Aline et Valcour/Avis de l’éditeur

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AVIS
DE
L’ÉDITEUR




C’EST avec raison que l’on peut regarder la collection de ces lettres comme un des plus piquans ouvrages qui ait paru depuis longtems ; jamais, on peut le dire, des contrastes aussi singuliers ne furent tracés par le même pinceau, et si la vertu s’y fait adorer par la manière intéressante et vraie dont elle s’est présentée, assurément les couleurs effroyables dont on s’est servi pour peindre le vice ne manqueront pas de le faire détester ; il est difficile de le mettre en scène sous une plus effroyable phisionomie. De l’assemblage de tant de différens caractères, sans cesse aux prises les uns avec les autres, devaient résulter des aventures inouies ; aussi pouvons-nous assurer qu’aucune anecdoctes réelles…, qu’aucun mémoires, qu’aucun romans, n’en contient de plus singulières, et nulle part, sans doute, on ne verra l’intérêt croître, et se soutenir, avec autant d’adresse et de chaleur. Ceux qui aiment les voyages trouveront à se satisfaire, et l’on peut les assurer que rien n’est exact comme les deux différens tours du monde, fait en sens contraires par Sainville et par Léonore. Personne n’est encore parvenu au royaume de Butua, situé au centre de l’Afrique ; notre auteur seul a pénétré dans ces climats barbares ; ici ce n’est plus un roman, ce sont les notes d’un voyageur exact, instruit, et qui ne raconte que ce qu’il a vu ; si par des fictions plus agréables il veut à Tamoé consoler ses lecteurs des cruelles vérités qu’il a été obligé de peindre à Butua, doit-on lui en savoir mauvais gré ? Nous ne voyons qu’une chose de malheureuse à cela, c’est que tout ce qu’il y, a de plus affreux soit dans la nature, et que ce ne soit que dans le pays des chimères que se trouve seulement le juste et le bon. Quoiqu’il en soit, le contraste de ces deux gouvernemens plaira sans doute, et nous sommes bien parfaitement convaincus de l’intérêt qu’il doit produire. Nous attendons le même effet de la liaison de tous les personnages établis dans ces lettres, et du rapport, plein d’art, que les uns ont avec les autres ; malgré leur étonnante disproportion, Leurs principes devaient être opposés comme leur phisionomie, et si l’on s’est permis d’en établir de bien forts, cela n’a jamais été que pour faire voir avec quel ascendant, et en même-tems avec quelle facilité le langage de la vertu pulvérise toujours les sophismes du libertinage et de l’impiété. L’idée d’adoucir, et quelques discours et quelques nuances, s’est plus d’une fois présentée, nous en convenons ; mais l’aurions-nous pu sans affaiblir ? Ah ! quelque prononcé que soit le vice, il n’est jamais à craindre que pour ses sectateurs, et s’il triomphe il n’en fait que plus d’horreur à la vertu : rien n’est dangereux comme d’en adoucir les teintes ; c’est le faire aimer que de le peindre à la manière de Crébillon, et manquer par conséquent le but moral que tout honnête homme doit se proposer en écrivant.

Ce que cet ouvrage a de singulier encore, c’est d’avoir été fait à la bastille. La manière dont, écrasé par le despotisme ministériel, notre auteur prévoyait la révolution, est fort extraordinaire, et doit jeter sur son ouvrage une nuance d’intérêt bien vive. Avec tant de droit à exciter la curiosité du public, avec un style pur, toujours fleuri, par tout original ; avec la réunion dans le même ouvrage de trois genres : comique, sentimental et érotique ; nous sommes bien sûrs que cette édition va nous être enlevée sur-le-champ ; demandée de toutes parts, parce qu’on connaît la plume de l’auteur ; à peine en pourrons nous répandre à Paris, et nous sentons déjà le regret de ne l’avoir pas multipliée d’avantage. Nous exhortons ceux qui n’auront pu s’en procurer des exemplaires à prendre un peu de patience, la seconde édition est déjà sous nos presses.

Cependant nous aurons des critiques, des contradicteurs et des ennemis, nous n’en doutons pas ;

C’est un danger d’aimer les hommes,
C’est un tort de les éclairer.


Tanpis pour ceux qui condamneront cet ouvrage, et qui ne sentiront pas dans quel esprit il a été fait : esclaves des préjugés et de l’habitude, ils feront voir que rien n’agit en eux que l’opinion, et que le flambeau de la philosophie ne luira jamais à leurs yeux.