Almanach des muses 1777/Adieux aux Muses

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(p. 123-125).


ADIEUX AUX MUSES


Vous dont j’ai trop chéri l’empirs,
Déités de mes jeunes ans,
M. ifes, reprenez votre lyre :
je vais à des Dieux plus charmans »
porter mes vœux & mon encens ;
l’amour eft un plus doux délire ;
vous m’égarâtes, il m’infpire :
lui feul remplit tous nos momens J
c’eft par lui que le cœur defrre ;
lui feui eft l’intérêt du teras.
Près : des biens dont fa maindifpofe,
que les fleurs du facré vallon,
que les lauriers font peu de chofe !
L’épine croît fur l’H-élicon :
c’efl ; à Paphos que naît la rofe.
Hélas ! dans l’âge du defir,
Mufes, faut-il qu’on vous immole
des jours deflinés à jouir ?
Qu’importe une gloire frivole ?
L’éternité de l’avenir,
vaut-elle un moment qui s’envole ?
Dans ce gouffre où tout va finir,
voyex tomber & s’engloutir.
tzlens.fublimes, noms célèbres 5
rien fur ces profondes tcnèbres

ne fumage que le plaifïr ;
Se tandis qu’il vient me fourlre,
tandis qu’à fon foufïlî enchanteur,
mon cœur fe ranime & refpire
le feu doux & pur du bonheur ;
j’irois, efclave dans vos chaînes,
vivre dans un ancre écarté,
mourir en détail dans les pcinea
d’une trifte célébrité !
tranquille enfin fur le rivage,
J’irois encor chercher l’orage,
braver les dédains, le mépris
d’un public injufte & volage,
expofer mes frêles écrits
aux fureurs d’un cenfeur fauvare !
Non, il eft tems d’être plus fage :
cachons-nous fous l’aile des jeux ;
laifTons à Verdier l’avantage
de charmer un jour nos neveux :
écrire Se plaire eft fon partage ;
mon fort fera moins glorieux :
mais pour être heureux à mon âje,
a-t-on befoin d’un nom fameux ?
Près d’Hilas, la tendre Glyrérc,
qu’a-t-elle à demander aux Dieux ?
Ah rien 1 Hilas eft fous fes yeux,
& da ; is la grotte folitaùe
oîa l’amour feul eft avec eux,
Glycére, dans la paix profonde,
dans le calme délicieux

des plaiſirs donc ſon cœur s’inonde,
Glycére, toute à ſon berger,
a-t-elle le tems ds ſonger
s’il eſt une gloire en ce monde ?
Ainſi vont couler tous mes jours…
quels doux momens ! qu’ils ſeront courts !
près du charmant objet qu’on aime…
Que vois-je ? ô Ciel ! ah ! c’eſt lui-même !
Adieu donc, adieu pour toujours,
Muſes, reprenez votre lyre,
j’aime, & mon cœur & les amours,
bien mieux que vous, m’apprendront à le dire.

Par Madame la Marquiſe d’Antremont, qui vient d’épouſer M. de Bourdic.