Album de vers/Ancaeus

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Album de vers (p. 6-8).

ANCAEUS



Les groupes se forment
LE JOUEUR DE LYRE

De la terre vers Eux
Monte l’hymne prestigieux des voix sacrées,
De la Nuit et du Jour et des deux Crépuscules ;
De la terre vers Eux
Des soirs de marbre et des aubes nacrées
Monte le chœur perpétuel des voix nulles,
Des êtres sans nom et des âmes exécrées,
En servile éloge vers Eux !
Vers Eux.
Les Forts et les Grands et les Maîtres,
Dieux des forces dont geint l’orbe de vie esclave,
Vers Eux,
Gardiens impénétrés des sorts mauvais et traîtres.
Dispensateurs du vivre au geste grave,
Monte d’ici le vœu d’hommes justes et forts
Pour que ne sortent de leurs mains les mauvais sorts
Et qu’ils écartent de nos pas les vaines morts !


En un van que tient un esclave, l’époux, debout près de l’épouse, choisit la grappe et l’élève, se tournant vers les chœurs, d’un geste lent ; cependant que chantent ceux-ci.
CHŒUR DE FEMMES

Choisis celle
Choisis celleD’où ruisselle
Choisis celle D’où ruisselle— Pourpre chaude
Pour ta lèvre
Pour ta lèvre Qui s’enfièvre
Pour ta lèvre Qui s’enfièvreDe la sienne —
Le vin qui fera luire en ses yeux d’émeraude
Le feu qui livre au dieu Celle que tu veux tienne.

CHŒUR DES SATYRES

L’eau des cieux et des fleuves
Le soleil et la brise
Ont distillé pour toi ce vin de ta prêtrise,
Roi, pour qu’au soir inébrié tu t’en abreuves.


Une pause

LE JOUEUR DE LYRE

Sainte est l’heure tremblante où se donne à qui l’aime
La vierge impolluée au corps nitide et beau !
Toi, sous ta robe d’or et sous ton diadème
De marjolaine, et dont la chevelure embaume.
Hymen qui souris et portes le flambeau
Sur la vierge nubile répands ton arôme.

TOUS

Io Hymen. Hymenaee io,
Io Hymen, Hymenaee !

LE JOUEUR DE LYRE

Et toi qui Joins au Joug les chairs prédestinées,
Hera, toi qui Consacres l’amour aux années,
Nuptiale, conduis leurs chastes destinées ;
Toi, l’Agile Marcheuse et qui Veilles la nuit,
Tu sais lier l’amour et rien ne désunit
Les époux oublieux des heures pardonnées.


L’époux, entre ses mains jointes, épreint la grappe dont le jus sanglant goutte au cratère que tend l’épouse.
CHŒUR DES FEMMES

Ô, ton sang coule !
Ô, ton sang coule ! Ton âme est soûle.
Ô, ton sang coule ! Ton âme est soûle.Ton être exulte !
Et ton sang pleure :
Et ton sang pleure : C’est la folle heure
Et ton sang pleure : C’est la folle heureDe terreur prude ;
C’est l’hommage suprême et la suprême insulte,
Et c’est le don de joie où la douleur prélude !

CHŒUR DES SATYRES

Saignent tes grappes. Roi, pour tes agapes !
Ton sang ruisselle et soit un vin pour elle !
Et chante dans ta chair le chœur des vieux priapes ;
La vie éperdument ce soir se renouvelle !


Une pause


LE JOUEUR DE LYRE

Tourterelles, hirondelles, passereaux.
Les cygnes, les myrtes et les roses ;

Aphrodite qui sur les blonds sables te poses,
Et dont la chevelure flotte sur les eaux,
Surgis éblouissante et nue et virginale
Dans l’aurorale
Pudeur de tes chairs roses ;
Voici Samia la blonde, orgueil de Maeander
Et ta sœur, par la beauté, fille de la mer :

Prête-lui ta couronne et ta belle ceinture,
Les anneaux d’orichalque et d’or à tes oreilles,
Enrichis-la de tes affolantes merveilles
Car son époux est Roi, de race et de stature ;

Et que le fol Eros de ses flèches fleuries
Qui font goutter le sang des cœurs en pierreries
S’arme et veille, ce soir de la vendange mure !


L’épouse va porter la coupe à ses lèvres pour la tendre à l’époux, quand une soudaine clameur monte du vignoble.