Almanach (Verhaeren)/09

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(p. 35-36).

SEPTEMBRE

LA LUNE




Sous les plafonds que sur la terre
minuit ajuste avec des crampons d’or,
tu voyages, par le soir mort,
œil morne et sans paupières.

Œil pour le pôle et le désert
où la chaleur ressemble au gel,
où le silence comme un scel
ferme les lèvres de la mer.

Œil projeté de haut en bas
sur les peuplades taciturnes,
qui bâtirent leurs sphinx nocturnes
avec les blocs que tu fixas.



Œil qui casses ta clarté ronde
comme un cristal contre les dalles,
que font les vagues colossales
sur des plages, au bout du monde.

Œil d’immémorial ennui,
éclatant et livide,
que le temps sculpte au front du vide
dans le visage de la nuit.

Œil si vieux que la terre oublie,
monotone, depuis quel jour,
monotone, tu fais le tour
de sa mélancolie.

Œil chauve et que l’on sait béant
parmi les ombres claires,
lorsque, l’hiver, tu les éclaires
avec ta mort et ton néant.

Œil hostile des firmaments
qui travailles, sans nulle peur,
à la folie et la terreur
des poètes et des amants.