Amours, galanteries, intrigues, ruses et crimes des capucins et des religieuses/11

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Tome 2. Chapitre XI.



CHAPITRE XI.

Vengeance du père Durolet.


Cependant le père Durolet, réfléchissant toujours au moyen de se venger de l’infidélité de Joséphine, commença, pour avoir ensuite plus de liberté, par chercher un mari à sa sœur. Il l’eut bientôt mariée avec un nommé M. Dutailli.

Livré ensuite à son unique projet de vengeance, il épia avec soin les démarches de son amante. Il instruisit M. Fontaine des amours de sa femme avec Dolman, et pour le convaincre entièrement, il le posta un jour avec des témoins dans un appartement. Joséphine et Dolman, croyant M. Fontaine parti, s’étant donné un rendez-vous, se livrent à leurs ébats amoureux et sont surpris.

Une lettre de cachet est sollicitée et aussitôt obtenue. Joséphine est conduite à Sainte Pélagie, où elle mourut peu après. Elle écrivit avant sa mort la lettre suivante au père Durolet :

Lettre de madame Fontaine au père Durolet.

« C’est au moment où je vais cesser d’être que je vous écris ; je serai morte quand ma lettre vous sera remise. Je crois vous devoir cette marque d’attachement pour tous les maux que vous avez attirés sur ma tête. Rappelez-vous, homme profondément scélérat, cette Joséphine si simple, si incapable de feindre, la première impression que vous fîtes sur son cœur, et comment, par un complot infernal, vous la séduisîtes sous le nom d’un autre ? Rappelez-vous cette promesse de mariage qui me rassurait sur les dangers de mon état. Ce fut au moment où j’appris que ce n’avait été qu’une ruse pour empêcher un éclat, que toutes mes idées se confondirent ; je ne fus plus en état de juger ce qui était bien ou mal, et je m’abandonnai au délire de mon imagination, qui vous cherchait dans tous les êtres que je rencontrais, sans savoir que c’était vous que j’aimais ; rappelez-vous, lorsque je vous revis, après un mariage qui était encore le fruit de vos criminelles intrigues, avec quelle tendre et sincère amitié j’écoutai vos perfides conseils, avec quel art vous fîtes servir les sentiments de la nature à vos coupables projets ; et rendez-moi la justice si, pendant les quatre ans que vous passâtes à Paris, j’eus une pensée qui ne fût pas pour vous. Avec quelle tendresse je reçus votre sœur ! Et vous n’avez pas oublié la profonde douleur que j’éprouvai lors de votre départ ; si vous avez douté de sa sincérité, pensez que c’est à mon heure suprême que je vous le rappelle, et que je ne dissimule point le tort que j’eus de croire que dans votre absence je pouvais recevoir les hommages d’un homme qui ne m’a que trop appris, par son dédain, qu’il ne méritait pas l’amitié que j’avais pour lui ; car, pour l’amour, je n’en ai jamais eu que pour vous.

