Almanach des muses 1772/La Fauvette

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(p. 133-134).

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LA FAUVETTE.

ROMANCE.

Cœurs ſenſibles, cœurs fidèles,
qui blâmez l’amour léger,
ceſſez vos plaintes cruelles :
eſt-ce un crime de changer ?
ſi l’Amour porte des ailes,
n’eſt-ce pas pour voltiger ?

Le Papillon, de la Roſe,
reçoit le premier ſoupir ;
le ſoir un peu plus écloſe,
elle écoute le Zéphir :
jouir de la même choſe,
c’eſt enfin ne plus jouir.

Apprenez de ma Fauvette
qu’on ſe doit au changement ;
par ennui d’être ſeulette,
elle eut Moineau pour amant :
c’eſt sûrement être adraite,
& ſe pourvoir joliment.

Mais Moineau ſera-t-il ſage ?
voilà Fauvette en ſouci ;
s’il changeoit, dieux ! quel dommage !

mais moineaux aiment ainſi ;
puiſqu’Hercule fut volage,
moineaux peuvent l’être auſſi.

Vous croiriez que la pauvrette
en regrets ſe conſuma :
au village, une fillette
auroit ces foibleſſes-là :
mais le même jour, Fauvette
avec Pinçon s’arrangea.

Quelqu’un blâmera peut-être
le nouveau choix qu’elle fit ;
un jaſeur ! un petit maître !…
c’eſt pour cela qu’on le prit :
quand on ſe venge d’un traître,
peut-on faire trop de bruit ?

Le Moineau, dit-on, fit rage :
c’eſt-là le train d’un amant ;
aimez bien, il ſe dégage :
n’aimez pas, il eſt conſtant ;
l’imiter, c’eſt être ſage :
aimons, & changeons ſouvent.

Par Madame la Marquiſe D’Antremont.


Quelle fleur d’eſprit, que d’agrément, de délicateſſe ! le talent de Madame d’Antremont paroîtra encore un phénomène bien plus ſingulier, quand on ſaura qu’elle demeure près des Pyrénées, & qu’elle n’a jamais fait aucun voyage ni à Paris ni à la Cour. Elle a, pour ainſi dire, deviné le meilleur ton de la Capitale.