Almanach des muses 1774/Requête à M. le Comte de **, pour obtenir un bénéfice simple
REQUESTE
À M. LE COMTE DE * * *
Si vous étiez un de ces perſonnages,
un de ces foux qu’on nomme ſages,
hiboux murés, patriarche des ſots,
j’irois au ſaint, miſe en large cornette,
l’air contrit, l’œil mourant, & les regards dévots,
l’éblouir des dehors d’une vertu coquette.
Si vous aviez le ton d’un monſeigneur,
l’étiquette d’un protecteur,
je viendrons, en robe traînante,
demander, humble ſuppliante,
un ſourire à votre Grandeur.
Mais vous qui ne voulez que plaire,
vous qui préférez la douceur
d’être grand par le caractère,
à l’éclat impoſant d’une vaine ſplendeur ;
vous, ce Philoſophe enchanteur,
qui peu flatté du foible honneur
qu’attache au nom l’œil trompé du vulgaire,
croyez que l’homme eſt dans le cœur »
vous n’aurez pas, ſans doute, ſa manie
de me voir en cérémonie ;
pour vous parier, a-t-cn befcin d’atours >
c’eft bien affez qu’en vous écrive,
peut-être crop qu’on mette la miflive
dans les vignettes des amours
Maïs, après tout, qu’eft-ce qu’une vignette ?
ne fait on ricn peur un Comte charmant ?
c’eft bien le moins qu’un verris d’agrément
lui pare un peu l’ennui d’une Requête.
Une Requêre ? Oui, Comte, exattemernt ;
vous allez devenir Mecène :
Pefprit doit l’ètre des talens.
Mon protégé vaur bien la peine
qu’on l’offre à vos foins bienfaifans.
Ce n’eft point un de ces pédans,
empaquetés d’un lourd bon fens
& toujours coëffés d’argumens.
Mon petir Collet eft aimable,
il ne veur point être admirable,
hi fe parer des talens qu’il n’a pas :
il a l’efprit doux & : raitable ;
_äileft moins né pour décider des cas
que pour prêcher ure beauté trop fière ;
il eft très-bien fur Les fophas :
mais il fercit tiès-mal en chaire.
Vous jugez bien, fur ce portrait fidèle,
que cet enfant, d’un vieux bonner quarté,
he peut avoir ni le ton, ni le zèle,
Anacréon peut-il être Curé ?
Il eft ſi doux ! deviendroit-il ſévère ?
Iroit-il au bon ſens, à lui-même contraire,
À fronder les danſes ſous l’ormeau,
& s’indigner qu’une jeune Bergere
danſe avec ſon Berger au ſon du chalumeau.
Non, ſon eſprit eſt l’indulgence :
tirez-le de ſa pauvreté :
mais laiſſez-lui la tolérance :
il compte pour rien l’abondance,
s’il faut haïr l’humanité.
Donnez-lui donc de préférence
de ces bénéfices charmans
qui, libres de tous ſoins gênans,
& faits pour nourrir l’indolence,
n’ont qu’un titre d’indépendance
qui laiſſe en paix les deſſervans,
Tels ſont ſes vœux, & telle eſt ma requête
vous l’appointerez ſûrement :
car c’eſt l’amitié qui l’a faite,
& qui la dicte au ſentiment.
Par Madame la Marquiſe D’ANTREMONT