Vous aviez anéanti en moi tout principe, et en me laissant croire qu’on pouvait sans crime tromper un mari, je croyais que je pourrais faire une infidélité passagère à un amant ; mais lorsque vous revîntes, mon cœur vola vers vous ; vous le repoussâtes pour nourrir les projets de la plus cruelle vengeance. Soyez donc satisfait ; elle est remplie, et Joséphine expire victime de vos fureurs. Je ne serai plus, comme je vous l’ai déjà dit au commencement de cette lettre, qu’une image insensible quand vous la recevrez ; mais ce n’est pas sans un sentiment de reconnaissance pour vous que je quitte la vie ; vous m’avez créé une âme, vous m’avez appris à penser, à exprimer mes idées ; c’est donc à vous d’approcher sans trouble de ce moment si redouté de la brute insensible et si désiré par l’âme du sage, comme le seul port contre les orages des passions ; je vais dormir paisiblement dans le sein de Dieu. Je l’ai offensé, mais il a permis que je fusse punie par celui que j’avais osé mettre à sa place. J’ai supporté avec courage et résignation les maux qui m’ont accablée ; il m’a donné des marques de ma réconciliation avec lui, en m’envoyant dans ma prison un ange consolateur qui recevra le dernier souffle de ma vie. C’est un ami trop cher et trop cruel qui vous remettra cette lettre ; elle vous recommandera l’enfant qui n’osera jamais vous nommer son père, qui ne recevra plus les tendres caresses de sa malheureuse mère. Mon amie m’a dit que jusqu’à présent vous ne l’aviez pas abandonné. Conservez-lui votre tendresse, donnez-lui ces qualités si brillantes qui ne peuvent être effacées dans votre personne par le triste habit que vous portez. Mais surtout donnez-lui des vertus, vous dont l’éloquence sait les peindre en traits de feu, et les rendre si aimables que vous faisiez paraître le vice séduisant ; et si le sort de la malheureuse Joséphine fait quelqu’impression sur vous, ne rejetez pas les mouvements qu’elle vous inspirera. Pensez que si vous demeurez insensible, vous n’avez plus à espérer de retour à l’ordre, et que vous finirez par vous perdre à jamais. Ô mon cher Durolet, que ne puis-je emporter au tombeau la certitude que mes souffrances vous seront utiles, que je serai la dernière victime de vos crimes !… Pardonnez la force de cette expression au désir que j’ai de vous les voir réparer, et que nous soyons réunis dans un nouvel ordre de choses pour pouvoir nous aimer sans remords et avec toute l’ardeur que mon cœur vous conservera jusqu’au dernier battement.

Je ne finirai point cette lettre sans vous prier de parler quelquefois de moi à ma chère Adélaïde. Je ne l’accuse point d’un abandon que je ne veux point attribuer à l’oubli, ni à l’indifférence, et qu’elle a cru devoir à sa réputation. Puisse mon exemple dans le malheur lui être aussi utile qu’il lui avait été pernicieux dans nos jours de plaisir, qui se sont évanouis comme un songe. »

Lorsque Durolet se fut vengé de Joséphine en la faisant enfermer à Sainte Pélagie, il se livra journellement aux plus sérieuses réflexions ; il se rappelait la suite de sa vie depuis qu’il avait embrassé la vie monastique ; il ne s’envisagea plus qu’avec horreur, et cherchant inutilement le sommeil pour écarter ses mortelles inquiétudes, il ne pouvait rencontrer le repos. Des songes terribles ajoutaient aux tourments de ses premiers remords. Il croyait voir Joséphine lui reprochant cette cruelle hypocrisie dont il avait couvert ses projets de vengeance contre elle. Il se rappelait à quelle ignominie il l’avait livrée, pour la punir des fautes dont il était cause ; et se réveillant le front couvert d’une sueur froide, il forma la résolution d’adoucir au moins le sort de cette infortunée en engageant son époux à changer le lieu de sa réclusion dans un couvent honnête, où elle pourrait jouir de la consolation de voir sa mère et son amie. Il était cependant loin de s’imaginer qu’elle fût accablée par la maladie. Fontaine seul en avait été instruit ; mais comme il craignait qu’on lui demandât une augmentation de pension, il se contenta de répondre que malade ou en santé elle devait être soumise au régime de la maison. Mais Durolet connaissait l’intérieur de cette maison ; c’était ce qui l’avait déterminé à la nommer à Fontaine, et jusqu’à ce moment sa vengeance se repaissait des maux que Joséphine devait y souffrir, Mais à l’instant où, revenu à des sentiments bien différents, il se trouvait plus coupable qu’elle, il n’était occupé qu’à la rendre à une situation, sinon heureuse, au moins plus douce, lorsqu’on vint l’avertir qu’on le demandait. Il descend au parloir. Quel est son étonnement en voyant mademoiselle Précieux, dont les yeux baignés de pleurs paraissaient se fixer sur lui avec indignation.

