Album 1831-2/01

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Anonyme

Antony, drame en cinq parties, par M. Alex. Dumas. — Le drame d’Antony, reçu et répété au Théâtre-Français, puis tout à coup transporté au théâtre de la Porte-Saint-Martin, devait être un sujet de problème pour bien de gens qui ne conçoivent pas que l’on puisse quitter un Palais-Royal pour un boulevart. L’auteur d’Antony a probablement pensé qu’il ne fallait que d’excellens acteurs et de bonnes pièces pour faire un Théâtre-Français, et que quelque loin que fût le boulevart, c’était encore la France. Il a été, du reste, accompagné dans son émigration par l’auteur d’Hernani et de Marion Delorme.

Ceux d’ailleurs qui ont pu s’étonner de cette transplantation du haut drame, ont oublié les beaux souvenirs qu’ont laissés Frédérik et madame Dorval dans plusieurs mélodrames remarquables. Leurs succès ont prouvé qu’ils étaient dignes de jouer toute espèce d’ouvrages, et la troupe actuelle, quoique privée de ce premier acteur, a brillamment soutenu la réputation méritée de ce théâtre, que la mort de Talma et la retraite de mademoiselle Mars, admirables talens si regretés, rendent encore plus précieux.

Le drame d’Antony n’a point d’analogie avec les autres ouvrages de M. Alex. Dumas. On y trouve moins de ces effets de théâtre si imprévus et si pittoresques, de cette multiplication de personnages et d’incidens qui caractérisent la manière de l’auteur de Stockholm et Fontainebleau et de Henri iii. L’action d’Antony est simple, claire, précise, nullement chargée d’épisodes ; on reconnaît seulement dans l’arrangement du petit nombre d’événemens dont M. Dumas a voulu se servir, cette admirable entente de la scène qui n’a jamais été contestée à ce jeune auteur. Mais il n’y a pas là affaire d’action : peu importent ces événemens ou d’autres, ce ne sont que les châssis sur lesquels le peintre fixe la toile qu’il va sillonner de larges et énergiques coups de pinceau.

Antony est la personnification dramatique des passions de l’homme civilisé, qui, à force d’analyser, a tout détruit, qui finit par ne plus reconnaître de prestige à ce que la société, à tort ou à raison, appelle devoir, à force de se demander pourquoi cela ?… Antony est revenu, par la longue route de la philosophie et des méditations, au point d’où il était parti : l’obéissance aveugle aux passions, qui, lorsqu’elles sont peintes avec les couleurs de M. Dumas, peuvent se passer d’excuses, mais qui en trouvent dans la position du héros de son drame, enfant trouvé, repoussé par le monde, hors de la société. Essayons d’indiquer l’action à laquelle M. Dumas a mêlé cet étrange personnage.

Nous apprenons au lever du rideau qu’Antony a aimé Adèle, femme du baron d’Hervey, avant qu’elle ne fût mariée, et qu’il en a été aimé ; il s’est retiré devant la concurrence d’un homme riche et noble, lui qui n’avait que de l’amour. Ne pouvant vivre cependant sans revoir la baronne, il lui demande par une lettre la permission de la revoir. Celle-ci veut l’éviter, fait mettre ses chevaux à sa voiture et part. Mais les chevaux emportent la baronne, sa vie est menacée ; un homme se précipite au-devant de la voiture, arrête les chevaux et reçoit un coup de timon dans la poitrine : c’est Antony. On le transporte dans la maison de Mme d’Hervey, où elle craint de le garder, et dont elle n’ose cependant l’exiler ; là, une délicieuse scène entre les deux amans, Adèle cherchant à le consoler sans lui donner d’espoir, et lui persuadant de consentir à s’éloigner, tout en tremblant qu’il ne fasse un mouvement trop brusque : « Je ne puis vous garder ici, dit-elle, votre état n’est point assez grave ; il faudrait aux yeux du monde une excuse… — Une excuse, reprend Antony ; ne faut-il que cela ?… » et il déchire l’appareil mis sur sa blessure. « Maintenant, ajoute-t-il, je puis rester. »

Au bout de quinze jours, Antony, guéri de sa blessure, se présente chez la baronne et lui arrache le secret de son amour. Celle-ci, effrayée de l’aveu qu’elle vient de faire, et sentant qu’elle succomberait, prend la résolution de fuir, au moment même où Antony vient d’obtenir, à force de prières et de menaces, la permission de la revoir. Mais Antony apprend bientôt qu’il est trompé ; il devance Adèle dans une auberge, s’établit dans une chambre à côté de la sienne, et pénètre dans la nuit chez elle. On devine ce qui en résulte.

