Album, 2e trim. 1830/01

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Quelques négocians anglais reçurent, en 1600, de la reine Élisabeth, une charte de corporation pour faire le commerce de l’Inde ; et cette association peu importante dans le principe fut l’origine de la puissance colossale qui, sous le nom de Compagnie des Indes-Orientales, a agrandi l’empire britannique au-delà de toute espérance et a acquis elle-même une prépondérance et un immense pouvoir qui peut-être touchent à leur terme. La charte, accordée pour des époques déterminées, a toujours été renouvelée à son expiration, et le parlement britannique, dans sa session de cette année, est appelé à prononcer sur un cas semblable. Subissant la loi de tous les corps sociaux qui jouissent d’une grande masse de pouvoir, de richesses et de célébrité, la compagnie des Indes voit s’élever contre son existence de violentes oppositions. Dans tous les points des trois royaumes, des associations, formées de personnages influens, demandent l’abolition de la compagnie et la liberté du commerce des Indes-Orientales. Ces débats, quelle qu’en soit l’issue, nous paraissent de nature à attirer l’attention sur un écrit, que nous avons en ce moment sous les yeux, intitulé : Mémoires relatifs à l’expédition anglaise partie du Bengale en 1800, pour aller combattre en Égypte l’armée d’Orient, par M. le comte de Noé, pair de France. L’auteur, qui fit partie de cette expédition comme lieutenant d’infanterie, donne des détails circonstanciés et nouveaux sur les forces militaires et les ressources de la compagnie, sur les troupes indigènes ou les Cipayes, auxquels il paie un juste tribut d’éloges, et enfin sur les mœurs et l’histoire naturelle du pays. Après avoir décrit dans un tableau rapide et animé sa traversée du Bengale en Égypte, la marche de l’armée anglaise à travers le désert, son arrivée sur les bords du Nil, etc., il assiste aux derniers événemens de la guerre, et termine par des réflexions pleines de sagesse, sur la situation de l’Égypte au moment où il la quitta, comparée à celle qu’elle présente aujourd’hui sous le gouvernement énergique et habile du vice-roi[1].

— À aucune époque on ne vit autant de points de rapprochement entre la France et l’Angleterre ; et cette particularité fort remarquable nous semble être moins le résultat d’un long état de paix, que celui de la direction des esprits portés plus que jamais aux investigations, aux découvertes et aux comparaisons. Il faut observer aussi qu’en cherchant à constater les points de rapports ou de différences qui existent entre nous et nos voisins, ce ne sont plus des bizarreries de mœurs, des singularités de caractère qui nous occupent. Dirigeant notre examen vers des sujets d’une toute autre importance, nous aimons à rapprocher la législation des deux pays, et en opposant l’une à l’autre, à remonter à la source des imperfections que chacune d’elle offre encore.

Ces réflexions nous sont inspirées par la lecture d’un ouvrage auquel le nom qui y est attaché serait déjà un garant de succès si l’importance du sujet et un mérite réel ne le recommandaient puissamment à l’attention des lecteurs. En effet, les Lettres sur la cour de la chancellerie d’Angleterre et sur quelques points de la jurisprudence anglaise, publiées avec une introduction, par M. Paul Royer-Collard[2], forment sans contredit l’ouvrage qui donne les renseignemens les plus éclairés et les plus positifs sur la législation de nos voisins. Ces notions sont précédées, ainsi que l’annonce le titre, par une Introduction consacrée à des réflexions sur notre propre système judiciaire qu’elle met en regard avec celui que cet écrit est destiné à développer. Nous regrettons que notre cadre nous interdise de donner plus de développement à l’examen d’une publication aussi consciencieuse, sur laquelle, d’ailleurs, nous nous promettons de revenir.

