Almanach des muses 1781/Fragment d’un Discours prononcé par l’Auteur lors de sa réception à l’Académie de Nîmes
FRAGMENS D’UN DISCOURS,
Prononcé par l’Auteur, lors de ſa réception à l’Académie de Niſmes.
QUOI ! parmi vous, une Bergere
qui n’a pour luth qu’un chalumeau,
pour chanter, qu’une voix légere,
pour fauteuil, qu’un gazon à l’ombre d’un ormeau ?
vous l’arrachez à la fougere !
& votre voix ſublime à ſes ſons étrangere,
l’appelle, & lui préſence un triomphe nouveau 7
Si ma mufette abandonnée
réfonnoit encor fous mes doigts,
je ferois retentir nos bois
des vifs tranſports de mon ame éronnée :
mais dans ces lieux favans, de vos lauriers ornés,
où l’écho dès long-rems prit plaiſir à redire
les chants de ces mortels par les arts couronnés »
j’ai beſoin qu’un moment le Dieu qui vous inſpire »
daigne me confier ſa lyre.
Ce n’eſt point pour aller à la célébrité ;
non, ſi j’implore aujourd’hui fa puiſſance,
c’eſt pour qu’il prête à ma reconnoiſſance
des ſons dignes d’apprendre à la poſtérité
tous es bienfaits d’un Prélat adorable[1]
dont les vertus ont droit à l’immortalité,
qui ſait être grand ſans fierté,
religieux & ſociable ;
pour rendre un hommage touchant
au Philoſophe véritable[2],
qui badine en nous intruiſant :
le vrai ſavant eſt l’homme aimable,
Mais l’homme aimable en ce moment,
autour de moi ſe multiplie ;
célébrer cet eſſaim brillant,
c’eſt le ſeul droit qui reſte à ma voix affoiblie,
Ah ! ſi j’avois celui de tracer ſeulement
ces noms que la gloire publie !
Mais dans ſa bouche, ils ſont ſi décemment ?
Ne craignez pas que la mienne indiſcrette
oſe les profaner par des accens légers :
je me tairai ; la timide Fauvette
ne doit faire bruit qu’aux vergers.