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Amélia et Caroline, ou L’amour et l’amitié/07

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LÉOPOLD COLLIN, Libraire (2p. 47-114).

CHAPITRE VII.



John Barclay savait bien qu’il n’y avait pas un moment à perdre pour éviter la rencontre des troupes qui défilaient vers Carlisle. Aussi évita-t-il de suivre la grande route, et, prenant des chemins détournés, il gagna les montagnes du Westmorland, et ne permit de repos à la triste Caroline que dans une cabane située dans une gorge étroite et boisée. Là il fallut bien s’arrêter, car elle était épuisée de fatigue et d’inquiétude. Ils se reposèrent, et comme avec de l’argent on aplanit toutes les difficultés, John ne tarda point à procurer à sa belle maîtresse toutes les commodités qu’elle pouvait désirer. Il envoya à Richemond, sur la Swale, acheter des habits grossiers dont il fit fabriquer dans la cabane deux habits de paysans pour lui et pour Caroline ; il acheta du bétail, comme pour le conduire à Chester, où il avait des lettres à rendre de la part de lady Amélia, et après huit jours de repos dans la montagne, il partit pour Yorck à dix lieues de Richemond. Il avait également des lettres de recommandation pour un habitant de cette ville. Dans la route, il se faisait passer pour un marchand de bœufs, et Caroline pour son frère. Jusque-là, John Barclay, attentif à tout, veillant sur les êtres animés et même inanimés avec la vigilance d’une sentinelle active, n’avait lié avec Caroline aucune conversation qui eût pu détourner son attention. Caroline, soutenant son courage par ses propres réflexions, peu accoutumée à des êtres étrangers, et, par suite d’une marche forcée, réduite à cet abattement dans lequel c’est beaucoup si l’on peut encore penser, n’avait eu nulle communication avec son guide. Le besoin du repos dans la cabane hospitalière, et l’empressement de John à chercher ce qui pouvait soulager la fatigue de sa compagne, la décence et le respect qu’il lui portait, les avaient éloignés l’un de l’autre : mais, dans les chemins qui conduisaient à Yorck, plus tranquilles, bien déguisés et bien armés, John rompit le silence. « Miss Caroline ne me reconnaît pas, dit-il. — Non. — Je ne vous ai vue qu’un instant, et si alors vous m’avez apperçu, je ne m’étonne pas, qu’agitée par la terreur, vous n’ayiez pas observé l’auteur d’un si grand trouble. — Que voulez-vous dire ? — C’est moi qui remis à lady Goring le dernier message de son malheureux époux. — Vous, et comment, soldat de Crumwell, pouviez-vous en être chargé ? — Autrefois page de lady Goring, servant sous les drapeaux de mon maître, pris par les indépendants à la bataille de Naseby, je sauvai ma liberté en prenant parti pour eux ; un soldat n’a que ses armes et sa paye ; je ne pouvais disposer du sort des combats, et il me fallait exister. Je m’enrôlai comme volontaire dans la compagnie de sir Henry, dont les bonnes qualités m’attachèrent à lui. Ma conduite lui inspira de la confiance, et sans rien perdre du respect que je devais à mon chef, je fus son ami et son confident. Il ne m’empêcha point de remplir ce que me dictait mon attachement pour la maison de Goring, et il me permit de me charger de la lettre fatale. Mais ses ordres étaient précis, Remettre le paquet et partir à l’instant pour exécuter une commission importante, c’est tout ce que je pouvais faire. Sir Henry vient de confier à mes soins votre personne et votre sûreté ; je remplirai ses ordres avec zèle, et la mort seule peut me faire abandonner mon entreprise. » Caroline se sentit plus rassurée lorsqu’elle sut que John avait été attaché à sa mère adoptive. Ce n’était plus un inconnu à qui elle se trouvait confiée ; les infortunés composent une famille, et John était devenu membre de celle de Goring. Ils s’entretinrent désormais avec une douce familiarité. Tant qu’elle avait regardé les services de John comme des services mercenaires, elle pouvait craindre qu’une récompense plus forte ne fit varier ses dispositions, mais elle trouvait en lui un homme supérieur à l’état où la fortune l’avait réduit, dans l’esprit duquel une sage éducation avait assigné une base et des conséquences nécessaires, à ces principes de conduite que l’ignorance frappe de stérilité.

