Notice historique et littéraire sur AMÉLIE.
AMÉLIE est destinée par son père à devenir l'épouse d'Éraste, mais elle est secrètement éprise de Dionis. Par les conseils de sa suivante, et pour instruire son amant des sentiments qu'elle a conçus pour lui, elle lui fait une déclaration en feignant de dormir. Dionis, perdant l'espoir d'obtenir l'agrément du père d'AMÉLIE, la détermine à se laisser enlever. Ils sont poursuivis et atteints dans leur fuite par Eraste ; mais un inconnu, qui se trouve fortuitement à leur rencontre, prend la défense d'AMÉLIE et met l'épée à la main. Éraste dans ce chevalier errant reconnaît Cloris, dont il avait été violemment amoureux et qu'il croyait morte. Son ancien amour renaît à cette vue ; et de ce moment , loin de s'opposer à l'union de Dionis et AMÉLIE, il la sollicite et l'obtient du père de cette belle fugitive. Outre ces deux mariages, il y en a un autre dans la pièce entre Érante, sœur AMÉLIE, et Lisidan, ami de Dionis. Cette Érante, quoique sage et vertueuse, après avoir promis sa main à Lisidan, devient éprise de Dionis, et elle fait mille efforts infructueux pour le rendre infidèle à sa sœur Cette intrigue, fort obscure d'ailleurs, ne fait que compliquer l'action, sans la rendre plus intéressante. L'auteur y a encore introduit un matamore extravagant, personnage obligé des comédies de cette époque, et qui pouvait peut-être avoir quelques modèles dans ce siècle où les rodomontades espagnoles étaient en faveur, mais qui nous paraît aujourd'hui aussi faux que fastidieux.
Au reste, il était impossible de faire une pièce en cinq actes d'un sujet qui offre à peine quelques scènes piquantes. Nous allons bientôt voir Rotrou, s'affranchissant des entraves qui retenaient le théâtre dans sa première barbarie, prendre un nouvel essor à l'exemple de Corneille son ami, et marcher presque son rival.
Emmanuel Louis N. Viollet-le-Duc [1820], in tome III des oeuvres de Rotrou.
ACTEURS
AMÉLIE, maîtresse de DIONYS.
DIONYS, serviteur d'AMÉLIE.
ÉRANTE, sœur d'AMÉLIE.
LISIDAN, serviteur d'Éraste.
ÉRASTE, Corrival de DIONYS et serviteur de Cloris.
CLORIS, maîtresse d'Éraste.
LE PÈRE.
DORISE, suivante d'AMÉLIE.
ÉMILE, Capitan.
LE VALET.
ACTE I
Scène I
Amélie damoiselle, Dorise confidente.
Et bien veux-tu savoir l'état de ma fortune ?
J'accorde ce discours à ta plainte importune,
Et je vais t'avouer sur le bord de ces eaux
Ce que je ne voulais révéler qu'aux oiseaux :
Mais quand tu connaîtras une ardeur si secrète
Sois prudente Dorise, ou que je sois muette.
Tu gouvernes ma vie et mon affection
Dépendra désormais de ta discrétion,
Sais-tu de DIONYS le mérite et la grâce,
Crois-tu qu'en l'univers un autre le surpasse.
C'est lui que vous aimez.
Je meurs sous ses attraits
L'amour m'a décoché le plus beau de ses traits
À ses lois ma raison a rendu son usage,
Et me fait adorer cet aimable visage,
Et jamais un tel coup n'est parti de ses mains
Depuis qu'il a du droit sur le coeur des humains.
C'est un aimable objet.
Que ce mot me contente !
Mais Éraste ?
Il nourrit une inutile attente
Et je hais sa mémoire, alors que DIONYS,
Présente à mes regards ses charmes infinis.
Il plaît à votre père.
Oui, mais son avarice,
Me doit-elle ranger, au gré de son caprice.
Il considérera sa fortune, et son bien.
A-t-il droit sur mon cœur, si je n'y peux plus rien ?
Vous savez son humeur.
Dieux qu'elle est importune,
Qu'elle m'a fait de fois détester ma fortune ;
Il rompt tous mes desseins, et sa sévérité
Tient (oui je le dirai) de l'inhumanité
Il met toute sa joie à traverser la mienne
Il souffre seulement qu'Éraste m'entretienne
Éraste qui me rend des devoirs superflus
Et qu'entre les humains je déteste le plus !
Dure nécessité que la crainte des pères !
Que la nature oblige à des règles sévères !
Qu'une fille languit sous de fâcheuses lois !
Et que pour un seul être on nous l'ôte de fois !
Mais que doit observer une fille amoureuse ?
En moi l'amour rencontre une âme généreuse,
Mon sexe, mon respect, ni ma condition
Ne me feront jamais trahir ma passion :
Un vainqueur si puissant à mon âme asservie,
Qu'il faut qu'on me le donne, ou qu'on m'ôte la vie.
Donc il vous aime aussi ?
Si ses vœux ne sont faux,
Et si comme son corps son âme est sans défauts
Je n'ose toutefois confesser que je l'aime,
Alors qu'il m'entretient de son amour extrême ;
La constance est si rare, et l'artifice est tel
Qu'on ne peut s'assurer en l'esprit d'un mortel :
Souvent la trahison se masque d'apparences
Qui forcent nos froideurs et nos indifférences
Puis, tel nous tient, enfin, que nous ne tenons plus,
Et l'ayant accepté nous souffrons ses refus.
Croyez-vous DIONYS capable de ce vice.
Peu d'entre les amants sont exempts d'artifice.
Madame un bon esprit n'a point ces qualités
Ne fondez point de peur sur ces difficultés :
Prévoyons seulement à forcer leurs obstacles.
Ne peux-tu rien pour moi.
Je ferai des miracles
Et je rendrai vos vœux, moindres que vos plaisirs
Si mes inventions égalent mes désirs.
Tu me promets beaucoup ?
Rien, que je ne vous tienne.
Quelle bonté, Dorise, est pareille à la tienne ?
Je vous dois tous mes soins : il faut premièrement
Vous déclarer de sorte à cet aimable amant,
Qu'il ne puise endurer jusqu'à la violence
Et qu'il ne soit pas vain, jusques à l'insolence
Qu'il ne puisse ignorer votre amoureux souci
Et qu'il n'ait pas raison de s'en vanter aussi ;
J'en sais l'invention, quand selon sa coutume
Il viendra vous parler du feu qui le consume.
Je l'attends en ce lieu, si cet objet charmant
Y peut par ton moyen entrer secrètement,
Car mon père croirait.
C'est assez, et j'espère
De lui faire éviter les yeux de votre père,
Écoutez seulement ; le voyant arriver
Couchez-vous sur ces fleurs, et feignez de rêver,
Dites que son mérite à votre âme ravie,
Que votre impatience égale son envie,
Et que vous n'aspirez qu'après l'heureux moment
Qui doit joindre vos fers et finir son tourment ;
Après, l'ayant flatté sur le point qui le presse
Comme vous éveillant, blâmez sa hardiesse,
Et s'il vous redit tout, répondez qu'en rêvant
Tout ce qu'on s'imagine est de l'air et du vent ;
Témoignez par vos yeux un peu d'indifférence,
Si bien qu'il ait sujet de crainte, et d'espérance ;
Alors, vous le verrez en d'étranges accès,
Et là sa passion prouvera son excès.
Que ton expérience en ce point m'est utile,
Va l'attendre à la porte.
Adieu.
Qu'elle est subtile,
Que son coeur s'est souvent exercé là-dessus ;
Et qu'on sait bien aimer, quand on ne le peut plus !
Ces vieilles dont l'humeur est si triste et si noire,
Et qui n'ont plus d'amour qu'en la seule mémoire :
Par leur expérience ont trouvé des ressorts
Dont les effets divers excèdent nos efforts ;
Leur pouvoir absolu régit nos de stinées
Avance nos amours, ou rompt nos hyménées.
Leur savoir divertit des malheurs apparents
Elles nous montrent l'art d'abuser nos parents,
Elles font incliner leur humeur à la nôtre,
Éloignent un amant, font approcher un autre,
Tout cède à leur esprit, il invente des traits,
Plus forts que ceux d'amour, et que tous nos attraits ;
Mais je vois cet objet dont mon âme est atteinte,
Feignons de reposer ; amour, conduit la feinte.
Scène II
DIONYS, Dorise, AMÉLIE.
Mais, si je l'importune ?
Elle me l'a permis.
Voyez, si je sais bien obliger mes amis ?
Voyez ce que je rends à vos rares mérites,
Puisque je la dispose à souffrir vos visites,
Elle m'a discouru de votre affection
Sans découvrir pourtant son inclination,
Et si son coeur est froid autant que ses paroles,
Votre espérance est vaine, et vos peines frivoles,
Je suis fort abusée, ou souffrant vos discours,
Tout le dessein qu'elle a c'est de charmer les jours,
Le temps fait toutefois tant de métamorphoses,
Et les filles d'ailleurs, réservent tant de choses,
Que peut-être on verra son esprit adouci,
Ou que déjà le temps en a pris le souci ;
Nous la trouverons seule, au pied de la fontaine,
Elle me l'a promis avec beaucoup de peine,
Qu'il entre (a-t-elle dit) car tu peux tout sur moi.
Que je te suis tenu.
Venez, je l'aperçois.
Ne faisons point de bruit.
Comment ?
Elle repose.
Un sommeil gracieux tient sa paupière close,
Vois, comme en tous ces lieux, les zéphyrs sont fâchés
Et murmurent de voir ces deux astres cachés
Vois-tu comme privé de leur douce lumière,
Ce jardin l'est aussi de sa beauté première ?
Vois-tu comme ces fleurs ont perdu leurs appas,
Pour ce que leurs soleils, ne les regardent pas.
Vois l'herbe sans vigueur : mais que j'ai d'imprudence
Je sais mal au besoin, observer le silence,
Retirons-nous sans bruit.
Retirons.
Dionys.
Ô Dieux ! J'ai trop parlé !
Quand serons-nous unis.
J'ai perdu mon souci, toute ma défiance,
Et je ne doute plus de ton impatience.
Elle repose encor.
Ô Dieux ! Qu'ai-je entendu ?
Le Ciel t'accordera le bonheur qui t'est dû,
Les astres à l'envi nous combleront de joie,
Leur bonté nous prépare une trame de soie.
Nos vœux s'accompliront, et jamais deux amants
Ne furent plus heureux après moins de tourments.
Ô discours favorable !
Écoutons.
Ô Dorise,
Qu'en cet heureux moment le Ciel me favorise.
Si ce divin sommeil n'est une illusion,
S'il lui dicte ces mots à mon occasion.
J'en conjure le Ciel.
Donne un mot de réponse
Au favorable arrêt, que ma voix te prononce,
Quoi ? Tu ne répons rien aux vœux que je te fais ?
Point de remerciements après tant de souhaits.
Tu montrais tant de crainte, et tu vois l'espérance,
Qui lui doit succéder, d'un œil d'indifférence,
Tu ne réputes pas ton destin bienheureux,
Lève les yeux au moins, et réponds-moi par eux.
Ô favorable songe !
Il est à votre gloire,
Vous devez puissamment occuper sa mémoire,
Autrement le sommeil ne lui fournirait pas,
Un portrait si puissant de vos rares appas.
Ô Dieux ! Quel changement arrive à ma fortune,
Dionys est le sourd et je suis l'importune,
J'étais sourde jadis, quand tu me demandais,
Et tu l'es maintenant pour ce que tu me dois,
Dionys, (mon souci) quoi rien à ma prière,
Ta voix n'a-t-elle plus sa douceur coutumière ?
Ton unique dessein fut-il de m'émouvoir,
Et te contentes-tu d'avoir eu ce pouvoir :
Hélas ! Parler à moi, c'est parler à toi-même,
Et tu n'en peux douter, si tu crois que je t'aime.
La contrainte est honteuse, et c'est un vain tourment,
À ceux en qui l'amour préside également :
Ce dieu ne défend rien, de toutes les pensées
Où les honnêtes mœurs ne sont point offensées,
Et je ne défends point, tout ce qui t'est permis,
Par ce Dieu, si propice, et doux à ses amis.
Que ne puis-je après ces mots entendre qui me plaise ;
Tous mes sens sont ravis d'étonnement, et d'aise ;
Mais las ! Dois-je espérer ?
{{didascalie|feignant de s'éveiller|c}}
Ô Dieux ! Qui parle ici ?
Quoi ? C'est vous Dionys ? On me respecte ainsi.
Ne me souffrez jamais, si vous croyez (Madame)
Que ma discrétion soit moindre que ma flamme,
Je tremble, je pâlis, à votre seul aspect,
Et je perdrai le jour, plutôt que le respect ;
J'allais parmi ces fleurs égarer mes pensées,
Voyant sur vos beaux yeux leurs paupières baissées :
Mais.
Quoi mais.
Je me tais, car je n'ose espérer,
Que le bien de vous voir, et de vous adorer ;
Achevez, je le veux.
