Amour vainqueur/101

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Texte établi par J.-R. Constantineau (p. 157-160).

Titre I


MALHEURS DE HARRY


Anita et Harry avaient uni leurs destinées ; l’une, avec la cupidité dans le cœur, l’autre, avec une satisfaction de jalousie et de vengeance satisfaites.

Leur mariage, quoique célébré sans éclat, avait été cependant d’un « chic » remarquable, au milieu d’un cercle de parents et d’intimes, très limité.

La nouvelle épouse y déployait une fois encore, toute son énergie, pour se montrer aimable, affectueuse pour Mde Mitchell, jolie et attentionnée pour celui entre les mains de qui, elle déposait tout son avenir ; de son côté, Harry paraissait joyeux.

Cependant, autant de bonheur ne devait pas séjourner longtemps, sous ces auspices de l’hypocrisie et de l’insincérité ! Ce qui scelle le vrai bonheur, ici-bas, c’est cet amour vrai, idéaliste, qui est la base même de toutes les aspirations nobles ! Si parfois, dans une union aussi sacrée, le chagrin, l’adversité nous fait verser des larmes, nous éprouvons de la joie à pleurer dans les bras de celui que nous aimons et que nous avons accepté comme le guide de notre avenir.

Anita aimait cependant Harry, non de cet amour, il est vrai, qui fait rêver les jeunes filles, mais bien par satisfaction personnelle de se voir riche et comptée dans les rangs de la plus haute société de New York ! elle se réjouissait en elle-même, d’habiter cette résidence princière, d’en avoir fermé la porte, à jamais, à cette petite Canadienne, qui l’avait troublée dans ses espérances, et lui avait fait passer bien des nuits dans l’insomnie ! Aux échos de son âme restreinte, elle répétait : je suis vengée ! je suis satisfaite !

Harry se montra empressé, dans les débuts de la vie matrimoniale, auprès d’Anita ; il redoublait ses attentions faisait quelques voyages, mais rarement, et semblait sourire à l’avenir qui se déroulait brillant devant leurs illusions.

C’est alors que sa jeune épouse donna naissance à un enfant qu’ils appelèrent Frédérick ; ce petit ange était venu jeter un nouveau rayon de joie, au foyer. La grand’maman, Mde Mitchell, semblait rajeunir au sourire et aux accents de cette petite voix enfantine ; mais par suite des émotions et du trouble qu’elle avait eus, en apprenant la conduite déréglée de son fils qui insensiblement avait donné dans les vices de l’ivrognerie et des jeux de hasard, elle se sentit vieillir ! Son cœur toujours tendre, bon, sympathique, faisait régner la paix, dans cette maison qui bientôt ne deviendrait que la proie du malheur et du déshonneur ! Sa santé diminuait chaque jour ; aux fatigues endurées vint s’ajouter une inquiétude mortelle qui la mina secrètement. Harry était la cause de son profond chagrin, par ses désordres ! Elle l’avait surpris, plusieurs fois, pensif, l’œil hagard, et le sourcil froncé, comme méditant l’exécution d’un projet coupable ! elle avait, plus d’une fois, remarqué ses absences prolongées, de la maison où Anita, laissée seule, sentait le découragement s’emparer d’elle. Sa douleur augmenta, lorsqu’elle constata, à maintes reprises, que son esprit était troublé, non seulement par le genre d’affaires dans lequel il s’était lancé, mais aussi, hélas ! par sa conduite désordonnée et adonnée à la boisson ! Ce n’était plus Harry ! Ce n’était plus le chic garçon d’autrefois, dont la distinction dans ses manières, faisait l’admiration de ses amis et la joie de sa mère !

Elle pleura amèrement, sur les désordres de son fils ; ses forces diminuèrent, à vue d’œil ; bientôt, elle se vit couchée sur un lit de douleurs.