John Barclay, questionné par elle sur les raisons de la conduite de milady Falcombridge, apprit avec horreur que la jalousie seule avait dirigé les actions de cette femme ; une épouse éperdue d’amour pour un étranger, une femme sur le retour prétendant au cœur d’un jeune homme, et voulant perdre l’objet d’une passion légitime ! Caroline avait trop peu vu le monde pour n’être pas frappée d’un muet et long étonnement. Elle se hâta reporter un coup d’œil plus satisfait sur les procédés d’Amélia. John lui fit de l’âme de cette belle personne un tableau dont elle sentait la vérité par l’expérience qu’elle en venait de faire. Une secrète inquiétude cependant s’était présentée plus d’une fois. Amélia connaissait Charles, et semblait l’aimer. Rassurez-vous, Madame, lui dit John, le cœur de lady Amélia s’était donné bien avant qu’elle ait vu sir Charles Goring, et je connais l’objet d’un attachement bien pur et bien respectable. — C’est sir Henry, s’écria Caroline ; mais quel est sir Henry ? — Vous pouvez le savoir ; cette chaîne et ce médaillon vous l’apprendront. » Caroline ouvrit et vit ces mots gravés à l’intérieur : Fenny Claypole à son fils Henry place-Soho, Londres, août 1649. » Quelle est cette dame, demanda Carolinę ? — Elle est fille du général Olivier. — Ô ciel ! sœur de milady Falçombridge ! — Oui, mais aussi bonne, aussi généreuse, que sa sœur est méchante et acariâtre, et plus puissante sur l’esprit de son père par l’ascendant de la vertu, que son aînée, par ses emportements et son despotisme. » Depuis ce moment, Caroline fit paisiblement une route pénible et périlleuse ; elle pouvait parler de tout ce qu’elle aimait, et ces doux entretiens abrégeaient et les chemins et les heures. Elle demanda si Amélia connaissait le nom de lady Goring. John répondit que, s’il en fallait juger par la confiance qui règne d’ordinaire entre deux amants, elle devait en être instruite, mais qu’elle était trop prudente pour lui en avoir parlé. » Caroline continuant à s’entretenir de sa bienfaitrice et de sir Charles, ils atteignirent la ville d’Yorck, où ils furent accueillis chez une veuve très-aisée qui, instruite par la lettre d’Amélia, reçut la jeune fille comme la sienne propre, et la garda quelques jours chez elle, afin de se procurer des nouvelles certaines de la marche des troupes de Crumwell, et de celles de Charles II. Elle les fit partir quand elle crut qu’ils pourraient passer sans danger entre les deux armées, et se rendre à Chester, où John semblait appelé pour les affaires de son commerce. La veuve avait obtenu du lord Maire[1] tous les sauf-conduits et passe-ports possibles, de sorte qu’ils partirent encore tranquilles sur leur sort.

Leur route fut lente et interrompue par quelques frayeurs que causaient les intrigues des royalistes, et les soulèvements qu’ils cherchaient à exciter en faveur du roi. Cependant ils évitèrent les dangers, et arrivèrent à la ville de Chester, aux portes de laquelle ils trouvèrent un asile chez un propriétaire riche et bienfaisant, qui, sur le nom de lady Amélia, leur accorda l’hospitalité avec franchise et cordialité. Là, John vendit les bestiaux qu’il avait fait amener de Richemond par la route directe : il en tira un produit assez considérable pour un coup d’essai, et dirigé par son hôte, il se rendit seul à Derby, où il acheta des bas, du coton, des porcelaines et des ouvrages de bijouterie pour lesquels cette ville est renommée ; il expédia tous ses achats sur Londres, aux adresses indiquées par sir Henry, et revint prendre Caroline après quinze jours, pendant lesquels elle avait vécu tranquille chez son hôte. John, ayant réussi à passer adroitement entre les deux armées, et voulant faire profiter entre ses mains le capital confié à Caroline, se dirigea sur Schrewsbury et Worcester, afin d’acheter encore dans ces dernières villes une autre partie de porcelaine d’une beauté supérieure ; il eût été plus prudent d’entrer dans le pays de Galles, de se diriger vers le canal de Bristol, et d’aller joindre à Oxford la route de Londres. Tel était l’itinéraire que lui avait donné sir Henry ; mais les premières difficultés vaincues, il se crut invulnérable, et confia sa fortune au hasard. La jeunesse, forte de sa vigueur et des espérances que son imagination lui présente comme réalisées, ne réussit pas toujours à franchir les obstacles.

