Agar (Giraud)

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Agar (Giraud)
La Jeune BelgiqueTome deuxième (p. 141).


AGAR


À LA MÉMOIRE DE GUSTAVE DORÉ.


Le ciel immense et rond, où l’orbe éblouissant
Du soleil aboli laisse une rouge tache,
Et sur l’ombre du soir brusquement se détache,
Semble un œil noir et fou qui s’injecte de sang.

Une étrange clarté, fausse comme un mensonge,
Une méchanceté lumineuse apparaît
Au-dessus de la vague et lointaine forêt
Qui s’éplore, — absorbée en la vapeur d’un songe.

Les rochers allongés dans un stupide ennui,
Comme un hideux troupeau de chimères géantes,
Ouvrent des trous pareils à des gueules béantes,
Aboyant à l’horreur muette de la nuit.

Le paysage pâle et sombre a l’air d’attendre ;
Et, sous la paix subite et lugubre du vent,
S’alanguit au travers d’un silence vivant,
D’un silence que seule une âme sait entendre.

Un silence orageux, qui voudrait se muer
En de rauques clameurs et des appels farouches,
Un silence où l’on sent de douloureuses bouches,
Des lèvres à jamais aphones remuer.

Fuyant devant Sara, femme du patriarche,
Soudain la concubine Agar, jaune de fiel,
Sur la lividité sympathique du ciel,
Surgit, les bras ouverts, — comme une croix qui marche !

ALBERT GIRAUD.