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Amour de singe/09

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Éditions Prima (Collection gauloise ; no 11p. 53-64).

ix

Conséquence naturelle, mais imprévue.


Il avait été convenu entre Gaston et M. Anatole Samuel que celui-ci reviendrait le chercher chez sa maîtresse pour le reconduire chez lui.

Le naturaliste se présenta donc dans la journée au domicile de la jeune femme pour réclamer Loulou :

Amélie fit d’abord des difficultés pour laisser partir son amant.

— Laissez-le-moi, dit-elle. Je le soignerai bien, vous pouvez être tranquille… Je ne le garderai pas ici, je le conduirai dans un appartement que j’ai en ville et où il sera caché à tous.

Mais Anatole Samuel insista, et Loulou lui-même se livra à une mimique qui indiquait son désir d’accompagner le naturaliste.

— L’ingrat ! dit Amélie. Il ne veut pas rester avec moi !…

— Je vous le ramènerai demain, madame… Mais il ne peut rester ici aujourd’hui.

Amélie dut se résigner à être séparée du faux chimpanzé. Elle lui envoya des baisers auxquels naturellement Loulou répondit… N’était-il pas tout naturel qu’un singe imitât ainsi les gestes qu’il voyait faire devant lui ?… Il les imita parfaitement… et se retira, laissant sa maîtresse sous une impression favorable.

Anatole Samuel expliqua à Gaston qu’il avait obtenu de Valentin Troubelot la mission de confiance de conduire chaque jour le véritable singe chez Amélie.

— Ainsi, dit-il, vous serez assuré contre tout retour offensif du professeur et de son chimpanzé. J’irai enfermer celui-ci chez vous et le reprendrai ensuite. Le tour sera joué et Troubelot croira que son expérience se poursuit, ce qui est le principal.

— C’est très bien combiné, mais comment lui expliquerez-vous que j’accepte la substitution ?

— Je lui dirai que vous renoncez à jouer le rôle du singe. J’ai justement une autre dépouille toute pareille à la vôtre que je donnerai au professeur pour le convaincre. Il sera ainsi bien tranquille…

— Et nous aussi, répondit Gaston…

Le soir même, le jeune homme mettait Gustave au courant des péripéties de cette journée.

— Ah ! dit-il… J’aurais bien cru que cette histoire aurait dégoûté pour toujours Amélie des singes ! Mais il n’en est rien. Elle est plus amoureuse que jamais de son chimpanzé…

Gisèle s’offrit pour confesser son amie et savoir quel était le fond de sa pensée.

— Je vous ferai signe, dit-elle à Gaston, lorsque sonnera l’heure psychologique où vous pourrez révéler votre véritable personnalité,

Mais ni le lendemain, ni les jours suivants, l’amie de Gustave n’apporta à l’amant d’Amélie la parole qu’il attendait.

Elle lui dit même :

— Vous jouez trop bien votre rôle. Elle ne me parle plus que de son Loulou, qui est une merveille !…

« J’ai essayé de lui dire que vous étiez toujours amoureux d’elle, mais elle n’a pas répondu comme j’y comptais.

« — Avant de connaître Loulou, m’a-t-elle dit, je lui aurais peut-être cédé mais certainement il ne serait pas un amant aussi passionné que mon singe !… Si tu savais comme il sait me prendre… comme je suis heureuse dans ses bra…s Et puis, je peux m’abandonner toute… me livrer comme je ne le ferais pas avec un homme !… »

Gaston était à la fois navré et fier de ce témoignage.

Et il continuait à entrer dans la peau du chimpanzé pour aller retrouver sa maîtresse.

Quant à Valentin Troubelot, il attendait patiemment le résultat de son expérience.

Il disait toutefois à Anatole Samuel :

— Il y a une chose qui me surprend… Joko n’a pas l’air fatigué du tout lorsqu’il revient de ses expéditions amoureuses… Il a un tempérament extraordinaire pour un singe.

— Cependant, cette femme paraît très éprise de lui… Elle ne jure que par son Loulou…

Or, ce que Valentin Troubelot avait prévu, ce qu’il espérait secrètement se produisit.

Un jour, ou plutôt un soir Amélie arriva chez Gisèle en proie à la plus vive agitation :

— Tu ne te douterais jamais de ce qui m’arrive, lui dit-elle.

— Quoi donc ? Tu es toute bouleversée…

— On le serait à moins. C’est épouvantable !

— Alfred t’a lâchée !

