Aldo le rimeur (1853)/Préface

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Aldo le rimeur (1853)
ALDO LE RIMEUR

PRÉFACE

Comme cette bluette a paru longtemps avant le roman et le drame de Chatterton, personne ne pensera que j’aie eu la prétention d’imiter ce modèle, bien qu’une scène d’Aldo le rimeur présente quelques rapports de situation avec le beau et déchirant monologue que M. de Vigny a mis dans la bouche de son poëte. Je ne me défendrais pas d’avoir été inspiré par ce sujet, d’abord si le fait était vrai, ensuite si ma pensée eût été la même. Mais elle était autre, et je ne songeais à peindre la misère du poëte que comme un accident, un des malheurs passagers de sa fantasque et douloureuse existence. Je voulais peindre le poëte en général ; une âme de poëte quelconque, mobile, généreuse, ardente, susceptible, inquiète, fière et jalouse. Le second acte de ce petit poëme dialogué montre le même homme non transformé qu’on a vu lutter contre la faim et l’abandon au premier acte. De même qu’un nouvel amour a été le dénoûment de cette première phase, l’amour de la science, ou plutôt une soudaine et vague révélation de la science, arrache une seconde fois l’âme curieuse et ondoyante du poëte au dégoût de la vie, à la lassitude du cœur, au suicide. Je comptais, lorsque je fis paraître ce fragment dans une Revue, compléter la série d’expériences et de déceptions par lesquelles, après avoir plusieurs fois rempli et vidé la coupe des illusions, Aldo devait arriver à briser sa vie ou à se réconcilier avec elle. De nouvelles préoccupations d’esprit m’emportèrent ailleurs, et j’oubliai Aldo, comme Aldo oubliait la reine Agandecca. Je n’ai jamais pensé que l’interruption de cette esquisse fût offensante ou préjudiciable pour aucun lecteur ; mais, avant de la remettre sous les yeux du public, je devais l’avertir que ce n’est là qu’un fragment. Le finira qui voudra dans sa pensée, et beaucoup mieux sans doute que je ne l’ai commencé.