Album des missions catholiques, tome IV, Océanie et Amérique/Nouvelle-Calédonie

La bibliothèque libre.
Collectif
Société de Saint-Augustin (p. 44-50).

NOUVELLE-CALÉDONIE

Nouméa. Le Canaque. Usages bizarres et cruels. Avenir de la race canaque. L'île des Pins !


ERS la fin de 1853, la France se décida à prendre possession de la Nouvelle-Calédonie. L’année suivante, M. de Montravel, capitaine de vaisseau, choisissait Nouméa pour y fonder un premier établissement et lui donnait le nom de Port de France.


NOUVELLE-CALÉDONIE. — CANAQUE.


Nouméa. — Cette ville est située près de la pointe sud-ouest de la Nouvelle-Calédonie.

« C’est, rapporte un missionnaire, le lieu le moins fertile et l’un des moins beaux de cette île, quoique, sous ces deux rapports, il ne soit pas à dédaigner ; mais c’est incontestablement un port magnifique. Fermé en avant par une île qui a plus d’une lieue de long, il comprend de nombreuses baies, larges, profondes et bien abritées ; il pourrait recevoir des flottes considérables, et, comme point militaire, il est d’une très facile défense. »

Une jolie ville européenne s’y élève.

Le Canaque. — Mais nous avons hâte de rencontrer sur cette terre barbare autre chose que des rues alignées au cordeau, des hôtels de ville et des écoles bâties par adjudication. C’est l’homme, le naturel du pays que nous voulons voir. Montrez-nous l’indigène ! Quelles sont ses qualités ? Quels sont ses défauts ?

Plus laborieux que les autres insulaires des tropiques, les Canaques de la Nouvelle-Calédonie sont doués d’un vrai talent pour les irrigations ; ils savent faire monter l’eau sur les collines, sur les montagnes, pour arroser leurs plantations, qui sont bien cultivées.

Dans les premiers temps de la conquête, la monnaie la plus usuelle parmi eux, c’étaient les pipes et le tabac. Tout le monde fume ; enfants et vieillards, femmes et jeunes filles, on les rencontre tous avec une pipe passée dans leurs cheveux, ou placée en guise de pendant d’oreilles. Leur provision est-elle épuisée, ils consentent alors à vous rendre des services pour avoir du tabac : « Il est fâcheux, faisait observer un missionnaire, que ces malheureux dépensent ainsi en fumée ce qu’ils gagnent ; mais il n’est pas facile de corriger cette habitude, singulièrement favorisée par le « communisme » océanien. Ce fléau social, avec ses hideuses et désolantes conséquences, tyrannise les tribus de ces îles. Ici, il faut tout partager. Celui qui, par son industrie, par son application au travail, amasse quelques richesses, devient puissant dans sa tribu ; c’est un grand chef, dont on parle au loin, mais à la condition qu’il communique ce qu’il possède. Agir autrement serait pour l’ordinaire exciter des choses, le Calédonien préfère du tabac à des étoffes : il serait obligé de partager celles-ci ; le tabac, il le fume et tout est fini. »

Tant que les Néo-Calédoniens habitèrent seuls leur archipel, ils ignorèrent complètement l’usage de toute liqueur fermentée. Aussi quand les Européens, fixés sur un point de l’île, ou visitant la côte en embarcation, venaient leur offrir de l’eau de vie, ils la repoussaient avec dégoût ; car, après y avoir trempé le bout des lèvres, ils s’essuyaient la bouche et se disaient entre eux : « Oué, teil, mouang. C’est de l’eau qui brûle, mauvais. » Ce temps de légitime frayeur est déjà loin de nous, et aujourd’hui nous ne rencontrons que trop de noirs dont le gosier est moins susceptible. Des exemples pernicieux et fréquents, hélas ! ont produit leur effet.