— Non… Depuis sa rencontre avec les singes, il y a bien un petit froid entre nous… Mais enfin, ça s’est arrangé… J’ai évité toute nouvelle surprise… grâce au rez-de-chaussée où je reçois Loulou…

— Alors, qu’y a-t-il ?

Amélie prit un air tragique et elle révéla à Gisèle son terrible secret :

— Je suis enceinte du singe !…

Cette nouvelle ne parut pas le moins du monde terrifier l’amie d’Amélie… Au contraire, elle l’accueillit par un éclat de rire, et répondit :

— Celle-là elle est bien bonne, par exemple !

— Tu ris, tu ne le crois pas !

« Moi non plus, je ne voulais pas le croire… mais je suis allée consulter une sage-femme et un médecin… et il n’y a aucun doute…

— Il n’y a aucun doute… Que veux-tu, ce sont des choses qui arrivent !…

— Et ça ne t’épouvante pas ?… Tu dis ça tranquillement… On voit bien que tu n’es pas à ma place… Si tu te trouvais dans ma situation…

— … intéressante.

— Ne blague pas, je t’en supplie… ne blague pas !… C’est effrayant !… Penser que… non… je me fais horreur !…

— Dame ! Tu voulais des émotions fortes. Tu es servie…

— Est-ce que je pouvais croire une pareille chose possible !… Mon Dieu ! Mon Dieu ! Qu’est-ce que je vais devenir ?…

— Tu vas devenir mère…

— Mère d’un enfant de singe… Écoute, je me suis sauvée… je ne veux plus voir cet animal.

— Pauvre Loulou ! Ce n’est pas de sa faute.

— Comment, ce n’est pas de sa faute ! Pourtant, c’est bien lui le coupable… Et tu comprends que je ne peux pas faire accepter cette paternité par Alfred…

— Pourquoi pas ?… Il croira que c’est une conséquence de l’émotion que tu as ressentie le jour où il s’est rencontré chez toi avec deux singes…

— Oh ! Tu ne partages pas ma peine, je le vois. Moi qui venais ici pour chercher des consolations…

— Que veux-tu que j’y fasse ?…

— C’est de ta faute ! C’est toi qui m’as procuré cette sale bête… Oh ! mais, je ne veux plus le voir à présent, je ne veux plus le voir… S’il était devant moi, je serais capable de le tuer !…

— Tu voudrais tuer Loulou… ton Loulou que tu adorais tant !

— Tais-toi !… Tais-toi !… Tiens, viens avec moi… Justement on doit me l’amener tout à l’heure… Tu expliqueras à ce Monsieur Samuel que c’est fini, que je ne veux plus de son gorille… moi, je n’oserai jamais…


C’est un garçon
(page 63).

— C’est délicat.

— Oh ! Gisèle. Tu ne peux pas me refuser ce service, toi, ma meilleure amie ! Viens, je t’en supplie !

Gisèle accepta. Au fond, elle ne demandait pas mieux !

Elle allait jouer un rôle décisif dans le dénouement de cette étrange aventure.

— Attends au moins que je téléphone à Gustave, pour le prévenir.

— Dépêche-toi.

— Descends devant. Je te rejoins.

Et, tandis qu’Amélie partait, Gisèle appelait son amant.

Elle lui raconta naturellement ce qu’elle venait d’apprendre.

— Ce n’est pas possible ! disait Gustave… Eh bien, il ne se prive de rien maintenant mon ami Gaston ! Voilà qu’il fait des petits singes ?…

— Préviens-le.

— Je ne peux pas. Il est parti avec Samuel chez ton amie… mais je vais y aller, moi aussi… Je veux voir ce qui va se passer, c’est trop amusant.

Sur quoi, la communication fut interrompue et Gisèle s’en fut retrouver Amélie qui l’attendait devant sa porte.

— Allons vite, dit l’amie, malgré elle, de Gaston… M. Samuel doit être arrivé, et il sera étonné de ne trouver personne chez moi.

M. Samuel était arrivé, en effet, en compagnie de Loulou, de l’innocent Loulou qui ne se doutait de rien. Amélie avait confié, heureusement, une clé de l’appartement au naturaliste, afin qu’il ne fût, en aucun cas, obligé de l’attendre dans la rue avec le singe.

Gaston-Loulou et Anatole Samuel attendaient donc dans le salon l’arrivée d’Amélie. Gaston faisait des confidences à son compagnon :

— J’en ai assez, lui disait-il… Vous ne savez pas quelle torture j’éprouve en pensant que cette femme que j’aime se donne ainsi à un singe… Et ce qu’il y a de terrible, c’est que plus je la possède sous mon apparence simiesque, plus je la désire comme homme. Je crois que j’en deviendrai fou.