— Je ne croyais pas vous revoir, lui dit-elle avec une extrême froideur ; mais forcée de remplir la promesse que j’ai faite de remettre à vous-même cette lettre, il faut bien que je vous interrompe. Dès que Durolet eut reconnu l’écriture, il la prit avec un saisissement extrême. — C’est de madame Fontaine. Ah ! mademoiselle, comment se porte-t-elle ? — Vous le saurez, mon père. — Je crois que sa situation sera bientôt adoucie. — Elle est heureuse. — Quoi ! son mari s’est laissé toucher ; vous ne pourriez m’apprendre une nouvelle qui me causât plus de joie. — Lisez, mon père, lisez, interrompit avec humeur mademoiselle Précieux, qui ne voyait encore dans ses discours qu’une suite de sa profonde dissimulation, il brise le cachet ; mais à peine a-t-il lu quelques mots qu’il s’écrie : Elle est morte, grand Dieu ! et je suis son assassin. Ah ! mademoiselle, je n’en veux pas savoir davantage ; ces seules lignes dictent mon arrêt. Je suis un monstre indigne de voir la lumière ; mais croyez que je me punirai assez sévèrement pour que vous me rendiez votre estime. Mademoiselle Précieux, qui commençait à croire à sa sincérité, l’engagea à lire en entier cette lettre qui pourrait peut-être lui donner quelque consolation ; mais inutilement ; il voulut y porter les yeux, ses regards troublés n’en pouvaient distinguer les caractères. Il pria l’amie de cette infortunée de lui rendre ce triste service. Elle le fit, et Durolet, la tête appuyée dans ses mains, écouta cette douloureuse lecture sans proférer une seule parole ; mais lorsqu’elle eut fini : Non, mademoiselle, je ne repousserai point l’effet terrible qu’une nouvelle si inattendue me fait éprouver. J’expierai mes crimes et je rejoindrai cette malheureuse Joséphine. Ce ne sera pas dans huit jours, ce ne sera pas même demain que j’exécuterai le projet que la miséricorde céleste m’inspire, ce sera dès aujourd’hui. Daignez vous trouver sur les onze heures chez madame Moreau, et je vous instruirai l’une et l’autre ; puis reprenant la lettre, il la posa sur son cœur et se retira dans un accablement qui fit repentir la bonne mademoiselle Précieux d’avoir eu si peu de ménagement dans l’exécution des dernières volontés de son amie.

De là elle passa chez madame Moreau, à qui elle apprit avec précaution la perte qu’elle avait faite. Elle y fut aussi sensible que le peuvent être ceux qui se sont fait une loi de remercier la Providence des maux qu’elle envoie à ses élus ; mais cependant elle fut touchée des douleurs que sa fille avait souffertes, et plus encore de sa parfaite réconciliation avec Dieu. Quant à son petit-fils, elle assura à mademoiselle Précieux qu’elle s’en chargerait entièrement et qu’elle trouverait le moyen d’en faire son seul héritier ; elle fit raconter dans le plus grand détail à mademoiselle Précieux toutes les circonstances d’une mort si prématurée. Ceux qui sentent peu cherchent à remuer leurs âmes par des peintures déchirantes. Elle ne cessait de la remercier d’avoir tenu lieu de mère à sa malheureuse fille, et mademoiselle Précieux ne voyant pas arriver le père Durolet, se disposait à se retirer, lorsqu’il entra.

Sa contenance n’avait ni audace ni bassesse ; la douleur se peignait dans ses regards ; mais le calme était sur son front. — Savez-vous, mon ami ? lui dit madame Moreau en lui tendant la main. — Oui, madame, et cette lettre que je vous demande de lire comme la première expiation que je dois souffrir, vous fera connaître le scélérat qui vous a ravi votre fille. — Madame Moreau, étonnée du ton dont il prononça ces mots, dont elle ne pénétrait pas le sens, prend la lettre de sa fille, et, frappée de terreur à chaque phrase, elle n’osait en croire ses yeux, et ne pouvait concevoir que l’homme qu’elle estimait le plus eût été capable de semblables horreurs. Mais Durolet ne lui donna pas le temps de lui adresser des reproches. Voici, madame, en montrant la lettre que madame Moreau tenait encore, le récit fidèle de mes crimes ; je viens en solliciter le pardon, et je conviens que c’est le plus grand effort que la religion pourra vous inspirer ; mais je serais indigne de l’obtenir, si je ne punissais pas ces horribles forfaits. Je pars à l’instant pour la Trappe, où j’ajouterai encore, s’il est possible, aux rigueurs de l’ordre ; je vous recommande le fils de cette infortunée ; qu’il ne sache jamais qu’un monstre a été son père.