Aline et Valcour/Lettre XXI
LETTRE XXI.
Sophie est tout-à-fait bien, elle s’est levée hier, et comme il faisait fort doux, elle a pris l’air un moment sur la terrasse ; elle a choisi cet endroit parce qu’elle savait que la maîtresse du logis s’y trouvait, et qu’elle voulait que son premier devoir fut l’acte de sa reconnaissance ; du plus loin qu’elle a vu ces dames, lisant sous un bosquet ; elle s’est précipitée vers elles, et est venue tomber aux pieds de madame de Blamont, en arrosant de ses larmes les genoux de sa bienfaitrice, cherchant des mots, n’en trouvant point, et devenant bien plus expressive par ce silence du sentiment, que par toutes les phrases de l’esprit. Madame de Blamont l’a relevée, l’a embrassée de tout son cœur, et l’a fait asseoir auprès d’elle ; elle est faible, elle est pâle, mais d’un bien puissant intérêt dans cet abbattement — elle est plus jolie que vous, a dit en riant madame de Blamont à sa fille… Ah ! puisse-t-elle devenir plus heureuse, a répondu Aline en l’embrassant. Elle a soupé ce soir avec nous, et son maintien, son air, sa décence nous ont enchanté tous. Mais comme j’ai des choses d’un bien autre intérêt à te dire, trouves bon que nous laissions un moment Sophie, pour reprendre l’histoire de ses persécuteurs.
Il était impossible de trouver un meilleur moment pour séduire la vieille Dubois, et pour démêler, par elle, tout le nœud de cette infâme intrigue… chassée, congédiée elle-même, le dépit, le besoin l’ont jetée dans les lacs de Saint-Paul, et sous le prétexte de la présenter, comme sa parente, dans une excellente maison, il l’a très-facilement conduite à Vertfeuil ; elle y est, mais sans avoir vu Sophie. Quant aux ruses de notre homme, je t’en fais grace, il suffit qu’elles ayent réussies ; ce que leur succès a découvert me paraît plus intéressant à t’apprendre.
À peine Mirville eut-il mis Sophie à la porte, que Delcour arriva : c’était le jour de leur souper ; le premier encore tout en feu, apprit à son ami l’expédition qu’il venait de faire, et comme leur dialogue est assez curieux, je vais te le transcrire mot-à-mot d’après les dépositions de la vieille, qui n’en a pas perdu une syllabe :
Le président Delcour. — Ventrebleu, mon ami, voilà une cause mal jugée, vous avez oublié les droits que j’ai sur cette p…, et vous ne deviez la punir que devant moi ; je vous aurais aidé de tout mon cœur ; je suis inflexible sur les attentats du crime, aucuns nœuds ne me retiennent en pareil cas, et les droits de la nature deviennent nuls, quand ceux des gens sont outragés. — Où est elle ?
Le financier Mirville. — Mais pas très loin je crois… Si tu veux t’en donner le plaisir ?…
Delcour. — Assurément, que l’on coure après elle, et qu’on lui dise qu’il lui revient encore un supplément de correction, de la main paternelle.
Ô mon ami ! exista-t-il jamais des atrocités réfléchies, combinées, de la force de celles-ci ? La cuisinière sort, cherche de bonne foi Sophie, et quoiqu’elle fût sur le seuil de la petite porte du jardin, heureusement elle ne la découvrit pas : telle fut la cause du bruit que cette malheureuse entendit au sein de sa douleur, et qui redoubla si bien son effroi ; n’ayant rien vu, on rentra, et l’on dit que sans doute la criminelle s’était évadée. Une réflexion subite vint aussi-tôt au président. Poursuivons notre manière de rendre leur énergique conversation.
Delcour. — Es-tu bien sûr, Mirville, que Sophie soit réellement coupable ?
Mirville. — Je l’ai trouvée avec le délinquant, c’était, ce me semble, plus qu’il en fallait pour légitimer sa sottise.
