Amélioration et développement de l’éducation physique/II

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Imp. de la Société suisse de Publicité (p. 8-19).

ii. L’instituteur et l’école.




A. la préparation de l’instituteur.

À l’École primaire, la valeur de l’éducation physique dépend exclusivement de la préparation de l’instituteur. Lui seul, en effet, est à même d’assurer comme il convient le développement corporel de ses élèves. Or ce n’est pas suffisant, dans ce domaine, qu’il ait appris ce qu’il doit enseigner. Il faut encore lui fournir les moyens de s’entretenir lui-même dans la pratique des exercices physiques et lui procurer l’aide et les encouragements dont il a besoin.

La formation de l’instituteur doit naturellement s’opérer pendant son séjour à l’École normale. Elle s’achèverait utilement à l’occasion de son service militaire.


Cours d’Éducation physique.

Il importe qu’au programme d’études des Écoles normales d’instituteurs soit ajouté un cours d’Éducation physique obligatoire, composé de deux parties : une partie théorique et une partie pratique. De la partie pratique nous parlerons tout à l’heure.

La partie théorique comprendrait : 1o la physiologie et la psychologie sportives élémentaires ; 2o l’anatomie et l’hygiène élémentaires ; 3o l’histoire de l’éducation physique ; 4o la technique des exercices physiques.

Il n’y a pas à s’alarmer de l’apparente surcharge résultant de l’introduction de ces matières nouvelles dans un programme d’études déjà complexe. Il s’agit en effet ici, d’un enseignement d’ordre tout spécial qui n’a pas besoin d’être très approfondi et dont une portion peut être donnée en manière de récréation. Ces quatre ordres de questions n’en sont pas moins indispensables, fut ce à titre embryonnaire, dès qu’il s’agit de former de futurs éducateurs. Si le surmenage n’est pas à redouter de ce chef, plus délicate est l’objection tirée de l’absence immédiate de professeurs compétents. Mais il y a lieu de distinguer entre les quatre parties du cours. Les leçons d’anatomie et d’hygiène trouveront aisément un titulaire parmi le personnel enseignant de l’École où de la localité. La technique des exercices physiques concerne principalement le professeur de gymnastique et s’apprend d’ailleurs surtout en les pratiquant. Pour la physiologie et la psychologie sportives ainsi que pour l’histoire de l’éducation physique, il suffirait de rédiger un manuel précis et complet que les élèves étudieraient sous le contrôle de leurs maîtres et dont ils se développeraient à eux-mêmes les chapitres, en de petites conférences très propres à les préparer à leur mission à venir. Ce sont là, sans doute, des procédés de fortune. Ces procédés ne sont pas toujours les plus mauvais. Ils permettront d’attendre le moment où la diffusion de l’éducation physique sera assez complète pour que le cours dont nous suggérons la création soit pourvu de toutes les ressources nécessaires.


Gymnastique quotidienne : rôle des moniteurs.

Une heure d’exercices musculaires par jour, telle est la place que réclame au minimum l’éducation physique dans les horaires des Écoles normales. L’innovation peut-être réalisée sans bouleverser les dits horaires, ni nuire aucunement aux études. La meilleure preuve en est que plusieurs directeurs d’écoles ont déjà tenté l’aventure et n’ont pas eu à s’en repentir.

La véritable difficulté provient du surcroit de besogne que cette réforme généralisée imposerait aux professeurs de gymnastique. Il est à souhaiter, ainsi que nous l’indiquerons plus loin, que le nombre des professeurs soit augmenté et qu’ils reçoivent aussi des traitements améliorés, mais ce souhait vise surtout les lycées où leur action ne saurait guère être suppléée. Les Écoles normales sont des internats peuplés de grands garçons. Nul terrain n’est plus propice à l’utilisation de moniteurs choisis parmi les élèves de 3me année (au besoin de 2me en cas d’aptitudes exceptionnelles). Spécialement dirigés par le professeur, ils apporteraient rapidement l’aide la plus précieuse. Je me permets d’insister sur ce point parce que des expériences antérieures se sont trouvées confirmées pour moi, au cours de la période actuelle et que s’il est un terrain sur lequel l’enseignement mutuel (qui a été l’objet naguère de tentatives plutôt malheureuses) paraît devoir réussir, c’est précisément celui de l’éducation physique.