Avant l’arrivée des Européens en Nouvelle-Calédonie, cette grande île était privée des animaux qui entrent pour une si large part dans l’alimentation de l’homme, tels que bœufs, moutons, porcs, chèvres. Les ressources de la basse-cour, poules, canards, oies, etc. y étaient également inconnues. L’indigène


NOUVELLE-CALÉDONIE. — HÔTEL DU GOUVERNEUR A NOUMÉA.


ne tirait de la terre que des végétaux fournissant un menu fort simple : taros, bananes, cannes à sucre et ignames.

Cette absence complète d’animaux domestiques ou sauvages devait donc nécessairement amener les indigènes à mettre à profit les ressources de la mer. Aussi trouvons-nous chez eux l’exercice de la pêche pratiqué sur une large échelle ; hommes, femmes et enfants s’y livrent avec ardeur. Les femmes ont en partage la pêche aux crabes, aux oursins, aux poulpes et autres mollusques. La pêche proprement dite, la grande pêche des poissons, est réservée aux hommes.

Usages bizarres et cruels. — À la mort d’un insulaire a lieu un festin. Lorsqu’un Canaque est malade, ses parents n’attendent pas toujours qu’il soit mort pour fixer le jour du festin de ses funérailles : la fête est arrêtée à l’avance. On prépare les vivres, on invite les amis pour le jour choisi, sans que le malade ait été consulté. C’est à lui de prendre ses précautions pour décéder en temps opportun, car, le jour dit, on le pleurera bel et bien, et on fera le festin en son honneur. Comme il serait désagréable pour lui d’assister à sa fête, s’il n’expire pas assez tôt, on lui vient en aide, on l’étouffe. Cette atrocité n’est pas rare, mais elle n’atteint pas toujours son but Plus d’une fois celui qu’on avait cru mort, est revenu à la vie, et, dans ce cas, on dit qu’il est ressuscité. Ces cas de survivance ont donné lieu à un singulier argument. Comme les Pères, pour établir la divinité de Notre-Seigneur JÉSUS-CHRIST, insistaient sur le miracle de sa résurrection, on leur a répondu plus d’une fois : « Cela peut être un grand prodige dans votre pays, mais ce n’en est pas un chez nous ; nous avons plusieurs gens ressuscités à Poebo. » Ces décès hâtés par la violence arrivent aussi aux chrétiens dont les parents sont encore idolâtres. Plusieurs fois ceux-ci sont venus chercher le prêtre, en lui disant : « Ne manque de venir aujourd’hui, car le malade sera mort demain. — Et comment sais-tu qu’il sera mort demain ? — À Poebo, nous savons toujours cela. » En effet le missionnaire trouvait toujours les parents et les amis réunis, les apprêts du festin presque terminés, et quelquefois il avait à peine fini les cérémonies du baptême, ou de l’extrême-onction, que les pleurs commençaient. Une fois même, on dit au prêtre, lorsqu’il arriva dans la case, que son malade avait rendu le dernier soupir. Désolé et étonné d’une fin aussi prompte, il voulut voir le cadavre, qu’on avait jeté dans un coin, or, celui qu’on disait mort se mit à soutenir qu’il ne l’était pas, et cela au grand ébahissement de l’assemblée. Le festin n’en eut pas moins lieu.

Quelquefois les Calédoniens avancent la mort de leurs parents sans le vouloir, et même avec le dessein de les empêcher de mourir. Lorsqu’ils voient un malade près de l’agonie, ils lui compriment les narines et la bouche avec la main, pour empêcher la vie de s’échapper. Le R. P. Rougeyron administrait un jour un infirme ; pendant qu’il faisait les onctions, il s’aperçut qu’un des assistants avait posé la main sur la bouche du malade, et qu’il allait l’étouffer. Il repoussa vite la main malencontreuse, le patient ouvrit la bouche et mourut. « — Vois-tu, lui dit le Canaque ébahi, sa vie s’en est allée ; aussi pourquoi m’as-tu ôté la main ? »

Avenir de la race canaque. — Après avoir parlé de la mort individuelle des indigènes néo-calédoniens, que penser de la race entière ?

