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Album des missions catholiques, tome IV, Océanie et Amérique/Amérique du Nord

La bibliothèque libre.
Collectif
Société de Saint-Augustin (p. 61-64).

AMÉRIQUE.

AMÉRIQUE DU NORD.

PRÈS les vénérables et séculaires missions de l’Ancien Monde, accordons un regard aux Jeunes églises du Nouveau. Là plus de souvenirs héroïques, plus de persécutions sanglantes prolongées durant des siècles, plus de légions de martyrs par milliers. La fondation des chrétientés que nous allons parcourir est de date trop récente pour fournir aux annales de l’apostolat des pages nombreuses. Nous touchons pour ainsi dire à leur création. Mais, si elles n'ont point de passé, quel grandiose horizon, quel superbe avenir s'ouvrent devant elles ! Quels glorieux accroissement elles promettent à l'Église de Dieu ! C'est ce que les progrès réalisés depuis cent ans permettent déjà d'entrevoir. Par une de ces compensation dont la Providence a le secret, des Églises nouvelles se lèvent par delà les mers dans la sérénité de la force et de la paix, au moment où les vieux peuples chrétiens de l'Occident se laissent de plus en plus envahir par l'esprit d'irréligion. Il y a plus de deux siècles que les apôtres de l'Europe prodiguent aux missions de l'Amérique leurs sueurs et leur sang.

« Combien de dangers la nature et les hommes leur préparaient dans ces sauvages contrées ! s'écrie l'historien Bancroft. Affronter la rigueur d'un climat


AMÉRIQUE SEPTENTRIONALE. — INDIENS DU FLEUVE YOUKON AVEC LEURS CHIENS.


nouveau, traverser les fleuves, voyager sur la neige sans pouvoir se réchauffer, n’avoir pour nourriture qu’un peu de maïs écrasé sous une pierre, ou même quelquefois la mousse des rochers, travailler sans relâche, être obligé, pour ainsi dire, de vivre sans aliments et de dormir sans lieu de repos, ne pouvoir pas compter sur un jour d’existence, être exposé à toute heure à périr par les flammes ou sous le tomahaw : telle est la vie qui, cependant, donnait à ces héros d’ineffables consolations. Que de fois, sans doute, sur leur dur oreiller de pierre, eux aussi, comme le patriarche Jacob, ils sentirent l’encourageante présence de l'Éternel ! Que de fois les vieux chênes à l'ombre desquels ils s'asseyaient pour se reposer, furent pour eux le chêne de Mambré, sous lequel Abraham partageait son pain avec les anges du ciel ! »

Leur sang féconda le champ de leur apostolat. Les noms d'Isaac Jogues, de Jean de Brémeuf, de Gabriel Lallemand, pour ne nommer que les plus illustres, sont au martyrologe de cette Église naissante. Ibo et non redibo, écrivait le P. Jogues, en partant pour son dernier voyage chez les Mohicans.

Chacun de ces hommes savait qu'il était baptisé pour le martyre. « Mais déjà morts au monde, dit le même historien, et possédant leur âme dans une paix parfaite, ils ne reculaient jamais. L'histoire de leurs travaux se rattache à l'origine de toutes les villes mentionnées dans les Annales de l'Amérique française. On ne doublait pas un cap, on ne traversait pas une rivière sans qu'un Jésuite n'en montrât le chemin. »

Ce fut un Jésuite, le P. Marquette, qui, le 15 juin 1673, accompagné de Joliet, et monté avec lui sur un simple canot d'écorce, reconnut le Mississippi jusqu'à sa jonction avec le Missouri. Ce fut un Récollet, le P. Hennequin, compagnon de Cavalier La Salle, qui descendit son cours en 1682. Cinq ans après, La Salle, dans un second voyage, donnait à la vallée, en l'honneur de Louis XIV, le beau nom de Louisiane, et peu après les Français y établissaient des postes de défense et des stations de commerce, au nom du roi de France.