Un moniteur ou un sous-moniteur par dix élèves avec deux moniteurs-chefs pour l’ensemble de l’école, tel est l’effectif à prévoir pour un établissement d’une centaine d’élèves. Il y aura en effet trois catégories dans ce monitorat. Le sous-moniteur est celui qu’on trouve capable de surveiller et de faire exécuter par son escouade deux au trois mouvements bien connus de lui et que le professeur lui a indiqués. Le moniteur est celui qui est en état d’en faire autant pour la presque totalité d’une leçon. Le moniteur-chef est celui qui possède les qualités et l’acquis nécessaires pour remplacer à l’occasion le professeur.

Un professeur compétent, actif et zélé, saura bien trouver dans une École normale en proportion du nombre des élèves, de 4 à 12 jeunes gens susceptibles de l’aider de la sorte à assurer l’éducation physique.

La gymnastique quotidienne doit comprendre des exercices d’ensemble ainsi que la course, le saut, le grimper, le lancer, etc… Ce serait une grave erreur que de vouloir établir, comme on a essayé de le faire parfois, des leçons rigides dans lesquels la nature, l’ordre et la durée des mouvements soient étroitement règlementés. Qu’on laisse au professeur la faculté de composer ses leçons en tenant compte des locaux et terrains dont il dispose, du climat et des circonstances diverses qui peuvent influer sur ses élèves, de la variété aussi qui est si nécessaire pour entretenir l’ardeur générale. C’est du reste enlever à sa tâche tout l’intérêt qu’elle comporte que de faire de lui le simple exécuteur de décisions théoriques prises en dehors de lui et qui ne seront pas toujours justifiées à ses yeux.

Une des séances quotidiennes devrait être, chaque semaine consacrée aux exercices militaires, maniements d’armes, etc… et une au tir ; les trois autres à la gymnastique. Inutile d’ajouter que le travail en plein air est à recommander autant que possible.


L’emploi du jeudi.

Depuis qu’à la promenade règlementaire du jeudi a été substituée dans les Écoles normales ce qu’on a appelé la « promenade libre », cette après midi a cessé d’être utilisée dans un trop grand nombre de ces établissements. Nous estimons qu’elle devrait être obligatoirement et totalement consacrée aux sports et notamment, en automne et en hiver, au football et au cross-country[1], ces deux bases excellentes de l’éducation virile. Rien n’est plus pédagogique que le cross-country ni plus simple à établir et à conduire. Inutile de chercher la complication et surtout l’excès ; des distances moyennes, avec des pistes qui demandent, pour être suivies, de l’observation et de la réflexion et qui soient coupées d’obstacles naturels bien choisis.

La natation et l’aviron, partout où ces sports se peuvent pratiquer sont, bien entendu, à introduire dans le programme des Écoles normales ; la natation en utilisant à défaut de piscines les cours d’eau voisins et en luttant contre ce ridicule préjugé qui limite le bain, en rivière, à la saison d’été ; l’aviron en ayant recours aux sociétés existantes qui n’ont jamais, en France, été suffisamment encouragées et dont les offres de service n’ont pas reçu jusqu’ici des autorités scolaires l’accueil qu’elles méritaient.

Il y faudrait aussi des sports de combat ; la boxe et la canne paraissent indiquées pour différentes raisons. Si les escrimes du sabre, de l’épée, du fleuret sont un peu coûteuses, d’une organisation malaisée, d’un enseignement délicat, la canne devenue dans son style nouveau une sorte de préface du sabre, se présente dans de meilleures conditions. En ce qui concerne la boxe, je me bornerai à évoquer ce sobriquet expressif et suggestif que l’on donne dans les collèges anglais aux gants de boxe. On les appelle les gardiens de la paix.


Campement, service d’incendie, travaux manuels.

