notre régénération n’est pas bien éloigné. Les manufactures domestiques se ramifient parmi nous avec une rapidité bien propre à nous réjouir au milieu de la lutte.

L’impulsion donnée depuis quelque peu de mois par l’exemple de citoyens généreux et pleins de patriotisme, en portant des habits faits d’étoffes manufacturées dans le pays, a été généralement suivie et sera avant peu universellement adoptée. La détermination de ne consommer aucune marchandise grevée d’impôts, et d’encourager un commerce libre avec nos voisins, deux objets d’une importance vitale, devient de jour en jour plus générale, plus résolue et plus effective. Le peuple doit tout partout être imbu de la conviction que les grands sacrifices à faire doivent être en proportion de l’objet glorieux que l’on a en vue d’accomplir, et que les inconvénients personnels qui seront la conséquence en faveur de la bonne cause doivent être endurés non seulement avec bonne volonté mais aussi avec fermeté.

Concitoyens ! Confrères d’une affliction commune ! Vous tous, de quelque origine, langue ou religion que vous soyez, à qui des lois égales et les droits de l’homme sont chers ; dont les cœurs ont palpité d’indignation à la vue des insultes innombrables que votre commune patrie a eu à essuyer, et qui si souvent avez éprouvé une juste alarme, en roulant dans vos esprits le sombre avenir que la maladministration et la corruption promettent à cette province et à votre postérité ; au nom de cette patrie et de la génération qui s’élève, n’ayant plus d’espoir que sur vous, nous vous sollicitions de prendre, au moyen d’une organisation systématique dans vos paroisses et vos townships respectifs, cette attitude qui peut seule vous attirer le respect pour vous même, et le succès de vos demandes. Que des comités de vigilance entrent tout à la fois en opération active dans tous vos voisinages respectifs. Retirant votre confiance à l’administration actuelle et à tous ceux qui seraient assez bas pour accepter d’elle aucune charge, assemblez-vous incontinent dans vos paroisses et élisez des magistrats pacificateurs, à l’exemple de vos frères réformistes du comté des Deux Montagnes, afin de protéger le peuple contre une dépense inutile et imprévue, et contre la vengeance de ses ennemis. Notre jeunesse, l’espoir de la patrie, devrait partout s’organiser à l’instar de leurs frères, les Fils de la Liberté, de Montréal, afin de se trouver prêts à agir avec promptitude et efficacité suivant que les circonstances pourront le requérir ; et les braves miliciens, qui deux fois par leur valeur et au prix de leur sang, ont défendu ce pays pour des dominations ingrates, devraient aussi s’associer dans ce moment sous des officiers de leur choix, pour la sûreté, le bon ordre et la protection de la vie et de la propriété dans leurs localités respectives. C’est par là que l’on pourra conserver heureusement les libertés coloniales.

Dans cet espoir et comptant pour notre émancipation du mauvais gouvernement sous lequel nous gémissons, sur la providence divine, dont nous implorons humblement les bénédictions sur nos efforts désintéressés, nous reposant sur l’amour de la liberté que l’air libre et les forteresses imprenables de l’Amérique peuvent inspirer à tous les cœurs du peuple en général, et sur la sympathie de nos voisins démocrates, qui dans l’établissement d’un gouvernement arbitraire sur leurs frontières, sont assez prudents et assez clairvoyants pour prévoir l’élévation d’un système qui pourrait servir de précédent et d’instrument de l’introduction d’un même gouvernement arbitraire dans d’autres parties du continent américain, et qui ne consentiront pas que les principes pour lesquels ils ont combattu avec tant de succès dans le dixhuitième siècle, soient dans nos personnes foulés aux pieds dans le dix-neuvième. Nous, les délégués des comtés confédérés de Richelieu, St. Hyacinthe, Rouville, l’Acadie, Chambly, et Verchères, enregistrons ici publiquement la résolution solennelle et déterminée du peuple que nous représentons, de mettre à effet, dans le plus court délai possible, les recommandations précédentes, et de ne jamais arrêter nos efforts patriotiques jusqu’à ce que les différents griefs dont nous nous plaignons aujourd’hui aient été redressés ; et par ces présentes, nous invitons tous nos concitoyens dans toute la province à unir leurs efforts aux nôtres afin de procurer à notre commune patrie un système de gouvernement bon, peu dispendieux et responsable.

Signé pour et au nom de la Confédération des six comtés, ce 24me d’octobre 1837.

Wd. NELSON,   Président.
J. T. DROLET,
F. C. DUVERT,
  Vice-présidents.
J. P. Boucher-Belleville,
A. Girod,
  Secrétaires.