Le lord Derby, frère du lord Goring retiré dans l’île de Mạn, reçut de Charles II l’ordre de venir le joindre dans le comté de Lancastre, et il vint en effet avec quelques troupes rassemblées à la hâte. Ce prince avait espéré que son parti se grossirait en approchant du centre de l’Angleterre, mais sa faiblesse et l’impéritie du comité du clergé obstiné à suivre l’armée, rebutèrent ceux qui auraient voulu le joindre, intimidés d’un autre côté par les milices que le parlement avait mises en activité. Le clergé avait exigé qu’on publiât que, zélé partisan du Covenant, il ne recevrait pas sous ses drapeaux ceux qui refuseraient de le signer. Les rigides presbytériens désertaient déjà de son armée par défiance de ces principes ; il ne manquait plus que d’éloigner, par cette proclamation, ceux qui seraient venus le joindre. Il défendit, à la vérité, qu’elle fût rendue publique, mais il ne put empêcher qu’elle ne fût communiquée, et le bruit en ayant circulé, personne ne se présenta pour le soutenir. Le comte de Derby lui amenait douze cents hommes ; il fut rencontré par le colonel Lilburne qui rejoignait l’armée de Crumwell avec un détachement nombreux, et défait, après un combat très-opiniâtre. L’armée du roi, affaiblie par la désertion et les maladies, diminuait de jour en jour : il résolut de s’arrêter à Worcester, où il espérait avoir le temps de rafraîchir et de recruter ses troupes fatiguées. Les magistrats lui ouvrirent les portes de la ville, et le proclamèrent dans son enceinte. Il y établit son quartier-général, et son armée campa environ à un mille de Worcester. Mais Crumwell le joignit avec des forces supérieures ; son intérêt étant encore d’affaiblir son ennemi, il fit attaquer le pont d’Upton sur la Severn ; le roi, ou plutôt Lesley fut contraint d’y envoyer un détachement, et malgré la bravoure des soldats et des officiers, malgré la plus vigoureuse défense, le pont fut emporté. Alors Crumwell attaqua l’armée de deux côtés à la fois ; le combat dura quelques heures, mais la victoire se déclara pour la dernière en faveur d’Olivier. Les troupes royales furent complettement défaites, la cavalerie repoussée dans la ville de Worcester. Au milieu du désordre qu’elle y apporta, Charles II essaya en vain de la rallier, et de la faire retourner ; elle prit honteusement la fuite, et, poursuivie par la cavalerie ennemie, elle fut massacrée sans oser livrer le combat. L’infanterie ainsi abandonnée ne fit presque plus de résistance, et après avoir été maltraitée, elle mit bas les armes. Beaucoup d’officiers-généraux tombèrent entre les mains des ennemis ; et tel fut l’anniversaire de la défaite de Dumbar, qui termina la guerre des royalistes et des parlementaires.

Charles II se retira du champ de bataille avec Lesley et un petit corps de cavalerie ; mais, le voyant plongé dans la consternation, il le quitta pendant la nuit avec deux ou trois hommes, et conduit par le comte de Derby, il arriva déguisé à Boscobel dans le Shropshire, où il fut reçu par quatre frères laboureurs nommés Pendrell, chez lesquels il s’occupa à abattre du bois, pour ne point inspirer de soupçon. De là, il essaya de passer dans les montagnes du pays de Galles, mais les passages de la Severn étaient trop bien gardés, et il fut contraint de revenir à Boscobel, où il retrouva le capitaine Careless qui s’était, comme lui, échappé de la bataille, ou plutôt du massacre de Worcester.

Pendant ce temps, Caroline et Barclay, qui voyageaient avec moins de prudence que ne l’exigeaient ces événements, se trouvèrent enfin pris entre les deux armées et arrêtés dans leur marche par la terreur que dut leur inspirer une position si critique. Presque témoins de l’affreuse journée de Worcester, cachés dans des hameaux voisins, obligés d’en sortir dans la peur d’être soupçonnés par les gens des deux partis, ils osèrent à peine prendre du repos dans un champ un peu incliné, serrés contre une haie, craignant à tout moment de tomber, ou dans les mains des fuyards, ou dans celles des vainqueurs effrénés. Ils tentèrent, comme Charles II, de retourner vers leur première direction et d’entrer dans le pays de Galles, mais il était trop tard pour eux de passer la Severn, pour entrer dans ce pays. Ils retournèrent vers le comté de Shrop, afin de prendre des chemins plus rapprochés de l’Écosse. Barclay, se reprochant son imprudence, était prêt à se livrer au désespoir. Caroline le consolait, et quoiqu’abîmée de fatigue, et souvent épuisée de besoin, elle soutenait encore le courage de son compagnon. Elle lui parlait de sir Henry et d’Amélia ; elle lui peignait leur reconnaissance lorsqu’il leur rendrait compte des dangers qu’ils auraient courus, et de sa fidélité à remplir la pénible commission qu’ils lui avaient donnée. Enfin ils arrivèrent dans une plaine au milieu de laquelle un bosquet planté de chênes vieux et touffus pouvait leur procurer un asile. Ils avaient du pain, et un peu de lait dans une gourde : ils s’assirent sur de l’herbe à qui l’ombre des arbres avait conservé de la fraîcheur. Un ruisseau traversait ce bouquet de bois ; son eau limpide coulant doucement sur des cailloux, invita d’abord Barclay à se désaltérer, et son doux murmure ne tarda pas à plonger Caroline dans un profond sommeil. Barclay, la voyant endormie, profita de cet instant pour voir s’il n’appercevait rien dans la plaine. Ne voyant personne, il se hasarda un peu plus loin, et enfin appercevant un château de grande apparence, environné d’un parc d’une vaste étendue, il s’avançait jusque-là, trouvant une secrète douceur à procurer un asile à sa jeune maîtresse au moment de son réveil.