Delcour. — Les apparences trompent si souvent, mon ami… La main d’un juge dégoutte sans cesse du sang que lui font verser les apparences. — Heureusement que nous sommes au-dessus de ces misères-là, et qu’un être de moins dans le monde n’est pas pour nous une affaire bien grande ; d’ailleurs, ce que j’en dis n’est pas pour disculper Sophie ; mais parce que je serais fort aise d’avoir, comme toi, une coupable à punir. Examinons les faits et faisons paraître les témoins ; commençons par interroger la Dubois, je la crois complice. Y a-t-il là des pistolets ? Mirville. — Oui. Delcour. — Prends en un, et moi l’autre ; il s’agit, d’effrayer, il est inoui ce qu’on obtient en effrayant : je t’apprends là les secrets de l’école. Mirville. — Qui ne les sait pas ? Mais ces pistolets…, mon ami…, ils sont chargés. Delcour. — C’est ce qu’il faut, et qu’importe une tête, dès qu’il s’agit de se procurer, ce que nous appelions, des indices. Mille victimes, mon ami, pour découvrir un coupable — voilà l’esprit de la loi. Mirville. — De la loi, soit, moi je ne connais pas trop la loi, encore moins la justice ; je me livre, à mon cœur, et il me trompe rarement. Tu vas voir si les coups de bâton et d’étrivières, que j’ai donné à ta fille, ne seront pas bien éduement et bien légitimement appliqués. Au reste, s’il en fallait revenir, comment faire à présent ? ces choses-là ne se reprennent point. Où la trouver, et comment réparer ?… Delcour. — Oh ! mais, je dis, dans ce cas là, on ne répare point ; tu te modèleras sur nous, personne n’offense comme les satellites de Thémis, et personne ne répare aussi peu. Tu as mal pris le sens de mon discours ; je vise moins à te faire faire une bonne action, qu’à me procurer le plaisir d’en faire une mauvaise. Ton exemple m’a tenté…, et je ne connais rien de pis que l’exemple : interrogeons, voilà l’objet. Et la Dubois, qui aurait voulu être bien loin, fut à l’instant mandée, introduite dans un cabinet mistérieux, où l’on n’allait jamais que pour les grandes aventures ; prodigieusement effrayée, comme tu crois, de deux bouts de pistolets appuyés sur chacunes de ses tempes, et d’une injonction de dire la vérité ou de s’attendre à perdre la vie : elle a déclaré que Rose était la seule coupable, et qu’elle n’avait jamais connu un seul tort à Sophie. Morbleu ! s’écria Mirville, je crois que je sens des remords. Eh bien ! dit Delcour furieux, tu les appaiseras en m’aidant à me venger ; commençons par décider du sort de cette intrigante…, et la menaçant du pistolet…, je ne sais qui me tient… Celle-ci eut beau protester de son innocence, les deux amis lui déclarèrent qu’après une telle conduite, ils ne pouvaient plus prendre en elle aucune confiance, et qu’il fallait qu’elle décampât dès le soir même…, et avant, comme tu vois, de punir la coupable, comme le châtiment sans doute n’était pas très-légal, on a cherché à se débarrasser des témoins… Circonstance malheureuse puisqu’elle nous prive entièrement des suites de cette funeste aventure, et dérobe à nos yeux des atrocités, dont la découverte nous fut devenue bien nécessaire un jour. La Dubois rendit donc ses clefs, emporta ses hardes et partit. Par le plus heureux des hasards elle vint s’établir près la barrière, dans une espèce de petite auberge où précisément arriva notre Saint-Paul, deux ou trois jours après. Il ne restait donc plus dans la maison que la délinquante et la cuisinière. — Celle-ci interrogée par Saint-Paul, la veille de son départ pour Vertfeuil, a dit que dès que la Dubois fut partie, Rose fut appellée et descendit ; qu’elle soupa fort tranquillement avec les deux amis, et qu’elle, son service, fait, s’étant retirée, comme à l’ordinaire, n’avait rien vu de particulier ; mais que le lendemain matin voulant aller servir le déjeûner, selon son usage, elle avait, trouvé tout le monde parti, sans qu’elle eût entendu rien de plus étrange que les autres jours, et sans qu’elle eût trouvé de désordre dans aucun des appartemens. Moyennant quoi voilà le fil rompu, et tu vois qu’il nous devient maintenant impossible de savoir de quelle nature peut être la vengeance qu’ils ont tiré de Rose.