Dorise.
Non vous-même.
Mais vous m'accuserez d'une impudence extrême ;
Vous parliez en rêvant, vous flattiez mon souci,
Et je n'espère plus, que vous parliez ainsi.
Qu'ai-je dit ? Achevez.
Ce mot est sans défense.
Mais vous me blâmerez, de mon obéi ssance :
J'obéis toutefois : je m'éloignais de vous,
Chassé par un sommeil si profond, et si doux :
Quand mon nom proféré par votre belle bouche,
M'a fait plus immobile, et plus froid qu'une souche ;
Malheureux, (ai-je dit) j'ai rompu son repos.
Lors vous avez, Madame, ajouté ces propos,
Quand seront notre attente, et nos peines finies ?
Quand seront Dionys, nos deux âmes unies ?
Tu plais seul à mes yeux, mon coeur est adouci,
Je connais ton amour, et je la sens aussi.
Réponds à mes discours, tant de respect m'offense,
Prouve-moi ton ardeur, par ta réjouissance,
Je souffrirai (mon coeur) ces innocents plaisirs,
Que je ne peux défendre à tes chastes désirs ;
Mais qu'étaient ces propos, que d'aimables mensonges ?
Je rêvais dionys, et tous songes sont songes.
Scène III
Éraste, AMÉLIE, DIONYS , Dorise.
Je vous nuis en ce lieu ?
Non pas fort.
Toutefois
Mon abord vous sépare, et vous ôte la voix.
{{Personnage|A MÉLIE|c}}.
C'est que nous vous craignons.
Oui, comme un misérable,
À qui vous déniez un regard favorable,
Qui blesse à son abord, qu'on ne veut point guérir,
Qui naquit pour déplaire, et qui vit pour mourir.
L'agréable entretien.
Pareil à ma fortune,
Il ne part rien de moi, qui ne vous importune,
Vous fuyez tous les lieux où je dresse mes pas,
Et si je charmais tout je ne vous plairais pas.
On m'attend au logis.
Scène IV
Éraste, DIONYS, Dorise.
Il faut qu'on vous admire,
Si quelqu'un est puissant en l'amoureux empire ;
Seul vous savez charmer les objets les plus doux,
Ils vous estiment seul, et tous leurs vœux sont pour vous.
Les plus rares beautés vous rendent leur franchise,
Vous auriez captivé la maîtresse d'Anchise
Et vous blessez des cœurs si doux et si divers
Que vous aurez bientôt dépeuplé l'univers.
Ce n'est pas mon dessein.
Non, mais de la nature
Qui vous fit préférable à toute créature
Elle a mis dans vos yeux de superbes vainqueurs,
Qui sans intention traversent tous les cœurs
Je lui suis obligé.
Vous aimez amélie ?
Je l'avoue.
Et l'amour l'un à l'autre vous lie,
Je ne l'estime pas.
Se peut-elle exempter,
D'aimer ce qui plaît tant ? Et qui peut tout dompter ?
Est-ce tout ?
Je dis peu, la voix même des anges
Ne pourrait dignement célébrer vos louanges.
Je ne m'informe point de vos intentions,
Et le temps résoudra toutes ces questions.
{{didascalie| seul|c}}
Traître c'est à ce bras qu'appartient cet office,
Je les résoudrai seul, si le ciel m'est propice,
Et si ta lâcheté n'arrête le dessein,
Que j'ai, de t'arracher l'âme, et l'amour du sein.
ACTE II
Scène I
Émile soldat, Le Valet.
Et très cher confident que t'a dit mon Aurore ?
Ô qu'elle vous chérit et qu'elle vous honore
Comment, a-t-elle dit ; l'honneur de l'univers
La gloire et la terreur de ce siècle pervers
Ce Mars de qui la grâce, et la valeur est telle
Choisit pour sa Vénus, une beauté mortelle.
Ô dieux le dois-je croire et sans présomption,
Puis-je avouer l'honneur de son affection ?
Mais surtout, as-tu bien figuré mon courage ?
Comme il sait réprimer l'injustice, et l'outrage,
Et t'est-il souvenu du nombre des guerriers,
Dont le sang tous les jours arrose mes lauriers ?
Votre épée à m'ouïr n'avait point de pareilles,
Je n'ai craché que sang, j'ai raconté merveilles.
Je vous ai mis au rang des premiers combattants,
Dont le Ciel se servit, pour vaincre les Titans,
J'ai peint tout ce qu'a fait, cette dextre meurtrière,
Alexandre, et César gisants sur la poussière,
J'immolais tout le monde à l'honneur de vos faits,
Enfin, j'en ai plus dit, que je n'en crus jamais.
Ignorant, dois-tu vivre, après cette insolence,
Est-il quelque dessein plus grand que ma vaillance ?
Me peux-tu reprocher que dans l'occasion
J'aie employé ce bras à ma confusion ?
Si des Titans, jadis, je n'ai vaincu la rage,
Peux-tu de ce malheur accuser mon courage ?
Privé du bien du jour, comme j'étais encor,
Pouvais-je à l'univers rendre le siècle d'or ;
Et les dieux n'ont-ils pas différé ma naissance,
Pour en donner la gloire à leur seule puissance ?
Depuis que ma grandeur tient l'être de leurs mains,
Se sont-ils employés à punir les humains ?
As-tu depuis ce temps vu tomber leur tonnerre,
Et rien, que mon épée a-t-il purgé la terre ?
Crois, que tout l'univers parle de mes exploits,
Que cent fois ma valeur a fait trembler des Rois :
Mais je discours en l'air, et jamais l'ignorance
N'a traité la vertu, qu'avec irrévérence.
Ne m'entretenez point de tant d'exploits passés,
Dites que je vous sers, et vous direz assez
Aurais-je offert mes soins, et mon courage extrême,
Qu'à la même vertu, qu'à la vaillance même ;
Mais parlons de l'objet de votre affection,
Il reste encor un point de ma commission.
Quel ?
La rare beauté dont votre âme est charmée
Veut voir en vos écrits votre amour exprimée,
Les lettres en amour parlent plus librement,
Et ne rougissent pas, comme un honteux amant.
Par le même moyen, vous verrez figurée
L'extrême affection qu'elle vous a jurée.
Ai-je appris l'art d'écrire et né pour les combats,
Commettrais-je à ma main un office si bas ?
Dois-je perdre du temps, et vois tu qu'il s'observe
Un commerce si vil entre Mars et Minerve ?
Mon épée est ma plume, et je signe de sang
La mort de qui s'attaque aux hommes de mon rang.
Vous devez toutefois, si votre amour est telle,
Accorder toute chose aux vœux de cette belle,
Il faut faire un miracle ; et que ne peut l'amour,
S'il veut favoriser les premiers de sa cour ?
Va choisir une plume en l'une de ses ailes,
Et j'en exprimerai mes passions nouvelles ;
Où le rencontrerai-je ?
En mille et mille cœurs,
Qu'il rend passionnés de mes charmes vainq ueurs ;
En toutes les beautés à qui j'ôte la vie,
En l'esprit de Philis, en celui de Sylvie,
Quoi depuis que sous moi tu respires le jour
Tu ne sais pas encor où j'ai logé l'amour ?
Et ce Dieu se voit-il ?
Ô l'ignorance extrême !
Des plaintes, des soupirs, un œil mort, un teint blême
Des flammes, des respects, un sensible tourment,
Sont l'amour ce me semble, assez visiblement.
Dieux ! Le plaisant visage, et comment sont ses ailes ?
Ses ailes, ignorant, sont les soupirs des belles ;
Mais ne m'enquête plus, j'aperçois dionys,
Qui doit à ma valeur des plaisirs infinis,
Il peut fidèlement ma passion décrire,
Et tracer en mon nom, tout ce que je désire.
Scène II
Lisidan, Dionys.
Que dis-tu cher ami de cette invention ?
Que tu peux espérer, et sans présomption.
Encore qu'en juges-tu ?
Que par là cette belle,
Nous apprend en amour une ruse nouvelle.
De tout moyen possible on n'avait autrefois
Pour découvrir son coeur, que la plume, et la voix,
L'un était difficile, on a peine à commettre
En une sûre main la charge d'une lettre,
Il faut perdre du temps, pratiquer des valets,
Et sur leur soin avare hasarder ses poulets,
On ne les peut gagner sans peine, et sans dépenses,
Toute leur sûreté dépend des récompenses :
Les autres par la voix découvrent leur tourment,
Dieux ! La fâcheuse voie à de honteux amants !
Quelque ardeur qu'on ressente, et quoi qu'on se propose,
Le respect bien souvent nous tient la bouche close,
C'est aimer froidement, qu'exprimer son souci
D'un amour excessif le respect l'est aussi.
On le veut figurer, mais plus on le désire,
Et plus on sent aussi de contrainte à le dire ;
Aujourd'hui nous avons un moyen plus aisé,
Et dont personne encor ne s'était avisé
On déclare en dormant les secrets de son âme ;
Il faut fermer les yeux pour découvrir sa flamme :
On n'a point de contrainte, on ne perd point de pas
On ne dépense rien, et l'on n'en rougit pas.
Scène III
Émile, Le Valet, Dionys, Lisidan.
Il faut les aborder. J'interromps vos pensées.
Votre unique sujet les avait commencées,
Nous parlions de vos faits, nous contions vos combats,
Et combien d'ennemis vous avez mis à bas.
Il serait plus aisé de conter les étoiles,
Dont la nuit a brodé ses ombrageuses toiles,
Le sable de la mer, les feuilles des forêts,
Et les grains des épis qui dorent nos guérets ;
Mais je rencontre enfin d'inévitables charmes,
Le vainqueur est vaincu, mon coeur met bas les armes,
La valeur est défaite, et deux astres d'amour
Obligent mon courage à leur faire la cour.
Quelle est cette beauté ?
Dieux l'objet adorable !
Que vous allez juger ma défaite honorable !
Amélie.
Amélie.
A causé mon souci ;
Je meurs pour ses beaux yeux.
Elle vous aime aussi.
S'en peut-elle défendre, et serais-je moi-même,
Si je n'étais aimé par un objet que j'aime ?
Moi, pour qui la fortune a d'extrêmes bontés,
Et de qui les moyens ne sont point limités :
Moi qui me rends heureux l'astre le plus sévère
Sous qui la terre tremble, et qui le ciel révère,
Qui n'ai point d'ennemi, que le vice et la peur,
Qui ne lui fais point voir un visage trompeur,
Et qui veux l'élever à la gloire suprême,
Dont on doit honorer les personnes que j'aime.
Elle vous doit beaucoup.
Mon sentiment est tel ;
Mais que puis-je adorer que cet ange mortel,
Est-elle indifférente aux cœurs les plus barbares,
Puis-je porter les yeux sur des beautés plus rares ?
Et la nécessité d'aimer plus bas que moi,
N'excuse-t-elle pas, si je vis sous sa loi.
Elle a bien des appas.
Cette belle m'oblige,
À me mêler d'un art, qu'en effet je néglige,
Une plume jamais n'a ces doigts exercés,
Et vous me servirez, si vous m'aimez assez ;
Cet adorable objet, dont mon âme est atteinte,
Veut voir en beaux discours ma passion dépeinte ;
Couchez en un poulet, mais bien élégamment,
Tout ce qui peut partir de l'esprit d'un amant,
Rendez à mon amour cet agréable office,
Et dispensez ma main de ce vil exercice ;
Si quelque occasion s'offre de vous servir,
J'en ai fait un dessein qu'on ne me peut ravir.
Que puis-je dénier à la gloire du monde
Ce m'est une faveur, qui n'a point de seconde,
Ce poulet achevé, je l'apporte en ce lieu.
Et quand sera-t-il prêt ?
Dans un moment.
Adieu.
Scène IV
Dionys et Lisidan seuls.
Peut-on priser assez une humeur de la sorte ?
Jamais une manie a-t-elle été si forte,
Qui n'aurait de l'amour pour un semblable amant
Et qui ne chérirait ce divertissement ;
Mais que je rentre tôt en ma mélancolie,
Ce rival importun sort de chez Amélie.
Son père le conduit, écoutons leur discours.
Scène V
Le Père, Amélie, Éraste, Dionys, Lisidan.
Puisque vous m'ordonnez d'espérer du secours.
Je souffrirai, Monsieur, et ma persévérance,
Forcera mon malheur, et son indifférence,
Cet agréable objet, à moins de cruauté,
Que de n'accorder rien à ma fidélité.
Le temps peut tout changer, son enfance indiscrète,
Ne sait ce qu'elle craint, ni ce qu'elle souhaite,
La force en obtiendra le bonheur, que je veux,
Ou mon autorité gouvernera ses vœux ;
Adieu, ne craignez rien, et dessus ma promesse,
Espérez du remède à l'ardeur, qui vous presse.