Nous demanderons que chaque École normale soit munie d’un matériel de campement. La dépense ne sera pas excessive. Il n’est pas besoin en effet d’un matériel de choix mais de ce qui est exactement nécessaire pour passer une ou deux nuits en plein air et préparer une cuisine rudimentaire. Aucun sport, aucune théorie, aucun enseignement ne vaudrait pour le futur instituteur, les leçons de débrouillage prises en campant. Rien ne développera mieux son ingéniosité et son équilibre. Les expéditions peuvent se faire en partant le samedi soir par exemple, et par escouades de façon que chaque élève ait participé au moins à trois ou quatre campements par an. Ainsi quelques tentes en servant à tour de rôle pourront suffire à toute une école.

Une autre innovation également recommandable consisterait à doter chaque École normale d’une pompe à incendie, en exerçant les élèves à s’en servir avec célérité et efficacité. Ceci existe dans la plupart des collèges anglais et la « Fire brigade » a été maintes fois appelée à rendre des services au voisinage. En limitant l’imitation de cette institution aux écoles normales nous tenterons l’expérience en France, là elle a le plus de chances d’aboutir utilement.

De même que l’éducation physique fournit, à l’École normale, un terrain propice à l’introduction de l’enseignement mutuel, elle se prête fort bien à l’organisation du travail manuel. Non pas que l’alliance possible d’une culture intellectuelle du rang de celle qui y est donnée avec l’apprentissage d’un métier déterminé, n’ait été reconnue depuis longtemps utopique, mais quand il s’agit de sports et d’exercices physiques, tout le monde sera d’accord pour estimer qu’un bon « débrouillard » doit être en mesure de réparer et d’entretenir les instruments, engins, etc., dont il a appris à se servir : la menuiserie et la corderie, jouent ici un rôle essentiel, sans parler de tout ce que le campement nécessite d’interventions de tout genre.


L’instituteur à l’armée.

Ce serait une erreur de ne point profiter du passage du futur instituteur au régiment pour parachever ce qui s’est fait à l’École normale. À l’autorité académique d’étudier avec l’autorité militaire la façon dont ce résultat serait le mieux atteint, non seulement en facilitant à ceux qui le désirent, le stage à l’école de Joinville, mais en prenant soin que les autres reçoivent l’affectation la plus apte à perfectionner en eux, les qualités d’éducateurs et principalement d’éducateurs physiques dont ils auraient à faire l’application au cours de leur carrière. Leur perfectionnement comme tireurs doit particulièrement attirer l’attention des pouvoirs publics. L’insuffisant et maussade appui donné pendant si longtemps aux sociétés de tir est aujourd’hui l’objet du regret général. La guerre a montré combien cette économie fut maladroite. Il n’est pas de mon ressort de réclamer l’établissement dans chaque chef-lieu de canton, d’un stand complet et je n’ose en demander un pour chaque École normale. Mais si l’on veut que le tir progresse comme il le faut, que du moins les mesures soient prises pour faire de l’instituteur-soldat un tireur expert capable d’aider efficacement à l’entraînement des générations suivantes.


L’instituteur au Collège d’athlètes.

L’initiative du marquis de Polignac a doté la France d’une formule nouvelle d’établissements de culture physique. Le magnifique Collège d’athlètes de Reims a déjà suscité sur plusieurs points du territoire, des imitations plus modestes, mais non moins excellentes. Une ligue s’est créée pour propager la formule et il est à espérer que cette fois, les pitoyables rivalités et les jalousies qui ont exercé trop souvent leur action négative en entravant les progrès de l’éducation physique permettront à une œuvre aussi salutaire de se développer librement. S’il en est ainsi, il existera bientôt en France, les dix ou douze collèges d’athlètes nécessaires aux besoins provinciaux. L’administration de ces collèges s’inspirant du bien public ne se refusera certainement pas à en faciliter l’accès aux instituteurs pour des stages de vacances, d’une à trois semaines, qui permettront à ceux-ci de faire à la fois de ces « cures d’exercices physiques » dont l’usage bienfaisant va se répandre de plus en plus comme diversion au surmenage de la vie moderne, et d’entretenir en eux-mêmes les qualités et les connaissances indispensables à bien remplir leur mission.


B. les exercices physiques à l’école primaire.

L’instituteur français à la tête de son école primaire se trouve, au point de vue du développement physique de ses élèves, en face d’une tâche qui varie entre ces deux termes : débourrer et assouplir ou bien fortifier et endurcir. Dans les milieux ruraux, en général, le premier terme prédomine ; dans les milieux urbains c’est le second qui s’impose. Cela ne modifie guère les exercices mais très sensiblement la façon dont ils sont pratiqués.