Tout à coup, Caroline entend le bruit des armes ; elle se lève précipitamment ; leur choc et les pas de plusieurs hommes retentissent à son oreille ; elle court du côté opposé à leur marche ; elle les voit à travers les arbres, mais elle les voit s’éloigner. Elle se rapproche, attend qu’ils aient disparu derrière une petite éminence, pour chercher Barclay. Mais elle se trouve seule : Barclay a disparu, Barclay ne revient point. Une horloge frappe dix heures, le soleil est couché, l’ombre s’étend sur la plaine, le crépuscule va seul égarer son œil errant dans cette vaste solitude. Elle ose appeler : personne ne répond. Elle sort du bois, et de loin elle apperçoit quelques armes dont les derniers rayons du soleil dorent encore les extrémités, et qui prènent la direction du lieu où elle peut à peine respirer. Elle fixe ce même château qui avait attiré les regards de Barclay ; elle y précipite ses pas chancelants ; un large fossé se présente : impossible de le franchir ; il faut tourner autour, et sa course peut être apperçue ; il le faut cependant. Elle arrive à l’angle qui regarde le bois, se glisse dans un chemin creux où elle descend avec joie ; le sentier continue assez long-temps : arrivée au fond, elle hésite, s’arrête, écoute, n’entend rien ; elle se hasarde à monter de l’autre côté. Arrivée à la crête, elle apperçoit à l’écart une maison qui lui semble de peu d’apparence. Autant qu’elle peut encore distinguer les objets, elle croit voir une haie vive qui l’entoure, quelques arbres qui la protègent : elle craint, encore, mais rien ne peut, ce lui semble-t-il, égaler la frayeur de passer la nuit sans secours et sans abri. Elle approche ; en effet, elle trouve ce qu’elle avait cru appercevoir ; une maison fort simple s’offre à sa vue ; la porte de la haie est ouverte ; elle entre timidement. À gauche un petit bâtiment isolé se présente ; elle imagine que là elle trouvera des domestiques. Elle frappe ; d’innocentes brebis font entendre leurs bêlements, et nulle voix humaine ne se mêle à leurs cris. Caroline se décide alors à frapper à la porte principale ; personne ne répond encore : elle pousse cette porte qui, mal fermée, cède à son premier effort. Elle se trouve dans un vestibule de forme carrée ; elle entre à gauche dans une petite cuisine ; quelques étincelles brillent encore au travers des cendres. Caroline, que l’obscurité croissante a déjà frappée d’effroi, cherche de quoi ranimer une clarté bienfaisante ; elle trouve du bois ; elle souffle, la flamme éclaire les objets qui l’entourent. Un flambeau à la main, elle se détermine à parcourir ce domaine ; à droite, vis-à-vis de la cuisine, elle voit un joli salon à manger, orné de quelques tableaux de prix ; plus loin, un salon au milieu duquel est une table couverte d’un tapis vert sur lequel elle voit épars quelques morceaux de poésie, les uns achevés, les autres commencés ; quelques essais de musique dans le même désordre, et mêlés avec des livres ; sur les chaises, une basse de viole, un théorbe et un luth : « C’est ici, dit-elle, la demeure d’un ami des arts ; ici je dois trouver des sentiments généreux ; je suis en sûreté. » Deux petites chambres à coucher suivaient ce salon, tout y respirait la plus élégante simplicité. Ces pièces composaient toute la maison ; une porte du salon ouvrait sur un jardin, mais elle était fermée, et Caroline n’osa l’ouvrir. Elle aperçut seulement, des fenêtres, des fleurs d’automne qui se balançaient mollement sur leurs tiges, agitées par un vent léger. Elle retourne au vestibule, monte un escalier qui le termine, et se trouve dans un grenier. S’étant assurée, par cette visite, qu’elle est seule dans cette habitation, elle court fermer la porte de la haie vive, et revenant plus vite encore, elle s’enferme également dans la maison. « Si les maîtres reviènent, se dit-elle, car cette habitation n’est abandonnée que d’aujourd’hui, je m’expliquerai par une croisée ; le son de ma voix ne les effrayera pas, et je leur demanderai l’hospitalité. » La faim lui fit pousser ses recherches plus loin, et dans la petite cuisine, elle trouva de quoi satisfaire son appétit. Elle avait dormi long-temps dans le bois ; elle éprouvait une secrète terreur de se trouver seule dans un lieu en apparence abandonné, et où d’autres personnes pouvaient venir comme elle. Elle était vivement inquiète de la fuite de Barclay, qui pouvait être tombé entre les mains de quelques soldats ; et désormais incertaine de son sort, privée de secours et d’argent, puisqu’elle n’avait sur elle que le billet de banque d’Amélia, un asile pour la nuit était un bien inestimable ; mais que faire le lendemain, et comment poursuivre sa route ? ces réflexions l’accablaient ; mais enfin, son courage l’emporta sur le désespoir auquel elle était prête à se livrer : elle passa dans le salon, et lut quelques-unes des poésies commencées. Elle en trouva d’un style trop recherché pour plaire : il y en avait de différentes mains, entre autres une de Waller, dont Caroline connaissait les ouvrages.

