Amours et Haines (1869)/À un poëte

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Amours et HainesMichel Lévy frères, éditeurs (p. 209-210).


À UN POËTE.


Laisse-leur dire qu’il est vain,
Qu’il est sans flamme,
Le baiser du couple divin,
La muse et l’âme ;
Laisse-leur railler tour à tour
L’œuvre insensée
Du rhythme qui s’unit d’amour
À la pensée,
Et ces vers, enfants de la nuit,
Aux douces fièvres,

Et ces rimes qui font le bruit
Que font deux lèvres.
Jourdain se demande à quoi bon,
Ayant la prose ?
L’âne aussi demande au chardon
Pourquoi la rose ?
Pourquoi des ailes à l’oiseau ?
Dit le reptile…
Va ! cela seul qui n’est pas beau
N’est pas utile.
La muse te veut pour amant,
Cède à son charme,
Taille à loisir ton diamant,
Sourire ou larme.
Cependant fuis ce chœur bruyant,
Vois l’alouette :
Elle s’élève en gazouillant ;
Suis-la, poëte !