Album des missions catholiques, tome IV, Océanie et Amérique/Bornéo

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Collectif
Société de Saint-Augustin (p. 28-29).

BORNÉO

Mission chez les Dyaks. Usages et préjugés des indigènes.


i l'on excepte l'Australie, Bornéo est la plus grande île du monde : elle est plus étendue en superficie que la France entière. Le sud appartient à la Hollande ; le nord est gouverné par des sultans indépendants : Sarawak, notamment, a pour souverain un Anglais, Rajah Brooke. Une compagnie anglaise vient de se former dans le but d'exploiter le nord de l'île. La population se compose de Dyaks, de Malais et de Chinois.

Les missionnaires anglais de Mill - Hill ont repris en 1881 l'évangélisation de cette contrée qui, depuis une vingtaine d'années, n'avait pas eu d'apôtres catholiques. C'est dans le nord de l'île, dans les États du Rajah Brooke, roi du Sarawak, qu'ils ont établi leurs premières stations. Les sauvages Dyaks de l'intérieur, voisins de ce royaume, ont également reçu la Bonne Nouvelle.

Les Dyaks. — Le P. Dunn, qui a été chargé de la première mission chez ces indigènes, donne de curieux détails sur leurs usages :

« Entrer dans l'intérieur de la partie nord de Bornéo, n'était pas la moindre de nos difficultés. Presque tout le pays est couvert de forêts et de jungles impénétrables, le pauvre voyageur est souvent obligé


BORNÉO. — INTÉRIEUR D'UN VILLAGE DYAK


de traverser des fleuves remplis de crocodiles, des terrains marécageux. Il doit encore supporter la faim, la soif et autres privations inévitables sous les tropiques.

« Les races de l'intérieur vivent isolées et séparées les unes des autres, sans domicile fixe ; car elle aiment beaucoup le changement.

« Quelques peuples ont conservé l'habitude des sacrifices humains, et un très grand nombre sont head hunters, c'est-à-dire « chasseurs de têtes ». Ce nom leur est donné parce qu'ils tuent les gens pour le plaisir de garder leurs crânes ; ces crânes sont conservés comme des trésors ; j'en ai vu plus de cinquante suspendus dans une seul demeure.

« D'autres coutumes sont trop horribles pour que les énumères ici.

« Leurs constructions sont forts originales. Chaque village se compose seulement de quatre ou cinq maisons, soutenues par de longs poteaux à vingt pieds du sol. On monte à ces habitations aériennes au moyen d'une perche inclinée offrant des entailles qui tiennent lieu de marches. Pour augmenter la sécurité, deux autres perches à portée des mains remplacent les rampes. Arrivés au sommet, nous trouvâmes une plate-forme de bambous disjoints, offrant de distance en distance de larges ouvertures béantes par lesquelles on risquait de tomber dans le vide. « Un long bâtiment, construit en planches brutes de toutes grandeurs et mal assemblées, recouvert de feuilles de palmiers cousues ensembles, occupe toute la longueur ; il est partagé en une quarantaine de petits appartements de 12 à 15 pieds carrés et habité par un nombre égal de familles. Au-dessus du plafond, un grenier contient toutes les richesses du ménage. Un ou deux lits, dressés à quelques pouces de terre, un dais d'étoffe de couleur et, le long des murs, des anneaux de bronze, des ornements de plomb, enfin de larges, hautes et vieilles urnes de terre : voilà tout l'ameublement. A propos de ce dernier article, je ferai remarquer que les Dyaks y attachent le plus grand prix. Imitant à leur insu les collectionneurs européens, qui se disputent, à coups de billets de banque, les vieilles porcelaines de la Chine et du Japon, ces sauvages consacrent des sommes considérables, 200, 300 dollars (1,000, 1,500 fr.) à l’achat d’une seule de ces urnes : plus elles sont anciennes, plus elles sont appréciées.