Le lendemain matin un laquais de Mirville est venu demander à la cuisinière, les robes et les effets de la jeune personne ; mais sans pouvoir répondre à aucune des questions que la servante lui a fait ; ensuite la maison a été fermée par l’homme de Mirville, qui a signifié à sa camarade de se tranquilliser, et qu’un voyage, que ces messieurs allaient faire à la campagne, interromprait leurs soupers au moins pour un mois… Il ne nous est donc plus resté que des conjectures sur le sort de la malheureuse compagne de Sophie. L’imagination vive de madame de Blamont en a tout de suite forgé de sinistres. Celles de la Dubois, que j’adopte, comme plus naturelles, sont que le président a fait enfermer Rose ; ainsi qu’il l’en avait toujours menacée, s’il l’y contraignait par défaut de conduite. Voilà, mon ami, tout ce qu’il a été possible d’apprendre sur cette partie… Venons au reste.
Plus de doute, mon cher Valcour, sur l’existence de nos deux inconnus ; la Dubois, trompée par Saint-Paul, ne sachant à qui elle parlait, a dit, à madame de Blamont : « Celui qui se fait appeller Delcour, madame, est le président de Blamont, qui a une des femmes les plus aimables de Paris ; l’autre est un monsieur d’Olbourg, financier riche à million, son ami depuis trente ans, et auquel il va donner sa fille en mariage » : ces messieurs ont d’abord vécu, a continué notre duégne, avec deux courtisannes fameuses, dont madame a pu entendre parler : les Valville ?… Oui madame, deux sœurs, l’un avoit l’aînée, l’autre la cadette ; ils ont eu presque en même-tems, chacun une fille de leur maîtresse ; mais celle de monsieur Blamont mourut au bout de huit jours ; le président cacha cette mort à son ami, et lui montra une autre petite fille du même âge que celle qu’il venait de perdre, qu’il conduisit au village de Berceuil, où il l’a fit élever. — Quoi ! interrompit madame de Blamont, très-troublée, cet enfant de Berceuil ne serait pas celui de la Valville ? — Non madame, reprit la Dubois, l’enfant de la Valville est bien sûrement mort, et celui qui fut mené à Berceuil est un enfant légitime, que monsieur le président avait eu de sa femme, et qu’on nourrissait au Pré-Saint-Gervais ; en le retirant de ce village lui-même ; il donna cinquante louis à la nourrice, afin de répandre la mort de cette petite fille, qu’il voulait, disait-il, par des raisons secrètes, soustraire aux yeux de sa mère, et on eut l’air d’enterrer un enfant dans la paroisse du Pré-Saint-Gervais. — Juste ciel ! s’écria madame de Blamont, qui ne pouvait plus se contenir, j’ai effectivement perdue une fille dans ce tems-là, nourrie au même lieu que vous dites se pourrait-il ? Sophie !… mon cher Déterville… quelle multitude de crime !… et quel peut en être l’objet ?… Ici la Dubois reconnaissant chez qui elle était, s’est précipitée aux genoux de madame de Blamont, en la conjurant de ne la point perdre… Rassurez-vous, lui a dit cette malheureuse épouse,… vous êtes en sûreté ; mais ne me cachez rien ; je ne vous abandonnerai jamais, et alors cette femme poursuivit, et ses réponses nous ont appris que les deux amis, au moment de la naissance des filles, qu’ils avaient eu de leurs maîtresses, s’étaient promis de faire servir ces enfans à remplacer leurs anciennes sultanes, et de se les prostituer réciproquement, dès qu’elles auraient atteint l’âge nubile, mais que le président voyant ses droits perdus sur la petite fille de d’Olbourg, par la mort de la sienne, avait résolu de taire cette mort, et de remplacer la petite bâtarde par une fille légitime ; puisqu’il, était assez heureux pour en avoir une dans ce moment. Telle était l’histoire de Sophie ; telle était ce qui légitimait son étonnante ressemblance avec Aline ; ainsi tu vois que le peu délicat d’Olbourg, au moyen des machinations diaboliques du président, aura eu, si tout réussi, l’une des filles de madame de Blamont pour maîtresse, et l’autre pour femme ; tu peux reconnaître ici de plus, l’ame tendre et délicate du cher président, qui bien que persuadé que Sophie est sa fille légitime, rit et s’amuse pourtant de sa perte, des mauvais traitemens qu’elle a reçus, et s’offre même, avec une atroce barbarie, à lui en faire éprouver de nouveaux : s’il est des traits dans le monde qui développe mieux un caractère abominable ;… si tu en sais, je te prie de me les dire ; afin que je les réserve pour en colorer le premier scélérat que je voudrais peindre… Telle est cependant la conduite de ceux qui nous doivent l’exemple des mœurs, de ceux qui déshonorent, emprisonnent, rouent, torturent des malheureux… coupables de quelques faiblesses, sans doute, mais dont la vie de dix d’entre’eux n’offriraient pas de telles recherches dans le crime et dans l’infamie !
