Amours de bergers

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Éclairs et FuméeEditions Armorica Voir et modifier les données sur WikidataOeuvres posthumes, 1907-1930, vol. 1 (p. 108-110).


AMOURS DE BERGERS

D’am C’Hender F. Bothorel, apotiker en Huelgoat.


Il n’avait pas dix ans. Je gage qu’elle, à peine,
Sur son front virginal accusait la douzaine…
Délaissant leurs troupeaux, tout en haut des rochers,
Ils se sentaient heureux de vivre, étant bergers !
Chargé de lourds embruns et de senteurs marines,
L’âcre vent de Gwalarn dilatait leurs narines,
Et leur mettait au cœur un besoin d’être fol,
De rire, de chanter, de rouler sur le sol,
Parmi les genêts verts et les bruyères roses,
Mariant leurs couleurs, mêlées d’apothéoses ;
Un besoin de crier aux oiseaux que le ciel
Rutile de soleil, que le parfum du miel
Rôde autour des bosquets dans un doux bruit d’abeilles.
Que mille chants divins ravissent les oreilles,
Que le « Menez » est plein d’insectes et de fleurs,
Du gai printemps gardant la tendresse et les pleurs,
Un besoin de clamer que le goût des myrtilles
Irrite le palais des garçons et des filles…

Loeizik et Mac’harit mordaient au même pain,
Buvaient l’eau des sources dans le creux de leur main,
Et puis se poursuivant, se barbouillaient d’airelle.
Qu’il fait bon dans l’Arrée et que la vie est belle !
Loeizik par ses dix ans avait l’âme d’un preux,
Les cheveux hérissés, le « fri louz » des morveux.

Mais ce bambin galant adorait sa compagne,
Pour elle il prétendait soulever la montagne.
Mac’harit se gaussait des mines du gamin,
Montrant d’un doigt moqueur au jeune paladin
Dont la taille venait à hauteur d’une botte,
Son fanion surgissant du fond de sa culotte.
Alors ce chevalier savourait son dépit,
D’avoir dix ans et d’être amoureux incompris.
Aux yeux de Mac’harit relevant son prestige
Loeizik aurait voulu faire quelque prodige,
Arrêter ce nuage en haut des cieux, là-bas,
Faire tomber d’un bloc la tour de Commana,
Rien qu’en soufflant dessus, fendre le Trévézel
D’un seul coup de sabot jusqu’au mont Saint-Michel ;
Changer en berlingot le granit bleu des roches,
Enfourcher en passant la belle voix des cloches…

Allez « Merlik » barbu qu’on appela Merlin,
À l’enfant amoureux soyez donc bon parrain !
Et vous Mariollon pour qu’il fasse conquête,
Au gamin éploré prêtez votre baguette !
Mais la fée insensible et l’enchanteur blanchis
Déjà depuis beau temps ont quitté ce pays !
Le preux désespéré va mettre bas les armes
Et le petit berger renaîtra sous ses larmes…
Juché sur un rocher — Mac’harit est en bas,
Il pleure en se cachant — elle ne l’entend pas.
Soudain il s’est penché, lançant d’un ton ému :
« Mac’harit, dis-moi donc, dis-moi, m’aimerais-tu,
Si je me jetais là sous tes yeux. Réponds vite ! »
— « De trente pieds de haut ! » s’exclama la petite.
Croyant qu’il se moquait, elle cria : « Hardi ! »
Et le fou se jeta… S’il ne fut que meurtri,

Était-ce toi Merlin ou la fée amoureuse
Qui sauva le gamin de cette mort hideuse ?
Alors, le front sanglant, il fondit en sanglots.
« Mais que dira Mamm-goz en voyant mes sabots. »
Il les montra, navré. Grande était leur fêlure.
Il pleurait ses sabots et non point sa blessure.
Mais il sentit soudain sa peine s’abolir,
Et son cœur exulter et son front se guérir,
Tandis que le « Menez » se mettait de la fête,
Quand Mac’harit la douce eut attiré sa tête
Sur ses genoux, disant d’un air tranquille et doux :
« Paix, fri-louz ! Et je vais exterminer tes poux ! »