« Cent fois déjà, j’ai été tenté de tout lui dire. Mais j’ai eu peur de la perdre, et au dernier moment, je n’ai pas osé…

Gisèle et Amélie arrivaient, en même temps d’ailleurs que Gustave qui avait sauté dans un taxi aussitôt après avoir reçu le coup de téléphone de sa maîtresse.

— J’ai dit à Gustave de venir, expliqua Gisèle… Dans ces cas-là, il vaut toujours mieux avoir un homme avec soi !

En même temps, elle adressait un regard entendu à son amant :

Celui-ci répondit très sérieusement :

— Oui, Gisèle m’a annoncé la nouvelle. C’est très grave !…

— N’est-ce pas ?… Je suis désespérée !… Je ne peux pas mettre au monde un monstre… Car ce serait un monstre… vous le croyez bien, vous aussi ?

— Eh ! Eh ! On ne sait jamais… mais surtout ne m’abîmez pas Loulou !…

— Votre singe ! Il me dégoûte !

C’est sur cette déclaration que tous trois entrèrent dans le logis où les attendaient tranquillement M. Samuel et Gaston sans se douter du drame qui se préparait.

Dès qu’il aperçut Amélie, son amant se précipita vers elle.

Mais la jeune femme poussa un cri :

— Non ! dit-elle ! Non, je ne veux pas… Je ne veux pas le regarder ! Il est affreux !… Empêchez-le d’approcher… Vous ne voyez donc pas qu’il va se précipiter sur moi !…

Gaston, interdit, s’arrêta de lui-même.

Il tourna les yeux vers Gisèle et Gustave, les interrogeant du regard…

Quant à M. Anatole Samuel, il se leva, et, lui, qui au moins pouvait parler, interrogea :

— Que se passe-t-il ?… Madame Amélie ne veut plus de Loulou ?

— Non, dit Gustave, elle ne veut plus de Loulou.

En même temps, il s’approcha de son ami et lui prenant le bras, il lui dit tout bas :

— Le moment est venu !… Tiens-toi bien surtout…

IL ajoutait tout haut :

— Madame ne veut plus de Loulou, parce que Loulou lui a fait quelque chose qu’une femme ne peut pas pardonner à un singe…

— Quoi donc ? demanda le naturaliste.

— Il lui a fait un enfant !…

Mais cette fois, Gaston n’eut pas la force de se retenir, et il laissa échapper une exclamation :

— Un enfant !… s’écria-t-il… un enfant |

Un cri lui répondit.

— Mon Dieu ! Je deviens folle !… Je deviens folle ! J’ai cru entendre le singe parler…

C’était Amélie qui ne pouvait croire à la vraissemblance de cette parole, sortie de la bouche de Loulou !…

Mais une émotion plus forte lui était réservée…

Et devant ce qu’elle vit, elle resta stupéfaite :

D’un geste brusque, le singe enleva sa tête !…

Il enleva sa tête… et elle reconnut le visage de Gaston, qui se précipita vers elle, lui disant :

— Pardonnez-moi !… Pardonnez-moi !

— Allons bon ! Voilà qu’il fait des bêtises ! dit Gustave.

Et Gisèle s’écria :

— Prenez garde ! Vous allez lui faire faire une fausse couche !

Mais Amélie ne fit pas de fausse couche.

Elle écarquillait les yeux, comprenant vaguement la mystification dont elle était l’objet :

— Comment, dit-elle… C’était vous le singe ! C’était vous !

— Oui, c’était moi.

— Depuis le commencement ?

— Depuis le premier jour !… Ne m’en veuillez pas !…

— Vous ? Vous avez pu jouer ce rôle-là si longtemps ! Ah ! je ne croyais pas qu’un homme fût capable de m’aimer à ce point-là.

Et, d’un mouvement impulsif, à la stupéfaction de tous les spectateurs de cette scène singulière, Amélie se jeta au cou de Gaston.

— Gaston… Loulou… Mon chéri… Je t’adore ! lui dit-elle.

Gisèle fit un signe :

— Laissons-les, dit-elle… nous sommes indiscrets.

Et ils se retirèrent, tandis que les deux amants passaient dans la chambre voisine où Gaston prenait enfin — et comment ? — sa revanche sur le singe.

— Mon cher amant, répétait Amélie, tu m’as sauvée de moi-même. C’est à toi de me pardonner !… J’étais folle !

