Allie/02

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L’action paroissiale (p. 8-11).

AVANT-PROPOS



Depuis des mois, une compagnie de navigation canadienne annonçait une croisière autour du monde. Les noms de personnages éminents qui avaient donné leur adhésion à ce voyage étaient à l’affiche, afin d’amorcer le plus grand nombre possible de passagers. Cette excursion dispendieuse n’était pas à la portée de toutes les bourses, et l’on avait tendu tous les appâts imaginables pour tenter les gens fortunés et les amener à tomber dans le filet.

Ce déploiement de publicité attira naturellement une foule de badauds, le jour du départ. Cette fois-là, ils me comptèrent au nombre des leurs.

Un brouhaha indescriptible régnait sur les quais. Des taxis, des automobiles bourgeoises et des camions sillonnaient en tout sens les abords du fleuve, entremêlant les bruits de leurs moteurs et de leurs sirènes.

Des adieux tristes, gais ou indifférents s’échangeaient entre les heureux partants et ceux qui devaient se contenter d’envier leur sort.

Quelques-uns, voulant au moins satisfaire leur curiosité, suivaient parents ou amis jusqu’à leurs cabines, pour en admirer la richesse et le confort. D’autres, plus timides, restaient sur le pont, attendant nerveusement le cri de la sirène qui devait annoncer le signal du départ.

Les simples badauds, après une visite superficielle du luxueux paquebot, se promenaient sur le quai, pour être témoins du démarrage. Cette opération offre toujours un aspect de grandeur. Il est beau de voir un de ces géants des mers glisser silencieusement sur les flots, tiré par de petits remorqueurs qui renferment dans leurs flancs presque minuscules une surprenante concentration de force motrice !

« Clear the gangway ! » criait un officier du bord, afin de décongestionner la passerelle, qui était envahie par la foule des curieux.

Une heure nous séparait encore du départ du palais flottant, et je m’étais confortablement installé dans un grand fauteuil moelleux du vestibule, afin de mieux observer les arrivants. Tout à coup, je vis entrer un couple qui ne me sembla pas inconnu.

— Mais, c’est Olivier Reillal ! me dis-je. Il est accompagné d’Allie Dupontier, si je ne me trompe !

Je m’avançai vers eux.

— Joseph ! s’exclama Olivier.

— Olivier ! répondis-je sur le même ton. Et Mademoiselle Dupontier, je crois ?

— Mon épouse, mon cher ami !

Après les compliments d’usage sur la bonne mine que l’on découvre toujours chez ceux que l’on revoit après une longue absence, je pris la parole.

— Sais-tu, Olivier, que je n’ai jamais entendu parler de toi depuis que tu as été fait prisonnier par les Boers !

— C’est une manière de dire : te voilà ressuscité ! Et toi, Joseph, comment as-tu échappé à l’ennemi ?

— J’ai été laissé pour mort sur le champ de bataille, et, comme l’on ne se pressait pas de me donner la sépulture à laquelle j’avais droit, je me remis à vivre, et, de peine et de misère, je me traînai jusqu’à mon régiment. J’ai fait de l’hôpital, de la convalescence, etc., etc. Mais toi, comment t’en es-tu tiré ?

— Je me suis fait prendre comme un rat dans une cage. Mais mon histoire est trop longue et trop compliquée pour que je te la raconte dans le court espace de temps qui nous reste ! Tiens ! dit-il en sortant de sa malle une liasse de papiers, voici un manuscrit qui contient l’histoire de ma vie. Lis-le, si ça t’intéresse, et conserve-le jusqu’à mon retour, car j’ai l’intention de le faire publier, sinon de mon vivant, au moins après ma mort.


Tout le monde sait que ce bateau princier périt, corps et biens, après avoir frappé un iceberg au large des côtes de Terre-Neuve.

Je laisse donc la plume à Olivier Reillal, mon cher ami, si tragiquement disparu.