Amour vainqueur/071
Titre I
Cloris, que dans mon cœur, j’ai si longtemps servie, La beauté qui te suit depuis ton premier âge, |
Rogers poursuivait ses opérations financières, en luttant avec énergie ; il conservait pour sa belle adorée, toute la confiance et l’amitié qu’il lui avait jusqu’alors accordées ; mais Ninie, quoique jeune encore, se sentait le besoin de prendre un repos, après de longs mois de travail opiniâtre et ardu.
Les vacances de l’été font se déplacer, souvent même des gens qui n’ont jamais quitté leurs foyers ; les vacances de l’été font se séparer les jeunes élèves de collège, qui entraînés en des endroits bien différents, se voient obligés de recourir à la correspondance, pour pouvoir entretenir les relations amicales qui les liaient, alors qu’ils étaient en contact journalier, sous le même toit, de l’Alma Mater ; les vacances de l’été font aussi que les amis de cœur, se voient forcés, de se retirer, de se séparer, pour jouir du repos bien mérité et vivifier les forces dont ils ont besoin pour entreprendre le travail d’une nouvelle année qui s’ouvre devant eux.
Ninie décida de prendre une vacance et en fit part à son ami Rogers qui quoiqu’admettant qu’elle en avait besoin, pour refaire sa santé, éprouva un cruel chagrin, de cette séparation momentanée.
Ninie, mon amie, lui dit-il, je ne puis pas t’accompagner ; les affaires que j’ai entreprises sont si importantes que je ne saurais me résoudre à te faire le plaisir d’accepter ton invitation.
J’ai des ennuis, je dois te l’avouer ; on a tramé contre moi, un complot dont je viens de découvrir l’origine ; il a pris naissance dans l’office même de ton ancien ami Harry, à New York ; il est puissant par la position de ceux qui l’entourent et qui seront peut-être au nombre de mes ennemis ; les uns seront ses avocats, les autres seront mes accusateurs et le juge même devant qui doit être entendue cette cause est aussi un ami intime de Harry ; il est bien vrai que le nom de Harry ne figure pas dans les procédures, mais je sais de source certaine que le plaignant, d’une insolvabilité notoire, n’est qu’un instrument, une machine, un prête-nom ; mais j’ose espérer de faire triompher mon innocence !
Que me dis-tu, là, Rogers ? Tu dois subir devant les tribunaux, la vengeance de Harry et de ses puissants amis ? Mais de quelle manière ? Ninie, toute surprise de cette déclaration, voulut avoir d’autres détails, mais Rogers la rassura en lui disant qu’il était prêt pour le combat ; qu’il avait pour lui, la justice et le droit ; mais que cette cause exigeait toute son attention ; l’amour que je t’ai porté, l’estime que je te porte voudraient que je t’accompagne dans cette vacance, mais le combat que je dois livrer est si terrible que je ne saurais me rendre à cet impérieux devoir de l’amitié sans m’exposer aux pires dangers ; je veux continuer à étudier d’où vient ce combat et quels sont les auteurs de ces attaques ; les ennemis sont nombreux ; je les vois dissimuler leurs agissements et leurs ruses sous le masque de l’hypocrisie.
Car la baisse sur les valeurs immobilières se fait forte, par les bruits d’une grande guerre qui doit ensanglanter l’Europe et dont les conséquences néfastes se feront sentir même à Montréal ; et ceux qui craignent de faire des pertes, se rallient autour de Harry qui a soulevé contre moi, à l’aide de certains amis qu’il a payés, une pléiade d’ignorants de gens incapables de supporter noblement une perte d’argent due réellement à leur imprévoyance, à leur ambition effrénée, ou à l’état circonstanciel des événements ; ces gens, à qui Harry promet de les faire rentrer dans leurs argents, sont ses esclaves, foulant aux pieds, et leur parole et leur honneur. Ces ennemis se tiennent constamment sur la rue, où ils tiennent leurs conciliabules, cherchant à faire croire au public que Rogers est malhonnête, que tous ceux qui ont transigé avec lui ont perdu de l’argent. Ils ne regardent pas autour d’eux, et ne voient pas que déjà, la baisse en immeubles en a ruiné des hommes d’affaires ! Mais Harry, et son ami, le millionnaire sont les fomentateurs de ce procès qu’il me faut subir. Va, Ninie, lui dit-il, va vers tes parents, et reviens moi, forte et vigoureuse, et j’ose croire que ton cœur, en face du péril qui me menace et des jours d’épreuves qu’il me faudra traverser, ne saura changer ses affections, et me restera fidèle, comme mon meilleur appui.
Oh ! Rogers, lui répondit la jeune fille, je renonce à mon projet de prendre une vacance ; je veux rester auprès de toi, pour t’être utile, pour te défendre, et te consoler dans tes peines, si quelqu’un t’en cause. La reconnaissance que je te dois est sans bornes ! Tu m’as sauvé la vie ! Harry m’a attaquée ! Tu m’as défendue. Harry veut encore se vouer à sa vengeance, hé bien ! s’il t’attaque, je te défendrai ! Il porte encore et portera tout le temps de sa vie, les cicatrices que les balles de ton revolver lui ont infligées ; il portera aussi, au front, les stigmates du déshonneur, que ma plume lui infligera, en laissant à ses contemporains le récit écrit de ses basses manœuvres !
Il n’aura pas assez de milliers de piastres pour racheter les volumes qui auront été répandus parmi ses contemporains ! Il emportera dans la tombe, la honte que je lui causerai !
Non, Ninie, mon amie, ne fais donc pas cela ! Ne t’expose pas à un libelle ; il pourrait te causer beaucoup d’ennui, de troubles ! J’essaierai plutôt par la voie diplomatique, à mettre cette cause, à néant. Tu pourras prendre tes vacances, car d’ailleurs, les procédures sont longues et cette cause sensationnelle ne viendra pas devant les tribunaux avant l’hiver prochain. Va prendre tes vacances. Ta santé requiert du repos.
Crois-moi, Rogers, n’aie pas de doute sur la fidélité de mon cœur. Ma vie entière t’appartient ! Je connais la méchanceté de Harry. S’il allait jusqu’à oser attaquer ton honneur, ta réputation et que le public te croirait coupable, je redoublerai d’ardeur pour faire prouver ton innocence, un jour ou l’autre ! Je prierai Dieu, si fervemment que tu triompheras sois-en sûr. Rogers, mais ajouta la jeune fille, si quelque chose arrivait pendant mon absence, fais-moi le savoir et j’accourrai auprès de toi pour te délivrer, si possible, comme tu l’as fait, à mon égard, des basses attaques de Harry et de sa clique qui opèrent toujours dans l’ombre. Il est trop lâche pour faire face à un homme pas même à une jeune fille. Oui, Rogers, je te défendrai !
Mon amie, il n’y a pas à s’alarmer pour le moment. Prends tes vacances sans inquiétudes. À ton retour, nous en causerons.
Tous deux, Rogers et Ninie s’embrassèrent, se jurant de nouveau amitié éternelle, et s’asseyant, après cette longue marche, sur le Mont-Royal, sur un tronc d’un gros arbre, renversé et couvert de mousse, se mirent à causer des déboires de la vie, et à se rappeler leurs souvenirs d’enfance et de jeunesse ! et avec Auguste Brieux, ils se rappelèrent :
Un jour que nous étions assis au pont Kerlo Qui, déployant soudain, ses deux ailes de feu, |