Et lui répondait :

— Je te pardonne. Tu me pardonnes… Aimons-nous !

M. Anatole Samuel était perplexe. Il avait l’air très ennuyé, et il expliqua son embarras à Gisèle et à son amant :

— Tout cela est très beau ! Ils filent tous les deux le parfait amour ! Mais il y a un vrai singe qui m’attend… Et je me demande ce que je vais dire au professeur Troubelot.

— Ce vieux fou ! dit Gustave.

— Ce vieux fou qui va se venger sur moi ! C’est qu’il attend le résultat de sa grande expérience, lui !… Que vais-je lui dire ?

— Le résultat, déclara Gisèle… Mais il l’a, le résultat ! Puisque Amélie est enceinte…

— Bien sûr… Elle vous doit assez, à vous aussi, pour consentir à continuer à tromper votre patron. Nous allons la conduire chez lui, dès demain. Vous lui annoncerez tout à l’heure qu’elle a ressenti les premiers symptômes de la maternité.

— Vous êtes sûrs au moins qu’elle ne refusera pas ?

— J’en fais mon affaire, déclara Gisèle. Allez en toute quiétude prévenir votre savant.

Anatole Samuel s’en alla donc et reconduisit Joko, comme de coutume, à Valentin Troubelot.

— Maître, lui dit-il, je crois que j’ai une bonne nouvelle à vous annoncer.

— Une bonne nouvelle ?… Serait-ce celle que j’attends ?

— Oui, Maître… cette femme est enceinte des œuvres du singe.

— Enfin ! s’écria le professeur… Enfin !… Ah ! Je suis heureux !… Je suis heureux !… Je le savais bien !… Brave Joko… Tu as bien travaillé…

Et, transporté de joie, Valentin Troubelot embrassa son singe.

Il embrassa aussi Samuel… Il ne contenait plus son enthousiasme !

— C’est la gloire ! s’écria-t-il, la gloire universelle, mon nom répandu aux quatre coins du globe ! Quel mémoire je vais rédiger pour l’Académie des sciences ! Et quel triomphe quand je présenterai au monde savant cet enfant de singe et d’homme !

Il pleurait, il riait à la fois. Jamais Samuel ne l’avait vu manifester une pareille exubérance.

— Et vous me dites qu’elle va venir me voir demain !

— Oui, Maître !

— Oh ! Je veux suivre sa grossesse ! Je veux la soigner moi-même, étudier tous les phénomènes qui se produiront ! Elle partagera ma gloire ! Je la citerai comme s’étant sacrifiée pour la science ! Elle ne se rend pas compte de l’œuvre grandiose à laquelle elle collabore ! Tout l’avenir de l’humanité en dépend !

Certes, Amélie, pour le moment, ne pensait nullement participer à une œuvre grandiose. Peut-être travaillait-elle tout de même à l’avenir de l’humanité, mais à sa façon. Elle était toute à son amour nouveau ; et l’on peut croire que Valentin Troubelot et l’Académie des Sciences constituaient les cadets de ses soucis.

Cependant lorsque ses amis lui expliquèrent ce qu’on attendait d’elle, elle ne se récusa pas.

— Valentin Troubelot, dit-elle, c’est ce bonhomme qui voulait me faire violer par un vrai singe ? Il mérite que je me venge de lui. Ce sera ma vengeance !

Et le lendemain, ainsi qu’il avait été convenu, elle se rendait chez le professeur en compagnie de Gaston et de Gustave.

Le savant la reçut avec les marques de la plus grande déférence.

— Madame, lui dit-il, l’être que vous portez dans votre sein est sacré. Il m’appartient, ou plutôt il appartient à la science. Et, dès maintenant, je fais, pour lui, sur ma fortune personnelle, une dotation de cent mille francs.

Cette déclaration atténua la rancune d’Amélie pour Valentin Troubelot. Cependant, il ne souriait guère à la jeune femme de partager la renommée du savant, et il lui paraissait peu agréable d’être citée dans le monde entier comme s’étant sacrifié « pour la science » en se croisant avec un singe.

Elle eut beaucoup de peine à faire accepter, par le professeur qu’il ne prononçât pas son nom dans son mémoire et qu’il se contentât de la présenter « anonymement ».

En revanche, elle dut accepter d’accoucher devant un aréopage médical et scientifique convoqué par Troubelot.

Elle le fit, non pas tant pour se venger du professeur, qu’à cause des cent mille francs qu’elle avait réussi à se faire donner à son nom, à elle.