On a Girdle.

That which her slander waist confin’d ;
Shall my joyfull temples bind
No monarch but would give his crown
His arms might do what this as done.

It was my heaven’s extremest sphere
The pale which held that lovely deer
My joy, my grief, my hope, my love
Did all within this circle move.

A narrow compass ! and yet there
Dwelt all that’s good, and all that’s fair
Give me but what this riband bound
Take all the rest the sun goes round.

Sur une Ceinture.

Ce tissu perfide sert de barrière au temple de l’Amour ; nul monarque qui ne donnât sa couronne, si ses bras pouvaient faire comme lui.

Il est pour moi la plus haute sphère du ciel, le cercle qui retient cette aimable biche ; mon bien, mon espoir, ma peine, mon amour, tout pour moi respire au dedans de ce contour.

Étroite enceinte ! cependant elle renferme tout ce qui est bon, tout ce qui est beau ! amour, donne-moi ce qu’enserre ce ruban, et je t’abandonne tout ce que le soleil éclaire !

Elle crut qu’elle était chez ce poète aimable, et déjà très-vieux ; mais, comme elle trouva une plus grande quantité d’écrits d’une autre main, elle abandonna cette idée ; cependant il pouvait avoir un compagnon, car il y avait deux lits bien en ordre dans cette étroite demeure. Elle ne voyait rien qui annonçât la résidence d’une femme, du moins comme maîtresse du lieu.

Comme elle n’entendait aucun bruit à l’extérieur, dans une nuit très-calme, elle osa bien aussi examiner la musique, et prenant le théorbe, elle accompagna de sa voix un des morceaux qu’elle avait trouvés : elle en chanta un autre, et commençait le troisième quand une petite pierre vint frapper la fenêtre du côté du jardin. L’instrument lui échappe, les battements précipités de son cœur lui laissent à peine la faculté de respirer, lorsqu’une voix, un peu cassée, lui crie : Jeune homme, par grâce, ouvrez-moi ; je suis seul, je vous l’atteste. — Qui êtes-vous, répond-elle, un peu plus rassurée. — Un vieillard, et l’un des propriétaires de cette maison. — Ah ! de grâce, à votre tour, dit-elle avec un accent suppliant, accordez-moi un asile pour cette nuit ; ne me chassez pas de votre maison. — Eh ! de par Dieu, répond la voix, c’est bien moi qui vous fais cette demande, puisque vous êtes chez moi, et que je suis dehors. — Ouvrez, ajouta-t-on, car le froid de la nuit m’a glacé, et je tombe de besoin. À ces mots, Caroline eut le courage de lever un rideau, et apperçut en effet au dehors un vieillard absolument seul. Elle ouvre ; il entre, et la prenant par la main, « vous êtes vraiment un habile jeune homme ; à votre âge, exécuter ainsi ma musique à livre ouvert ! mais allons nous chauffer. » Caroline, entièrement rassurée par des regards pleins de douceur, et une cordialité rare chez les vieillards, marcha devant lui, et passant dans la cuisine, ralluma un grand feu, qui ranima promptement son hôte. Ensuite, sans qu’il le demandât, elle lui servit à souper, et lui fit prendre du vin. Le vieillard souriait de la liberté avec laquelle elle agissait dans sa maison, où elle aurait dû se trouver très-étrangère. Déguisant son nom et ses aventures, elle lui raconta qu’elle allait à Londres avec son frère, et qu’ils avaient été séparés il y avait peu d’heures, par un accident qu’elle ne pouvait concevoir ; qu’alarmée de se trouver seule, elle avait fui, et que le hasard l’avait conduite à cette maison qu’elle avait trouvée ouverte, et où elle s’était renfermée. — Vous avez agi prudemment, lui dit le vieillard, et le soir est pour moi plus heureux que le matin. Je vivais avec un ami ; nos deux génies s’étaient rencontrés. Suspect au gouvernement actuel, on est venu me l’enlever ce matin même, et dans mon désespoir, le jour m’a vu errer dans les campagnes sans prendre aucun repos et aucune nourriture. Il est triste à mon âge de perdre ce qu’on ne retrouve plus ; je n’avais qu’un jour à vivre ; il faudra le passer sans lui. À ces mots, quelques larmes s’échappèrent des yeux du vieillard, et Caroline sentit les siens humides. La douleur est si touchante à cet âge où la raison humaine ne conçoit plus l’espoir consolateur ! quand le tombeau est entr’ouvert, quand il n’y a plus qu’un pas à faire pour y descendre, l’homme de bien devrait au moins goûter le calme d’une conscience pure, et sa carrière paisible devrait retracer la fin d’un beau jour.