Le quatrième acte nous transporte chez une amie de la baronne, jeune femme bonne, étourdie et passablement coquette, qui ne parlait que de médecine au second acte au bras d’un jeune médecin, et qui au quatrième ne parle que de littérature. Un jeune auteur est installé chez elle. Il y a là une scène des plus originales dans ce siècle où l’on fait de l’originalité par tous les moyens possibles ; mais la susceptibilité du public exigera sans doute quelques suppressions. La pièce d’Antony s’y compose sur le théâtre. Une discussion littéraire s’engage : on reproche à la nouvelle école de prendre ses pièces dans les chroniques, « où on les trouve toutes faites, dit-on. — Pourquoi ne prenez-vous pas vos drames dans l’époque présente ? dit ironiquement une jeune femme ; n’y trouve-t-on pas aussi des preux chevaliers qui sauvent la vie à leurs maîtresses ? » Et elle conte toute l’histoire d’Adèle et d’Antony. Celui-ci éclate, comme on le pense bien, et, s’approchant de l’auteur : — « Oui, dit-il, faites ce drame, et mettez-y pour accessoire une femme qui change à chaque instant d’amant, mais qui, plus adroite que la femme vertueuse qui a pu succomber une fois, se déshonore et ne se compromet pas. » — Cette situation est des plus dramatiques et renoue parfaitement l’action ; elle amène une scène ravissante que madame Dorval a dite avec un immense talent. Les deux amans sont brusquement interrompus dans leur rêve de bonheur, et Antony apprend bientôt que le mari d’Adèle arrive à Paris. Il court chez elle : — « Il n’y a plus un moment à perdre, dit-il ; partons, fuyons ensemble. » Adèle résiste… elle ne veut pas déshonorer son mari, son enfant ; elle voudrait au prix de tout son sang recouvrer cette réputation qui ne lui appartient pas. Antony insiste pour l’entraîner ; mais il n’est plus temps : le mari, averti par des lettres anonymes, arrive menaçant. Que faire ? — « Tu m’as dit que tu ne craignais pas la mort. — Oh ! non ; tue-moi, Antony ; tue-moi ; » et, autant pour l’arracher au malheur qui l’attend qu’aux étreintes d’un autre, il la poignarde, et au moment où le baron enfonce la porte… — « Elle me résistait, dit-il, je l’ai assassinée. » Belle péripétie qui couronne dignement l’œuvre.

Le nouveau drame de M. Dumas, quelles que soient les basses injures d’un petit critique sans conscience, est un des plus beaux développemens de passion qu’il y ait au théâtre ; et il y a progrès sensible dans la manière d’écrire de l’auteur. Nous ne doutons pas qu’Antony ne soit destiné à parcourir une longue et fructueuse carrière.

Bocage a créé le rôle d’Antony de la manière la plus brillante ; c’est bien ce regard fascinateur que la pauvre Adèle avoue tant redouter. Il a joué avec une chaleur de sentiment, un aplomb, une originalité qu’il n’avait pas encore eu l’occasion de déployer. Les derniers rôles dont Bocage avait été chargé l’avaient déjà placé haut dans l’opinion du public ; ce rôle achève de le mettre en première ligne. Madame Zélie-Paul a débité avec esprit un rôle secondaire. Mais madame Dorval !… je ne sais que vous en dire. Allez la voir… Je n’essaierai pas de donner une idée de son jeu ; qu’il me suffise de dire que jamais parterre n’a été enchanté par plus de grâce, attendri par plus de pathétique, bouleversé par plus de terreur. Les autres actrices font plaisir ; madame Dorval fait mal. Le rôle d’Adèle est le plus beau fleuron de sa couronne dramatique ; il lui assure l’héritage de mademoiselle Mars, comme la pièce nouvelle avec Marion Delorme assure à la Porte-Saint-Martin celui du Théâtre-Français.


La séance des quatre Académies du 30 avril, pour la fête du Roi, n’a guère été plus gaie qu’à l’ordinaire. Après ce que le programme appelait l’ouverture par M. Lethière, et un rapport sur le prix fondé par Volney, qui a été adjugé à M. Eugène Burnouf, la commission a proposé pour sujet du prix qu’elle décernera dans la séance générale des quatre Académies du 1er mai 1832 la question suivante : « Déterminer, par un travail à la fois lexigraphique et grammatical, le caractère propre des idiomes vulgairement connus sous le nom de celtiques en France et dans les îles britanniques, et rechercher l’importance et la nature des emprunts qu’ils ont faits soit au latin, soit à d’autres langues. » Le prix sera de 1200 fr. Les ouvrages ne seront reçus que jusqu’au 1er janvier.

M. Raoul-Rochette a lu, pour l’Académie des Beaux-Arts, un rapport sur les sculptures trouvées à Olympie par la commission envoyée en Morée. Est arrivé ensuite M. Charles Dupin avec un mémoire assez remarquable sur les progrès de la richesse française, mais qui a paru long et fatiguer l’auditoire. Est-ce la faute du public, ou de M. Charles Dupin ? M. de Laborde est venu enfin faire une heureuse diversion à l’ennui qui commençait à gagner la grave assemblée ; et ce n’était pas la chose la moins curieuse de cette séance que de voir ces visages, jusque-là si indifférens, s’animer, se pencher pour ne rien perdre des paroles, des ingénieuses observations du voyageur à Jérusalem. Ce fragment des voyages de M. de Laborde dans le Levant, que nous donnons tout entier pag. 29, a été à plusieurs reprises couvert d’applaudissemens. M. Arnault a clôturé la séance. Le programme annonçait que l’honorable académicien réciterait quelques fables inédites de sa composition. Mais M. Arnault a voulu aller jusqu’à la demi-douzaine ; et je crois, bon Dieu ! qu’il serait encore sur son siége, si le public ne s’était levé spontanément.


Les Souvenirs de la Révolution, de M. Charles Nodier, que nous avons annoncés dans notre dernier numéro, ont paru chez le libraire Levavasseur, au Palais-Royal. M. Charles Nodier montre les hommes de la révolution sous un jour si nouveau, il a tant de piquantes anecdotes à conter sur cette époque d’exception si grande et si grotesque tout à la fois, que nous croyons ménager un véritable plaisir à nos lecteurs en leur indiquant ce livre qui sera bientôt dans toutes les bibliothèques. C’est dans cet ouvrage qu’on trouvera, sur Robespierre, des idées neuves et hardies, qui valurent dans le temps à l’auteur une petite persécution. On sait que l’ancien gouvernement le punit d’avoir osé dire la vérité sur cet homme extraordinaire, en le privant d’une modeste pension.