Doit-elle disparaître, comme tant d’autres peuplades de couleur, qui, se trouvant en contact avec la race blanche, se sont éteintes peu à peu ?

« Hélas ! s’écrie le P. Lambert, à la fin de son précieux ouvrage sur la tribu Bélep, hélas ! cette loi fatale est en pleine voie d’exécution. Quelles sont les causes de ce fait ? De tous temps et en tous lieux une malédiction paraît peser sur l’homme de couleur. On le


NOUVELLE-CALÉDONIE. — VUE DE NOUMÉA.


dirait né pour être esclave. Et ceux-là mêmes qui, par des motifs de pure philanthropie, proclament son

NOUVELLE-CALÉDONIE. — UNE MESSE ÉPISCOPALE A L'ÎLE DES PINS, EN PRÉSENCE DES FORÇATS, d’après un dessin à la plume d’un transporté.

affranchissement, travaillent sans cesse à l'asservir sous de nouvelles formes. On veut bien le reconnaître légalement citoyen pour lui imposer des devoirs et exiger des services ; mais s'agit-il de lui assigner des droits, et surtout de les faire respecter, on montre ordinairement une grande parcimonie.

« La peine morale que l'indigène éprouve dans la condition qui lui est faite, doit aussi, à notre avis, entrer en ligne de compte dans son dépérissement. En face de notre supériorité tranchée, le Néo-Calédonien reste stupéfait et comme étourdi ; il a bien pu se faire illusion, un certain temps ; mais il na pas tardé à se reconnaître vaincu, et, en voyant ce qu’on exige de lui dans ses biens, dans sa personne, pourrait il ne pas songer à ce temps où il se sentait maître et libre comme l’oiseau de la forêt ? Pourrait-il, malgré son insouciance apparente, ne pas penser à l’avenir ? Or, ces considérations lui ôtent l’énergie et relâchent considérablement les ressorts nécessaires à sa vie.

« Outre cette raison morale, signalons encore quelques causes naturelles que nous pouvons généraliser d’un mot : le changement d’habitudes. Le missionnaire, ne pouvant laisser l’indigène dans l’état de nudité où il l’a trouvé, a dû s’efforcer de le faire sortir de sa paresse pour se procurer des vêtements. Un travail réglé et le port régulier des habits ne pouvaient, sans doute, que développer ses forces et le mettre à l’abri des transitions funestes du chaud au froid. Mais l’indigène ne sait ni se ménager, ni se couvrir avec prudence. Il prend, il quitte ses vêtements, il les porte dans un état de malpropreté dégoûtante, et souvent, après la pluie ou le bain, il les laisse sécher sur lui.

« Dans les rapports avec les centres de population, il y a, pour l'indigène, des inconvénients d'une toute autre gravité. D'abord, l'abus des boissons avec ses conséquences meurtrières, puis le libertinage et les nombreuses maladies qui en sont la suite amènent la dépopulation dans des proportions effrayantes.

« Les mesures de cantonnement par petites tribus ou fractions de tribus, prises dans des vues bienveillantes sans doute, nous paraissent plus qu’insuffisantes pour enrayer ce dépérissement. Selon nous, il eût fallu former des centres populeux, et donner à ce peuple enfant des protecteurs sérieux et de bons conseillers, possédant ce qui est nécessaire pour l'instruire, le former au travail, entretenir chez lui et perfectionner l'esprit de famille ; car, nous croyons pouvoir l'affirmer, parmi les tribus en rapport avec la race blanche, on remarque plus de vitalité dans toute tribu chrétienne que la foi met à l'abri des grands désordres.


1. Poste.   2. Caserne.   4. Carré des officiers.   5. Écurie.   6. Magasin général.   7. Logement des surveillants de 1re classe.
NOUVELLE-CALÉDONIE. — VUE GÉNÉRALE DU PÉNITENCIER DE L'ÎLE NOU (partie orientale).