Le nom de mon ami est Cowlay, reprit le vieillard ; vous qui, sous des habits grossiers, montrez tant d’habileté dans un art difficile, vous le connaissez sans doute. » Oui, répondit Caroline, si cet aimable poète consultait son cœur plus que son esprit, on l’aimerait davantage. Quelque jour on dira de lui :

Who now reads Cowley ? if he please yet
His moral pleases, not his pointed wit ;
Forgot his epic, nay pindaric art ;
But still I love the language of his heart.

Qui maintenant peut lire Cowlay ? s’il plaît encore, c’est par sa morale, et non par son esprit recherché ; il faut oublier son art poétique et même pindarique ; il faut dire que toujours on aime le langage de son cœur.

Vous êtes un aimable enfant, reprit le vieillard. Tant de jeunesse et de simplicité ! tant d’esprit et de goût ! Je voudrais que Cowlay fût ici, il ne se fâcherait point, et vous aimerait comme moi. — Mais vous-même, reprit Caroline, oserai-je demander qui est l’ami de Cowlay. — Je m’appèle Law, dit-il, en appuyant sur son nom, celui que Charles premier appelait le prince de la musique ; et Charles premier s’y connaissait, ajouta-t-il avec un sourire d’approbation. « Cet entretien se borna là. Une vieille paysanne entra dans le salon et courut embrasser son maître. « Eh d’où viens-tu, ma pauvre Déborah ? — Je m’étais, dit-elle dans le langage gallois, cachée dans la cave, lorsque ces méchants soldats sont venus prendre M. Cowlay, et je n’ai osé remonter que quand d’ici j’ai reconnu votre Voix. — Quoi ! reprit Caroline, vous ne m’avez point entendue ? — J’ai entendu du bruit, j’ai entendu la musique ; mais ce n’était pas mon maître, et je n’osais me montrer. Mais vous, jeune homme, d’où venez-vous ? qui êtes-vous ? et en disant ces mots, notre galloise examinait attentivement la figure du nouvel hôte. Caroline fut déconcertée de son regard perçant. Law répondit pour elle, et la paysanne que la faim pressait, se retirait lorsqu’un grand coup frappé à la porte fit tressaillir le vieillard et ses compagnes. Il fut suivi d’un autre, puis d’un troisième, avant qu’on se fût déterminé à répondre.

Cependant fuir dans la nuit, semblait une chose plus dangereuse que de s’enquérir de ce qu’on voulait. Law prit ce dernier parti, et avant d’ouvrir il fit une question. « Ouvrez, lui dit-on, une femme vient de faire une chute ; elle est expirante et demande un asile. » À ces mots on ouvrit, et quelques hommes armés entrèrent, portant en effet dans leurs bras une femme accompagnée d’une autre, ayant un chapeau et un grand voile qui cachait son visage ; sa taille était élancée ; sa démarche légère annonçait une très-jeune personne. Deux femmes de chambre et deux domestiques suivaient.

Tout ce cortège entra dans le salon où le vieillard les conduisit. Quelle fut la surprise de Caroline, lorsque la dame en chapeau eut découvert le visage de l’autre, et qu’elle reconnut Milady Falcombridge ! Elle fit un cri de surprise et de terreur, qui attira sur elle les regards de la jeune dame.

