Advis pour dresser une bibliothèque/Chapitre 8
l’ornement et la decoration que l’on y doit apporter.
je passerois volontiers de ce dernier poinct à celuy qui doit clorre et fermer cet advis, si je n’estois adverti par ce dire tres-veritable de Typotius, (…), de dire quelque mot en passant de la monstre exterieure et de l’ornement que l’on doit apporter à une bibliotheque, puis que ce fard et cette decoration semblent necessaires, veu que suivant le dire du mesme autheur, (…).
Et dire vray, ce qui me fait
plus facilement excuser la passion de ceux qui recherchent aujourd’huy cette pompe avec beaucoup de frais et despences inutiles ; c’est que les anciens y ont encore esté moins retenus que nous : car si nous voulons en premier lieu considerer quelle estoit la structure et le bastiment de leurs bibliotheques, Isidore nous apprendra qu’elles estoient toutes quarrelées de marbre verd, et couvertes d’or par les lambris, Boece que les murailles estoient revestuës de verre et d’yvoire, Seneque que les armoires et pulpitres estoient d’ebene et de cedre.
Si nous recherchons quelles pieces rares et exquises ils y mettoient, les deux Plines, Suetone, Martial et Vopiscus tesmoignent par toutes leurs œuvres qu’ils n’espargnoient ny or ny argent pour y mettre les images et statuës representées au vif de tous les galands hommes. Et finalement s’il est question de sçavoir quel estoit l’ornement de leurs volumes, Seneque ne fait autre chose que reprendre le luxe et la trop grande despense qu’ils faisoient à les peindre, dorer, enluminer, et faire couvrir et relier avec toute sorte de bombance, mignardise et superfluité.
Mais pour tirer quelque instruction de ce desordre, il nous faut eslire et trier de ces extremitez ce qui est tellement requis à une bibliotheque, qu’on ne puisse en aucune façon le negliger sans avarice, ou l’exceder sans prodigalité, je dis premierement qu’il n’est point besoin pour ce qui est des livres de faire une despense extraordinaire à leur relieure, estant plus à propos de reserver l’argent qu’on y despenseroit pour les avoir tous du volume plus grand et de la meilleure edition qui se pourra trouver ; si ce n’est qu’on vueille pour contenter de quelque apparence les yeux des spectateurs, faire couvrir tous les dos de ceux qui seront reliez tant en bazane qu’en veau ou marroquin, de filets d’or et de quelques fleurons, avec le nom des autheurs : pourquoy faire on aura recours au doreur qui aura coustume de travailler pour la bibliotheque, comme aussi au relieur pour refaire les dos et couvertures escorchées, reprendre les transchefils, accommoder les transpositions, recoler les cartes et figures, nettoyer les fueilles gastées et bref entretenir tout en l’estat necessaire à l’ornement du lieu et à la conservation des volumes.
Il n’est point aussi question de rechercher et entasser dans une bibliotheque toutes ces pieces et fragments des vieilles statuës, (…) ; nous estant assez d’avoir des copies bien faictes et tirées de ceux qui ont esté les plus celebres en la profession des lettres, pour juger en un mesme temps de l’esprit des autheurs par leurs livres, et de leur corps, figure et physiognomie par ces tableaux et images, lesquelles jointes aux discours que plusieurs ont fait de leur vie, servent à mon advis d’un puissant esguillon pour exciter une ame genereuse et bien-née à suivre leurs pistes, et à demeurer ferme et stable dans les airs et sentiers battus de quelque belle entreprise et resolution.
Encore moins faut-il employer l’or à ses lambris, l’yvoire et le verre à ses parois, le cedre à ses tablettes, et le marbre à ses fonds et planchers, puis que telle façon de paroistre n’est plus en usage, que les livres ne se mettent plus sur des pulpitres à la mode ancienne, mais sur des tablettes qui cachent toutes les murailles ; et qu’au lieu de telles dorures et paremens l’on peut faire vicarier les instruments de mathematiques, globes, mappemonde, spheres, peintures, animaux, pierres, et autres curiositez tant de l’art que de la nature, qui s’amassent pour l’ordinaire de temps en temps et quasi sans rien mettre et desbourser.
Finalement ce seroit une grande oubliance, si apres avoir fourny une bibliotheque de toutes ces choses, elle n’avoit point ses tablettes garnies de quelque petite serge, bougran ou canevas accommodé à l’ordinaire avec des cloux dorez ou argentez, tant pour conserver les livres de la poudre, que pour donner une grace nompareille à tout le lieu ; et aussi si elle venoit à manquer et estre despourveuë de tables, tapis, sieges, espousettes, boules jaspées , conserves, horloges, plumes, papier, ancre, canif, pouldre, almanach, et autres petits meubles et instruments semblables, qui sont de si petite valleur et tellement necessaires, qu’il n’y a point d’excuse capable de mettre à couvert ceux qui negligent d’en faire provision.