La dépopulation se fait plus rapide chez celles qui ne sont pas retenues par le frein religieux.

Aussi, les missionnaires sont-ils heureux de se séparer de leurs familles, de s’éloigner de la patrie, pour venir, au prix de mille sacrifices, sauver des âmes tout en adorant, à leur sujet, les desseins de la Providence.

L’île des Pins. — Avant de quitter la Calédonie, demandons aux missionnaires quelques renseignements sur une de ses dépendances tristement célèbre.

L’île des Pins, appelée Kunyé par les indigènes, est située à la pointe sud-est de la Nouvelle-Calédonie, dont elle est séparée par un canal de quarante kilomètres environ. Son nom lui vient des beaux pins qui couvrent ses rives et surtout les divers îlots qui l’entourent. Cet arbre s’élève à une hauteur de vingt et trente mètres ; les branches naissent autour du tronc par petites touffes, dont il est aisé de le dépouiller ; et alors il peut fournir aux vaisseaux une excellente mature.

Elle est de forme ronde, et n’a pas plus de dix lieues de tour. Le sol, coupé sur le rivage par de nombreuses vallées, s’élève graduellement et forme à l’intérieur un plateau boisé d’où s’échappent plusieurs petits ruisseaux. Il est généralement plus fertile que celui de la Nouvelle-Calédonie. L’igname, le taro, la ba,a,e et le canne à sucre y croissent en abondance ; les missionnaires ont de plus implanté le maïs, l’orge et la plupart des légumes d’Europe ; le froment lui-même, qui ne vient pas dans les zones tropicales, paraît s’acclimater à l’île des Pins, et on pense que la vigne y réussira. Outre les pins, le bois de fer et autres variétés d’arbres particulières aux régions des tropiques, l’île des Pins est riche en bois de sandal, espèce de bois blanc qui exhale une odeur aromatique et dont se servent les Chinois pour confectionner de petits objets de curiosité ou pour composer leur huile de senteur.

Les forêts sont peuplées d’un assez grand nombre d’oiseaux : les plus communs sont le pigeon et une espèce de bec-figues, qui vivent de baies sauvages, et que l’on prend en grand nombre, au moyen de filets, à l’époque de la maturité des fruits. Du reste, il n’y a aucun autre quadrupède que ceux introduits par les Européens, aucun animal malfaisant, aucun reptile, sinon le lézard.

Quant aux habitants, réduits aujourd’hui au nombre de sept cents environ, ils sont de couleur presque noire, d’une taille haute et bien prise ; ils ont le regard moins farouche que leurs voisins de la Grande-Terre, l’esprit plus intelligent et ils vivent ensemble dans la paix et l’union.

Ce sont des Pères Maristes, membres de la vaillante Société lyonnaise, qui nous ont fourni tous ces renseignements. On a déjà vu qu'à eux est dévolue la puissance spirituelle sur la moitié de l’Océanie. Eux


9. Logement du commandant.   11. Atelier des tailleurs.   13. Case des transportés.   18. Logement du garde d'artillerie.   21. Menuiserie.   10. Scierie à vapeur.   12. Chapelle.   14. Magasin d'habillement.   16. Magasin au vivres.   19. Logement de l'aumônier.   15. Cantine.   17. Bureau du port.   20. Logement de familles.
NOUVELLE-CALÉDONIE. — VUE GÉNÉRALE DU PÉNITENCIER DE L'ÎLE NOU (partie occidentale).


encore nous introduiront dans la belle colonie anglaise de la Nouvelle Zélande.

1. — Coiffure des anciens. 3. — Coiffure de femme. 2. — Coiffure de guerre.
4. — Turban en écorce d'arbre. 5. — Coiffure ordinaire d'homme. 6. — Coiffure de grande toilette.
NOUVELLE-CALÉDONIE. — DIVERS GENRES DE COIFFURES.