Celle-ci écartant son voile montra Lady Amélia aux regards de la fugitive ; son œil inquiet lui fit signe de se retirer promptement, mais Caroline n’en eut le temps ; son cri avait tiré Milady de son état de stupeur. Un coup d’œil lui avait fait reconnaître l’objet de sa haine. « Que fait ici cette fille, s’écria-t-elle ? Qu’on l’arrête ! elle est sous la main du gouvernement. Vous vous trompez, Madame, reprit courageusement Amélia ; je ne vois qu’un jeune homme qui est sans doute chez lui. Nous n’avons droit d’attenter à la liberté de personne, et nous ne devons pas violer l’hospitalité qu’on nous offre. — Quoi donc ! Amélia, ne reconnaissez-vous pas cette Caroline dont mon père a voulu s’assurer ? et milady Falcombridge, fille du général Olivier, n’a-t-elle pas le droit de servir et l’État et son père ? Encore une fois, vous vous trompez, Madame, répliqua Law ; cet enfant m’appartient, et si je ne vois pas un ordre écrit de l’arrêter, je réponds que les braves soldats qui vous servent d’escorte ne se permettraient pas chez moi un acte de violence. Déborah, ajouta-t-il, conduisez-les au salon à manger, faites-les rafraîchir, ayez bien soin de ceux qui supportent immédiatement le fardeau de la guerre ; allez. Déborah était prête à suivre les ordres de son maître, lorsque milady, furieuse de l’immobilité des soldats et de l’audace du vieillard, se leva, et saisissant Caroline par ses habits : « Tu ne m’échapperas pas, s’écria-t-elle ! Caroline reculant échappa de ses mains et vint tomber dans les bras de Déborah qui se présenta ainsi tout à coup aux yeux de Milady. Cette vue paralysa toutes ses facultés ; elle devint immobile ; sa pâleur augmenta, on la vit se rasseoir, et prête à s’évanouir demander qu’on la laissât seule avec sa belle-fille et ses femmes. On lui obéit avec empressement ; lady Amélia eut tout le temps de dire tout bas à Law : « Pour dieu, loyal et respectable vieillard, sauvez cet enfant des mains de ma belle-mère. » Law prit la tremblante Caroline par la main, et l’amena avec lui. Il avait remarqué, aussi bien que les autres, l’impression qu’avait faite la vue de Déborah ; il lui en demanda l’explication. « Suffit, reprit la paysanne, que je connais milady, et qu’elle me connaît bien : je ne veux pas en dire davantage ; et vous aussi, ajouta-t-elle, en s’adressant à Caroline, je vous connais ; où est donc M. Melvil ? Hélas ! il n’est plus. Des assassins lui ont ôté la vie… et j’ai tout perdu. — En ce cas, fuyez milady Falcombridge ; je la connais, vous dis-je, et rien ne vous garantira de sa fureur. — Elle peut toujours demeurer sous ma garde, reprit Law. — Oui, jusqu’au point du jour. — Eh bien, au lever du soleil, elle sortira par le jardin, elle ira sous ces mêmes habits, chez le comte Rochester où le concierge la recevra, et nous lui chercherons un autre asile. — Comment avez-vous connu M. Melvil, demanda Caroline à Déborah ? — L’histoire serait longue. — Et milady Falcombridge ? — Oh ! plus longue encore. — Ne puis-je du moins savoir ?… Rien ; tout serait inutile ; il s’agit de vous sauver. » À ces mots, elle sortit ; Law écrivit un mot au gardien du château de Rochester ; et voyant le crépuscule qui commençait à paraître, il conduisit Caroline à la porte du jardin, lui enseigna sa route, et lui promit d’aller la joindre aussitôt que Milady Falcombridge l’aurait quitté. « Amenez Déborah avec vous ; elle me connaît, dit-elle ; hélas ! elle est donc plus instruite que moi. — Je la questionnerai, soyez-en sûre ; vous avez un ami dans le musicien de Charles premier. Allez à la garde de Dieu ; qu’il vous couvre de son active bienveillance, et l’embrassant les larmes aux yeux, il ferma la porte sur elle. Lorsqu’il rentra, milady Falcombridge le fit appeler. « M. Law ! dit-elle ; je crois en effet que je m’étais trompée, et que ce jeune paysan qui est chez vous n’a d’autre tort que sa ressemblance avec une fille que j’ai connue. Vous me l’avez dit, lady Amélia me l’assure, et je le crois ; il peut rester en repos chez vous. — Il y restera, Madame, répondit Law. — Parlons d’autre chose, M. Law, qui est cette paysanne qui soutenait hier cette fille… ou du moins ce jeune homme dans ses bras ? — Elle est à mes gages : elle est née dans les montagnes du pays de Galles ; elle eut, un moment, beaucoup d’aisance dans son état ; elle avait des terres, des bestiaux, des meubles ; mais son mari, qui manquait de conduite, a dissipé sa fortune ; elle a tout perdu. Cherchant une condition douée et stable, elle vint chez moi ; je lui confiai la garde de cette maison, pendant que j’étais à Londres, attaché à la Cour, et depuis que j’habite constamment ce lieu, elle me sert avec fidélité. — Connaît-elle cet enfant ? — Je l’ignore. — Je voudrais le savoir. — Eh quoi ! Madame, la connaissez-vous elle-même ? — Je crois me la rappeler. — Voulez-vous la voir ? — Oui. »

Law appela Déborah. Celle-ci parut ; milady la considéra, et quelques apparences d’effroi parurent sur son visage cependant plus composé qu’auparavant. — Que veut milady, demanda la Galloise d’un ton qui n’avait rien de timide ? — Déborah, reprit milady avec douceur, M. Law m’a dit que vous aviez beaucoup perdu. — Oui, Madame, tout, tout ce que j’avais. — Il m’a rendu un bon témoignage de vous, que je veux vous faire du bien. — Grand merci, Madame, je n’ai besoin de rien. — Quoi ! vous aimez mieux être en service que d’exister libre et à l’aise par mes bienfaits ? — Oui : le pain qu’on gagne par son travail, ne coûte pas de regrets. Il fait bien à la santé du corps et de l’âme. Dieu n’a pas voulu que je conservasse celui que j’avais ; le bon dieu avait raison, je sais bien le pourquoi, et je n’en veux plus. » En disant ces mots, elle fit une profonde révérence, et sortit, laissant milady interdite, Amélia et Law très-étonnés.