Ô rigoureux arrêt : qui me comble d'ennuis,
Que faut-il que j'espère, en l'état où je suis,
Tous mes soins sont trahis, et son humeur avare
Dispose aveuglément d'une beauté si rare,
Le vain éclat de l'or à ses yeux éblouis,
Et lui dictait les mots que nous avons ouïs.
Éprouvez la fortune, ou propice, ou cruelle,
C'est tout, si vous plaisez aux yeux de cette belle,
Étant bien en son coeur votre sort est heureux,
Et l'or n'éblouit point un esprit amoureux ;
Le ciel avec dessein à vos âmes unies :
J'ai souffert pour sa sœur des peines infinies,
Et j'ai désespéré de fléchir ses parents,
Lorsqu'elle m'a fait voir des yeux indifférents.
Mais depuis l'heureux jour, que son âme touchée
M'a découvert l'ardeur, qu'elle tenait cachée,
J'étouffe mes soupirs, j'ai toujours espéré,
Et sa possession, m'est un bien assuré.
Que ne m'est-il permis de parler de la sorte !
Que je sois content ! Mais on ouvre sa porte
C'est elle, abordons-la.
Scène VI
Dionys, Lisidan, Amélie.
Si proche du trépas,
Qu'il ne me reste plus qu'un moment, et qu'un pas,
Je viens offrir encor cet instant de ma vie,
À l'aimable beauté, qui la tient asservie,
Je viens pour souhaiter, en ce dernier moment
À vos chastes amours leur accomplissement.
Acceptez mon rival, donnez à la fortune
L'honneur de respirer sous une loi commune,
Riez avec lui des maux que j'ai soufferts,
Dédaignez mon hommage, et méprisez mes fers ;
Rendez le premier teint à son visage blême,
Accordez toute chose à son amour extrême,
Je meurs avec plaisir, et mon sort rigoureux
Ne m'est point importun, si le vôtre est heureux ;
Par de si beaux ennuis mon âme est combattue,
Que même en la rendant je bénis qui me tue,
Je ne déteste point mon malheur apparent,
Et je ne pousse point de soupirs en mourant.
D'où viendra Dionys une mort si soudaine,
Votre teint est si bon, et votre voix si saine ;
J'ignore de vos maux la naissance, et le cours,
Et je peux toutefois répondre de vos jours.
Il est aisé de conserver ma vie,
Le bien de ma santé dépend de votre envie,
Mais je n'espère pas cette félicité
De mon malheur extrême, et de votre bonté ;
Je n'attends que la mort, et votre obéissance,
Va, quand je vous plairais, trahir votre puissance ;
Quoi que vous promissiez à mon affection,
Un père forcera votre inclination.
On ne me force point.
Scène VII
Érante, Amélie, Dionys, Lisidan.
Courrez vite à mon père.
Ainsi j'aurai toujours, la fortune contraire,
Elle n'accorde pas à mon cruel tourment,
La satisfaction de parler seulement.
Lis, soit secret adieu ; j'ai deux mots à vous dire.
Je viens de ce pas.
Que me peut-elle écrire ?
Elle aime Lisidan, et je n'estime pas,
Qu'elle puisse autre part engager ses appas.
Á Dionys,
Tu perds temps dionys d'adorer une ingrate,
Qui se rit d'amour, et de toi,
Il faut qu'un autre esprit te flatte,
Porte ailleurs tes vœux, et ta foi.
Il n'est pas mal aisé de trouver une amante,
Qui te montre plus de douceur,
Ne va pas loin, et crois qu'Érante
Est plus facile que sa sœur
Oublie une insensible, et superbe rivale,
Cesse de lui faire la cour,
Et te vante que rien n'égale
Tes mérites, et mon amour.
Surpris, saisis, confus après cette merveille,
Que j'ai d'occasion de douter si je veille,
Qu'Érante, un des objets les plus doux de ces lieux,
Sur un sujet si bas daigne jeter les yeux,
Au moindre des mortels présente sa franchise,
Et mette à si haut prix ce que sa sœur méprise,
Trahisse Lisidan, puis-je sans vanité,
Imaginer ce mal de sa facilité ?
Mais que je trouve ici son ardeur manifeste ;
Et pour n'être pas vain, qu'il faut être modeste,
Pouvait-elle exprimer des termes plus exprès,
L'effet inespéré, de quelques faux attraits,
Ou de quelque vertu, que l'avare nature,
A mise, en mon esprit seulement en peinture ;
Dieux ! M'a-t-elle estimé capable d'aimer tant
La qualité de traître, et celle d'inconstant.
Scène VIII
Amélie, Dionys.
Quoi vous vivez encore.
Il est vrai que la vie,
Quand vous m'avez quitté, devait m'être ravie.
Mais j'ai l'âme arrêtée en des liens si forts,
Que malgré mon dessein elle anime ce corps.
Dieux ! Que j'avais de crainte, et que ma sœur m'en donne !
Mon père est au jardin, qui n'a mandé personne ;
Que vous a-t-elle dit.
Rien.
Je veux tout savoir,
Si mon respect sur vous obtient quelque pouvoir.
Je n'ai rien entendu.
Me taisant quelque chose
Vous ruinez un bien, où mon coeur se dispose,
J'ai déjà trop prié.
J'en reçois cet écrit ;
Voyez combien vos vœux peuvent sur mon esprit.
Amélie lit tout bas, pui s dit.
C'est là bien clairement vous ouvrir sa pensée,
Vous la devez guérir, si vous l'avez blessée,
Elle a des qualités dignes de vos désirs,
Et je n'ai point dessein d'empêcher ses plaisirs.
Il vous est bien aisé de parler de la sorte,
Mais pour moi qui vous voue une amitié si forte :
Qui sait ce que je dois à des charmes si doux,
Qui ne suis ici-bas, qu'à dessein d'être à vous.
On ne me verra point, sans un effort étrange,
Porter mes volontés à la honte du change,
Le ciel m'aurait ôté mon premier sentiment,
Je n'aurais plus de moi, que le nom seulement,
Et vous aurez perdu ces adorables charmes
Et ces rares vertus à qui tout rend les armes.
Si vous sentiez les coups de ces astres vainqueurs,
Ou si comme les dieux vous lisiez dans les cœurs,
Vous verriez clairement la véritable peine,
Qui peut-être à vos yeux est encore incertaine,
Ils donneraient des pleurs à mon cruel tourment,
Vous n'y pourriez songer qu'avec étonnement.
Je sais la qualité de l'objet où j'aspire
Et cette connaissance augmente mon martyre,
Je ne possède rien que l'on puisse estimer,
Le ciel m'a dénié tout ce qui fait aimer
Il ne m'a jamais vu, que d'un œil de colère
L'amour est nu chez moi, comme au sein de sa mère,
Et je n'ose parler de mon affection
Quand je porte les yeux sur ma condition.
Je relève pourtant, d'une puissance telle,
Qu'elle a mis en mon coeur une flamme immortelle.
Rien ne peut m'empêcher d'aimer votre beauté,
Et je ne puis forcer cette nécessité.
Enfin, c'est trop cacher une ardeur si pressante,
Et je dois de l'espoir à sa flamme innocente.
Espère mon souci, ta peine aura son prix,
Et mes yeux, les auteurs de ta prise, sont pris.
J'ai sondé ton esprit, j‘aime ce que j'y trouve,
Et cette affection t'est une heureuse preuve,
Je te préfère à tout, viens demain en ce lieu,
En savoir davantage, et sois discret, adieu.
Honorez-moi d'un mot, et d'un moment encore,
Que je baise vos pas, et que je vous adore.
Ô discours favorable, ô trop heureux amant !
Est-il rien de pareil à ton contentement.
Scène IX
Lisidan, Dionys.
Adieu, demain sans faute.
Il parle à Dionys
Ô Dieux que ta maîtresse,
N'a-t-elle autant de part en l'ardeur qui te presse,
Qu'on porterait d'envie à ta prospérité ;
Et qu'Érante a pour moi d'amour et de bonté ;
Parlez-vous de bon sens ?
Oui si j'en suis capable,
Et si l'on peut trouver un amant raisonnable.
Elle vous aime encor ?
Je n'en saurais douter,
Elle m'en assurait au point de la quitter :
Elle estimait la loi, sous qui l'amour nous range,
Et je tiens son esprit incapable du change
Mais quel sujet vous porte à m'enquêter ainsi ?
Et tenir pour suspect son amoureux souci ?
Voyez bien le sujet.
Ai-je des yeux fidèles,
Et dois-je soupçonner ce miracle des belles ;
Quoi, l'arrêt de ma mort, est signé de sa main,
Ô disgrâce ! Ô rigueur ! De mon sort inhumain !
Et bien, possède-la, cette belle inconstante,
Arrache-moi mon bien, réponds à son attente,
Tu ne souhaitais pas cette inclination
Ton mérite est contraire à ton intention.
Je ne lui donne point le titre d'inhumaine,
Je ne murmure point, mes défauts ont leur peine ;
Et le ciel m'eût pourvu de belles qualités
S'il eût formé pour moi, de si rares beautés.
Ne cherche point d'excuse à cet esprit volage,
Blâmez de votre mal, son humeur, et son âge,
Et ne redoutez point qu'un ami sans égal,
Puisse changer ce titre, en celui de rival ;
Je sais trop mon devoir, et vous savez ma flamme,
Je crois n'être pas mal dans l'esprit de Madame,
Sa sœur espère en vain de toucher mes esprits,
Si Vénus renaissait, je l'aurais à mépris ;
Aimez-la constamment, n'imitez point son change,
Et la mettez au point qu'elle-même vous venge.
Ô dieux ! Quelle infortune égale mes ennuis ?
Je demeure muet, en l'état où je suis.
ACTE III
Scène I
Effets prodigieux d'un généreux courage,
Tout respecte mon maître, et tout lui rend hommage,
Les plus ambitieux réputent à malheur,
De n'avoir des sujets de servir sa valeur.
Dans cet heureux papier Dionys a tracées,
De cet aimable amant la flamme, et les pensées,
On hait bien l'éloquence, ou bien ce mot d'écrit
Va faire à sa maîtresse admirer son esprit.
Scène II
Amélie, Le Valet.
Qu'elle sort à propos ! Belle Reine des âmes,
Amour de l'univers, cher sujet de nos flammes ;
L'esprit le plus divin, et la plus digne main,
Qui jamais ait versé des mers de sang humain,
Dédie à vos beautés ce torrent d'éloquence,
Où sa peine est décrite en termes d'importance ;
Si vous ne dédaignez ce glorieux amant
Répondez à ses vœux par un mot seulement.
Si je ne le dédaigne ; ô dieux ! Quelle déesse,
Ne tiendrait à faveur le nom de sa maîtresse ;
Se peut-on dégager de ses charmants appas :
Quelqu'un l'a-t-il connu, qui ne l'adore pas ?
Il est vrai que tout cède à son mérite extrême,
Il est fort valeureux, il me l'a dit lui-même,
Et surtout son esprit a des charmes puissants.
À l'aimable beauté qui captive mes sens.
Le contenu.
La prière extravagante
D'un amant insensé
M'est une occasion, et plaisante,
De faire voir ma peine aux yeux qui m'ont blessé.
Je ne pense, je n'aspire,
Qu'à voir ces doux vainqueurs,
Et mon coeur, loin de vous, sent un plus doux martyre,
Que n'en peuvent sentir ensemble tous les cœurs
La nuit songeant à vos charmes
J'accuse mon destin,
Et répands en mon lit un océan de larmes,
Que l'ardeur de ma flamme a séché le matin.
Le soleil sortant de l'onde
Me laisse en même point,
Et lorsqu'il est grand jour aux yeux de tout le monde
Il n'est que nuit aux miens quand je ne vous vois point.
Hâtez-vous belle Amélie,
D'alléger mes ennuis,
Bannissez de mes jours toute mélancolie,
Et tarissez les pleurs que je verse les nuits.
Dionys.
Lisez-vous tout de bon.
Lis toi-même.
Ha le traître,
Il nous a fait ce tour, il a trahi mon maître,
Il m'a commis moi-même à porter ses poulets ;
On lui fera, Madame, employer ses valets.
Qu'est-ce, conte moi tout.
Je vengerai l'injure
De cette propre main, si mon maître l'endure,
Jamais traître que lui n'a fait rougir ce front
Il tache mon honneur, et j'ai part en l'affront.
Ô dieux ! Qu'il est plaisant ?
Et vous riez, Madame,
Si mon maître me croit, il éteindra sa flamme.
Vous mourrez de dépit, et la fin de ce jour
Sera, s'il est prudent, la fin de son amour.
Conseiller inhumain, ennemi de mon aise,
Qu'il cesse de m'aimer, et que je lui d éplaise ?
Que je sois odieuse à la même valeur,
Procure-moi plutôt la mort que ce malheur.
Vous riez toutefois.
Oui, d'aise, et d'espérance
Que le ciel bénira notre persévérance ;
Hélas conserve-moi ce bonheur infini,
Ou que d'un seul trépas mon crime soit puni.
Ce repentir m'oblige à forcer ma colère,
Conservez seulement le souci de lui plaire ;
Pour cette trahison, j'en mourrai satisfait.