On devrait attirer l’attention de l’instituteur sur la nécessité de varier beaucoup ses leçons afin de les rendre attrayantes à l’élève et d’obtenir de celui-ci cette collaboration éveillée sans laquelle il n’y a point d’éducation physique efficace. De brèves et fréquentes séances coupant les classes parfois à l’improviste et ayant lieu autant que possible en plein air ou sous un préau, les gammes de la gymnastique utilitaire : courir, sauter, grimper, lancer… souvent répétées dans des tons différents, l’alphabet du football ou du rallye enseigné en manière de récompense aux plus dégourdis… et tout cela s’accomplissant avec la prudence extrême qui s’impose vis-à-vis de familles encore murées pour la plupart dans leur routine méfiante. L’instituteur devrait insister sur les pratiques d’hygiène mais en se gardant là aussi d’empiéter sur les droits des parents dont il est si aisé de surexciter la jalousie.

En somme, c’est l’ambition de la perfection corporelle, c’est le goût de la force et de l’adresse dont il faudrait arriver à déposer le germe dans ces natures issues de générations fermées à la conception qu’une telle culture soit utile et même possible. Donc assez longtemps encore, l’instituteur se trouvera sur ce terrain placé en face de populations plus ou moins hostiles à ses initiatives. Or cette situation risque de le conduire au découragement. Il faut qu’il puisse compter sur quelque appui en dehors de l’école. Les œuvres post-scolaires constituent un domaine qui se trouve à sa portée et lui réserve des satisfactions. On ne doit pas perdre de vue que l’instituteur, surtout dans les petites communes rurales, demeure isolé à bien des égards. Il n’est donc pas surprenant qu’on le voie épouser la politique et apporter dans ce mariage des passions exclusives. Là du moins, il trouve des soutiens, des amitiés, de la camaraderie. Ces avantages, l’instituteur les trouverait plus complets encore et plus en rapport avec son rôle dans le développement de la pédagogie post-scolaire et notamment de la culture physique puisque c’est là une des tendances caractéristiques du temps présent.

Il est donc désirable qu’on l’aide à grouper ses anciens élèves. Dans les villes, des efforts heureux ont déjà été tentés dans cette voie. Telle école de quartier d’une cité fameuse du midi qui passe pour endormie sous le poids de son prestigieux passé pourrait servir d’exemple à bien des agglomérations actives. L’association des anciens élèves y publie un petit bulletin et les cours de gymnastique que le directeur a su installer y ramènent nombre de jeunes gens et d’adultes hebdomadairement. Tous les instituteurs n’auront pas sans doute l’énergie et la persévérance de celui-là, mais si ils se sentent incités et encouragés par leurs chefs, si les éléments sportifs du voisinage s’intéressent à eux, de bons résultats seront vite obtenus.

Dans les campagnes, une organisation cantonale pourrait seule réussir jusqu’à nouvel ordre. Dans chaque école on formerait de petits groupes qui se syndiqueraient au chef-lieu du canton ; là fonctionneraient la direction et la caisse. Ces associations cantonales pourraient jouer un rôle très efficace dans le développement de l’éducation physique.

L’important est de bien considérer que ce n’est pas à coup de circulaires que l’on réussira dans cette sphère si importante mais encore si peu favorablement disposée, de l’école primaire. Tout réside en ceci : préparer à fond l’instituteur, l’inciter à de vigoureux efforts en suscitant autour de lui le plus possible de bonnes volontés adjuvantes, mais laisser à lui et à ses collègues de la région, la dose de liberté indispensable à une entreprise que tuerait toute tentative de réglementation minutieuse.

  1. L’usage a consacré en tous pays l’emploi du terme : foot-ball et il serait puéril de chercher à réagir parce que chacun sait désormais à quoi s’appliquent ces mots. Le maintien du terme cross-country est moins heureux, encore que le diminutif habituel de « cross » en ait simplifié tout au moins la prononciation. Nous avons en français le « rallye-papier » expression qu’il eût mieux valu maintenir, en l’étendant aux tracés sans fausses pistes et aux courses pédestres aussi bien qu’équestres.