Aline et Valcour/Lettre VII

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LETTRE SEPTIÈME.


Déterville à Valcour.
Paris, 17 Juin.


Si quelque chose peut adoucir les tourmens d’une âme honnête et sensible comme la tienne, mon cher Valcour, c’est la satisfaction de ceux qui te sont chers ; j’ose à ce titre t’apprendre mon mariage avec Eugénie. Toutes les difficultés qui nous séparaient sont vaincues, et dans vingt-quatre heures je serai le plus heureux des époux, je n’ose pas dire des hommes, ta félicité manque à la mienne ; et je ne pourrai jamais me croire véritablement heureux, tant que le meilleur de mes amis sera dans l’infortune. Mais j’attends beaucoup pour toi des délais qu’obtient madame de Blamont ; elle t’aime ; sa fille t’adore ; espère tout du cœur de ces deux charmantes femmes ; tu sais qu’Eugénie, sa mère et moi, nous sommes du voyage de Vert-feuille ; juge si nous nous en occuperons, et si nous ne chercherons pas tous les moyens possibles d’avancer ton bonheur. Sois bien certain, mon cher Valcour, qu’il ne sera question que de cela. Mais je t’exhorte au courage et à la patience. Oter de la tête d’un robin une idée dont il est coëffé, est une entreprise qui n’est point facile. Je voudrais, moi, qu’on étudiât un peu ce d’Olbourg ; ou je n’ai jamais su juger un homme, ou ce grossier mortel doit renfermer un bel et bon vice, qui, mis dans tout son jour, refroidirait, peut-être un peu l’enthousiasme de notre cher Président. Je sais bien que voilà encore une de ces ruses de guerre, qui ne s’arrangera pas avec ta maudite délicatesse ; mais mon ami, on se sert de tout dans le cas où tu es ; pesons même, si tu veux, ce procédé dans la balance de ta justice. À supposer que d’Olbourg ait quelque défaut capital qui dût faire le malheurs de sa femme, ton devoir ne serait-il pas de le prévenir ?

Adieu ; les embarras de la veille d’une nôce m’empêchent de t’entretenir plus long-tems ; Ô mon ami ! Quand pourrai-je aller partager avec toi tous les soins de la tienne ? Si tu me crois bon à quelque chose pour la circulation de ton commerce, dispose de moi ; Eugénie me charge de t’offrir de même ses services ; mais j’imagine que toutes vos précautions sont prises ; quand on s’aime aussi vivement que vous le faites l’un et l’autre, rien n’échappe dans la recherche de tout ce qui peut être nécessaire au soulagement de ses peines.