Et je vais l'avertir de l'affront qu'on lui fait.
Scène III
Lisidan, Le Valet.
Avant que de finir, et ma vie et ma peine,
Voyons encor un coup cette belle inhumaine
À ses yeux inconstants faisons voir mon trépas,
Ce dessein leur plaira, si je ne leur plais pas.
On va de ton ami payer la courtoisie.
Adieu, d'autres pensers troublent ma fantaisie.
Voyez que d'arrogance est jointe à ses discours,
Tu dois bien, insolent, lui prêter du secours,
Je seconde mon maître, et jamais mon courage
Ne s'est mieux employé qu'à punir cet outrage.
Cherche d'autres objets à tes sots entretiens.
Et toi, compte ce jour pour le dernier des tiens.
Hélas dans la rigueur de mon cruel martyre,
Je crains moins ce malheur, que je ne le désire,
La mort pourrait d'un coup finir mes déplaisirs,
Mais l'ingrate qu'elle est se rit de mes désirs
Elle est sourde à mes vœux, cette aveugle Déesse,
Et tire vanité d'imiter ma maîtresse.
Scène IV
Lisidan, Érante à la porte, Dionys.
Combien je veux de mal à cet amant transi ;
Dissimulons pourtant. Je t'attendais ici.
Que je vous suis tenu.
Loin de toi, tout m'offense,
Et rien ne m'est sensible au prix de ton absence.
Cette peine est conjointe aux fidèles amours.
Je sens ma passion s'accroître tous les jours.
Que je suis glorieux !
Oui, si tu tiens à gloire
D'être le seul objet, qui plaise à ma mémoire.
Car de changer jamais.
Ô Dieux, que me dis-tu ?
Vous avez trop d'amour.
Et toi trop de vertu.
D'écrire à Dionys ?
Ô Dieux, je suis perdue.
Et d'offrir à ses vœux l'amitié qui m'est due,
Vous savez (pour le faire,) aimer trop constamment
Et c'est vous offenser qu'y songer seulement.
C'est beaucoup de tourment, qu'un peu de jalousie,
Ne donne point d'entrée à cette frénésie :
Car de la perdre après, il est bien malaisé,
Je plains déjà ton mal.
Et vous l'avez causé ;
Confessez tout, Madame, et sans tant d'artifice,
À ce cœur malheureux ordonnez son supplice,
A-t-il reçu de vous quelque commandement
Dont il ait murmuré du penser seulement ?
Restreignez mon espoir en d'étroites limites,
Ne me permettez plus l'honneur de vos visites,
Comblez de vos faveurs l'auteur de mon tourment,
Caressez à mes yeux ce glorieux amant,
Et (si vous l'agréez) imputez-moi des crimes,
Qui rendent votre haine, et mon mal légitime,
Vous verrez mon respect forcer mes sentiments,
Je croirai mériter les plus durs châtiments.
Il ne sortira point de plaintes de ma bouche,
Je n'aurai point dessein, que ma douleur vous touche ;
Et celui de vous plaire et de vous obéir,
Me fera détester moi-même, et me haïr.
Vous imitez, Monsieur, ces âmes insensées,
Qu'on ne trouve jamais en d'égales pensées,
Qui blâment sans sujet, ou prisent leur destin,
Et ne sont plus le soir en l'état du matin ;
Ce vice à mon avis est un défaut extrême,
Moi je vis autrement, et je suis toujours même,
Je médite longtemps, sur le choix que je fais,
Mais depuis qu'il est fait, je ne change jamais.
J'ai donc été l'objet d'une éternelle haine ;
Une amour de deux ans, m'est donc ingrate, et vaine,
Lui montrant la lettre.
Et dionys plaît seul à vos chastes beautés,
Depuis que je vous sers, et que vous m'écoutez.
Érante voyant sa lettre.
Et c'est là Lisidan le sujet de vos plaintes.
Il est assez puissant.
Ô Dieux ! Les vaines craintes ;
Vivez, vivez heureux, et ne m'accusez plus,
S'il vous faut seulement contenter là-dessus ;
Dionys est charmé des beautés d'Amélie,
Vous avez vu sa peine et sa mélancolie,
Il n'est inquiétude égale à son souci,
Et je me trompe fort, ou ma sœur l'aime aussi ;
Mais son sort, et le nôtre a tant de différence,
Qu'il devrait étouffer cette vaine espérance ;
Il a d'un vain désir ses attraits honorés,
Il faut entrer chez nous par des chemins dorés ;
Vous savez quelle humeur aux vieillards est commune,
Ils prisent la vertu, mais prennent la fortune ;
Mon père est de ce nombre, et son contentement
Dépend du vain éclat des trésors seulement.
Il sait que Dionys n'est riche qu'en mérites,
Et que ma sœur pourtant en souffre les visites,
Si bien, qu'imaginant quelque inclination,
Il la veut ruiner par cette invention ;
Il m'oblige de feindre une amitié naissante,
Pour ce fidèle amant, que lui-même ressente,
Il veut que mes regards, ma voix, et mes écrits,
Soient sans cesse employés à toucher ses esprits ;
Si j'obtiens cet effet, Amélie est plus vaine,
Que de daigner après considérer sa peine,
Il n'en peut espérer un seul trait de pitié,
Si je puis une fois rompre leur amitié ;
Croyez ce qui vous plaît : la feinte consommée,
Vous saurez si sa grâce à mon âme charmée,
Si mon amour est tel qu'on la puisse amortir,
Et si tout l'univers m'en saurait divertir.
Dieux ! Que cette nouvelle allège mon martyre
Vous arrêtez mon âme à l'heure que j'expire :
Mais craignez, pour mon bien, que cette invention
N'ait un effet contraire à votre intention ;
Songez que tous les cœurs cèdent à la surprise,
Et qu'insensiblement nous prisons qui nous prise.
N'en soyez point en peine, aimez-moi seulement
Mais il vient, voyez-moi feindre subtilement.
Scène V
Dionys, Érante, Lisidan.
Que vous traitez l'amour d'une façon discrète !
(Monsieur) et qu'au besoin votre langue est muette,
Vous conservez si bien un secret défendu,
Que les sourds jusqu'ici, n'en ont rien entendu.
Je suis fort imparfait, mais pour peu, qu'on me loue,
On sait que je crois l'être, et vois quand on me joue.
J'ai pris votre faveur pour preuve à mes défauts,
Voyez si quelquefois mon sentiment est faux ;
Traitez plus doucement un rebut de fortune,
Dont l'entretien déplaît, dont l'abord importune,
Sans mérite, sans bruit, sans estime et sans bien,
Qui n'a qu'un point de bon, c'est qu'il sait, qu'il n'a rien.
La belle couverture a son ingratitude.
Qu'il me tient ces discours après un long étude,
Quel moyen plus exquis, quels signes plus parfaits,
Te pouvaient assurer des vœux que je te fais ;
N'ai-je assez clairement ma passion décrite ?
Faut-il perdre du temps à louer ton mérite,
Te dois-je par la voix, ce que mon cœur t'a fait,
Et n'est-ce pas assez que d'en sentir l'effet !
Mais ris de mes discours, et poursuis cette ingrate
Qui te joue elle-même alors qu'elle te flatte :
Dont tu ne peux qu'en vain espérer la pitié,
Qui n'a pas un esprit capable d'amitié ;
Entretiens constamment cette ardeur insensée,
Et n'en veille jamais divertir ta pensée ;
Révère ingratement sa tyrannique loi,
Pour ton propre malheur, toi-même venge-moi.
Enfin je suis saisi de ma première crainte
Ces discours ont passé les bornes de la feinte.
Je ne cause à vos cœurs, ni soupirs, ni douleurs,
Le feu que j'y fais naître a bien peu de chaleur.
Mais las ! Quand cette ardeur en effet serait vraie,
Et que je guérirais de ma première plaie,
Pourrais-je encor ravir à ce parfait ami,
Un bien si précieux, qu'il possède à demi ?
Après tant de serments d'une amour infinie
Auriez-vous tellement sa mémoire bannie,
Et devrais-je espérer un meilleur traitement,
Sachant son infortune, et votre changement ?
Il s'est entretenu d'un espoir inutile,
Je n'eus jamais pour lui qu'une amitié civile,
Sa vanité, Monsieur, est sans comparaison,
S'il croit avoir jamais asservi ma raison.
J'ai souffert ses discours, tant que la courtoisie
M'a permis de flatter sa vaine fantaisie,
Mais d'avoir rien promis à sa fidélité,
J'ai plus d'ambition, et moins de charité.
Cette orgueilleuse enfin force ma patience,
Et je ne puis sans honte observer le silence,
Mais ce ris de sa bouche, et de trait de ses yeux
Contient dans le respect mon esprit furieux !
Que de subtilités, que sa bouche a d'adresse,
Parlant elle m'offense, et riant me caresse.
Est-ce assez consulter ?
Je suis tout résolu.
D'accepter sur mes jours un pouvoir absolu ?
D'oublier Amélie ?
Oui, quand les destinées,
Ne voudront plus ourdir le fil de mes années.
Mais possédant encore le bien de la clarté,
Je promettrais en vain d'oublier sa beauté.
Va, tyran des esprits, barbare, âme de souche
Que mes soupirs soient vains, et que rien ne te touche :
Ferme à mes passions, et l'oreille, et le cœur
Lâche, présomptueux, et superbe vainqueur,
Adore cet objet qui t'a l'âme ravie ;
Mais ne te promet point d'Empire sur sa vie :
J'emploierai mes efforts à ruiner les tiens,
À publier vos feux, rompre vos entretiens,
Découvrir ton adresse aussitôt que conçue,
Enfin à divertir une prospère issue,
Tiens pour illusion ce qu'elle t'a promis
Et saches en moi seule avoir mille ennemis.
{{scène|VI} Amélie, Érante, Lisidan, Dionys
Quel trouble si soudain, rend ce visage blême.
Ne me retenez point, ayez soin de vous-même.
Cette humeur lui provient.
D'où ?
D'un juste mépris.
Quoi ? De plus doux appas ont touché vos esprits ?
De nouvelles ardeurs ont votre âme embrasée ?
Et vous n'estimez pas une conquête aisée.
Qu'une autre soit jamais l'objet de mon souci !
Me pouvez-vous connoître, et me parler ainsi ?
Perdez ce sentiment.
De qui donc se plaint-elle ?
De ce parfait ami qui plaît à cette belle.
Je sais tout, c'est assez. Je quoi ! tant d'amitié
Ne peut, cher dionis, attirer ta pitié ?
Ton coeur ne se rend pas à la bonté d'Érante ?
Et je t'ai vu souffrir mon humeur arrogante ?
Tu refuses des vœux à son humilité,
Et jadis mes dédains ne t'ont point rebuté ;
Ne dois-tu rien cruel à la mélancolie.
Non puisque je dois tout aux beautés d'Amélie;
Si tu dois aux attraits, tu lui dois plus qu'à moi,
Crois-tu qu'elle en ait moins ?
Oui, si je m'y connais.
Jugez-nous Lisidan.
Que l'amant soit l'arbitre,
Désirer accorder et l'un et l'autre titre,
C'est vouloir l'impossible.
En l'état où je suis,
Faites-moi seulement juge de mes ennuis,
Tous les amants, qui sont, et ne sont plus au monde,
Ixion sur la roue, et Tantale dans l'onde,
Si vous considérez l'excès de mon tourment
Ont à comparaison souffert légèrement.
Déchu, par mon malheur d'une gloire suprême,
Je ne vois rien d'égal à ma misère extrême,
Et vous devez le prix à ses charmes vainqueurs,
Si leurs coups sont égaux à ceux de ses rigueurs,
Quelle borne, destins à mes maux est prescrite.
Espérez-la du temps, et de votre mérite,
Mais j'implore le même, adorable beauté,
Quand sera par l'Hymen notre amour limité ?
Et quand, vous dégageant des contraintes d'un père,
Voulez-vous accomplir le bonheur que j'espère.
Hélas ! Que j'ai de peine, à t'ouvrir mon secret ?
Que ce coeur est atteint d'un sensible regret ?
Et qu'un mot proféré me rendra misérable,
Si nous n'imaginons un moyen favorable,
Qui conserve à tes vœux mon amour et ma foi,
Qui m'ôte à ton rival, et qui me rende à toi.
Demain.
Quoi ce rival trahit mon espérance ?
Mon père m'abandonne à sa persévérance,
Il considère peu si ce dessein me plaît,
Il veut que mon amour cède à mon intérêt
Et depuis un moment, sa rigueur indiscrète,
A tiré de ma voix l’ouï que je regrette.
Donc, votre volonté (beau soleil de mes jours),
Relève d'un pouvoir plus fort que nos amours ?
On contraint vos désirs ? L'amour est né sans père,
Et vous en avez un, que le vôtre révère ;
Hélas ! Si vous aviez tant de facilité,
Et si vous prévoyez cette nécessité,
Vous deviez étouffer ma passion naissante
Plutôt que la réduire à vivre languissante,
Car, après tant d'espoir, ne vous posséder pas,
C'est souffrir sans mourir, pire, que le trépas.
