Agésilas (Trad. Talbot)/09

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Traduction par Eugène Talbot.
Œuvres complètes de XénophonHachetteTome 2 (p. 454-455).



CHAPITRE IX.


Parallèle entre Agésilas et le roi de Perse.


Maintenant je vais dire comment sa manière de vivre était l’opposé du faste du roi de Perse. Et d’abord, celui-ci affectait de se montrer rarement ; Agésilas aimait à se produire sans cesse, persuadé que, s’il convient à l’infamie de se cacher, le grand jour prête un nouveau lustre à une belle vie. L’un se faisait une gloire d’être inaccessible ; l’autre, une joie d’être accessible à tous. L’un se targuait de sa lenteur en affaires, l’autre était heureux de satisfaire vite ceux qui avaient besoin de lui. Pour leurs plaisirs, combien Agésilas, si l’on veut y songer, excellait à se les donner plus faciles et plus parfaits ! On court toute la terre, pour procurer au roi de Perse des breuvages agréables ; des millions d’hommes s’ingénient à lui préparer des mets exquis ; et pour qu’il repose, que de soins indicibles ! Agésilas, grâce à son amour du travail, buvait avec plaisir ce qui lui tombait sous la main, mangeait avec plaisir la première chose venue ; et, pour dormir commodément, toute place lui était bonne. Et non-seulement il trouvait là son bonheur, mais encore il était transporté de joie, en pensant qu’il avait toutes ces jouissances à sa portée, tandis qu’il voyait le barbare vivre tristement, si des extrémités de la terre on ne lui rassemblait des plaisirs. Une chose qui le charmait encore, c’était de pouvoir s’accommoder sans peine aux saisons réglées par les dieux, tandis qu’il voyait le Perse évitant le chaud, évitant le froid, par faiblesse d’âme, et menant la vie non des hommes de cœur, mais des animaux craintifs.

N’est-ce pas encore une belle chose, et qui prouve son grand sens, qu’il ait pris soin de faire briller sa maison d’exercices et d’objets virils, nourrissant quantité de chiens de chasse et de chevaux de guerre ; engageant Cynisca, sa sœur, à élever des attelages de char, et faisant remarquer, quand elle était victorieuse, que cet entretien était moins une preuve de courage que d’opulence ? N’était-ce pas une marque de son grand cœur de penser que pour avoir vaincu des particuliers, il n’en serait pas plus célèbre ; mais que, s’il avait une ville chérie de tous, s’il se faisait de nombreux et excellents amis par toute la terre, s’il se plaçait au-dessus de sa patrie et de ses amis par ses bienfaits, de ses ennemis par ses victoires, il serait réellement vainqueur dans la plus belle et la plus honorable de toutes les luttes, et se ferait un nom durant sa vie et après sa mort ?