La Dubois a ajouté que ses deux maîtres ont une autre maison de plaisir, à peu-près pareille à celle des Gobelins, du côté de Montmartre, où ils se réunissent pour trois dîners par semaine, comme à l’autre pour trois soupers ; n’ayant pas été introduite dans ce second bercail, elle n’est pas très au fait des orgies qui s’y célèbrent ; mais elle sait en gros que tout y est, et plus indécent, et plus multiplié qu’où elle demeurait. Ils ont là, dit-elle, un sérail composé de douze petites filles, dont la plus âgée n’a pas quinze ans, et que l’on renouvelle à raison d’une, tous les mois. Les sommes qu’ils dépensent à cela, dit la vieille, sont énormes, et quelque riches qu’ils puissent être, elle ne conçoit pas que leur fortune n’y soit pas déjà épuisée.
Je te laisse à penser quel est l’état de madame de Blamont, cependant il fallait prendre un parti, relativement à cette femme ; elle ne pouvait ni la garder ni la faire voir à Sophie ; elle lui a proposé de chercher une maison à Orléans, de la défrayer de tout, jusqu’à ce qu’elle l’eût trouvée, avec une gratification de vingt-cinq louis, payable sur-le champ. La Dubois enchantée a comblé madame de Blamont de remercîmens. Saint-Paul est parti dès le même soir pour la conduire à Orléans, où elle a été placée peu après.
Tu conçois aisément, mon cher Valcour, sur quel être se sont aussi-tôt tournés les premiers transports de madame de Blamont ? elle pouvait à peine terminer ce qui regardait la Dubois ; elle brûlait d’être auprès de Sophie… Ô toi ! dont la mort m’avait coûté tant de larmes, s’est-elle écriée, en se précipitant dans les bras de cette intéressante créature… Tu m’es rendue ! ma chère fille…, et dans quel état, grand Dieu ! — Vous ma mère !… Oh ! Madame ! est-il vrai !… — Aline, partage ma joie… embrasse ta sœur…, le ciel me la rend…; elle me fut enlevée au berceau…, et par qui ? rien ne peut exprimer ce que j’éprouve. — Mon ami, je ne te peindrai point sa situation…; elle était du plus vif intérêt, madame de Senneval, Eugénie et moi, nous mêlâmes nos larmes à celles de cette charmante famille, et le reste de la journée fut consacré à jouir d’un événement si peu attendu, et qui présentait tant de charmes à une mère aussi tendre.
