Amélie, ou Les Écarts de ma jeunesse/02
AMÉLIE B…
À VICTORINE MALL…
ous voulez absolument, ma chère, abuser
des droits de l’amitié : vous voulez me
forcer de mettre au jour l’histoire que
ma complaisance pour vous vient d’arracher
de ma plume, mais que la honte
d’en être l’héroïne me ferait supprimer,
si je pouvais effacer aussi aisément de ma mémoire
les faits qui la composent, que les caractères
que j’ai tracés. Je l’avouerai : je me repens quelquefois de vous avoir obéi. Chaque ligne que
je relis, atteste mon déshonneur ; je crains que
vous ne puissiez pardonner à votre amie les
égarements d’un cœur trop tôt abandonné à lui-même ;
et cette idée me fait frémir. Cependant, si
je vous en crois, « Cette confiance, de ma part,
m’est un titre de plus à votre amitié ; vous
m’en saurez gré toute la vie ». Et je pourrais
vous refuser ce que vous paraissez tant désirer !
Non, je n’en ai plus le courage. Mais, si vous
exigez de moi tout ce que vous voulez, n’ai-je pas
à mon tour le droit de demander que vous soyez
seule dépositaire de mes faiblesses ? J’aurais
trop à rougir, si quelque autre que vous les apprenait.
Je compte assez sur l’indulgence de mon
amie pour ne lui rien cacher ; mais je ne pourrais
soutenir les regards d’un étranger qui aurait
pénétré mes secrets.
Agréez donc l’esquisse que je vous envoie comme un monument de ma tendresse pour vous, et persuadez-vous bien qu’il n’y a qu’à l’amitié qu’on peut faire de si grands sacrifices.
Adieu, plaignez votre amie, et ne la méprisez pas.