Tu condamnes bientôt l'amitié la plus rare,
Qui doive être prisée en ce siècle barbare ;
Combattons, enflammés de désirs si parfaits,
À qui les prouvera par de plus beaux effets :
Que ferais-tu pour moi ?
Je prendrais plus de peine,
Que deux Rois ennemis n'en ont pris pour Hélène,
J'effacerais le nom des plus parfaits amants,
Et je m'immolerais à vos commandements.
Moi, je ferais pour toi, plus que le penser même,
Ne peut imaginer, et d'étrange, et d'extrême.
J'effacerais l'éclat de ton affection,
Et sois vain si tu veux de ma confession.
Forcez donc avec moi, ma lumière et ma vie,
Tout ce qui fait languir notre amoureuse envie,
Et par un prompt départ, dégageant votre foi
D'une sévère, injuste, et tyrannique loi.
Délivrons ce vainqueur à qui tout rend hommage
De la nécessité d'un Inique servage,
Tirons pour notre bien notre maître des fers,
Il finira les maux, que nous avons soufferts ;
En l'état d'obéir, où vous êtes réduite,
La gloire du combat, dépend de notre fuite.
Oui mon affection consent à ce départ,
J'attendais, cher amant ce conseil de ta part ;
Demain, sans différer, aussitôt que l'aurore,
Fera voir ses rayons sur le rivage more,
Forçons notre malheur, partons secrètement,
Et souffrons avec nous Lisidan seulement,
Qu'il serve de témoin à nos pudiques flammes,
Qu'il assiste où l'Hymen conjoindra nos deux âmes,
Et qu'il témoigne un jour que nos chastes désirs,
Se seront dispensés à d'honnêtes plaisirs ;
La maison d'un paysan, frère de ma nourrice,
Est offerte à propos à notre doux caprice,
Nous y vivrons sans crainte, attendant l'heureux jour,
Qu'un avis de sa part nous parle du retour.
N'es-tu pas résolu.
Plus, que n'est à sa grâce,
L'esprit d'un criminel, dont on bande la face,
Qui reçoit un pardon qu'il n'imaginait pas,
Et qui voyait déjà la porte du trépas.
Érante descend de la fenêtre.
L'effet de ce dessein me plaira davantage,
Allons nous disposer à cet heureux voyage,
Adieu, mais sois discret, si tu veux m'obliger,
Et surtout, que ma sœur n'en puisse rien juger.
Scène VII
Érante, Amélie, Dionys, Lisidan.
Non, je n'en saurai rien, et ce dessein le touche
Trop favorablement, pour en ouvrir la bouche ;
Vous ne m'attendiez pas.
Ô malheur sans pareil.
Et n'aviez pas dessein d'implorer mon conseil ;
Enfin je puis venger une amour méprisée,
Et ravir Ariane, à l'espoir de Thésée ;
Quoi vous suivez ma sœur le plus vil des mortels,
Et votre passion lui dresse des autels ?
Méditez là-dessus, et consultez mon père,
Je lui vais de ce pas découvrir votre affaire.
Cruelle, ton bonheur dépend-il de ma mort,
Parle un mot seulement, et s'achève mon sort ;
De quelle injure, hélas ! Me trouves-tu coupable ?
Fais-moi, si tu le peux, une plainte équitable,
Ai-je autrefois rompu tes résolutions ;
Et me suis-je opposée à tes intentions ?
Ne vois-tu pas en moi l'amitié la plus pure,
Que jamais à des sœurs enseigna la nature ?
M'as-tu vue autrefois révéler tes secrets,
Et n'ai-je pas eu part, en tous tes intérêts.
Laissez-moi, l'on m'appelle,
Ingrate inexorable,
Que profiteras-tu, si je suis misérable ;
N'as-tu pour mon sujet, ni pitié, ni douceur,
Ne donneras-tu rien au sacré nom de sœur ?
Tu me vouais jadis une amitié si nue,
Et que j'ai si souvent au besoin reconnue,
Las ! Si tu n'as plus rien de ces rares bontés,
Quel destin a si tôt changé tes qualités ;
Si tu les as encor, comment la bonté même,
Peut-elle méconnaître, et trahir ce qu'elle aime ?
Ressentant seulement l'ombre de mes douleurs,
Que la compassion, t'arracherait de pleurs.
Je m'emploierais pour vous, avec un soin extrême,
Et je voudrais cacher vos secrets à moi-même,
Mais ce présomptueux a ce coeur irrité,
Et je dois, le pouvant punir sa vanité ;
Divine, et sage Érante.
Avecques la menace,
On abat ton orgueil, on a part à ta grâce,
Je suis sage, et divine, et tu m'estimes fort
Alors que mon pouvoir dispose de ton sort ;
Tantôt, enflé du vent, d'une fausse victoire,
Tu ne me traitais pas avec que tant de gloire,
Ce m'étaient des faveurs, que de te regarder ;
Dieux ; il est bien aisé de te persuader ?
Quoi ? Quand je te nommais, beau, charmant, adorable,
Tu croyais seulement m'être considérable ?
Et lorsque je feignais ces transports furieux
Tu les attribuais au pouvoir de tes yeux ?
J'aurais perdu l'esprit, et ta seule arrogance,
Eût été comparable à mon extravagance,
Lors j'avais mérité de souffrir tes dédains ;
Mais, j'ai dessein de rire, et c'est dont je me plains ;
Je voulais, par l'appas d'une espérance vaine,
Me donner le plaisir de t'avoir mis en peine.
Te voir à mes genoux, te voir baiser mes pas,
T'ouïr plaindre sans cesse, et ne répondre pas.
C'était là mon dessein, et ton âme orgueilleuse
Devait ce passe-temps à mon humeur joyeuse :
Je voulais que mes jours touchassent tes esprits,
Et tu ne devais pas les payer de mépris.
Je n'ai rien mérité ; mais souffrez que je die,
Que vous deviez ailleurs chercher la perfidie,
Et que quelque dessein que vous pussiez avoir,
Vous tachiez vainement d'ébranler mon devoir.
Je crois, qu'on ne peut rien ajouter à vos charmes,
Les cœurs, contre vos yeux ont d'inutiles armes,
Et le mien seulement à pouvoir d'éviter
Ces glorieux vainqueurs, que tout doit redouter ;
D'un si libre discours accusez cette belle,
Comme vos deux beautés, ma flamme est immortelle,
Vous me verriez pour vous brûler de feux égaux,
Si vos yeux, les premiers n'avaient causé mes maux ;
Mais la nécessité d'adorer Amélie,
Avait mis en ses mains le beau nœud qui me lie ;
Charmante, et chère sœur, obligez deux amants,
Dont vous tenez en main l'espoir, et les tourments.
Ainsi jamais amour ne te soit importune,
Et le ciel à tes vœux, égale ta fortune.
Dieux ! Que je suis sensible aux traits de la pitié !
Et que je vous chéris d'une aveugle amitié !
Partez, vivez contents, je force ma colère,
Et mon ressentiment cède à votre prière ;
Mais vous aurez Monsieur, moins de présomption,
Que de vanter jamais mon inclination,
Lisidan m'a vu feindre avec fort peu de crainte,
Il sait quelle raison m'ordonnait cette feinte.
Je n'en suis pas trop sûr, et vous feignez si bien
Qu'il m'était mal aisé de n'appréhender rien,
Je crois qu'à mon sujet vous souffrez peu de chose,
Vous ne mourez jamais du mal, que je vous cause.
Tu te pourrais passer d'irriter mon amour,
Tu sais que ton objet m'est plus cher que le jour ;
Mais pour t'en faire voir un dernier témoignage,
Je veux suivre tes pas, j'entreprends le voyage ;
M'y souffrirez-vous pas ?
Avec plus de plaisir,
Que l'amour n'en prépare à ton chaste désir.
Dieux l'heureux changement !
Scène VIII
Émile, Le Valet, Dionys, Lisidan, Amélie, Érante.
Il suffit de mon ombre,
Pour lui faire des morts, souffrir le triple nombre,
Quand il signait son nom, il signait son trépas ;
Il est mort.
Le voilà.
Ne m'abandonne pas.
Ce n'est pas ma coutume.
Oyons ce que veut dire,
Ce pauvre extravagant, si vous aimez à rire.
Tu sais bien m'obliger, et servir mon amour,
Perfide, prends congé de Madame, et du jour.
N'accordez-vous point mon pardon à mes larmes ;
Je sais que j'ai failli, puisant démon des armes,
Je confesse mon crime, il est grand en effet,
Mais l'amour est auteur de ce mal que j'ai fait,
J'avais ce seul moyen d'expliquer ma pensée,
À cet aimable objet, dont mon âme est blessée.
Non, ne pardonnez point.
Dieux ! Que de lâcheté,
Tu consultes perfide, en cette extrémité ?
Tu n'es pas un objet digne de mon courage.
Et mon valet suffit pour punir cet outrage,
Fais périr ce voleur.
Qu'il meurt de vos coups,
Je ne me trouve pas maintenant en courroux.
L'agréable combat !
Quoi tu souffres ce traître,
Et ne prends point de part aux affronts de ton maître ;
Lâche, craint d'en avoir en sa punition ;
Mais je fais trop longtemps languir ma passion ;
Il faut priver du jour cet objet de ma haine,
Et moi-même, je dois, me donner cette peine.
Comment point de pardon ? Et la vaillance même,
Ne considère pas un repentir extrême ;
Ajoutez cette gloire à vos rares vertus.
Je n'ai point de pitié pour des cœurs abattus,
Je pardonne ton crime, et je punis la crainte
Dont si honteusement je vois ton âme atteinte,
Tu ne te défends pas ?
En cette extrémité
Il faut donc obéir à la nécessité ?
Admire maintenant mon humeur débonnaire,
Cet effet de courroux alentit ma colère ;
J'ai pitié des vaillants, et ta résolution
Dispose ma justice, à ta rémission.
Non, non, brave guerrier, cet effet de clémence,
À ta rare valeur fait trop de violence,
Tu dois à mon offense un juste châtiment ;
Pour moi, jamais ce fer n'est tiré vainement.
Révérons, indiscret, cette rare merveille,
Plutôt prouve à ses yeux ta valeur sans pareille,
Donnons, c'est trop longtemps différer mon trépas.
Non je suis satisfait.
Et je ne le suis pas,
C'est trop délibérer.
Ma haine est apaisée,
Je dédaigne à présent une vengeance aisée,
J'ai perdu le courroux dont j'étais enflammé ;
Et je ne me bats point, n'étant point animé.
L'aimable passe-temps.
Évite, lâche, évite,
La force de ce bras, par une prompte fuite,
Autrement.
Répondez.
Est-ce assez consulter ?
En l'humeur que je suis, rien ne peut m'irriter ;
Ô Dieux ! Que promptement, ma fureur est calmée,
Et qu'une bonté grande a ma main désarmée.
Qu'on va donner de gloire à nos gestes guerriers,
Nous allons succomber, sous le faix des lauriers.
Peut-on priser assez ma valeur sans seconde,
J'ai fait trembler la gloire, et la terreur du monde.
Par deux mots de menace, et deux mauvais regards,
J'ai rempli de frayeur le sein même de Mars ;
Dieux ! Quelle extravagance à son âme saisie ?
Et qui peut rire assez de cette frénésie,
Il repaît son esprit d'imaginations,
Qui lui font estimer toutes ses actions,
Il va nommer partout sa force incomparable,
Et se glorifier d'un exploit mémorable.
Ce passe-temps est doux : mais il est tard, adieu,
Et demain, du matin soyons tous en ce lieu
Nous exécuterons l'entre prise amoureuse,
Qui finit vos tourments, et qui me rends heureuse.
Un mot, divine Érante.
Adieu, je suis à toi
Et la mort seulement, peut violer ma foi ;
Que de trouble divers mon âme est agitée !
Dieux ! Tant de violence est bientôt arrêtée :
Mais, je ne puis (amour) résister à tes lois,
Seule je dois souffrir pour le repos de trois.
ACTE IV
Scène I
Vous dois-je révéler mon amoureux souci ?
M'est-il permis de soupirer ici ?
Arbres, rochers, aimable solitude,
Puis-je parler de mon inquiétude ?
S'il est ainsi déserts, écoutez mon tourment,
Je plains la mort d'un malheureux amant ;
Devant mes yeux, l'inconstance de l'onde
A fait périr le plus constant du monde.
Par sa mort, ce tyran qui blessait nos esprits,
Perdit le jour, ou sa mère l'a pris :
L'amour cessa de régner sur la terre,
Et maintenant tout son peuple est en guerre.
Elle continue laissant la guitare.