Amélia désirait entretenir cette femme ; sa curiosité était vivement excitée ; mais elle n’osait sortir de la chambre, en observant que sa belle mère, les regards fixés sur elle, cherchait à lire au fond de sa pensée. La jeune Sarah, non moins inquiète que sa maîtresse, et plus timide encore, n’osait sortir ; et milady Falcombridge, invitée par Law à prendre quelques heures de repos, ordonna à sa fille et aux deux femmes de la suivre dans l’autre chambre, et de ne pas la quitter. En effet elle les emmena, fit coucher Amélia dans une chambre commandée par la sienne, et retint auprès d’elle Sarah et sa compagne, qui s’endormirent sur des sièges auprès de son lit.

Law revint près de Déborah, et se sentant très-fatigué, lui demanda la clef de sa chambre pour se coucher aussi. Alors un des domestiques de milady nommé Will, s’approchant de la vieille servante, lui fit des questions sur le petit protégé de son maître. Déborah lui répondit très-laconiquement et avec une brusquerie qui aurait dû le dégoûter de l’entretien. Mais cet homme était adroit. « Où est donc ce bel enfant ? — Il dort. — Et où donc ? — Eh parbleu dans son lit. — Et où est sa chambre ? — Sous le ciel. — Vous avez la répartie prompte ! — Que vous importe ce qui se passe ici ? Mon maître vous reçoit, il le veut bien, et vous venez comme pour espionner nos actions, cela n’est ni beau ni honnête. — Je ne veux pas espionner, comme vous dites ; mais quand on a quelque chose à cacher, on excite la curiosité. Je vous demande où est le petit bon homme ? Vous me dites qu’il dort. — Eh bien ? — Eh bien, si vous m’aviez dit que vous et votre maître l’aviez mis dehors ce matin, je ne vous aurais pas répliqué. — Comment mis dehors ce matin ! — Oui, vous l’avez conduit à la porte de votre jardin, et votre maître lui a enseigné la route du château de Rochester. C’est là où il va, c’est là qu’on le retrouvera. Déborah pâlit ; mais elle ne répondit rien, et un moment après elle courut chercher son maître. Elle ne le trouva point au lit ; et regardant sur la terrasse, elle l’apperçut à la fenêtre de lady Amélia qui avait trouvé le secret de l’ouvrir, et de se procurer un entretien avec le vieillard.

Déborah s’approcha d’eux, leur répéta les propos du valet, accourut à la cuisine pour amuser cet homme et l’empêcher de surprendre son maître et la jeune lady ; mais il n’était plus temps. Déjà Will était entré dans la chambre de sa maîtresse et l’avait prévenue tandis que Sarah et sa compagne dormaient d’un profond sommeil. Elle se lève aussitôt, entre brusquement chez Amélia, qui, venant de rompre l’entretien, s’était recouchée, et paraissait tranquille ; de sorte que milady demeura dans le doute si son confident s’était trompé. Mais à tout événement, soucieuse, inquiète, ne pouvant trouver le sommeil, elle se détermina à se rhabiller et à partir aussitôt que sa voiture serait réparée.

Amélia désirait attendre des nouvelles de Caroline. Law venait de lui promettre d’envoyer sur ses traces, pour savoir si elle était arrivée au château. Elle fit à sa belle-mère des observations sur un départ si prompt. Milady, ne voulant entendre à aucun délai, Law la pria seulement d’accepter le repas qu’il avait préparé ; elle y consentit avec beaucoup de peine, et en l’attendant elle retint constamment avec elle lady Amélia et ses femmes. Cette contrainte, qui désespérait la jeune personne, pesait aussi sur elle-même ; car elle n’osait entretenir Déborah, qui passait et repassait devant elle avec une assurance qui la déconcertait toujours. Elle garda le plus profond silence sur le jeune homme de la veille, et n’entretint son hôte que de choses relatives aux arts. Law, tout occupé de son ami, la pria de s’intéresser au sort de Cowlay ; elle le promit, et parla beaucoup de ses poésies.

Tandis qu’elle était à table, Will vint lui dire que deux de ses chevaux étaient hors d’état de la conduire. « Je partirai, dit-elle, avec les autres ; vous resterez ici, avec la permission de M. Law, et vous me les ramènerez à Londres. » Law consentit, mais Amélia frémit. Cet homme était un de ceux qui avaient tenté d’enlever Caroline ; elle sentit bien qu’il était tard d’avertir que des chevaux étaient malades, ce qu’on avait dû voir dès le matin, et que ce n’était qu’un prétexte pour laisser ce vil confident à la poursuite de l’infortunée fugitive ; mais que pouvait-elle faire ? Milady observait tous ses mouvements, la suivait partout, ou la rappelait auprès d’elle : elle partit enfin sans avoir pu joindre Law ni Déborah, sans avoir pu jeter même un regard sur le respectable hôte. À peine, en lui disant adieu, put-elle lui serrer la main, et sentir celle du vieillard presser la sienne.

  1. Le Maire de Londres et celui d’Yorck sont les seuls en Angleterre qui portent le titre de Lord.