Alors, les missionnaires rassemblèrent des Congrégations ; toute la contrée s'apprêta à devenir chrétienne. Au récit des souffrances rédemptrices de l'Homme-Dieu, l'Ottawa, l'Illinois, le Potowatomie, déposant leur férocité, enterrèrent leur hache en signe de paix, et les grandes forêts prêtèrent leurs plus beaux arbres pour la construction de la Loge de la prière. Au nord, les Abenakis et les Iroquois produisirent une moisson d'élus au milieu de laquelle se dresse, comme une fleur sauvage, une jeune Iroquoise, Catherine Tegahkouita, morte brillante de sainteté à l'âge de vingt-quatre ans, près du ruisseau et de l'arbre où elle avait fixé sa vie au pied d'une croix. A l'ouest, les trente Réductions de la Californie rappelèrent les Réductions des Jésuites au Paraguay. Au sud, les Natchez, la célèbre nation guerrière, déposèrent enfin les armes aux pieds de ses Robes noires. Sur tout le continent, le Créateur avait envoyé son Esprit, et il avait renouvelé la face de la terre.

Un jour vint où tout cela cessa d'exister par le crime des hommes. Tandis que, dans la Nouvelle-Angleterre, les catholiques subissaient un ostracisme écrasant, on préparait au Canada et à l'Ouest de pareilles violences. Déjà maître de la Nouvelle-Écosse, de la baie d'Hudson, de Terre-Neuve et de l'Acadie, le gouvernement anglais, convoitant la Louisiane, ne trouva rien de mieux que d'y étouffer le catholicisme pour y ruiner du même coup la puissance française. Par lui, la férocité native des Indiens fut réveillé et armée contre leurs bienfaiteurs. Les Congrégations indiennes furent noyées dans le sang. Les Robes noires devinrent peu à peu inconnues, et quand, par un juste retour, en 1776, la guerre de l'Indépendance déposséda l'Angleterre de cette colonie qu'elle opprimait, l’Amérique renaissante ne trouva plus sur son sol que le souvenir presque effacé de la foi qui avait fait fleurir ces solitudes à l'ombre de la croix.

Deux causes provoquèrent alors une deuxième effusion de la foi catholique : l'émancipation des États-Unis rendit à l'Église la liberté religieuse ; l'émigration des prêtres chassés de France et d'Europe par la Révolution procura une vaillante recrue de missionnaires.

Washington avait dit, dans son adresse aux catholiques des États de l'Union : « Puissent les membres de votre société, en Amérique, uniquement animés par le pur esprit chrétien, jouir de toutes les félicités temporelles et spirituelles. » À ces vœux d'un homme de bien, l'Église des États, qui jusque-là dépendait d'un vicaire apostolique résidant à Londres, répondit en demandant à Rome de lui donner directement des pasteurs qui ne dépendissent que du pape. Le congrès appuya la requête du clergé ; et Pie VI promut John Carroll au siège épiscopal de Baltimore.

L'Église d'Amérique entra avec cet évêque dans une nouvelle phase. S'emparant, en missionnaire d'un diocèse de quinze lieues de long, sur huit à neuf cents de large, à la tête seulement d'un vingtaine de prêtres, comme lui précieux débris de la Compagnie de JÉSUS, Mgr Carroll alla d'abord demander des recrues à la France, M. Émery lui donna une première colonie de Sulpiciens, qui, en 1791, vint fonder le collège de Baltimore. Les prêtres chassés de France par la Révolutions, les prêtres chassés de Saint-Domingue par l'insurrection, apportèrent peu après à la petite armée un contingent de soldats aguerris dans la lutte. La concession de la Louisiane à l'Union américain, en 1803, et, à quinze année de là, la nomination d'un grand missionnaire, Mgr Dubourg, à l'évêché de la Nouvelle-Orléans, activa dans le Sud, cette reconstruction.

Souvent dans les savanes immenses du Far-West, un incendie dévore les herbes de la prairie que le voyageur croit perdue et anéantie sans retour. Mais, au printemps suivant, revenant aux mêmes lieux, il s'étonne de retrouver une végétation plus luxuriante que jamais dans la plaine où hier il n'avait laissé que des cendres. Telle et plus riche encore fut la rénovation qui, dans l'Église d'Amérique, commença à la fin du XVIIIe siècle et qui aujourd'hui s'épanouit dans le nôtre.