Un soir, Harry entra plus abruti encore, qu’à l’ordinaire ; attiré vers la chambre de sa mère par des sons de voix étrangères, il accourut directement, silencieux, auprès d’elle ; à la vue de ce corps inanimé, Harry comme un enfant, se jeta à genoux, auprès du lit de sa mère et fondit en larmes ; tout le monde s’était retiré à l’écart le laissant confier à sa mère, ses serments de regrets et ses fermes propos de se conduire mieux ! Au contact des chauds baisers, qu’il déposa sur les mains de l’agonisante, elle ouvrit les yeux et d’une voix demi-éteinte, elle l’exhorta à suivre une autre ligne de conduite.

Je redeviendrais bon fils et bon époux, si vous me restiez, ma mère, mais le seul amour que je possédais semble me fuir ! je sens que vous allez partir, Oh ! ma mère ! Dois-je vous l’avouer ? je suis un criminel, à l’égard d’un innocent : Rogers, dont je me suis vengé lâchement, en traînant sa réputation dans la fange, et en le faisant interner dans une prison, pour m’avoir ravi l’amour de ma petite Canadienne Ninie ! J’ai épousé Anita, je ne l’aime plus ! C’est elle qui m’a fait glisser, par ses mauvais conseils, sur cette pente où je me trouve maintenant ; elle ne m’a jamais appris d’autre chose, qu’à susciter en moi, des sentiments de haine et de vengeance contre Ninie qui n’accepta pas mes serments d’amour ! C’en était trop pour Mde Mitchell, qui, à la déclaration de tous ces malheurs, ne fit que balbutier :

Oh ! Harry, mon fils, rappelle-toi toujours de ta mère !

Elle rendit le dernier soupir !

Ce fut fini du bonheur d’Anita ! Cette nature jalouse, orgueilleuse se sentait vaincue ; elle se savait maintenant détestée, délaissée par Harry ! L’amour, et la considération qu’elle avait eus pour lui, se dissipèrent ; et elle fut tout stupéfaite quand un jour, elle ouvrit une lettre qui attira son attention et qui était conçue en ces termes :



Monsieur H. Mitchell,

New York.


Monsieur,

Je vous accorde jusqu’au douze courant, pour venir solder le billet que vous m’avez signé, au montant de cinq mille piastres pour prêt de pareille somme que je vous ai fait, au jeu, il y a trois semaines.

w. smith


Un cri de douleur s’échappa de sa poitrine ; elle voyait son avenir s’effondrer ! Je sais maintenant, se disait-elle, pourquoi Harry déserte le foyer, il joue, il perd, et la ruine est inévitable ! Toute à ses réflexions, elle entendit des pas lourds, dans l’escalier. C’était son mari : la chevelure en désordre, les vêtements salis, la démarche nonchalante ; tout indiquait qu’il avait bu ! Il trouva Anita en pleurs, avec le petit Frédérick qui jouait à ses pieds, elle n’avait pas eu le temps d’essuyer ses larmes. Le petit cherchait à égayer sa mère, par ses babillements, sans se rendre compte de la cause de ses chagrins.

Harry à la vue de ce spectacle, ne put contenir son émotion. Le souvenir de sa mère se réveilla en lui ; il avait quelque peu aimé Anita, la complice de son crime. Maintenant, il était trop tard. Tout bonheur pour lui était désormais impossible ! il fallait exécuter.

Harry, lui dit sa femme, jusqu’à ce moment j’ai patienté, croyant, que si vous ne m’aimiez plus, au moins vous deviez aimer notre enfant et vivre pour lui. Voici une lettre que j’ai reçue ce matin, je l’ai lue, et j’ai constaté que vous vous ruiniez !

Pouvez-vous payer cette note à son échéance et me laisser entrevoir une fois encore la lueur de l’espérance ? Harry, si aujourd’hui vous me trouvez coupable, ne m’en voulez pas ; je vous aimais, et j’ai tout fait, dans le but de gagner votre amour. Il est trop tard, reprit-il, je suis ruiné, il ne me reste plus que la fuite.

Il jeta un dernier regard dans cet intérieur, où il avait goûté tant de joie et de bonheur, et sortit !