Je ne tardai pas à faire observer, à madame de Blamont, toutes les armes qu’un pareil événement nous fournissait contre les prétentions odieuses et illégitimes du président ; elle le sentit, mais elle vit en même-tems que nos démarches exigeaient du mistère et les ménagemens les plus délicats… Qui pouvait empêcher monsieur de Blamont de traiter tout ceci de chimère ? Était-il supposable qu’il reconnaîtrait Sophie pour enfant légitime ? probable même qu’il eût seulement l’air de la connaître ? et quelles preuves, madame de Blamont se trouvaient-elles alors, pour le convaincre ? La mort de sa petite fille, baptisée sous le nom de Claire, était constatée. Monsieur de Blamont s’était muni d’une bonne attestation du curé, et il y avait eu un service de fait au prétendu enfant mort ; la nourrice qui s’était prêtée à tout, avait placé vraisemblablement une buche dans la bierre, enterrée au lieu de l’enfant ; pendant que Claire, sous le nom de Sophie, était transportée chez Isabeau par le président même…, et d’ailleurs trouverait-on la nourrice du Pré-Saint-Gervais ? à supposer qu’on la retrouva, avouerait-elle son crime ? tout cela multipliait les difficultés, faisait chanceler les droits de madame de Blamont ; car, si elle n’avait pas dans Claire, (existante sous le nom de Sophie, que nous continuerons de lui donner) une arme puissante contre son époux ; celui-ci, retournant aussi-tôt les choses, s’en trouvait une très forte contre sa femme ; dès ce moment Sophie ne devenait plus qu’une malheureuse bâtarde, dont il avait eu tous les soins qu’il devait avoir, et que madame de Blamont avait séduite, entraînée chez elle, pour se donner un prétexte à chercher des torts à son mari, à lui ôter le droit qu’il prétendait, avec raison, avoir sur Aline, et dont il voulait user pour la donner à son ami ; ce qui n’était plus pour madame de Blamont, devenait donc contre à l’instant. Toutes ces considérations la frappèrent ; sa première pensée fut de nous en tenir aux arrangemens pris avec Isabeau, imaginant que cette pauvre petite malheureuse serait moins à plaindre inconnue, que chez elle.
Mais je m’opposai à cette manière d’envisager les choses, et je fis observer, à madame de Blamont, que, si le président avait envie de faire des recherches sur Sophie, il commencerait assurément par le village de Berceuil, et que d’ailleurs l’isolant dans ce bourg obscur, et dans un état si au-dessous d’elle, il lui devenait presque impossible de s’en servir alors décemment et utilement pour repousser les insignes prétentions de d’Olbourg. Nous convînmes donc que le meilleur parti était de la garder ; de prendre les plus sûres informations sur l’ancienne nourrice de Sophie, et de forcer cette créature à avouer son crime. Cela n’était ni sûr ni aisé, j’en conviens, mais c’était néanmoins le seul expédient qui convint aux circonstances… D’après cela c’est toi que nous chargeons de cette importante recherche ; ne néglige rien de tout ce qui peut te la faire faire avec tant de célérité que d’exactitude. L’ancienne nourrice de Claire demeurait au Pré-Saint-Gervais, le village n’est pas grand, les recherches y seront aisées ; ce fut là où Sophie passa les trois premières semaines de sa vie, chez une paysanne nommée Claudine Dupuis, et c’est dans cette paroisse que le service se fit ; c’est de ce village que le président sortit de nuit, le 16 août 1762, ayant la petite fille dans une barcelonette verte sur le devant, d’un vis-à-vis gris, sans laquais. Voilà tout ce qu’il faut, mon cher Valcour, pour diriger tes informations ; agis sur-le-champ, abstraction faite de toute réflexions de ta part. Songe que tu ne travailles point ici contre d’Olbourg ni contre Blamont, mais uniquement en faveur d’une mère désolée qui t’adore, et qui n’a que toi à qui elle puisse confier de tels soins ; nulle sorte de délicatesse ne saurait donc t’arrêter ici ; si tu trouves la femme, dont il s’agit, notre avis est que tu emploies les voies de la plus grande douceur, pour lui faire avouer ce qu’elle a fait, et que tu tâches de la faire convenir de tout, devant quelques témoins. Si elle refuse d’avouer, il faudra l’assigner alors en justice ; car, toute considération doit céder à l’importance de constater la légitimité de Sophie ; il n’est aucune voie qu’il ne faille employer pour y réussir, puisque c’est de cette légitimité reconnue que nous attendons tout, et que c’est en prouvant cette légitimité d’une part, et de l’autre le commerce de d’Olbourg avec cette fille, que nous détruisons tous les projets qu’il a de te nuire. Adieu, presse tes opérations, instruis nous, et compte toujours sur l’exactitude de nos soins.