Laisse, laisse à tes yeux l'office de ta voix,
À ce ressouvenir, pleure encore une fois,
Pleure ce beau vainqueur, à qui ses faibles charmes
Alors qu'il t'adorait ont tant coûté de larmes ;
Hélas ! Je vois le jour, et ses jours sont ravis ;
Je suis, quand il n'est plus ; il est mort, et je vis,
Quel destin m'a sauvée, et quelle ingratitude,
A prolongé ma vie, et mon inquiétude ;
Que ne fut mon malheur, suivi de mon dessein,
Quand l'onde me l'offrait, elle m'offrait son sein,
Et si j'eusse voulu, cette aveugle meurtrière,
En me le ravissant, m'eût ravit la lumière ;
Ha ! Que depuis ce jour, j'ai détesté mon sort,
Que j'ai senti de morts, pour la peur d'une mort.
Scène II
Dionys, Amèlie, Lisidan, Érante, Cloris.
J'ois quelqu'un qui se plaint.
C'est sous ce beau feuillage
Approchons-nous sans bruit.
Le calme suit l'orage.
Il n'est si malheureux sous l'empire d'amour,
Qui ne vive en l'espoir, de l'être moins un jour ;
Mille ont été sauvés, quand leur mort était prête,
Et tel, qui tient l'épée espère qu'on l'arrête ;
Ma seule affliction ne se peut comparer,
Seule je suis au point de ne rien espérer ;
Si la mort n'était sourde, et que les destinées,
Pussent une autre fois refiler ses années,
L'enfer ne le pourrait refuser à mes cris,
Mais il ne rend jamais les tributs qu'il a pris :
Pluton rit de nos vœux, ce Dieu n'a point de temple,
Et dans la fable même, on n'en voit qu'un exemple.
Il le faut aborder.
Passez heureux amants,
Souffrez qu'un malheureux plaigne ici ces tourments,
Ou faites les cesser, si la pitié vous touche,
Et répandez mon sang, sur cette humide couche.
Nous vous refuserons un semblable secours,
Et tâcherons plutôt de conserver vos jours ;
D'où naissent vos ennuis, et quel malheur extrême,
Mouille de tant de pleurs, ce teint mourant, et blême ;
Vous devez excuser ma curiosité,
La pitié me dispense à cette liberté.
Ô Ciel ! Est-ce trop peu, de ma dure infortune,
Sans qu'on l'accroisse encore, et sans qu'on m'importune :
Adieu, je m'aime seul, et mon affliction,
Ne reçoit ni secours, ni consolation.
Ô Dieux ! Qu'il est saisi d'une douleur amère,
Courons, suivons ses pas, et sachons sa misère.
Scène III
Le Père d'Amélie, La Nourrice.
Ô sort injurieux ! Des ennuis si cuisants,
M'étaient donc réservés pour la fin de mes ans.
Il n'était rien d'égal au repos de ma vie,
Mes biens étaient plus grands que n'étaient mon envie,
Les plus chéris du sort parlaient de mes plaisirs,
Et je ne trouvais plus d'objets à mes désirs ;
Faut-il qu'en ce bonheur une file indiscrète
S'oppose aveuglément au bien que je souhaite,
Cet esprit libertin, tout respect étouffant,
Rit des avis d'un père, et suit ceux d'un enfant.
N'as-tu rien découvert d'une telle entreprise,
Toi qui tenais sa vie en ta garde commise,
Qui ressens en effet, ou feins tant de douleur
N'as-tu pu divertir sa perte, et mon malheur ?
Connaissant son esprit, ta longue expérience,
Te devait conseiller un peu de défiance,
Tu voyais les ardeurs qu'elle a pour Dionys,
Et tu pouvais prévoir mes tourments infinis.
J'expliquais ses regards, je lisais dans son âme,
Je croyais découvrir sa plus secrète flamme,
Mais las ! C'est bien l'esprit le plus dissimulé,
Qui des flammes d'amour ait encore brûlé ;
Elle ne me parlait, que de l'obéissance,
Dont elle honorerait l'auteur de sa naissance,
Je la voyais trembler à votre seul aspect,
Et je croyais que rien n'égalait son respect ;
Lors, comme j'estimais voir son humeur si nue,
Je la blâmais parfois de trop de retenue,
Et ma simplicité lui donnait des avis,
Dont elle abuse hélas, et qu'elle a trop suivis ;
Elle a subtilement gagné l'esprit d'Érante,
À qui cette entreprise était indifférente,
Qui bonne, comme elle est, n'ayant pu l'arrêter,
Suit ses pas, sans dessein, que de la contenter.
Qu'un simple citoyen, sans honneur, sans fortune,
D'un sort si différent, d'une race commune,
Pour qui je n'eus jamais aucune intention,
Fasse un jour vanité, de sa possession,
Ait chez moi malgré moi, cette place occupée,
Ma fortune, plutôt se verra dissipée,
Je perdrai pour les perdre, et fond et revenu,
Et comme on le dépeint, leur amour sera nu.
C'est là les menacer de beaucoup de misère,
Mais il est bien aisé d'apaiser sa colère,
L'amour que porte un père a de puissants appas,
Et s'il ne perd ce nom, il ne les perdra pas.
Scène IV
Cloris, Amélie.
Ce bon Paysan, Monsieur, mettra toutes ses peines,
À terminer chez soi vos erreurs incertaines,
Attendez en ce lieu, le secours, que le temps,
Ce doux charmeur des maux, donne aux plus mécontents,
Nous y veillerons tous au soin de vous distraire,
Et nos plus doux plaisirs, seront de vous en faire ;
Que je sache le cours de votre affection,
Fiez-en le récit à ma discrétion.
Que vous renouvelez de sensibles atteintes !
Et que la courtoisie ordonne de contraintes !
Quelque fois, ces beaux yeux ont-ils versé des pleurs ?
Hélas ! Combien de fois.
Mouillez-en donc ces fleurs ;
L'âme la plus barbare, et la plus inhumaine
Est sensible, Madame, au récit de ma peine ;
Mon sexe est déguisé, par ce faux vêtement.
Comme vous êtes.
Fille.
Ô doux contentement !
J'en suis plus obligée à chérir vos mérites,
Et ce titre rendra nos libertés licites.
J'ai pris le jour à Douvre, et là chez mes parents,
Je passais en repos des jours indifférents,
Vous savez à quels jeux l'enfance nous convie,
Ces jeunes passe-temps, limitaient mon envie,
Et j'ai, durant quinze ans vu le flambeau du jour,
Sans avoir ni senti, ni vu celui d'amour ;
Mais las ! Que le tyran de nos belles années,
A bien depuis ce temps changé mes destinées ;
J'honorai de mes vœux ses profanes autels,
Et je donnai mon coeur, au plus beau des mortels.
Toutes les qualités, et toutes les caresses,
Qui peuvent aux amants procurer leurs maîtresses,
Tout ce qu'un honnête homme a de plus ravissant,
Je l'admirais, Madame, en ce soleil naissant.
Mes parents, me faisaient des menaces frivoles,
J'avais perdu mon coeur, ils perdaient leurs paroles,
Et je révérais peu l'aveugle aversion,
Qu'ils avaient, pour l'objet de mon affection.
Ils m'épiaient en vain, une entière licence,
Eût pu sur mon esprit, bien plus que leur défense,
Mes désirs s'animaient par leurs soins imprudents,
Les brasiers qu'on restreint, deviennent plus ardents.
Enfin, quand j'eus seize ans ; et que leur tyrannie,
M'eût ravi tout moyen d'être en sa compagnie,
Je force tout respect, je m'échappe, et je fais,
La résolution de n'en sortir jamais ;
Je fie à ce vainqueur, mon honneur et ma vie ;
Hélas ! Sa passion égalait mon envie ;
Je sais qu'il partageait ma flamme et mon ennui,
Et qu'on n'aima jamais, plus ardemment que lui ;
Nous fuyons déguisés nos parents, et nos peines,
Nous cherchons un séjour sur les humides plaines,
Et forcés d'obéir à la nécessité,
Commettons la constance à l'infidélité ;
La mer fut longtemps calme, et les vents et leurs grottes,
Reposaient, sans dessein d'exercer nos pilotes,
Nous nous jurions sans cesse une immuable foi,
Et nous mourions d'amour, ce bel amant et moi,
Neptune en fut jaloux, et cet effroi des âmes,
Fit dessein d'engloutir, et nos corps et nos flammes,
On n'a jamais parlé d'un orage si prompt,
Il s'enfle de colère, il se ride le front,
Fait tenir à nos gens des routes inconnues,
Et jette à bonds divers notre nef dans les nues ;
Tant d'épaisses vapeurs s'amassent dans les airs,
Que nous ne voyons rien, qu'en faveur des éclairs
Le pilote est troublé, son adresse est frivole,
Le vent nous enveloppe, et le navire vole ;
Jugez de nos frayeurs : cet agréable amant,
Ses bras entre les miens serrés étroitement,
Ne crains rien, me dit-il, le ciel est moins barbare,
Que d'empêcher l'effet d'une amitié si rare :
Nous vivrons, ma déesse, (il m'appelait ainsi,)
Et son juste pouvoir nous doit tirer d'ici ;
À ces mots il me laisse, et par tant de prières,
Implore de là-haut la fin de nos misères,
Que les Dieux n'avaient pu refuser du secours
À des vœux si pressants, s'ils n'eussent été sourds.
Le vent en un instant accroît sa violence ;
Hélas ! Ce qui suivit m'ordonne le silence,
Madame, épargnez-moi des discours superflus,
Et parce que j'ai dit, jugez qu'il ne vit plus.
Depuis, sous cet habit, sans suite, et vagabonde,
Je pleure, et pleurerai ce miracle du monde.
Après tous ses regrets, la résolution
Doit servir de remède à votre affliction.
Le temps serait pour vous, vous reverriez ses charmes,
Suite au v. 1302, il manque un vers : défaut de sens, défaut de rime.
Mais, comme elle est aveugle, alors qu'elle nous prend,
Nous tenant, elle est sourde, et jamais ne nous rend.
Les morts, sont toujours morts, nos prières sont vaines,
Nos soupirs superflus, et nos pertes certaines.
Scène V
Éraste avec deux laquais, Amélie, Cloris.
Enfin la proie est nôtre.
Ô malheur de mes jours !
Dionys, on m'enlève, aux voleurs ! Ô secours !
Ce bras divertira leur criminelle envie,
Votre perte dépend de celle de ma vie,
Traîtres, adressez-moi vos injustes efforts,
Ou ce fer se fait voie au travers de vos corps.
Il te faut contenter, ô Dieux ! En ce visage,
Je vois de ma Cloris une vivante image.
Hélas ! Qu'ai-je aperçu ?
Je meurs d'étonnement.
Je perds la voix, et l'âme, en ce ravissement.
Dieux ! Qu'est-ce que je vois ! Cet amant infidèle,
Sans doute est le sujet des pleurs de cette belle ;
Rendez l'éclat madame à ces charmants appas,
Qu'Éraste vous entende, et qu'il ne meure pas.
Hélas ! Éraste est mort, et cette image vaine,
S'offre à moi seulement pour accroître ma peine,
Je baiserai pourtant, ce portrait de mon bien,
Ô Dieux je vois beaucoup, et si je ne vois rien ;
Si je croyais mes yeux, voilà la même bouche,
Je vous son même poil, c'est sa main qui le touche,
Je connais cet anneau, qui fut mien autrefois,
Et quand il a parlé j'ai reconnu sa voix.
Ô divine douceur, dont mon âme est ravie !
Ai-je songé sa mort, ou louerai-je sa vie ;
Réponds un mot Éraste.
Ha ! Madame est-ce vous ?
Que je bénis le ciel, et que mon sort est doux,
Beau sujet de mes pleurs, ma Cloris, ma lumière,
Quoi, ce corps est pourvu, de sa grâce première ?
Quel sort en ma faveur, l'a fait ressusciter.
Éraste vit encor, il n'en faut plus douter ;
Cet objet de mes vœux charme encore le monde,
Et les dieux l'ont sauvé de la rage de l'onde ;
Mais la voix me défaut ; divin objet d'amour,
Parlons par des baisers qui durent tout le jour.
Ils se tiennent embrassés.
Dieux ! Son affection l'obligeait à me suivre,
Et ce soin qu'il a pris est ce qui m'en délivre,
Il retrouve Cloris, ses vœux sont satisfaits,
Il ne s'oppose plus au dessein que le fais.
Mais il faut contenter leur ardeur amoureuse,
En ces premiers transports, la joie est dangereuse.
N'avez-vous feint Madame un si cruel tourment,
Que pour me disposer à perdre mon amant.
Vous voyez d'un bon œil, notre chaste licence,
Et vous chérissez fort une si douce offense,
Vous cédez sans regret un si faible intérêt,
Et perdez de bon coeur le bien qui vous déplaît.
J'admire de l'amour la suprême puissance,
Ô Dieux ! Que cet effet dément bien son enfance ?
Il tire notre bien d'un malheur apparent.