« Dans chaque maison où nous entrâmes, on nous fit le meilleur accueil. La plus neuve et la plus belle natte était étendue en notre honneur et nous nous asseyions à la mode orientale. On plaçait devant nous, dans des boîtes en métal délicatement ouvrées, du bétel, noix dont les Dyaks et les Malais font une consommation incessante : nous nous contentions d’admirer les boîtes. Le capitaine du fort, un Singalais, nous servait d’interprète.

« Les femmes confectionnent, avec des lamelles de rotin finement fendu, des corbeilles de différentes couleurs ; on nous en montra de jolis échantillons. Les hommes s’occupent de culture, de pêche et recueillent la gutta-percha ; ils fabriquent aussi leurs ornements de bronze et leurs armes. Le costume des hommes se réduit à une pièce d’étoffe de couleur brillante, enroulée autour de la taille et descendant jusqu’aux jambes, les deux extrémités de la pièce pendant devant et derrière. Du poignet à l’épaule, le bras est couvert d’anneaux de cuivre : la cheville du pied l’est également. Un collier et une coiffure de couleur complètent le costume. Rien de beau comme un équipage de Dyaks pagayant sur la rivière ! À chaque mouvement des rameurs, les anneaux métalliques, qui ornent leurs bras, miroitent aux feux du soleil, les riantes nuances de leurs vêtements, le léger bateau. qui file rapidement entre les rives verdoyantes, tout cela offre un spectacle d’un pittoresque achevé.

« Ces indigènes ont une étrange coutume, c’est de tailler leurs dents en pointe, de les peindre en noir, parfois de les percer et de combler le trou avec de l'or ou du cuivre. Leur habitude de mâcher du bétel rend leur salive rouge et fait croire à tout instant qu'ils ont la bouche pleine de sang...

« Nous avons beaucoup de peine à obtenir que les parents nous confient leurs enfants. leurs idées sur les résultats de l'éducation sont des plus primitives. Ainsi un père de famille nous amena un jour son fils et nous pria de l’instruire. Nous lui promîmes de faire de notre mieux. Deux semaines après, le brave indigène nous adressait des reproches.

« — Comment ? disait-il tout mécontent, vous avez
« mon fils depuis quinze jours et sa peau est aussi
« noire qu’auparavant ! »

« Ce ne fut pas sans difficulté que nous lui fîmes comprendre notre impuissance absolue à opérer une telle transformation. Le père, malgré cette déconvenue, consentit pourtant à nous laisser encore le petit élève ; mais il revint bientôt, désireux de juger de ses progrès :

« — Dis-moi, mon garçon, maintenant que tu es
« savant : tardera-t-il beaucoup à pleuvoir ?

« L’enfant naturellement restait sans réponse. Le père passait à une autre question :

« — J’ai perdu mon sabre la semaine dernière ;
« sais-tu qui l’a trouvé ? .

« Après deux ou trois interrogations du même genre, le pauvre sauvage déconcerté déclara qu’il n’y avait décidément plus d’espoir et que nos leçons n’étaient bonnes à rien.

« C’est cependant par l’éducation des jeunes Dyaks que nous pourrons convertir ce peuple. Car, si nous réussissons à former quelques enfants, ils nous serviront de catéchistes et d’auxiliaires.

« Bien des points offriraient à l’évangélisation un terrain favorable,comme j’ai pu m’en assurer dans une exploration que je fis au mont Nado, chez les Dusans, à 125 milles de Labouan. La tribu est gouvernée par une vieille femme nommée Dintas ; c’est dans sa hutte que se réunit la population pour entendre mes communications. J’exposai par interprète le but de ma visite. Lorsque j’eus terminé,les Dusans délibérèrent quelque temps ; plusieurs paraissaient inquiets, et hochaient la tête. Leur décision fut qu’ils trouvaient mes propositions excellentes ; mais qu’ils me rendraient réponse plus tard. La conversion de cette peuplade me paraît facile à obtenir ; elle produirait un effet immense sur les tribus voisines.