Enfin, il y avait aussi Alfred Camus, ce pauvre vieux Alfred Camus, qui s’était soudain imaginé que l’enfant pouvait être de lui, et qui en était tout ému.

Il était redevenu plus que jamais empressé, auprès de son amie :

— Moi qui n’ai jamais eu de fils de ma défunte femme, disait-il… Je n’espérais plus un pareil bonheur… à mon âge !…

Il avait consulté des médecins. Les uns disaient oui, les autres non… C’était possible… On avait vu des cas semblables. Rien ne s’y opposait. Il avait une très bonne constitution.

On croit naturellement ce qu’on désire. Et Alfred crut ceux qui lui affirmaient qu’il pouvait être le père de l’enfant attendu. D’autre part, il aurait juré ses grands dieux qu’Amélie lui avait toujours été fidèle…

Et il s’attendrissait :

— Chère petite, lui disait-il… chère petite ! Ce sera l’enfant de ma vieillesse !

Lorsque la jeune mère lui apprit qu’elle ferait ses couches en présence des plus grandes sommités médicales, il ne s’en étonna pas. Rien n’était trop beau pour son enfant.

Et, dans les délais normaux, Amélie fut prise des douleurs de l’enfantement.

Valentin Troubelot avait réuni les délégués de l’Académie de médecine et de l’Académie des sciences, personnages graves qui attendaient, réunis autour du lit de la jeune femme.

— Messieurs, disait Troubelot, l’être qui va naître sera-t-il homme ou singe ?… Tiendra-t-il des deux espèces à la fois… Que sera-t-il ?… Dans quelques instants, nous aurons la réponse à cette angoissante question.

« J’ai noté jour par jour la marche de la grossesse. La mère n’a rien ressenti d’extraordinaire… Ce fut une grossesse normale… Je n’ai relevé aucune anomalie… Peut-être une fois a-t-elle eu envie, étant dans un jardin, de grimper à un arbre… mais c’est tout…

« Tout le mystère est là, devant nous… Cette femme, qui désire garder l’anonymat, porte en elle la solution du problème !…

Il avait auparavant présenté « le père »… c’est-à-dire Joko, qui avait regardé tous ces hommes sans comprendre ce qu’ils lui voulaient. Les témoignages d’Anatole Samuel, de Gustave, de Gisèle et même de Gaston faisaient foi. Troubelot, pour donner plus de poids à ses arguments, était même aller chercher à la préfecture les rapports sur l’évasion et la poursuite à travers Paris du singe Loulou.

Les savants attendaient donc… et lorsqu’ils entendirent les premiers cris bien connus du nouveau-né, ils éprouvèrent une émotion singulière.

L’accoucheuse éleva l’enfant dans ses bras :

— C’est un garçon, dit-elle. Il ne lui manque rien !

Valentin Troubelot arracha presque le bébé à la sage-femme :

— Étrange, dit-il. C’est étrange… Il n’a rien qui rappelle le singe.

Les savants professeurs retournèrent dans tous les sens l’enfant qui criait, ils l’examinèrent avec soin, sans remarquer aucun caractère de la race simiesque.

Pourtant l’un d’eux s’écria :

— Si, là… à côté du nombril… il y a une main de singe avec une touffe de poil… Regardez… comme une envie !…

Tous se penchèrent sur le signe minuscule qui pouvait être tout ce qu’on voulait… même une main de singe.

Mais ce petit détail suffit à affermir la conviction des savants et Valentin Troubelot conclut :

« Je l’avais toujours pensé, dit, écrit… et ce sera la conclusion de mon mémoire : Si un enfant naïssait d’un singe et d’une femme, ce serait la race supérieure intellectuellement qui l’emporterait : cet enfant serait un être humain et n’aurait rien ou presque rien du singe… L’évènement m’a donné raison ».

Le fils d’Amélie, d’autre part, fut reconnu immédiatement par Alfred Camus, dont il devint l’héritier unique, si bien que ce nouveau-né trouvait dans son berceau une fortune provenant d’un père plus que sexagénaire qui n’était certes pour rien dans sa procréation, une autre fortune provenant d’un singe qui n’avait rien fait non plus pour le mettre au monde, tandis qu’il ne recevait aucun don du véritable auteur de ses jours.

Gustave en fit la remarque à son ami Gaston :

— Au moins, lui dit-il, toi, quand tu fais des bâtards, on ne peut pas dire que tu les mets dans la misère. Voilà un gaillard qui pourra remercier plus tard, son père d’avoir fait le singe pour qu’il vienne sur la terre !

FIN