— La commission chargée de prononcer sur le concours ouvert pour l’exécution du fronton de l’église de la Madeleine a fait connaître sa décision. On se rappelle que le sujet de ce fronton vraiment colossal était la Madeleine aux genoux du Christ. Nous sommes heureux de pouvoir dire que la commission a confirmé le jugement des hommes éclairés ; elle a choisi M. Lemaire. Celui-ci avait, il faut l’avouer, un redoutable concurrent, M. Pradier, à qui nous devons les belles statues du Niobide, de la Vénus, exposées au Luxembourg, et plusieurs autres ouvrages très-remarquables. M. Lemaire est un jeune sculpteur qui se distingue autant par sa modestie que par son talent. Nous avions été à même d’apprécier l’un et l’autre dans un voyage que nous fîmes, il y a quelques années, à Rome, où nous le trouvâmes occupé à terminer dans le silence de la retraite les études profondes qui devaient lui assurer le succès qu’il vient d’obtenir.

Voici le résultat du concours : il y avait 15 votans.

Premier tour de scrutin : MM. Pradier et Lemaire,

Premier tour de scrutin : MM. Pradier et Lemaire, chacun 
6 voix.
M. Guérard 
1
M. Jacquot 
2
Deuxième tour : M. Lemaire 
9


— Jamais élection ne fut plus vivement discutée que celle de M. de Pongerville à l’Académie française. Les concurrens étaient MM. de Pongerville, Cousin, Ancelot, Scribe et Casimir Bonjour. Après 13 tours de scrutin, qui n’avaient produit aucun résultat définitif, M. de Pongerville a enfin été élu à la majorité de 18 voix contre 15 obtenues par M. Ancelot.

Quoique nous ayons fait des vœux sincères pour le savant traducteur de Lucrèce, nous espérons vivement que les amis de M. de Pongerville appuieront une autre fois la candidature de M. Ancelot et de M. Cousin.

— Il y avait long-temps que l’Académie des inscriptions et belles-lettres n’avait eu à remplir autant de places vacantes dans son sein ; aussi les concurrens étaient-ils nombreux. Les choix ont généralement justifié l’attente de l’opinion publique. L’Académie a élu MM. Thurot, Champollion jeune, Thierry aîné, Lajard, Jaubert et Mionnet. Nous sera-t-il permis d’ajouter que la Revue des deux Mondes s’honore de compter depuis long-temps parmi les noms de ses collaborateurs ceux de MM. Jaubert et de Pongerville ?

— Il est rare qu’un écrit périodique ait l’heureux privilége d’être le premier à rendre compte d’un ouvrage notable. Les journaux quotidiens ont ordinairement l’avantage de précéder de quelques jours nos observations, et si le lecteur s’aperçoit souvent un peu trop de la précipitation du compte rendu ou du choix des citations, il sait au moins que l’ouvrage a paru.

Aujourd’hui c’est à nous à apprendre les premiers au public éclairé qu’un joli livre, renfermant de beaux vers, est en vente ; que son jeune auteur (M. de Beauchesne) est plein de la verve de Lamartine, et que son talent le place, dès le début, à l’un des rangs les plus distingués de la littérature nouvelle[3]. Dans l’embarras du choix, nous avons inséré l’Écolier, mais nous engageons nos lecteurs à lire Chamouni, la Jeune fille de l’Oberland, Cannes, la Vierge d’Argelès… Il faudrait tout citer ; nous nous arrêtons !…

— Encore des vers dira-t-on ? mais on en est rassasié, on ne les aime plus. Sans doute, et nous aussi avons lu trop de vers. Mais, parce que depuis Dorat jusqu’à M***, on voit fourmiller les mauvais poètes, faut-il qu’indifférens à la divine poésie, nous laissions surgir ignorés ces jeunes inspirés qui viennent livrer au mouvement passionné de notre âge leurs noms aventureux et leurs pages chaleureuses ? Non, nous nous croirions blâmables ; et puisque sur le nombre des poésies qui viennent de nous être adressées il se trouve deux ouvrages pleins de vie et d’espérance, nous devons les signaler.

Les poésies de M. de Saint-Félix ne sont pas toutes romaines, comme on a pu le voir, mais le choix que nous avons fait de Morica l’Arabe prouve que ce hors-d’œuvre a un cachet de mérite qui le rend digne de figurer partout avec avantage[4].

— Parmi les écrits périodiques que les besoins d’une civilisation progressive ont produits, on doit remarquer le Voleur et la Mode. Ces écrits ne sont point aussi futiles que leur titre pourrait le faire penser.

