Almanach des muses 1775/Vers à M. de Beaupré

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(p. 27-28).

VERS A M. DE BEAUPRÉ.


Qu’un jeune & brillant Militaire,
préfère les lauriers aux myrres de Cythère,
on peut excuſer cette erreur :
il faut à l’homme une chimère,
& la gloire, fans doute, eſt celle d’un grand cœur :
mais que la jeune & naïve Glycère
voulût prétendre à ſes faveurs,
vous ririez de la téméraire ;
quoi ! des lauriers au front d’une Bergère !
eh ! pour qui donc ſeroient les fleurs ?
C’eſt bien aſſez du ſoin de plaire ;
c’eſt bien aſſez qu’à ces grands jours,
où le cœur ſous l’ormeau célèbre la plus chère ;
on occupe un moment le pipeau des Amours.
La Renommée eſt-elle faite
pour répéter des ſons légers,
les petits airs d’une muſette ?
la Renommée, hélas ! prend bien garde aux bergers !
Nous ſommes comme la fauvette :
nous ne faifons quelque bruit qu’aux vergers,
Non, Beaupré, jamais voire gloire
ne fixera mes deſirs inconſtans ;à

de quel bien jouirois-je au temple de mémoire ?
eſt-on heureux par les talens ?
J’aurois l’honneur d’être immortelle :
cet honneur n’eſt pas fait pour nous ;
je n’envirois que celui d’être belle :
les autres font trop de jaloux ;
votre fèxe & le mien ſeroient toujours en guerre.
Hélas ! que deviendroit la tetre,
ſi nous allions nous ſéparer de vous ?
reſtons unis, c’eft un bien néceſſaire ;
homme, cueillez le laurier littéraire ;
il ne fera jamais l’objet de mes deſirs ;
je crains l’éclat ; mes vers font comme les plaiſirs :
il leur faut l’ombre du myſtère.

Par Madame la Marquiſe D’ANTREMONT.