Et Cloris me captive avecques tant d'Empire,
Que ses seules faveurs, sont le bien où j'aspire ;
Adorable beauté ! Cher but de nos espoir,
Quel Dieu m'a procuré le bien de te revoir,
Et quel heureux Démon te retira de l'onde,
Où le vent renversa notre nef vagabonde
La rencontre des flots la repoussa sur l'eau,
Que je croyais depuis te servir de tombeau,
La grandeur du péril nous conserva la vie,
Et du beau temps enfin ta chute fut suivie,
Depuis sous ces habits, j'ai pleuré ton trépas,
En mille endroits divers, où j'ai porté mes pas ;
En deux ans, sans dessein, j'ai vu toute l'Espagne,
Et la seule douleur m'a servi de compagne :
Mais ne m'oblige point à de plus longs discours,
Quel insigne bonheur, a conservé tes jours.
Un navire espagnol, sur cette humide plaine,
Tenait, comme le nôtre une route incertaine,
Et je crois que le Ciel l'envoyait, à dessein
Que la force des flots me jetât dans son sein.
Car je m'y rencontrai, dans ce péril extrême,
L'orage me servit, contre l'orage même ;
On me crut mort longtemps, et quand j'ouvris les yeux
Rien ne me cachait plus la lumière des Cieux ;
Des cœurs de Matelots la peur était bannie ;
Le timon travaillait, et l'onde était unie ;
Là, tous ces étrangers me comblèrent d'honneur,
Comme si j'eusse été l'auteur de leur bonheur ;
Et me contèrent tous, qu'à ma première vue,
Un rayon du soleil avait percé la nue,
Que je calmais du Ciel la forte aversion,
Enfin qu'ils me devaient leur conservation ;
Surtout, un homme riche, et chéri dans Valence,
M'offrit dessus ses biens une entière puissance,
N'attribua qu'à moi sa vie, et ses profits,
Et depuis me conserve en qualité de fils ;
J'ai témoigné mon deuil, par des preuves parfaites,
Et les Dieux sont témoins, des plaintes que j'ai faites,
Car je me croyais seul échappé du danger,
D'où m'avait tiré, ce navire étranger ;
Enfin, le temps, Madame, et les yeux d'Amélie,
Divisèrent ma peine, et ma mélancolie
Je partageais mes pleurs ; l'amour, et votre mort
Sur ce coeur malheureux faisaient un même effort ;
J'accusais le destin, de vous avoir ravie,
Et d'avoir sous une autre assujetti ma vie ;
L'effet vous répondra, de ma fidélité,
J'aimais votre mémoire autant que sa beauté ;
Et puisque vous vivez, les baisers de l'aurore,
Ne me seraient pas doux, si je vous plais encore.
Donc ce coeur inconstant a rompu ses liens.
Madame vos dédains, autorisent les siens.
Cessez de me gausser, et pardonnez, Madame,
Les effets criminels d'une importante flamme ;
Je connais que le Ciel vous doit à votre amant,
Et j'ai trop traversé votre contentement.
Mais pardonnez plutôt à l'humeur indiscrète
Dont le traitais, Monsieur, une amour si parfaite,
Vous devez excuser un coeur préoccupé
Et sur qui Dionys a beaucoup usurpé.
Nous vivrons tous contents, nos peines sont finies
Nos soupirs étouffés et nos craintes bannies
De tous nos déplaisirs l'amour est triomphant
Louons tous à l'envi ce glorieux enfant.
Et vous qui me traitiez avec tant d'injustice,
Je veux, pour tant de mal, vous rendre un bon office,
Je vais à vos parents, conter ce changement,
Et je m'ose vanter de leur consentement ;
Je viens ce soir sans faute, adieu vivez contente.
Mais je cause à madame une fâcheuse attente,
Mon bonheur, toutefois l'y fera consentir,
Et je viens de songer de quoi vous divertir.
Feignez pour mon sujet une ardeur violente ;
Et daignez m'honorer du nom de votre amante,
Ce divertissent ne vous déplaira pas,
Vous entendrez souvent invoquez le trépas.
Nous ferons un jaloux, et son cruel martyre,
Nous fournira ce soir un beau sujet de rire.
Ce dessein vous plaît-il.
Ô dieux ! Qu'il est charmant !
Et que nous en rirons.
Feignez bien seulement.
Scène VI
Je puis rendre aisément leur entreprise vaine,
Il est en mon pouvoir de divertir sa peine,
Ô Dieux ! Comme à propos, le ciel m'envoie ici,
Que je vais l'exempter d'un extrême souci.
ACTE V
Scène I
Pardonne ; aveugle enfant, à l'aveuglé caprice,
Qui m'a fait si souvent t'accuser d'injustice ;
Aveugle ! Ha tu ne l'es qu'en portraits seulement,
On te figure mal, et mon bien me dément ;
Enfant ; tu ne l'es pas, et tant de prévoyance
Dont je te suis tenu m'ôte cette croyance :
Non, tu n'obliges point à de sévères lois,
Tu mérites le nom du plus juste des Rois :
Et sais si prudemment, gouverner ton Empire,
Qu'on y murmure à tort, alors qu'on y soupire,
Le plaisir est plus doux, après un long tourment,
Et qui n'a point pleuré, ne rit que froidement.
Mais je vois ma déesse.
Scène II
Amélie, Cloris, Dionys.
Il faut que cette feinte,
Vous fasse mesurer son désir, par la crainte,
Elle vous prouvera l'ardeur de nos amours.
Commençons il nous voit.
J'entendrai leurs discours.
Ils ne m'avisent pas en un endroit si sombre,
Et je puis tout ouïr, en faveur de cette ombre.
Puisque l'occasion m'offre ici les cheveux,
Je ne me tairai plus cher espoir de mes vœux :
Votre possession est l'objet de mes larmes,
J'ajoute une victoire à celles de vos charmes,
Je n'adore que vous, et vos seules beautés
Ont mon âme ravie, et mes sens enchantés.
Amélie est un nom, qu'on sait par tout le monde,
On s'entretient de vous sur la terre et sur l'onde ;
Vos yeux font mépriser les autels de Vénus,
Et chacun sacrifie à ces Dieux inconnus ;
Attiré par l'éclat d'une beauté si rare,
Qu'elle peut enflammer le coeur le plus barbare,
J'ai quitté mon pays, sans dessein toutefois
De m'oser asservir sous de si dignes lois ;
Mais, qui peut s'exempter d'un si noble servage,
Pour vous, quelle raison ne perdrait son usage,
D'abord, que j'aperçus ces aimables Soleils,
Je sentis des effets, qui n'ont point de pareils ;
Mes yeux furent charmés, mon âme fut troublée
Et d'ennuis infinis, ma fortune comblée :
Je trouvai tant de grâce en ces divins appas,
Et je vis au-dessous mon mérite si bas,
Qu'un juste désespoir me conseille la fuite,
Vous avez vu l'état, où mon âme est réduite
Je plaignais mes défauts, et ma condition,
Qui défend, que j'aspire à votre affection.
Ô Dieux ! Qu'ai-je entendu, tu me dois ôter l'âme,
Traître, avant le bonheur de me ravir Madame
Mais ce pauvre abusé ne heurte qu'un rocher,
Que mon sujet unique à l'honneur de toucher,
Je demeure confuse, en cet honneur extrême,
Car un sujet puissant défend que je vous aime,
Ma foi s'est engagée, et (vous seul excepté,)
Le plus beau des mortels a pris ma liberté ;
Vous plaisez à mes yeux, il faut que je le die,
Mais je sais ce qu'au ciel déplaît la perfidie,
Ce crime est le plus noir qui souille ses autels,
Et qui lui fit jamais détester les mortels ;
Dieux, quel malheur m'engage à l'amitié d'un autre ?
Que ne puis-je, Monsieur, être constante et vôtre ?
Que je trouble point votre ardente amitié,
Je ne demande pas, un seul trait de pitié,
Je connais mes défauts, et cette connaissance,
M'assure que ma voix seulement vous offense,
Que c'est témérité que de voir vos attraits,
Que je mourrai coupable en mourant de leurs traits,
Mon sort est au-dessous de la mort où j'aspire,
Je devais éviter ce glorieux martyre,
J'ai pris trop de licence, et des Rois seulement
Sont dignes de mourir d'un si noble tourment.
Je me rends, je suis prise, et tant de modestie
Vous donne de mon coeur la meilleure partie,
Je vais fermer l'oreille aux vœux de Dionys,
Toute raison est faible, et tous respects bannis,
Espérez du remède à l'ardeur qui vous presse,
Et que ces doux baisers vous signent ma promesse.
Ô Dieux ! Que résoudrai-je en cette extrémité ?
N'avez-vous point de traits pour l'infidélité ?
Il possède mon bien, il l'embrasse, il la baise,
Et je ne punis pas ce tyran de mon aise ?
C'est trop délibérer.
Dieux ! Quelqu'un vient ici ?
Ne vous contraignez point.
Est-ce toi, mon souci ?
Que les baisers sont doux, sous ce divin feuillage !
Que vous y recevez un agréable hommage !
Que la fraîcheur de l'ombre accroît vos voluptés,
Et dans un bon plaisir tient vos sens enchantés !
Qu'est-ce que tu me dis ?
Continuez, Madame,
Ces douces privautés à l'ardeur qui l'enflamme,
Je ne publierai point vos amoureux soupirs,
Et rien n'en parlera, que la voix des Zéphyrs.
En ce lieu frais, et doux, mon importune envie
Obligeait cet amant au récit de sa vie.
J'entretenais, Madame, et ses chastes beautés,
Ne se disposaient point à d'autres privautés.
Nous n'avons, ni prévu, ni craint cette venue
Et ce bras répondra de notre retenue.
Je ne crois que mes yeux : mais qu'elle ouvre les siens,
Sur celui qui lui plaît, et m'ôte mes liens,
Que ce divin objet dédaigne ma franchise,
Et qu'il se laisse prendre à sa dernière prise,
Je m'accuserai seul, un bien peut-être ôté
Lorsque qui l'a reçu ne l'a pas mérité ;
Sa beauté m'honorait de trop de récompense,
Et l'on peut révoquer une injuste sentence.
Et bien, je l'avouerai ; cet infidèle coeur
S'est affranchi des lois de son premier vainqueur ;
J'aime cet étranger, de secrètes puissances
Lui donnent mes désirs, et forcent mes défenses ;
Que d'un commun dessein, tes vœux soient refroidis,
Prouve en ne m'aimant plus, que tu m'aimas jadis,
Mon refroidissement t'est un sensible outrage,
Mais il est Dionys, moindre que ton courage
Deux jours feront la fin de ton ressentiment ;
Allons, laissons-le seul se plaindre librement,
Je ne me plaindrai point, ouvrons ce coeur infâme,
Qui n'a su demeurer dans le sein de Madame,
Les vœux d'un coeur si vil, sont un petit tribut,
Et son peu de mérite a causé son rebut.
Mais non, c'est trop presser une mort si facile,
Le reste de ce jour ne m'est pas inutile,
Je sais que mon repos dépend de mon trépas,
Mais l'auteur de mon mal, précédera mes pas.
Je suivrai ce rival, et sur la rive noire,
Où gisent les esprits, sans haine et sans mémoire,
Le mien conservera sa juste aversion
Contre ce lâche auteur de mon affliction.
Scène III
Lisidan, Dionys, Érante.
Ô Dieux ! Que me dis-tu ? Rompons leur entreprise,
Allons l'en avertir.
Ne dis mot, je l'avise ;
Depuis quand Dionys se plait-il dans les bois ?
{{didascalie|le tire à part, et lui dit à l'oreille |c}}
Ha sers moi, cher ami, pour la dernière fois ;
On a trahi mes vœux
Ô Dieux !
Et ma maîtresse
Détourne sa pitié de l'ardeur qui me presse ;
Je ne murmure pas, contre son changement,
Et je n'accuse point son divin jugement,
Mais j'ai moins de respect, que de laisser la vie,
Au rival, qui l'adore, et qui me l'a ravie.
Et quel est ce rival ?
Celui, qui suit ses pas,
Qui l'éloigne de nous, et ne la quitte pas.
Cours, appelle en mon nom ce tyran de ma joie,
Et qu'il ne souffre pas, que Madame le voie
Autrement je ne puis accomplir mon dessein,
Elle divertira ce combat incertain.
Un secret importun, adorable merveille,
M'oblige à lui tenir ces deux mots à l'oreille,
Et doit faire excuser mon incivilité.
Imitez ses mépris, et la légèreté,
Elle vous a flatté d'une trop longue attente,
Et rien n'excuse plus cette belle inconstante.
N'offense point cruel ce miracle d'amour,
Afflige-moi plutôt de la perte du jour,
Je ne dois expliquer son amour ni sa haine,
Elle peut m'ordonner, ou le prix, ou la peine,
Qu'elle rende mes vœux, ou vains, ou satisfaits,
Elle ne peut faillir, et ne faillit jamais ;
Hélas, m'est elle due ? Et la crois-tu coupable,
Quand elle m'ôte un bien, dont je suis incapable ?
