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Aline et Valcour/Lettre LVI

La bibliothèque libre.
Chez la veuve Girouard (Tome 4p. 149-152).

LETTRE LVI.


Madame de Blamont à Valcour.

Paris, ce 28 Février.


Calmez-vous, Aline va mieux ; le premier mouvement a été terrible ; une lettre écrite, partie malgré moi, et qu’on n’a pas voulu me montrer, vous a convaincu sans doute de l’état affreux qu’a produit votre accident sur elle ; elle a été vingt-quatre heures dans des spasmes qui nous ont inquietés ; mais elle est maintenant aussi bien qu’elle peut être… Croyez-le quand c’est moi qui vous l’affirme ; elle a voulu avoir près de vous des couriers perpétuels,… elle les a eu,… et enfin elle les a cru ; vous avez su quel était son désir, et vous me connaissez assez pour être sûr que si ce désir eût pu être satisfait… il n’eût assurément pas trouvé d’obstacles de ma part. Mais que de dangers ! vous ne doutez pas, j’espère, que nous ne soyons observés. Jugez des suites par ce que vous venez d’éprouver… Ô mon ami !… l’illusion ne nous est plus permise ;… des propos ;… des indiscrétions,… des informations secrettes, tout jette un jour affreux sur cette terrible aventure,… et telle est notre malheureuse position,… qu’il ne nous est permis, ni d’éclater, ni de nous plaindre… Deshonorerez-vous le père de votre Aline ?… flétrirai-je le nom de mon époux ?

On n’a pourtant pas eu l’audace d’exiger des plaisirs, après avoir donné de telles peines. Et en vérité l’on a bien fait… Je crois qu’il me serait impossible de dissimuler davantage.

Ô mon ami ! je crains de nouveaux piéges… Je crains que l’on ne complotte contre votre liberté… Ne nous effrayez pourtant point encore ; j’ai des amis sûrs, qui ne perdent pas de vue les démarches de mon mari, et qui m’avertiront de tout. Attendez de nouveaux éclaircissemens, et ne songez qu’à votre santé :… le scélérat, il ourdissait deux trames à-la-fois, et pendant qu’il cherchait à se débarrasser de l’amant de sa fille, il se défaisait d’une malheureuse également redoutable à l’exécution de ses perfides projets.

Comment espérer de franchir tant d’écueils !… Les plus grands dangers nous environnent, nous n’aurons jamais assez de forces pour nous en garantir, et malgré la justice de la providence, le vice écrasera la vertu. Quel avertissement ! j’en reçois dans l’histoire des derniers événemens de cette malheureuse Sophie… Écoutez-les,… et si vous le pouvez, calmez mes soupçons, dissipez mes craintes, essayez de me faire voir qu’elles sont chimériques ; je ne demande qu’à être rassurée, mais quel louche !… Comment ne pas croire ;… Oh mon ami ! dans quel trouble je suis ;… si ce que je soupçonne est vrai,… s’il était capable de ce comble d’horreur, ma sûreté, celle d’Aline, exigeraient qu’à l’instant nous nous séparassions de lui… Écoutez, enfin, écoutez et décidez vous-même.

Le président et Dolbourg partirent le vingt-un à six heures du matin pour Blamont, ils y arrivèrent à sept heures du soir ; de ce moment Sophie changea de chambre, et il lui devint impossible de s’entretenir davantage par sa fenêtre avec l’homme intelligent dont je dispose dans le village. Cet homme qui a des raisons personnelles de m’être attaché, a mis dans l’instant tout en usage pour observer ce qui se passerait, et il y a employé tous ses amis ; voici le résultat de ses manœuvres ; je vous envoie la lettre même afin que vous soyez plus en état de juger, si toutefois le voile impénétrable que ces scélérats ont eu l’art de jetter sur leur conduite, peut vous en laisser le pouvoir.