Le Voleur a rendu de vrais services à la presse, aux auteurs, et surtout aux journaux des départemens, car c’est à lui que nous sommes redevables de bons extraits d’une foule de journaux, revues etc., rédigés par des hommes distingués, et que la grande vogue du Voleur a fait connaître à la France entière et chez l’étranger.

La Mode a essayé de réparer la perte d’un auguste patronage, qu’elle regrette, par un meilleur choix dans ses articles, et, il faut le dire, ses abonnés se sont multipliés au-delà de toute espérance, depuis que MM. Eugène Sue, Balzac, Auger et d’autres bons écrivains sont devenus ses collaborateurs. Tout le monde connaît ou veut connaître Kernock, la Saint Alexandre, et les Scènes de la vie privée. Aussi sommes-nous heureux d’appeler l’attention de nos lecteurs sur deux ouvrages qui méritent une place si distinguée dans notre littérature moderne.

— Nous croyons devoir recommander également à l’attention publique l’Universel, qui, tout en réservant, peut-être à regret, de longues colonnes pour les débats politiques, trouve encore la place pour s’occuper de littérature, d’histoire, de voyages, de mœurs, etc.

Son numéro du 1er mai donne l’analyse du don juan, traduit de lord Byron par M. P. Paris, et compare avec discernement la traduction du même ouvrage par M. Amédée Pichot.

Nous partageons entièrement l’opinion de l’Universel sur la supériorité de M. Paris, surtout en ce qui concerne la scrupuleuse exactitude et la vérité du style de ce jeune littérateur, dont l’infatigable ardeur entreprend, comme délassement à ses occupations obligées de la Bibliothèque Royale, des travaux qui captiveraient la vie entière de tout autre écrivain.

— Les actionnaires de la Silhouette, journal des Caricatures, viennent de se réunir pour apporter quelques améliorations dans leur système de publication. Nous les en félicitons, car ce journal, conduit avec esprit, finesse et discernement, doit avoir de grands succès.

— Tout le monde se rappelle les utiles expériences faites par M. le chevalier Aldini, aux casernes des pompiers de Paris, pour les préserver de l’action de la flamme dans les incendies.

Cet estimable philantrope arrive d’Angleterre où ses épreuves à White-Hall Place et à Goswel-Road ont eu le même succès. M. Japlis, vice-président de l’institut mécanique, et lady Baterman, ont été les premiers en Angleterre qui aient voulu s’exposer aux expériences de M. Aldini. On ne peut s’empêcher d’admirer, dans l’ouvrage que publie en ce moment M. Aldini, le courage d’une faible femme, portant de ses mains délicates et inhabiles de grosses barres de fer chauffées jusqu’au degré d’incandescence.

M. Aldini a répété dernièrement quelques-unes de ses expériences devant une foule de savans et d’étrangers de distinction, parmi lesquels étaient M. le général Santander et M. Murphy (du Mexique).

Un des assistans, M. le baron de M…, a tenté l’expérience qui fait le sujet de la figure 2 de la planche ire de l’ouvrage de M. Aldini, en plaçant un doigt au milieu de la flamme d’une bougie et l’y laissant long-temps sans en éprouver aucun mal.

Il a ensuite essayé, avec le même succès l’expérience de la figure ii de la planche 2, avec le gant d’amiante, sans qu’il fût couvert de la gaze métallique.

M. de M… a pris alors un fer rouge, des charbons ardens, etc., sans éprouver aucun accident. Après avoir terminé l’expérience, il a vérifié que la chaleur de sa main droite qui s’était servie des appareils était seulement un peu plus intense que celle qui était restée dans l’inaction.

SS. le pape Léon xii, et la plupart des souverains de l’Europe, ont honorablement encouragé les efforts de M. Aldini. Espérons que le perfectionnement de ses appareils et la modicité de leur prix rendront d’un usage général son admirable découverte.

  1. Paris, Treuttel et Würtz. 1 vol in-8o.
  2. Paris. 1 vol. in-8o. 1830.
  3. Souvenirs poétiques, chez Delangle, place de la Bourse.
  4. Poésies romaines ; Paris, chez Delaunay.