Les Dieux, qui de leur être ont formé ses appas,
Donnent souvent des biens, et ne les laissent pas.
Je ne l'appelle point ingrate, ni parjure,
Je l'acquis sans mérite, et la perds sans injure.
Dieux ! Qui ne priserait ces reflets infinis
Que loin de vous, Monsieur, tous soupçons soient bannis,
Aimez-la seulement, autant qu'elle vous aime,
Je viens pour vous tirer de cette peine extrême,
Je plains votre douleur, et connais qu'en effet,
Je traversais jadis un amant trop parfait.
Cet agréable objet dont ma sœur est atteinte
Est fille comme nous, et leur flamme une feinte.
Elles ont proposé ce divertissement,
Pour éprouver l'ardeur d'un si fidèle amant.
Ranime cher ami, ta première espérance,
Et te repose en moi d'une ferme assurance,
Elle t'aime toujours, mais écoute comment
J'appris, ce qu'elle a cru tramer secrètement ;
Éraste qui brûlait d'une si vive flamme,
Nous suivant en ses lieux, pour te ravir ta Dame,
A rencontré l'objet de son premier tourment,
Qu'il a bien reconnu sous ce faux vêtement,
Il lui baise les mains, l'honore, la caresse,
L'appelle par les noms de belle, et de maîtresse,
La voit d'un œil charmé, bénit cet heureux jour,
Et n'importune plus l'objet de ton amour :
Il a même avoué, que ta Dame t'est due,
Sous ces épais rameaux j'ai sa voix entendue,
Et j'ai vu d'assez près les chastes privautés
Dont il s'entretenait avec ces deux beautés,
Enfin, (leur a-t-il dit), l'amour et la justice
Veulent qu'à mon rival je rende un bon office,
Il devra son repos au souci que je prends
Et je vais implorer l'aveu de vos parents ;
Il part, et là-dessus, ces filles réjouies,
Proposent de gausser, je les ai bien ouïes,
Ayant su leur dessein je les laisse partir,
Et je ne te cherchais que pour t'en avertir.
Ô Dieux ! Te dois-je croire ?
Ha ! Ce soupçon m'irrite.
Ô discours qui me charme, et qui me ressuscite !
Qu'à propos cher ami, tu me viens obliger ;
Et que tu m'as tiré d'un extrême danger.
Monsieur, que d'une feinte, une feinte vous venge
Témoignez de m'aimer, et d'imiter son change
Lors son ressentiment prouvera son amour,
Et nous aurons sujet de rire à notre tour.
Ce dessein est plaisant.
Oui, mais la mettre en peine,
C'est être criminel, et mériter sa haine.
Ne me refusez point ce divertissement,
Je me charge de tout, feignez bien seulement.
Scène IV
Amélie, Cloris, Dionys, Lisidan, Érante.
Tu veux de mon amour une preuve inutile,
Un favorable hymen peut t'en procurer mille,
Nous devons avancer cette heureuse union,
Si tu joins ton avis à mon opinion.
Ce suprême bonheur, est le seul où j'aspire,
L'affaire est d'importance, et différée, empire.
Tous respects à mes yeux se sont évanouis ;
Si bien.
Dieux parlons bas.
Je vous ai bien ouïs ;
Mais ne contraignez point votre ardeur amoureuse,
Dionys est heureux, si vous êtes heureuse
Un plus beau nœud succède, à son premier lien,
Et votre changement autorise le sien.
Madame, que le Ciel s'oppose à mon envie,
Si j'avais proposé de changer de ma vie ;
Et si je ne voyais d'un œil indifférent
Cette divine Érante, à qui mon coeur se rend ;
Vos rigueurs ont trouvé ma constance invincible,
Mais vous m'offenser plus volage qu'insensible :
Et je redoutais moins, lorsque je fus atteint,
De constantes froideurs, qu'un brasier qui s'éteint :
Je n'ai point murmuré, le respect qui me reste,
M'a fait souffrir sans plainte un tort si manifeste,
Mais ne vous blâmant point, je vous peux imiter,
Un de ses deux effets ne se peut éviter,
Je change comme vous, et sans peur qu'on m'accuse,
On a droit de reprendre un présent qu'on refuse,
Je ne m'oppose point à vos prospérités,
Un autre a bien voulu ce que vous rejetez,
À mes chastes desseins, Lisidan cède Érante,
De qui l'affection m'est assez apparente.
Et bien vivez content.
Enfin j'ai le secours
Que je n'espérais pas à mes chastes amours ;
Dieux la rare faveur, et l'extrême assistance,
Que ma fidélité doit à votre inconstance.
Dionys vaut beaucoup, mais un plus beau vainqueur,
A la gloire, ma sœur, de lui ravir mon coeur :
J'obéis au destin qui change mon martyre,
Et sans élection, je suis, ce qui m'attire.
Donc il faut à l'envi bénir ce changement,
Il ne me reste pas un regret seulement ;
Mon coeur ne sent plus rien de ses premières peines,
Et vous n'y verriez pas les marques de ses chaînes :
Tous ses feux sont éteints, et j'ai tout oublié,
Sinon le seul dessein de vous être allié,
Vous ne vous plaindrai point, de mon humeur jalouse,
Et vous me plairez sœur, autant, et plus qu'épouse,
Va traître, indigne objet, d'une amitié si rare,
Le Tyran de mes maux, insensible barbare,
Qui fausses des serments, répétés si souvent,
Cœur sans cesse agité, faible jouet du vent,
Adore qui te plaît, offense-moi sans crainte,
Et trouve ton excuse en cette vaine feinte,
Ingrat, vois-moi pousser des soupirs superflus,
Sois vain de mes douleurs, et ne me parle plus,
Mais quoi ? Je ne tiens pas sa perte favorable ?
Je regrette un amant si peu considérable.
J'abandonne mon coeur à d'aveugles douleurs ;
Et je pleure un sujet indigne de mes pleurs ?
Non, non, je parais lâche, alors que je m'afflige,
Je gagne en te perdant, et ta haine m'oblige,
J'ai honte seulement des maux que j'ai soufferts,
Et je préfère ingrat ma franchise à tes fers,
Adieu, fais vanité de ma peine passée,
Mais ne me vois jamais, horreur de ma pensée.
Elle s'en veut aller.
Je n'en espérais pas un traitement plus doux,
Conseillère imprudente, à quoi m'obligez-vous,
Héla ! Belle Amélie, adorable maîtresse,
Accordez un moment au regret qui me presse,
J'ai feint par leur avis cette infidélité,
Et je suis innocent de tant de lâcheté ;
Alors que je perdrai cette ardeur sans seconde
Le soleil cessera d'illuminer le monde
On verra des appas égaux à vos attraits,
Et cette égalité ne se verra jamais.
Ô Dieux !
Le doux plaisir ?
Belle âme de ma vie,
Hélas ! La croyez-vous ? Sous une autre asservie,
Divin charme des cœurs
Ah pardon mon souci.
Offensez-moi souvent, et m'apaisez ainsi.
J'ai pris à vos dépens, cette joie infinie :
Les trompeurs sont trompés, et la feinte punie,
Ne donnez plus d'ombrage à cet esprit jaloux,
Caressant un objet, qui ne peut rien pour vous.
Ne vous consommez point d'une inutile flamme,
Consentez au repos d'Éraste, et de Madame.
Le voici qui revient.
Scène V
Éraste, Amélie, Érante, Cloris, Dionys, Lisidan.
J'ai gagné son esprit,
Il s'accorde à vos vœux, consulter cet écrit.
Dieux ! L'effet nonpareil d'un généreux courage !
Que ce rival, Monsieur, vous doit rendre d'hommage !
Puisque Éraste vous laisse, et retrouve les charmes,
Qui jadis touchèrent son coeur ;
Soyez toute à votre vainqueur,
Et venez essuyer mes larmes.
Admirez son pouvoir, je fais ce qu'il m'ordonne
Il obtient ce consentement
Et cet officieux amant
N'ayant pu vous avoir, vous donne.
Cléante.
Il faut rester ingrate à ces rares bontés
Rien ne peut égaler, ce que vous méritez.
Adorable rival, de quel humble service
Puis-je récompenser, ce favorable office,
Que ce jour pour jamais, borne nos différents,
Accorde cette grâce aux vœux que je te rends.
Mais oubliez plutôt les ardeurs importunes,
Qui m'ont fait si longtemps, traverser vos fortunes.
Cloris a dissipé ces malheurs infinis
Et procure Amélie aux vœux de Dionys:
Érante à Lisidan, un triple nœud nous lie.
Scène VI
Émile, Le Valet, Amélie, Dionys, Lisidan, Érante, Éraste, Cloris.
Mais Émile vous cherche, admirons sa folie
Il repaît son esprit de mille vains combats,
Et pour moins que son ombre, il met les armes bas.
Son trépas, va prouver ma valeur sans seconde,
Il doit plus de respect à la terreur du monde,
Que de considérer un objet qui lui plaît.
Prononcez de sa mort l'irrévocable arrêt,
Il mourra, je le jure.
Oui, mais de quelle sorte ;
Par ce bras indompté.
Si ce dessein n'avorte.
Et qui peut divertir mes résolutions,
Puis-je souffrir remise, ou compositions
Ai-je fait quelquefois une entreprise vaine,
J'entreprends justement, et j'achève sans peine ;
La mort me plairait plus qu'une honteuse paix,
Ce coeur est un rocher qu'on n'ébranle jamais.
Des lions quelquefois, ont forcé leur courage
Et des soumissions ont apaisé leur rage.
Je fais grâce à beaucoup, j'y trouve des appas,
Mais je la sais donner, et ne la perdre pas,
En des occasions les vengeances sont belles,
Et l'on voit quelquefois des pitiés criminelles :
Nous cherchons un rival indigne de pardon,
Et la même pitié lui dénierait ce don.
Avançons je le vois.
La partie inégale,
Fait qu'un soudain glaçon dans le coeur me dévale,
Ils sont trois contre deux.
Ha lâche, suis mes pas.
Où va votre grandeur ?
T'annoncer le trépas !
Tu n'as pas dû, perfide, après tant d'insolence,
Une seconde fois choquer ma patience,
Je dois mon assistance, à cet objet d'amour,
Et son enlèvement te coûtera le jour.
Ne diffère donc point.
Attends
Tu délibères.
Je songe, que la mort finirait tes misères,
Que mon aversion me nuit, et me vengeant,
Que je t'obligerais en te désobligeant,
Et que je te punis, en te laissant la vie
Mieux, que si par ce bras, elle t'était ravie ;
Va, je suis satisfait.
Que de présomption ?
Et vous divin objet de mon affection
Quand prononcerez-vous.
Sors d'ici, lâche, infâme,
Es-tu si vain encor, que d'aborder Madame ?
Indigne seulement d'entendre ses refus,
Ne me réplique pas, sors, ou tu ne vis plus.
Dieux ! Le plaisant courroux, dont son âme est atteinte,
Il ne peut discerner le vrai, d'avec la feinte ;
Voilà, comme souvent, on ne croit qu'à demi
Son plus cher serviteur, et son meilleur ami.
T'ayant juré cent fois une ardeur éternelle,
Dois-tu m'attribuer le titre d'infidèle,
Je vis toujours égal, toujours en même point,
Ce que j'ai proposé, ne se révoque point,
Et je feignais ainsi, pour sonder la croyance
Que tu dois conserver, de ma persévérance ;
Je ne m'oppose point, au bonheur qui t'est dû,
Possédant cet objet, je te l'aurais rendu,
En faveur du beau feu qui t'a l'âme enflammée,
Je la dégagerais du milieu d'une armée :
Je romprais des prisons, je l'ôterais des fers,
Et je la tirerais du profond des enfers.
Comme un faible moyen, rabat son arrogance,
Adieu, fais rire ailleurs, de ton extravagance.
C'est trop perdre de temps, à l'entretien des fous,
Valence offre à nos vœux des passe-temps plus doux,
Allons y célébrer ces heureux hyménées,
Qui de biens infinis vont combler nos années.
Adieu terreur du monde.
Adieu race des Dieux !
Adieu divin charmeur des âmes et des yeux.
Adieu le plus vaillant de la terre et de l'onde.
Adieu le plus grand fou qui soit en tout le monde.
Nous voilà grands seigneurs.
Suis-les, atteins ses gens
Ma vengeance dépend de tes pas diligents :
Je veux pour contenter la fureur qui m'enflamme,
Voir à ces lâches cœurs vomir le sang et l'âme :
Je les combattrai seul, arrête toutefois,
Je dois plus noblement employer mes exploits.
Une si méprisable et facile victoire,
Effacerait mon nom et ternirait ma gloire :
Quelque dessein qu'ils aient d'exercer mon courroux,
Ils n'auront pas l'honneur de mourir de mes coups.
Que vos bras sont puissants et nos exploits superbes,
Que de vaincus à bas, que de corps sur les herbes :
C'est trop fait pour un coup, allons parmi les pots
Après tant de travail prendre un peu de repos.