Agnès de Navarre-Champagne - Poésies, 1856.djvu/Le lay d’amoureuse Mercy

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Poésies d’Agnès de Navarre-Champagne, dame de Foix
Texte établi par Prosper Tarbé (p. 47-53).


LE LAY D’AMOUREUSE MERCY.




On parle de richesse et de grant signourie,
D’avoir sens, los, puissance,
Biauté, noble lignîe,
De grant prouesse acquerre, d’onneur, de courtoisie,
Mais qui n’a souffîsance, je di qu’il mendie ;
Car si quanque nature as eureus ottrie,
Et quanqu’il ha au monde, et plus que je ne die,
Seroit à un seul homme comme amis et amie,
S’il ne li souffîsoit, riches ne seroit mie.
Qu’il n’ut mis assevis, pot estre en mendiance ;
Mais quant un petis noms prent en gré sa chevance,
Si qu’elle li souffît, on dist en audience
Qu’il est riches corne est li rois de France.

Si puis par ce prouver qu’avoir ne grant science,
Prouesse, honneur, biauté, lignage ne vaillance,
Nature, n’autre rien du monde n’ont puissance
De faire riche un cuer s’il n’i a souffîsance.

— 48 —

Ainssi est des amans qui vivent en désir —,
Il en y a aucun qu’on ne puet assevir.
N’il ne prendent en gré gracieus recueillir,
Dous ris, ne biaus parler que il puissent oïr :
Ains mendient des biens qu’amours a à partir,
Et s’en ont à plenté pour leurs cuers soustenir,
Mais pas ne leur souffit * si ne font que languir,
Quant à joie grigneur ne pueent avenir.

Et des autres y a qui ne vuellent joïr

Fors d’un très dous regart, ou de leur dame voir,

Ou de ce qu’il feront doucement conjoir,

Ou d’amer loyaument, s’on le daigne souffrir ;

Et si bien leur souffit, qu’il ne leur puet venir

Cuer de plus désirer, tant y ont grant plaisir,

Dont qui l’un de ces biens prent à goust de mérir,

Je dis qu’il a mercy, quant plus ne vuet quérir.

Car avis m’est que mercy autre chose
N’est, fors avoir ce qu’amans plus désire.
Et s’il ha son désir, sans contredire
Il ha mercy, dont en pais se repose ;
Mais jà mercy n’iest un amant enclose
Pour rien qu’amours puisse faire ne dire ;
Car souffisance à li ne fait souffire,
Qui des vertus est la fleur et la rose.

Si veil mercy souffisance appeler,

Et ensiment souffisance mercy,

Car c’est tout un t ne je ne puis trouver

Que qui a l’un, qu’il n’ait l’autre aussi,

— 49 —

Quant en amours ne veoir nef ûis €yy
Que l’un puist pas sans l’autre se durer*
Qu’on ne porroit nuellement ; séparer :  :
L’un de l’autre, tant sont joint et ouniv

Si se doit moult lôyaus amans pener
De faire tant qu’il ait le dous ottri
Qu’on appelle mercy guerredonner ;
Et quant il ha, il le doit garder si
Com sa vi et corn l’onneur de li,
Mur souffisance en son cuer ârester *
Car s’il les a, plus ne pu et désirer-
Ne plus voloir, ains a cuer assevL

Et quant dame de sa noblesse
Peut faire de don tel hautesse
Et garir de toute tristesse,
Sans ce qu’en riens en soit grevé

Gilz est eureus qui s’adresse
A servir si bonne maistresse v
Si doit estre comme déesse
De li servie et aourée.

Et dame doit faire largesse

De ses riches dons, sans promesse :

Mais qu’au donner s’onneur ne blesse ;

Car là doit bien estre avisée.

Et lors, s’ils ont la droite adressé,

De soufîîsance ils ont richesse,

Pais et repos, déduit, liesse,

Un seul cuer et une pensée.

— 50 —

Car il n’a pas de moïen 5 u J>K
Ains ont tout une Yolenté^ !  ;  ;  ; — ; ->., > ;
Une plaisance j >mm santé ;,. ; —^ > \ ] y
Une vie et un parfait bien-._ ;  :  ; j ; y, }
Qui n’a deffaut.de nulle rien., ;  ; _f » j, j

C’est la fontainne de plenté,
C’est la fleur de toute bonté •
C’est le souverain bien terrien.

 — r ! I ( ; î j’! — il’] \< ;. t •’.

Nuiz d’eulz ne scet dire V c’est mien,
Pour ce que c’est une unité,
Conjointe par vraie amitè, ,
Sans barat et sans mal engien.

C’est le droit neu, c’est le lien
De foy, de pais, de loyauté,
De joie, d’onneûr, d’onnésté^
Maint vray amant le scevent bien.

Si ne tient pas à amours j
N’a moy, que mes dôus amis
N’ait souffisance et secours
Et qu’il ne soit assevis ;
Car de tout le bon confort
Que parler puis, le confort
Et conforterai toudis,
Sauve m’onnéur, par le sort
D’amours qui à ce m’a mis.

De mes loyaus cuers aillours,
Ne porroit estre pensis, ,

— 51 —

Pour ce que c’estimes reçoùrsl v
Et mes humains paradisJj’j' : h — n
Et s’il vuet aiïfere, déport " o ?  ;  ! f ^n{
Je di.que foy en îidort, 5 ty
Et qu’il esWâmourë partisU — —’- ;  :
Car qui plus quiert, il ha tort,
Et c’est d’onneur anemis.

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Qu’amours ha nature

Si noble’et si pure, J

Qu’il n’est créature

Qu’elle ne forjurë, ’..’u’;’

Ne dont elle ait cure

S’il pense à laidure.

IVÏais ce m’asseure
Que raison, mesure,
Loyauté, droiture
Sont en la figure
Qui me tait pointure L :  : }1 > :
Souvent douce et sure.

Dont jà ne eroiray
Que mon amy gay
N’ait fin cuer et vray ; y
Pour ce ; accomphray,
Tant corn je porrai,
Son veil bonnement.
Que si bon le sçay
Que n7 en par tir ay^
Ne repentiray.

— 52 —

Ainsois l’aimeray,
Tant com je vivray
De cuer loyaument.

Pour griete, n’elmay
Ne Foublieray,
Ne déguerpiray :
Foy li porteray,
Pais li garderay,

Et souverainement
Son honneur voirray.
Joie li guerray,
Toute à li seray,
Et quant je morray,
Mon cuer li lairay :

C’iest mon testament.

Si qu’en pais vit,
Qui abélist,
Et en délit
Qui s’esbaudit,
Ce renverdist,
Ce rejoïst,
Ce rajonist
Son esperit.
Ce l’embellist,
Ce Fadoucit,
Ce l’agencit,
Ce l’apertit,
Ce le nourrit
Et l’enrichit
Et l’assevit,
Qu’il li souiïîL

Si que plorer,
Ne tristotnv

N’anoy,
N’a, n’irour,
Ni dolour, ,

Ce croy, ;  ;
S’e savour •
Et douçour, i

D’ottroy
Nuit et jour,
Fait séjour

En soy.

Dont, quant de li amie, _ ; — ^

Et loyaument chiérie,

Suy, oriente, désirée,

Honnourée, obéie

Sans vilainne pensée

Et humblement servie,

Estre ne doy blâmée,

Si m’amour li ottrie,
Pour ce de courage, de volenté jolie,
De pensée amoureuse, en plaisance norrie,
Li doing m’amour entière : or soit miens sens partie ;
Car je veil estre sienne tous les jours de ma vie.

Explicit le lay d’amoureuse Mercy*

FIN.